LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 6/6, LA CONTINUATION DE LA RACE

Une première naissance

Le 31 août 1711, le hameau de la Roulière est en émoi, la Fleurissonne va accoucher.

Le moulin est à l’arrêt comme en attente de l’événement. Alors qu’elle nourrit ses poules Marie a perdu les eaux. C’est un peu la panique, la matrone habite au bourg et les belles sœurs sont on ne sait où au diable.

Marie se demande si elle ne va pas lâcher son petit en la seule présence de la petite bonne. Pierre tourne en rond comme un chien en chaîne. C’est une chose qu’il ne peut maîtriser et ne pas maîtriser il n’aime pas cela alors il hurle et tempête comme si le garçon meunier y pouvait quelque chose.

Enfin la matrone arrive elle est aussi appelée femme qui aide, mère mitaine, bonne mère, ventrière ou bien sage femme. Elle est de préférence une femme âgée, disponible, ayant eut une nombreuse progéniture.

Elle doit être agréée par le curé car elle peut administrer les serments du baptême en cas de danger de mort de l’enfant.

Elle doit être aussi agréée par la communauté paysanne.

Présente à tous les stades de la vie, elle pratique souvent la toilette des morts.

Aucune connaissance particulière n’est exigée, elle a simplement la réputation d’avoir réussi quelques accouchements sans problème.

La vieille fait calfeutrer les entrées afin qu’aucun esprit mauvais ne pénètre, nous sommes en aout mais elle exige un feu la chaleur est torride, Marie transpire sous ses vêtements qu’elle a gardé. Ce n’est pas parce qu’on accouche que l’on doit montrer sa nudité.

Le cierge de la chandeleur est allumé est une parente a amené la ceinture de la vierge.

La parturiente est assise dans son lit bien calée par des oreillers, l’accoucheuse en habituée ouvre les cuisses de Marie. Cette dernière sursaute à cette intrusion intime mais sait qu’elle doit se laisser faire si elle ne veut pas accoucher seule comme une louve des bois. De ses doigts goures aux ongles sales de paysanne qui revient du champs, elle fouaille l’intimité de la meunière. Son avis vaut certitude, cela ne sera pas long le chemin est fait et l’enfant bien placé.

La peur envahit toutefois Marie, saura t’elle faire, ne souffrira t ‘elle pas trop, un vent de panique la parcours. La vieille a pris son ouvrage et s’assoie à la tête du lit, attendre et encore attendre, les contractions se rapprochent, la douleur est intense. La matrone à la chandelle repart inspecter l’avancement des travaux. L’enfant est presque là, la chevelure noir du bébé se confond avec la toison de sa mère, pousse et pousse encore, il est là, ou plutôt elle est là car Marie donne naissance à une fille, la ventrière coupe le cordon à raz, si cela avait été un garçon elle aurait coupé à la longueur du sexe.

Puis elle allonge les tétons du bébé afin qu’elle devienne une bonne nourricière. La drôlesse est enfin lavée avec un mélange de beurre et d’eau chaude et d’eau de vie, puis on la frictionne avec du vinaigre et du vin. Elle est enfin emmaillotée et peut rester ainsi dans sa merde un bon moment.

Pierre mécontent délaisse ce futur embêtement, paye avec un poulet et un lapin, la peine de la sage femme et s’en retourne à son labeur.

Marie exsangue pleure de n’avoir pas donné un garçon à son mari, elle se promet de faire mieux la prochaine fois. Maintenant il faut accomplir le rituel du baptême se dépêcher car en ces temps la mort rode sur les petites âmes,  elle se prénommera Marie comme sa mère, le parrain est Nicolas Chaigneau marchand et la marraine Gabrielle Brebion la femme de Jacques Allard.

Ce fut assez cocasse de persuader le grand père Jean de prendre la femme d’un charbonnier pour marraine, il tenait cette catégorie de travailleurs pour des bandits de grand chemin.

Marie qui ne peut se rendre au baptême pour cause de relevailles se dit que la religion est un peu bizarre. Tout d’abord l’on encense la vierge Marie, une femme qui a conçu un enfant sans faire commerce amoureux et  ensuite on déclare impure les femmes qui en ont fait un avec leur époux. Quarante jours sans messe, sans trop sortir de ce moulin qui maintenant l’obsède et bien sûr sans que son mari ne lui susurre des cochonneries aux oreilles.

D’ailleurs le gaillard tiendra t’ il ce pari fou de ne pas toucher sa femme pendant  cette longue période,  considèrera t’il à l’instar des dogmes chrétien que sa Marie est impure?

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 1/16, LES ORIGINES

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 2/16, L’ANCÊTRE

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 3/16, LES NOTABLES

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 4/16 , LA NUIT DE NOCES

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 5/16 , RÊVERIES DE MEUNIER

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 5/16 , RÊVERIES DE MEUNIER

A quelque temps de là, Pierre de loin admire les rondeurs de sa femme, ils en ont maintenant la confirmation, ils vont être parents. Il espère bien sûr que cela sera un garçon, l’idée d’avoir une fille ne lui sourit pas.

Sa beauté juvénile est maintenant magnifiée par la grossesse, sa poitrine est une invite à l’amour et le reste est à l’avenant. Pierre la poursuit sans cesse de ses assiduités, elle s’échappe de ses grosses pattes en riant, elle est de plus en plus amoureuse et le désir également sans cesse.

Lui se régale d’avance à l’idée qu’elle vienne à lui dans le moulin, il est seul en ce moment, le falin est parti chez des clients et son père qui sert de garde moulin est parti boire une chopine chez Rouault le cabaretier. Il vient de mettre du grain dans la trémie, les meules tournent au rythme des rouages, le vent est stable en sa direction et les ailes du moulin, il en est sûr ne s’affoleront pas. Il a donc du temps pour lui et pour elle.

Seulement elle ne l’entend pas de cette oreille et se dirige vers le moulin qui se trouve de l’autre coté du chemin presque en vis à vis du sien.

Entre meunier on se jalouse un peu, on s’observe, mais l’on se fréquente. La Robine comme on la nomme est enceinte du Gaspard Robin, les deux femmes porteront ensemble et s’aideront mutuellement, comme les maris s’entraident en cas de coup dur sur les moulins.

Il ne reste plus à Pierre qu’à laisser libre cours à son imagination ou plutôt à ses souvenirs.

Lorsqu’il a quitté son village de l’Île d’Elle il n’était qu’un enfant, mais pourtant il aimait cet endroit de terre et d’eau, il aimait la Sèvre qui cheminait lentement depuis Niort pour se diriger vers le Braud, il aimait avec les autres gamins jeter des pierres dans l’onde profonde et voir les ricochets strier la surface limpide des eaux. Des heures durant il regardait les multiples barques qui amenaient au port de Marans les fruits du labeur de la fourmilière des marais et de l’arrière pays.

