La rougeole
La semaine suivante, il fut prévu que j’aille me louer à la grande Vélisière pour des travaux de nettoyage dans une étable. En plus de mes taches à la métairie je faisais la journalière, cela nous permettait de mettre un peu d’argent de coté pour que nous aussi, l’on prenne un métayage. D’ailleurs Stanislas le faisait également, nous y perdions en santé mais nous y gagnions en autonomie. Mon père trouvait que c’était déchoir, de travailler ailleurs quand on était métayer. Mais justement c’était lui qui l’était pas nous.
Normalement lors des discutions pour mes noces il avait été prévu qu’avec Stanislas on quitte la métairie pour laisser de la place à mes frères, du moins l’aîné et leurs futures épouses.
Mon mari n’était pas de la famille et était considéré comme un domestique , alors que mes frères étaient les fils de la maison, la nuance avait son importance et tous les jours mon père faisait des remarques en ce sens.
Donc on se tuait au labeur, pour pouvoir foutre le camp au plus vite.
Un soir que je rentrais et que j’avais laissé ma fille sous la surveillance toute relative de Marguerite, je remarquais que le gros chat roux de la maison était couché dans le berceau.
Je n’aimais pas cela car il paraît que les bébés pouvaient mourir étouffés. Ce n’était pourtant pas dans ses habitudes à notre félin. Je m’inquiétais un peu car les chats sentaient les choses avant nous, voulait-il m’annoncer quelque chose. Je pris ma fille et me rendis compte qu’elle était un peu chaude. Elle sentait aussi la merde et je me mis en devoir de la démailloter pour la délivrer de sa pestilence.
Ce fut fastidieux, la petite était bien sale et souillée jusqu’au nombril, les anciennes disaient que la crasse protégeait des maladies, mais tout de même. J’avais dans la journée d’autres choses à faire que de changer ma fille, après tout nous avions été élevés comme cela aussi.
Marie n’était pas très en forme son nez coulait bien gras et elle ne respirait pas bien. L’inquiétude me gagnait et je décidais que la petite dormirait avec nous. Stanislas qui avait décidé que ce soir serait son soir me fit la tête.
Le lendemain je dus repartir finir mes travaux mais je décidais de venir voir la petite pendant notre interruption.
Le midi je trouvais que la petite était encore plus chaude, elle refusait mon lait. Je tentais bien de lui faire une panade mais peu habituée elle recrachait tout.
Marguerite elle, était plus inquiète pour sa fille que pour la mienne, si Marie était contagieuse il faudrait bien qu’on l’isole. Ce n’était pas si facile à faire,nous dormions tous dans la même pièce.
La nuit fut exécrable, la petite hurla toute la nuit, j’entendais le père qui disait j’va la foutre dans la fumière.
Puis ce que nous redoutions arriva, des taches rouges firent leur apparition, elle en avait plein le visage et derrière les oreilles. La fièvre persistait, je décidais de rester avec elle. Cela fit débat car j’allais perdre le fruit de mon travail. Mon mari m’ordonna d’aller curer mon étable.
Le moins qu’on puisse dire c’est que je n’étais pas à mon travail du tout. Le soir j’ai trouvé la petite seule à la maison, la Marguerite s’était traînée jusqu’à la porcherie pour donner des rognures à Napoléon. J’étais en colère mais je ne fis par d’esclandre.
Cette fois les rougeurs étaient descendues jusqu’aux doigts de pieds. Rien ne s’arrangeait, la fièvre était élevée, la toux forte et Marie qui ne mangeait guère, extrêmement faible. De plus il me semblait qu’elle avait les oreilles qui suintaient, nous pensions que nous allions la perdre.
Ma petite sœur tomba également malade, fièvre et écoulement du nez. Ma belle mère entra dans une colère noire, comme si la petite de six mois y pouvait quelque chose. Bientôt ce fut ma faute et nous étions à deux doigts de nous crêper le chignon.
La maladie était dans la maison, je me proposais d’aller chercher de l’eau à la fontaine Saint Gré, elle guérissait de tout. Les hommes étaient septiques mais pourquoi pas.
Moi pour doubler cette tradition empirique, je me mis à la prière et le dimanche je m’usais les genoux à l’église.
L’action de mes prières et de l’eau miraculeuse fit sans doute que ma fille ne mourut point, elle resta exsangue de longues journées mais peu à peu choisit le camps de la vie.
Ma petite sœur solide drôlesse se releva plus vite et gambada rapidement dans toute la métairie .
Moi je restais fâchée avec Marguerite, vous parlez que c’était pratique et joyeux.
A la Gaborinière nous étions autonomes et vivions du produit de notre travail. Un poulailler important nous amenait des œufs. Les volailles étaient plutôt destinées à la vente mais pour les grands événements et quelques fois pour améliorer l’ordinaire nous en consommions.
Nous avions également nos deux cochons que l’on tuerait au moment venu. Le lait de nos vaches était aussi vendu mais nous en faisions grande consommation. D’autant que l’on barattait notre beurre.
Rien que de s’occuper de tout cela nous demandait pas mal de temps et d’effort. Il n’y avait aucun jour de repos pour les bêtes. Remplir les abreuvoirs, l’auge à cochon, donner à manger aux vaches, aux volailles, puis nettoyer cette foutue étable. Encore nous n’avions pas de chevaux, c’était le rêve du père.
Tout cela incombait aux femmes, j’étais rude au travail mais parfois j’en étais bien lasse.
Ce n’était pas moi qui nourrissait les bœufs, mon père avait décrété que c’était travail d’homme, il le faisait lui même aimant plus ses animaux que ses enfants. Je ne contestais pas qu’ils fussent indispensables, leur force et leur rudesse atténuaient nos propres efforts. Nous en avions quatre qui pouvaient être placés sous le joug et nous avions deux apprentis. Jeunes bêtes qu’il fallait en quelque sorte former, avant qu’ils puissent faire un couple locomoteur convenable.
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