Il aurait aimer être l’un de ces marins qui sur ces coursier des mers s’engageaient par le fleuve dans la baie de l’aiguillon puis après le pertuis Breton dans les profondeurs océanes.

Mais il se savait rivé aux ailes tournantes des moulins et à la mouture des grains de blé, il n’en avait pas forcément le regret mais juste un désir de voyage chevillé au corps.

On lui avait conter l’étrange histoire de cette région autrefois sous les eaux, aux temps ou l’ile-d’elle était une ile, ainsi que Maillezay, la Ronde, Taugon, Damvix, Irleau, Charron, Saint Michel en l’herm et bien d’autres.

Au temps où Marans était forteresse sur un promontoire rocheux surplombant l’océan et où la Vendée, la Sèvre, le Mignon et l’Autize n’étaient pas que simples filets au maigre courant.

Bien sûr il ne restait rien de tout cela, les hommes ayant œuvré pour structurer le paysage et assécher les terres. Mais il en restait, les vastes canaux et une atmosphère que chérissait Pierre. Il avait même haïs son père d’avoir fait choix de partir et de s’enterrer dans ce tout autre.

Benon c’est la forêt, l’ancienne et vaste qu’on nommait Argenson et qui sombre et noire allait jusqu’au fin fond de l’Angoumois. Les moines défricheurs ont fait un massacre de cette sylve antédiluvienne et primitive, mais les lambeaux restant inquiéteront toujours Pierre. Il est toujours l’enfant des marais et ne sera jamais celui des bois.

A chaque fois que ses pas le mènent vers les profondeurs de la forêt une sourde terreur l’envahit, il n’en dit rien mais son inquiétude est bien présente. Dans le bas de la Roulière près du moulin à eau, un chemin sombre et bordé d’arbres tutélaires,  s’enfonce dans la masse compacte des taillis comme le Styx  s’engouffre dans les enfers.

Sa femme le moque de sa peur lorsqu’il longe à sa droite la terre des Galipaudes, et à sa gauche celle des Palènes. Elle le traite de pissouse, de fillette, de pleutre. Lui s’en agace et un jour pour lui prouver sa vaillance l’a trainée au bout du bout,  là haut sur la motte aux loups. Elle fut surprise de le voir aller aussi loin et en rigola encore. Pris d’une colère de se voir démasquer il voulut marquer encore plus sa puissance d’homme n’ayant peur de rien . Alors sur un simple tapis de mousse, croyant entendre le hurlement de quelques meutes, il a tenté d’exorciser sa propre terreur en possédant celle qui se moque. Marie surprise se débattit un peu mais pas trop, partagée entre une envie de son mâle et la honte de se retrouver les fesses à l’air  avec comme témoins le soleil et les nuages. Elle cria parce qu’il lui fit mal mais cria aussi de plaisir , tout se mélangea en elle.  Lui  l’orgueilleux, lorsque repu de son geste, il la laissa remettre de l’ordre dans sa vêture, vit  dans ses yeux de la haine .

Avait-il vaincu sa phobie des hautes futaies et des ronciers grouillants de vie sauvage, rien en fait n’était moins sûr.  Marie outragée par le corps de son homme, révoltée par ce bestial dénouement pleura de chaudes larmes sur le chemin du retour.

L’enfant qui va lui naitre est peut être celui de la forêt, celui de sa réconciliation avec la nature qui l’entoure. Superstitieux il redoute un drôle à tête de loup, une gamine velue ou monstre à trois pattes. Il regrette aussi la légèreté de sa femme lorsqu’elle se donnait à lui avant cela, mais il en est sûr après la naissance tout reviendra comme avant.

 

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 4/16 , LA NUIT DE NOCES

Le temps est maintenant venu de se sauver et d’emmener Marie. Ils font cela discrètement mais une bande d’échauffées leur témoigne crûment des encouragements qui gênent la prude Marie.

C’est dans une maison prêtée que le couple cache ses premiers envols. Marie qui n’a pas eu beaucoup d’indices sur le comportement qu’elle doit avoir est empruntée au possible. Jamais elle n’a vu d’homme nu, jamais n’a montré le moindre bout de chair à quelqu’un et n’a qu’une vague idée de comment elle va s’y prendre. Elle a peur de l’acte et de sa possible sauvagerie et elle a peur de décevoir Pierre. Alors timidement elle ôte ses vêtements, protégée par l’obscurité, ne gardant que sa chemise . A travers la lumière blafarde de la chandelle elle aperçoit la nudité de son mari. Ses joues s’empourprent, ses jambes vacillent, mais un curieux désir monte en elle.

Pierre s’en doute pressé ne tarde guère à couvrir sa possession de toute sa fougue.

Il n’est guère expérimenté même si il ne se l’avoue pas. Sans caresse, sans douceur, Marie est déflorée. Son devoir elle l’a effectué sans baragouiné, elle fait partie de la communauté des femmes, celles qui sans rien dire, sans rien souffrir doivent faire don de leur corps pour la satisfaction maritale.

Après quelques va- et- vient son homme ne bouge plus, a t’ il fini sa besogne. Oui car il se porte sur le coté comme repu par un trop copieux repas. Elle aimerait pouvoir parler, pouvoir exprimer son ressenti, mais Pierre dort, elle sent sa poitrine se soulever. Doucement elle tend sa main vers le corps de celui qu’il lui a pris sa virginité. Osera t’ elle découvrir ce corps qu’elle ne  croit pas encore à elle.

Elle est enfin toute de témérité, ses doigts rencontrent la poitrine de Pierre, elle descend lentement et vient pudiquement s’arrêter à la naissance de la toison de son compagnon. L’effleurement de ce jeune corps puissant la rend bizarre, lascive, comme fatiguée, prise de langueur, mais bientôt ce simple geste met en émoi le corps faiblement assoupi de Pierre.

Elle sent juste sous ses doigts vivre une force virile, elle ne franchit pas ce soir là le cap du toucher mais Pierre cette fois semble prendre en compte son désir à elle. Il se fait câlin et doux, ne la prend pas comme on prendrait une forteresse, mais partage sa jouissance. Ils dorment tout deux enlacés quand un tintamarre les tire de leur félicité.

Les braillards de la noce sont là , ils veulent vérifier si Pierre n’a pas l’aiguillette nouée et si la légitimité de l’union ne peut être contestée. L’alcool a inhibé les comportements, les propos sont salaces, Marie a honte d’être en chemise devant des hommes. Jean son beau frère un gamin à peine pubère est tout guilleret, il parle haut comme un homme, exige de voir les draps. On chante, on crie, on tape sur des chaudrons , la couverture est soulevée, Marie pleure presque, une jolie tache rougeoyante se dévoile à la vue enthousiaste du groupe. La voilà en chemise semi nue dansant une ronde avec Jean Parpay, l’arpenteur, son jeune beau frère, le fils de son cousin André et quelques pucelles de ses amies qui elles n’ont pas encore rejoint la communauté de celles qui l’ont fait. C’est attesté, elle est femme, Pierre est homme, elle n’a plus honte. La journée est encore longue, elle aide au service pour cette deuxième journée de repas. Mais elle doit aussi danser, boire, manger, remercier les invités. Elle est heureuse mais a hâte de se retrouver seule avec Pierre.

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 3/15, LES NOTABLES

Sur la droite descend le chemin qui par la forêt va à Surgères, la colonne s’engage sur le chemin de Benon à Bouhet. Au loin se dresse la tour écroulée du château féodal, c’est une masse de pierres émergeant de la végétation.

Alors que les mariés passent devant le grand moulin des jards et ses dépendances, la queue du cortège se fragmente déjà. Les vieux lézardent en refaisant le monde et les parents distribuent quelques taloches pour refréner l’ardeur des enfants excités par la perspective de la noce joyeuse.

Sur la gauche le fief blanc dessine une mosaïque de champs, souvent minces lanières enclavées et qui peignent le paysage d’une couleur chatoyante.

Les restes du château apparaissent, ses ruines grandioses d’un passé révolu entourées de fossés presque comblés se dressent comme une dentelle de pierre usée. Seule une tour garde une apparence médiévale et militaire , le reste n’est que vilaine maison bourgeoise .

En haut de la côte l’on tourne et l’on redescend oubliant le chemin de la grenouillère. Sur le pas des portes les gueules noircies des charbonniers arborent des sourires quémandeurs. Des mains sales se tendent vers les noceurs endimanchés, la gueuserie de certaines filles de charbonniers n’a pas de limite pour ramasser une miette de richesse. Pierre le jeune meunier n’a guère de compassion pour ces êtres faméliques des bois et les écarte d’un revers de la main. Marie tout à l’heure fera bon office et donnera quelques restes de ripaille à ces ventres creux sans se préoccuper de son peu compatissant mari.

Enfin ils arrivent, les musicien cessent leur ensorcellement musical. Le curé est là dans son aube brodée. Pierre est fier d’avoir obtenu l’autorisation de se marier un dimanche, normalement le père Luneau refuse ce genre d’entorse au jour du seigneur. Mais il ne peut rien contre la puissance montante de cette famille de fariniers que sont les Fleurisson. Puis le curé, pourtant de taille respectable, semble se rapetisser face au personnage qui lui fait face et qui le domine par son importance.

Pierre imbu de sa personne se rengorge d’avoir l’honneur que son mariage soit parrainé par un tel personnage, localement important.

Hannibal Poirel, 62 ans conseiller du roi et receveur des consignations de la ville de La Rochelle, seigneur de la Morderie et de Beaumont, fils de feu Antoine notaire et garde des sceaux du comté de Benon, est le représentant d’une famille de gents de robe anoblis de la région. Son neveu Louis est le seigneur de la châtellenie du Gué d’Alleré.

Il est propriétaire de nombreuses terres et de moulins dont celui de la Roulière tenu par Pierre Fleurisson et son père. Comme un coq qui chante au milieu de ses poules, Pierre se hausse du col, il plastronne comme si le roi soleil lui faisait l’honneur de venir de Versailles. Il salue son maître et le remercie, tenant son chapeau bien bas, l’on sent sa servilité. Jacques Rouault le notaire présent dans la foule dit à son frère Jean, greffier et avocat, pour un peu il va lui lécher le cul le farineux .

L’obséquiosité excessive de Pierre fait sourire, pourtant on le jalouse d’avoir à ses noces un noble personnage.

Dans l’église Saint Pierre il y a presse, tous les invités et les villageois s’installent, certains prennent leur place attitrée par une baillette passée avec la fabrique.

Sous la vénérable maison du seigneur qui date du 12ème et qu’on a récemment sauvée d’une ruine éminente Pierre Fleurisson et Marie Brillouet sont unis devant Dieu par les liens du mariage. Marie n’est plus sous la tutelle de son curateur François Parpay mais passe sous le joug de l’autorité de son mari. Elle aura bien évidement la désagréable surprise d’être aussi sous l’emprise dU vieux qui malgré qu’il soit déclinant dirige d’une main de fer son moulin, sa famille et sa parentelle.

A l’issue de la cérémonie où Jean le père, André Bastard le cousin germain, Louis Moisnet le beau frère, Jean Pageaud un autre cousin germain pour le marié ont servi de témoins. André cosson, l’oncle, François Parpay, le curateur et cousin germain, Jean Parpay cousin germain et frère du précédent témoin de la marié et Hannibal Poirel et Étienne Roussin amis, assistent également les mariés. Aucun des mariés ne signent le registre, la meunerie n’a pas besoin de lettré, Jean l’ancêtre n’a jamais su tracer la moindre lettre et il a bien réussi.

Après la solennité l’on peut passer à la liesse, au moulin les tables sont dressées, les estomacs sont prêts et les gosiers bien secs.

Pierre a vu grand et les festivités commencent, les plats s’enchaînent, la liesse est a son comble, il est fier de sa réussite même si il la sait incomplète et entièrement due à son père.

Hanibal Poirel a décliné l’invitation au repas mais les autres notables sont passés à la Roulière. Après le repas c’est la danse, les plus jeunes s’en donnent à cœur joie et font virouner les demoiselles à marier. Les plus vieux s’éteignent peu à peu dans les discussions et l’alcool.

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 2/15, L’ANCÊTRE

Le vieux Jean qui doit bien avoir 60 ans a commencé sa vie de trime avec son père qui déjà tenait un moulin là bas au loin dans les marais de l’île d’Elle . En une région où l’eau et la terre ne font qu’une, où l’on circule en barque et où les grains de la plaine de Marans n’arrivent que sous les meules avec difficultés.

Pierre n’a pas connu le vieux Jacques, père du père, mais l’identité familiale fait que son fils Jean, quand il est en verve après boire, nous conte des histoires merveilleuses sur ses ancêtres. A l’entendre certains soirs la famille Fleurisson aurait-elle même ramené le moulin à vent des croisades.

C’est peut être un peu exagéré, mais de fait la famille farinait depuis au moins cent ans. Cela en fait déjà une belle dynastie et Pierre se gausse largement de cette origine.

Jean avait décidé d’abandonner la terre des huttiers pour celle des charbonniers, vers les années 1700. Il laissait le grand moulin de l’ile d’Elle à ses frère Mathieu et Jacques et allait voir ailleurs si l’herbe était plus verte et surtout le blé plus abondant.

Pierre se souvenait encore de son arrivée dans cet univers si différent, la forêt avait remplacé l’eau, le ruisseau de la Roulière, la Sèvre Niortaise.

Les eaux vertes des marais avaient laissé place aux cimes vertes de la sylve qui entourait presque entièrement de son inquiétude profondeur le petit hameau d’où s’élevaient les ailes familières des moulins.

Le chant des grenouilles qu’il allait pêcher, ne résonnait plus que dans sa mémoire. C’est celui des loups qui maintenant l’inquiétait .

L’activité autour de lui le fait sortir de sa torpeur et de ses souvenirs d’enfance, il est maintenant dans cette province d’Aunis et dans ce comté de Benon.

Il a voulu que son mariage soit magnifique, pour impressionner et marquer son aisance et aussi pour complaire à sa belle ou du moins à la famille de celle-ci.

Marie Brillouet est orpheline d’un père farinier, on en sortait pas de se métier, les dynasties se créaient ainsi au gré des contrats notariaux signés par les pères, les frères, ou les oncles.

En l’occurrence l’affaire, car cela en est une, a été traitée par un cousin germain de Marie. François Parpay par un lointain cousinage, avait été nommé curateur de sa cousine, ce laboureur cossu est un négociateur difficile. Cette famille qui par mariages et alliances s’élevait peu peu, touchait les Poirel et s’enorgueillissait d’un arpenteur et juré du comté de Benon. La susceptibilité et la versatilité de ces coqs de village, fit perdre à Jean ses derniers cheveux. Mais enfin la dot fut jugée belle par les parents du marié et son espérance d’avoir le moulin pour lui seul emporta la décision des membres de la famille de la mariée.

On avait signé chez le notaire, ne restait que l’union devant Dieu et l’union des corps.

D’ailleurs ceux-ci se dirigent vers Pierre pour le saluer.

Jean Parpay ressemble à un gros chapon, gras comme un moine, rougeaud comme un bourgeois bousculant une fille dans un bordeau. Suant sous sa grosse veste de velours, soulevant sans cesse son chapeau pour se rafraîchir, l’on voit qu’il a goûté au vin du père. D’ailleurs au loin ce dernier rigole saoul de voir l’arpenteur enivré avant la messe.

François le curateur d’une forte corpulence est  très gras,mais sa graisse se cachant dans son immensité fait de lui un colosse à sa manière.  Lui aussi a chaud mais semble moins ivre. Il doit accompagner sa cousine alors pas de fanfaronnades, l’on verrait après pendant le repas de noces.

André Goron un oncle de Marie les accompagne, lui plus humble en vêtements, en attitude et en prestance les suit comme un ratier suit son maître à la chasse. Marie l’aime bien, alors Pierre aussi l’aime, de toutes façons une noce avec du monde vous pose un homme et il aurait été inconvenant de ne pas étendre les invitations au maximum.

Maintenant il n’est plus temps de bailler aux corneilles, les préparatifs sont presque terminés et les femmes qui doivent aller à la cérémonie ont encore à se faire belles.

La responsabilité des cuissons et des derniers détails reposent sur des servantes gagées pour la circonstance et quelques voisines âgées que le chemin jusqu’à l’église effraye un peu.

Les deux violoneux arrivent et discutent avec le père. Pierre au loin voit le ton monter et se rapproche, les deux bougres veulent une rallonge car on leur demande de jouer plus longtemps. Cela semble logique mais pour le vieux une parole engagée est comme un roc, on ne peut se déjuger. Pierre accorde les quelques pièces, les repas et le coucher dans la grange. On ne peut pas prendre le risque ne pas avoir de musiciens.

La foule est maintenant dense, la famille, les voisins, les connaissances, la clientèle. Tous sont venus pour honorer la famille respectée du meunier, puis l’on est dimanche et le jour est celui du seigneur. On ne peut travailler, alors assister à un spectacle gratuit, on l’on pourra peut être manger de la viande et boire du vin c’est vraiment une aubaine.

Bien sûr tout le monde se demande pourquoi le curé a accepté de célébrer cette union ce jour là, c’est plutôt rare et le curé n’est pas du genre à transiger. A moins que la prébende qu’il va recevoir et les beaux habits qui vont se trouver dans le cortège n’y soient pour quelque chose. Tout est négociable en ce bas monde, que cela soit dans le monde terrestre ou le monde des cieux.

Pierre s’énerve de n’avoir pas encore vu sa promise, elle se cache depuis ce matin, sa mise en beauté dure un peu trop longtemps.

Elle est en retard, toujours en retard, il va falloir qu’elle corrige cela afin qu’il ne soit pas obligé de le faire lui même. Heureusement elle arrive enfin accompagnée de Jeanne et Marie, elle est sublime en sa jeunesse sa fraîcheur et sa virginité. Elle a 22 ans et son corps au firmament de sa juvénile beauté. Pierre est désarmé devant son sourire, on se presse autour d’eux, il faut partir car le curé là bas au bourg, va faire une grise mine.

Sur ordre les musiciens entament une lancinante musique, le fifre parle au violon qui par une sorte de plainte lui répond. L’air se fait maintenant entraînant l’on sort de la cour du moulin et l’on se dirige vers le village.

LES FARINIERS DE LA ROULIERE, PARTIE 1/16, LES ORIGINES

Photo non contractuelle d’un moulin tour , ceux de la Roulière ont disparu sans laisser de trace

Pierre qui pourtant a beaucoup de choses à faire s’assoit un peu sur le muret de pierres sèches et contemple l’activité de ruches qu’il y a autour de lui.

En ce dimanche 4 mai 1710, toutes les personnes qui sont là gravitent comme des planètes autour d’un astre et il s’avère que ce soleil du jour n’est autre que lui même.

Sous l’immense remise, des paysannes venues des environs s’activent pour finir de dresser une gigantesque table. Elles ont déjà recouvert les planches de bois mal équarries avec des draps blancs. Marie sa sœur préside, organise, commande aux taches diverses, elle est pour l’instant la maîtresse du lieu. La blancheur de ces nappes, elle en est très fière et elle affirme à toutes modestement qu’elle n’y est pour rien et que ce sont les eaux pures du ruisseau qui coulent en contre bas qui font merveille.

Normalement l’organisation d’un tel événement est dévolue aux mères des mariés, mais malheureusement celle de Pierre est morte depuis environ 5 ans et celle de Marie sa future également.

Une bizarre coïncidence a fait que Marguerite Magnin épouse Fleurisson et Marie Rousseau épouse Brillouet soient emportées le même mois de la même année. C’est un cruel rapprochement pour les deux êtres qui vont unir leur vie mais c’en est un supplémentaire.

C’est donc Marie sa sœur cadette qui préside à l’ordonnancement de la noce.

Cette dernière a l’âme d’un chef et ce n’est pas son mari Louis Moisnet qui dira le contraire. Petite, replète, le teint rouge d’une coureuse de champs, elle porte à la mamelle deux petits pillards. Sa forte poitrine suffit à peine à repaître Marie deux ans et Jean un an, en tous lieux et en tous temps elle doit satisfaire ses deux gloutons. Pierre l’observe à la dérobée tout en donnant des ordres, elle entrouvre largement son corsage pour donner la tétée. Le spectacle est d’importance une bonbonne aux seins nus donnant des ordres voilà qui pourrait faire l’objet d’une saynète de théâtreux.

Pierre a confiance en sa sœur même si il la sait aigrie de n’avoir pas fait en son temps un beau mariage. Pour sa première union le père l’avait vendue à un garde des eaux et forêt, le barbon avait soixante dix ans alors que la pucelle fleurait bon les vingt deux. En échange de sa fleur et de quelques nuits d’amour, le vieux avait eu la complaisance de mourir en lui laissant un petit pécule. Cela ne compensait pas la  »dégoutance  » de se voir prise par un vieillard, mais permettait maintenant d’être veuve et de prendre un meilleur parti. Ce fut Louis Moisnet, un vil journalier qui obtint la veuve et son bien. L’homme était travailleur, honnête et à sa convenance physiquement. Mais pour elle  on l’avait démariée encore une fois et chaque jour qui passait, augmentait sa rancune.

Jeanne l’autre sœur de Pierre apparait à son tour, elle n’a pas le physique grassouillet de sa sœur mais plutôt celui d’une plante qui aurait grandi trop vite. Plutôt grande, sèche comme une planche de cercueil, elle est au visage d’une beauté assez sauvage, nez retroussé, lèvres pulpeuses et yeux d’un bleu d’une trouble transparence. Elle aussi porte sa fille Jeanne âgée de deux ans, cette dernière pour l’heure sommeille mais avant le départ pour l’église, réclamera sûrement son dû. A ses cotés galope le petit Jacques fruit de son mariage avec Pierre Ancelin  lui aussi journalier.

Pierre qui n’avait pas eu mot dire pour le mariage de ses sœurs réprouvait fortement les unions de ces dernières avec des hommes qui n’avaient que leur chemise, leurs bras , comme unique bien.

Ce n’est pas qu’il se prenne lui même pour Dieu le père mais tout de même un farinier et des journaliers ne sont pas sur le même pied d’égalité.

Pierre dans la contemplation de ses sœurs ne voit pas arriver son jeune frère Jean. Ce dernier jeune espiègle de quinze ans a revêtu ses beaux habits et compte sur les festivités pour séduire pour la première fois une jeune fille.

Les deux frères se ressemblent et l’on pourrait se tromper si Pierre n’avait de dessiné sous le nez une fine moustache noire là où son cadet n’avait que trace duveteuse. Déjà bâti solidement il ne porte pas encore les lourdes charges des hommes faits mais sa constance à essayer provoque l’admiration de sa famille.

Pierre qui depuis longtemps partage sa couche le moquait de façon graveleuse en lui disant que tant qu’il ne portera pas les sacs de grains et de farine il ne pourra prendre une femme.

Jean se fout bien de ses sarcasmes car une bergère du village ne semble pas croire qu’il ne puisse accomplir l’acte de la trousser. Elle minaude encore un peu mais la place est presque enlevée et Jean le sait cela n’a rien à voir avec le portage d’une quelconque charge.

Jean et Pierre ne sont  pas de la même mère que leurs deux sœurs Jeanne et Marie.

Le vieux comme tout le monde l’appelait sans irrévérence s’était marié cinq fois.

Elles sont toutes enterrées, ses femmes Fleurisson; ainsi que la majeur partie de la progéniture qui leur était venue. Des douze enfants qu’il avait conçu, seuls ses quatre lui restaient.

L’ancêtre pour l’instant est quelque part à jacasser ou à trousser une lichette de piquette du Gué d’Alleré avec d’autres vieux et son frère Nicolas.

Pierre respecte son père comme un christ, c’est lui par son esprit d’entreprise qui est à l’origine de tout.

RÊVES OU SOUVENIRS, Épisode 5, Comme une étrange impression

Que vais je faire de ma journée, comme hier et comme avant hier et probablement comme demain, rien. Le vide abyssal d’une vie qui s’étire, le gouffre du temps qui fuit, la monotonie des jours sans fin. Comme un réveil qu’on remonte, oui comme ceux d’autrefois. Je mets mon sablier en mouvement et attend que mon apparition ne vienne me rendre visite. Elle est extraordinaire, elle sait tout, a pénétré mon cerveau, connaît mes pensées les plus profondes, elle se déplace dans mes souvenirs avec une agilité que le temps qui passe a estompé chez moi. Je crois aussi qu’elle lit mes rêves et oui c’est bizarre les vieux rêvent encore. Enfin se découpe mon arrière grand mère sur sa chaise, c’est bizarre elle est identique aux autres fois, même coiffure, mêmes habits. J’en déduis qu’une apparition ne se change pas de vêtements et me dis que c’est sûrement d’une idiotie sans nom que de se dire cela.

Elle reste muette, mais sa présence déclenche en moi une drôle d’impression, j’ai l’impression de m’envoler, loin très loin. Le paysage n’est plus le même, ce ne sont pas les nuages de ma fenêtre, ce sont pas les cimes des arbres qui comme des métronomes oscillent face à mon horizon.

Non il y a des coteaux et des sources qui jaillissent, c’est vert, très vert, ce n’est pas un paysage actuel car maintenant tout est brûlé par ce foutu réchauffement qu’on a stupidement provoqué.

Je ne sais pas où je suis exactement, il y a aussi des vignes, beaucoup de vignes, serait-ce la Charente , non les maisons sont différentes, les pierres sont différentes.

Soudain je crois reconnaître, oui j’en suis sur, je suis déjà venu plusieurs fois ici . C’est l’église qui m’appelle, il y a d’ailleurs foule sous le porche.

J’ai l’impression de les connaître tous, curieusement j’ai même le sentiment qu’ils sont de ma famille.

La mémoire me revient, je suis à Saint loup de Naud en Seine et Marne l’édifice que j’ai devant moi est bien trop caractéristique pour que je ne l’identifie pas.

Le porche en saillie, protège un somptueux portail, derrière les paysans recueillis j’aperçois Saint Loup qui reçoit une pierre précieuse du ciel , puis juste au dessus la vierge Marie en intercession.

Encore plus haut sur le tympan le christ en majesté entouré des symboles des quatre évangélistes.

A droite trois statues dans leur niche, Saint Pierre, le roi Salomon, et le prophète Isaïe. En face il y a saint Paul, la reine de Sabbat et Jérémie.

Les portes sont grandes ouvertes , la foule pénètre dans les entrailles de la maison de Dieu.

Tous sont recueillis à l’extrême, il y a un cercueil, je suis mal à l’aise, j’ai la sensation bizarre que je fais corps avec le mort.

Il y a un vieil homme qui semble très affecté, on le nomme Jacques, on le plaint, à ses cotés une dame plus jeune, mais touchant sûrement la soixantaine. Elle a la tête relevée et est visiblement beaucoup moins abattuE que celui qui semble être son mari.

Je me poste sur la tribune qui domine une chapelle, c’est un peu vermoulu mais la vue y est magnifique.

Une jeune fille triste et recueillie, tient la main d’un petit garçon, elle n’est pas encore femme, tout au plus 17, 18 ans. L’enfant qui peureusement se serre fort contre elle n’est pas son fils mais plutôt son frère.

Juste derrière il y a trois garçons, à la mine grave, Pierre, Paul, et Nicolas, ce n’est pas une trilogie ni un inventaire ce sont les frères Beaumont . Car oui comme une face qui se révèle, je remets maintenant tout ce beau monde . Un peu en retrait une femme toute de noire vêtue, elle est belle dans sa robe de deuil, elle ne regarde rien et l’on voit que sa peine est infinie, c’est Marguerite fille Guiller, femme Beaumont et maintenant veuve Beaumont, je compte sur mes doigts, mais elle est mon ancêtre à la septième génération. Dans ses jupes un enfant pleurniche c’est Vincent le petit dernier. La famille évidemment ne serait pas complète si il n’ y avait pas la kyrielle de cousins et de cousines. Chez les vignerons tous sont plus ou moins apparentés

Ici c’est le pays traditionnel de la vigne, le vin qu’on produit ici c’est le vin qu’on appelait autrefois le vin Français, c’est du vin blanc en majeur partie, bien qu’on commence à faire du rouge aussi. Il est effroyablement vert et acide mais pour les ouvriers parisiens il est peu cher et en abondance. Il part par charrois ou bien descend la Seine jusqu’à Paris. Autrefois il y avait bien le marché anglais mais la guerre avec les buveurs d’outre manche empêche maintenant le commerce par delà la mer.

La cérémonie commence, le curé officie pour François Beaumont, 43 ans une force de la nature, toujours le premier levé et le dernier couché, sa vigne l’une des mieux entretenues, fournit un raisin magnifique. Mais la petitesse de sa parcelle l’obligeait à en entretenir une plus grande qui ne lui appartenait pas. Les vignes étaient passées en partie dans les mains des bourgeois qui y voyaient un investissement rentable.Si l’oppression féodale des nobles avait disparu celle du profit avait pris une réelle ampleur.

D’épuisement en épuisement François qui voulait s’élever s’affaissa. Le nez dans la terre, affalé dans un sillon, ses bras serrant presque amoureusement un cep, on le retrouva. Une jeune veuve, sept enfants et un vieux père qui se demandait bien comment il allait poursuivre l’œuvre que voulait accomplir son fils. L’aîné Jean Jacques âgé de quinze ans était encore un peu tendre pour assumer la succession .

Pourquoi sur mon siège je rêve à cela, jamais au grand jamais je n’ai entendu parler de cette famille tant elle est éloignée de moi. Mon père ne s’y intéressait absolument pas. D’ailleurs je pense que s’occuper de ses ancêtres morts c’est un moyen d’exorciser le fait qu’on ne s’occupe plus des ancêtres vivants. Enfin c’est mon opinion.

Mais bon tous les cas sont différents je ne suis pas là pour juger. Ce qu’il y a aussi d’Intéressant c’est qu’on ait occulté complètement l’existence de ce vignoble seine et marnais hormis quelques vignes dignes de pitié qui s’accrochent au flanc de la tour César de Provins. Je ne savais pas gamin que j’étais né dans un pays de vignoble et que du sang de vigneron coulait dans mes veines. Mais que peut-on tirer de cette divagation, de ma présence à l’enterrement d’un ancêtre lointain. Dans ce fatras de bizarres sensations est-ce que je peux en déduire que ce deuil et que les difficultés qui en sont survenues ont influencé une quelconque parcelle de ma vie, je ne le pense guère et je retourne mon sablier.

LE MEURTRE DE GASTON BRETON, partie 3/3, le récit du crime

 

Les faits au Gué d’Alleré

Le 24 ou le 25 octobre je ne sais plus je suis arrivé au domicile de Breton, je me souviens bien de la maison.

J’étais assisté de cinq officiers et de quarante hommes. Nous étions en voiture et les hommes en camion.

Nous avons cerné le domicile de Breton puis pénétré à l’intérieur. Les hommes ont tiré dans les lustres et un peu partout. *

Pendant que j’interrogeais Breton, les officiers, Carsique, Deguitre , Babin et Leduc montèrent fouiller l’étage. La maison fut pillée et l’on emporta le tout dans les camions. Carsique trouva dans un sac, 5 000 000 de francs en pièces de 20 dollars en or.

Nous sommes repartis, moi j’étais devant avec un chauffeur dont j’ai perdu le nom, derrière sur la première banquette Breton était encadré par Carsique et Deguitre.

Sur la deuxième banquette se trouvait Babin et Leduc.

Arrivés près de Marsais la voiture  tomba en panne, on s’engagea dans un petit chemin et je descendis avec le chauffeur pour voir la cause de la panne.

Les autres descendirent aussi, ainsi que Breton, ils n’étaient pas du même coté que nous et je ne les voyais pas.

J’ai entendu soudain des détonations et sur mon interrogation Carsique me dit que Breton avait tenté de s’enfuir.

Le corps de Breton était à un mètre environ des officiers qui n’avaient pas bougé , Breton n’était pas mort et le sous lieutenant Babin l’acheva d’une balle dans la tête.

Voila pour les faits, je n’ai jamais donné l’ordre de tuer cet homme et je pense que ce sont les autres officiers qui en ont pris l’initiative. Quand à l’or j’en n’ai jamais vu la couleur, Soleil l’aurait vendu à vil prix pour en distribuer l’argent aux familles de fusillés.

Beaucoup de précisions, mais encore beaucoup d’incertitudes. Les noms ne correspondent guère à ceux que les journaux mentionnent, excepté celui de Louis Carsique.

Deguitre pourrait correspondre à celui de Deguy qui lui même correspondrait à François Malle qui s’est tué en voiture à Saint George du bois le 23 février 1945.

Il est temps de conclure , les versions divergent toujours, les accusés Louis Casique et André Leblay soutenus par un comité d’obédience communiste maintiennent leur version d’une tentative d’évasion, les journaux et bien sûr Royer Roger ainsi que la famille en sont pour le meurtre.

Il sera difficile d’en sortir une vérité mais ce qu’on peut affirmer avec certitude, c’est qu’une guerre n’est jamais rose mais blanche et noire et qu’une victoire recouvre toujours une défaite.

Soyons sûr également que la disparition même temporaire d’une autorité, entraîne à tous coups des débordements. Il émergera toujours en période trouble des individus attirés par le lucre et par la puissance.

Des individus avides et sans foi ont certainement terni aux yeux de la population les actions les plus belles, mais rendons encore une fois hommage à ceux qui combattirent pour la libération de notre territoire.

Comme pour mes précédents textes celui-ci n’est pas clos et je le reprendrais avec plaisir si d’autres éléments me venaient. Je ne désespère pas de me procurer toutes les pièces du procès de 1954.

1 – Fort du Hâ, vieux fort de bordeaux 1454 – 1969 à l’emplacement actuel du palais de justice et de l’école de la magistrature.

2 – Faucon rouge, né vers 1930 , depuis 1953 se nomme mouvement d’enfance ouvrière.

3- Amilcar, Lieutenant colonel Jean François Robert Artaud né à Chalus dans la haute vienne en 1902, mort au même endroit en 1987

4 – la femme et les deux enfants de Breton étaient présents

5 – voiture, 301 Peugeot familiale rallongée

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Il est temps maintenant d’exposer l’affaire qui nous fait écrire ces lignes.

Au gué d’Alleré, gîte Gaston Breton un entrepreneur de La Rochelle, installé dans une belle maison art déco où habitait avant lui une famille de réfugiés juifs et qui avaient été contraints à fuir.

Le dit Breton qui aux dires de ses détracteurs, était un collaborateur notoire, avait avouons le bien mal choisi son lieu de refuge. Quittant la protection de la garnison allemande qu’il aidait en une collaboration économique lucrative, il venait se jeter en quelque sorte dans la gueule du loup.

Il est donc chez lui avec sa femme et ses deux enfants lorsque le 24 ou le 25 octobre 1944, un déferlement de haine se répand dans son logis.

Pour bien marquer que la relation de cette histoire est issue de la déclaration faite le 03 septembre 1952, je vais prendre un style narratif en suivant exactement les aveux de notre homme.

La déclaration.

Cela fait maintenant cinq ans et demi que je croupis à Bordeaux dans la sinistre et vieille prison du fort du Hâ. (1) Je me nomme Royer Roger et je suis né à Payroux dans la Vienne le 10 février 1924.

Mon père Louis Fernand décédé maintenant, était officier supérieur, ma mère Marie Desroches vit à Joussé petit village dans la Vienne.

Je suis divorcé de Gisèle Thibaut et j’ai une petite fille qui se nomme Marie France. Je me suis engagé dans l’armée d’armistice au 404ème régiment de DCA à Châteauroux.

J’ai été décoré de la croix de guerre le 27 décembre 1944 puis dégradé en 1947.

J’ai été condamné en mai 1949 à 5 ans de prison pour vol, détournement et désertion par le tribunal militaire de Bordeaux, peine confondue avec celle de ma condamnation à 20 ans de travaux forcés pour vol qualifié en juillet 1948 par la cour d’assises de Charente.

J’ai pris un an supplémentaire en Charente pour tentative d’évasion.

Mais comme cela ne suffisait pas à ma peine, j’ai été condamné par le tribunal militaire de Paris en août 1949 à 20 ans de travaux forcés pour trafic d’armes et de fausses monnaies ainsi que d’atteinte à la sécurité extérieure de l’état. Mais pour cette dernière peine je me suis pourvu en cassation.

Je vous passe évidemment les condamnations pour délits mineurs.

Actuellement je suis inquiété dans l’affaire Breton et je suis inculpé de complicité de meurtre et de vol qualifié par le cabinet d’instruction du tribunal d’instance de La Rochelle.

Je suis entré au parti communiste en 1936 dans la filiale scolaire des Faucons rouges.( 2) Ensuite j’ai pris une part active dans ce parti à l’école primaire supérieure de Poitiers. Lorsque le parti a été interdit comme les autres je me suis fait petit en niant en avoir été membre.

Lorsque par le miracle de l’accord entre les nazis et Staline le parti est rentré en grâce, je me suis retrouvé chef des jeunesses communistes de Poitiers

Ensuite je suis entré à l’université, j’y suis resté jusqu’en 1942 , le parti communiste était dans la clandestinité depuis qu’Hitler avait déclaré la guerre à Staline. On m’a alors demandé de m’engager dans l’armée pour y installer des cellules communistes et organiser une résistance communiste.

C’est ainsi qu’au sein du 404ème DCA, j’ai fait œuvre de résistance, nous avons caché des armes puis lors de l’invasion de la zone libre par les allemands nous les avons combattus.

J’ai été fait prisonnier puis relâché, ensuite je suis rentré chez moi dans la Vienne . C’est à ce moment là que mon père , maire de la commune de Joussé a appris que j’étais communiste.

Je n’étais plus dans l’armée mais sous les ordre d’Amilcar (3) et j’organisais des sabotages sur les lignes de chemin de fer.

Ce dernier m’a confié la responsabilité de l’organisation de résistance dans l’arrondissement de Civray. J’ai monté un maquis dans les environs de Bellac en Haute Vienne, nous étions environ 250 en 1943.

J’ai été condamné à mort par contumace par les allemands et ces derniers ont offert une récompense pour ma capture. J’ai d’ailleurs été arrêté par la police de Poitiers mais j’ai réussi à m’enfuir avec la complicité d’un policier..

Après quoi je suis resté constamment dans la clandestinité et je vivais dans les bois.

Un peu avant le débarquement, on nous donna des grades et je fus nommé lieutenant et commandant d’une compagnie qui comportait 170 hommes.

Tous mes hommes ont été courageux au feu mais je déplore le comportement d’un grand nombre. Beaucoup d’exactions contre les particuliers, viols, vols, pillages. Je n’avais que 20 ans et peut être pas assez d’expérience pour contrôler un tel nombre d’hommes.

En septembre 1944 ma compagnie était décimée, nous n’étions plus que 4 sur 170, Amilcar mon chef m’enjoignit de rejoindre le régiment des francs tireurs partisans, dénommé Soleil,  dirigé par le commandant René Coustelier en Charente Maritime. Mon activité là bas était de contrôler l’activité des civils sur la ligne de front et de servir d’agent de liaison entre Amilcar et Coustelier.

En Charente Maritime où avec d’autres maquis, Soleil finissait de bloquer les allemands dans la poche de La Rochelle, Coustelier m’attendait, il me donna plusieurs hommes et ma mission commença.

Je faisais des enquêtes sur des civils suspects et je les transmettais à Soleil qui lui les transmettait plus haut. Je dois dire que souvent les personnes sur qui j’enquêtais, étaient abattues avant la transmission de mon rapport.

C’est ainsi que j’ai eu  l’ordre d’enquêter sur Breton , qui aux yeux de Soleil était un collaborateur. Sur place, dans le village du Gué d’Alleré, je ne trouvais aucune preuve de collaboration et mon rapport fut négatif sur une quelconque activité de collaborateur.

Soleil n’apprécia pas et me demanda de refaire mon rapport, il voulait à tout prix quelque chose de défavorable sur Breton. Devant mon refus il me mit aux arrêts.

Lorsque ceux-ci furent terminés, il m’ordonna d’arrêter Breton de perquisitionner son domicile de le transférer à la prison de Niort.

 

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LE MEURTRE DE GASTON BRETON, Partie 1/3, La poche de La Rochelle

 

Il y a quelque temps déjà, envoûté par l’élégance d’une maison de mon village et du voile de mystère qui l’environnait j’avais décidé d’en écrire une de ses noires pages.

La chape de plomb qui asphyxiait la sombre histoire de la maison bleue du Gué d’Alleré restait toujours impénétrable. Les témoins éventuels étaient morts ou bien vieux et leurs enfants héritiers de leurs souvenirs étaient muets de tant de vilaines choses. Ne pas salir la mémoire de, comme un leitmotiv, rejaillissait.

Ne pouvant rien savoir sur les faits dans le village lui même, j’interrogeais la presse de l’époque.

Ce que j’appris ne pouvait en rien me réconcilier avec cette période trouble mais néanmoins très intéressante.

La presse avait été assez indigente sur la relation de ces faits, mais pardonnons, elle avait sans doute des histoires plus gaies à raconter à moins que la main de l’état ne l’ait encouragée à faire oublier au peuple français que la période qui nous préoccupe n’avait pas été une si belle éclaircie après des années de brume.

J’avais donc écrit un texte se nommant le  » la mort du Collabo du Gué d’Alleré  » et je l’avais publié sur mon blog https://wordpress.com/view/larbredeviedepascal.com

Je n’avais pris aucun parti et je m’étais efforcé de relater les faits tels qu’ils pouvaient s’être déroulés.

J’avais toutefois laissé entendre que j’écrirais de nouveau sur le sujet si l’on me fournissait des renseignements complémentaires ou si j’en trouvais moi-même.

L’un des petits fils de Gaston Breton m’avait alors contacté et conforté dans la croyance que j’avais écrit une version plausible. Me signalant aussi que les enfants Breton présents lors de l’arrestation de leur père étaient toujours de ce monde mais que malheureusement pour l’histoire locale ils ne voulaient pas en témoigner.

Mon texte en est donc resté là, jusqu’à ce jour où un historien du sud ouest spécialiste de la question m’envoie un document émanant de la direction générale de la sûreté Nationale et daté du 3 septembre 1952. Ce procès verbal est celui de la déclaration d’un des membres du commando qui procéda à l’arrestation le 24 ou 25 octobre 1944 de notre collabo présumé et à son exécution sommaire.

Avant de conter cette nouvelle histoire il est bon toutefois de signaler la noirceur du personnage, de signaler qu’il est emprisonné au moment de sa déclaration pour une peine très lourde et qu’il n’est pas mu par une quelconque manifestation de la stricte vérité mais plutôt par un dégagement de sa responsabilité dans l’affaire.

Avant de narrer les faits, un petit rappel de la situation est nécessaire. Nous sommes en octobre 1944, une grande partie de la France est libérée du joug allemand mais l’hydre n’est point totalement maîtrisé. Les allemands ont formé des poches de résistance autour de zones portuaires. Elles sont au nombre de cinq mais nous n’allons parler que de celle de La Rochelle.

Évocation sommaire car mon propos n’est pas de réécrire cette histoire très bien racontée par bon nombre .

Les ennemis se sont donc enfermés dans La Rochelle et dans ce que nous nommerons sa banlieue.La zone comprenant également l’Île de Ré, ce qui fera environ une surface de 400 kilomètres carrés.

La garnison est approximativement de 16 000 hommes.

Globalement la poche est hermétiquement fermée dès septembre 1944 par des groupes armées composés pour beaucoup de maquisards.

En octobre la réorganisation des Forces Françaises libres en régiment ou brigade est terminée.

Les Français tiennent une ligne qui va de Fouras à Marans, voici le dispositif.

De Fouras à Ballon, 1699 soldats sous les ordres du lieutenant colonel Chambre poste de commandement Rochefort, se nommant régiment Bir’Hacheim.

De Ballon à Anais, 6571 soldats sous les ordres du commandant Bousquet comprenant le régiment Soleil sous les ordres du commandant Le Coustelier, du régiment Rico sous les ordres du commandant Angélo Ricco, et du régiment Duguesclin sous les ordres du commandant Bonvallet .

Le poste de commandement se trouvant à Surgères. L’ensemble portant le nom de brigade Demorny

D’Anais à Nuaillé d’Aunis , 1561 soldats sous les ordres du lieutenant colonel Bouvron avec un poste de commandement à Saint Hilaire la Palud dans le département des deux sèvres. Le régiment se nommant Foch

De Sérigny à charron, 1117 hommes sous les ordres du commandant Hélias avec un poste de commandement à Luçon en Vendée. Le régiment de nommant Hélias.

Dans la zone de Courçon et Taugon se trouve le régiment Chaumette, sous les ordres du lieutenant colonel Proust, 2924 soldats avec un poste de commandement à Damvix.

L’ensemble des forces françaises de l’Aunis sous les ordre du colonel Chêne représente donc 14172 soldats, sont PC est à Sait jean d’Angély avec 155 soldats.

Voila pour la période qui nous préoccupe, sachant que fin 1944 les régiments FFI s’organiseront en unités régulières.

Notre action se passe dans le village du Gué d’Alleré qui théoriquement est dans le secteur du maquis Foch mais pratiquement dans celui du régiment Soleil.

Les zones sont un peu floues et mouvantes et les commandements un peu opaques et mélangés.

Quoi qu’il en soit des zones, au Gué d’Alleré les hommes du maquis Soleil originaires souvent de Dordogne font régner leur loi. Bien que leur réputation de combattant ne soit plus à faire, ils en traînent une autre bien moins respectable.

Il est vrai qu’en ces moments de troubles, ressurgit parmi le bon grain, l’ivraie.

Ps : Pour ceux qui veulent un peu plus de précision lire :

Charente maritime 1940 1945, occupation, résistance, libération de Henri Gayot.

L’Aunis en guerre et ses victimes septembre 1939 – août 1945 par l’association d’histoire et de géographie en pays Aunisien