Adélia veuve Sorlin
Elle sait, oui elle sait, une lettre vient de lui parvenir. Belle, émouvante mais contenant la triste nouvelle .
Elle est seule lorsqu’elle reçoit la terrible annonce.
Elle se rend dans l’atelier de Benjamin, d’un regard elle observe. Tout lui est connu, elle saurait retrouver chaque outil dans le noir. Elle saisit le tablier de son mari, en tente d’en extraire une odeur qui lui rappellerait Benjamin. Rien, pas même la moindre trace fugace, tout est disparu. Elle s’assoie et pleure.
Adélia n’entend pas sa fille arriver. La petite l’observe longuement sans que sa mère ne perçoive sa présence. Avec une intuition enfantine, la fillette a compris que son père était mort.
Elle rejoint sa mère, s’agenouille devant elle, lui prend les mains et enfouit son visage dans sa robe. Dans une communion de malheurs leurs larmes se rejoignent pour former un fleuve de détresse.
Le dimanche suivant Adélia porte son garçon dans ses bras et pénètre dans l’église, c’est la dernière veuve en date. Le silence se fait, la vue de cette femme appréciée de tous, portant le fils qui n’aura jamais connu son père, tire des larmes à la société qui pourtant en a déjà tant vu.
On chuchote et l’on affirme qu’elle n’est pas la seule dans ce cas et que la France compte plus d’orphelins que de veuves. En tous cas ce n’est pas la naissance de petite Clémence Ribreau , enfant posthume de Clément qui viendra le démentir.
La fin du conflit
Mais le conflit n’a pas encore fini de torturer la commune, le 25 octobre 1918, on apprend que Léonce Cossevin est mort de maladie dans un hôpital de Versailles. Il avait fait la guerre à sa façon, de services actifs, en services auxiliaires, de réformes en reclassements. Il avait été blessé, puis avait terminé au 22ème régiment d’artillerie.
Mort seul loin des siens, il rejoint la longue liste et a le triste privilège d’être le dix neuvième mort de la commune.
Depuis quelques semaines l’espoir revient, l’Allemagne est en perdition, des révoltes grondent. Ses armées ne sont pas encore battues mais le colosse aux pieds d’argile se fissure.
A la onzième heure, du onzième jour , du onzième mois la guerre se termine, le maire qui vient d’en avoir la confirmation fait prévenir la population, les cloches de l’église sonnent à toute volée.
Bientôt toute la population est au courant, on se congratule, on danse, on chante.
La fin d’une guerre est toujours une liesse, mais le nom des morts retentit comme un échos.
Les Boutin se serrent dans les bras, mais l’esprit de Marcel hantera leur esprit jusqu’à leur mort.
Loetitia ouvre son armoire et voit les habits bien pliés d’Édouard, elle le revoit gueulant , tempêtant, brandissant une ceinture qu’il n’osait abattre. Elle sourit à cette évocation, ferme la porte. Désormais elle est tournée vers l’avenir, et ressent comme un frisson en pensant à la main du douanier qui l’a effleurée.
Émilienne ôte le chandail noir qu’elle porte et en passe un autre de couleur blanche.
Elle regarde le cadre d’Alexandre lui envoie un baiser. Elle rejoint son fils René sur la place. Elle le voit tout joyeux, énervé par quelques drôlesses, elle va continuer à vivre pour lui et peut être aussi un peu pour elle.
Elle est encore jeune et voir se monde, l’encourage à redevenir femme.
Adélia dont le veuvage est encore neuf n’a pas le courage de sortir de chez elle.
Elle autorise sa fille à se joindre aux autres mais pour elle il est trop tôt. C’est de sa fenêtre qu’elle observe le défilé de la victoire qui se forme dans la rue.
Marie Chauvin sort les bonnes bouteilles et a comme consigne de régaler tous les visiteurs qui se présenteraient pour voir le maire.
Encore une occasion pour que les hommes se saoulent pense t-elle.
Marie n’a plus d’espoir, plus d’avenir, plus d’envie. Les quelques minutes d’amour fugaces qu’elle a partagées avec Marcel l’ont sevrée pour l’éternité.
Peu à peu les hommes vont rentrer et reprendre le glaive de l’autorité. Les femmes devront de nouveau s’effacer, devront subir la mauvaise habitude prise dans les tranchées de boire plus que de raison. Certaines devront rendre des postes qu’elles ont tenu avec brio.
Mais en cette guerre, finit bien le 19ème siècle, le progrès fait fulgurance et les mœurs changent doucement mais sûrement.
On élève une statue d’airain à tous les grands vainqueurs, le culte de Pétain commence, Foch est adulé, Clemenceau encensé.
Les morts ont leur monument et le onze novembre devient férié. Mais si les français avec leurs alliés gagnent la guerre, ils perdront sans conteste la victoire.
A peine plus de vingt ans plus tard, les fils de ceux qui étaient morts doivent de nouveau partir. De nouveaux drames, de nouvelles ignominies, de nouveaux départs et une nouvelle invasion meurtriront la France.
Le vainqueur de Verdun, le grand maréchal en une poignée de main fait se retourner bons nombres de poilus dans leur tombe.
Mais dans l’euphorie de la victoire personne ne vit , personne ne comprit qu’il ne fallait pas acculer une bête fauve qui pouvait encore mordre.
Au gué d’Alleré la vie suivit son cours
Camille Gougaud le maire eut le malheur de voir la seconde guerre mondiale, toute fois sans être encore le maire du village, il s’éteignit le 27 décembre 1943.
Sa femme Berthe Petit lui survécut jusqu’en février 1957.
Denise leur fille mourut à Charron en 1976 et Lucie en 1968.
Émile Boutin le père de Marcel mourut au Gué d’Alleré le 29 janvier 1941 et sa femme Marie Vicenté Pépiou l’année suivante le 30 mai 1942.
Loetitia Coudrin veuve Tirant se remaria le 06 février 1923 avec son douanier François Ferré qui entre temps était devenu garde champêtre du village. Elle mourut le 05 septembre 1955 au Gué d’Alleré veuve de François .
Émilienne se remaria le 29 décembre 1923 avec un marchand de cochons du nom de Arthur Rippe, elle vécut à Surgères.
Adélia Caillaud resta veuve Sorlin et éleva ses enfants en tenant un café dans le village.
Enfin pour terminer, le curé Niox s’éteignit à l’hôpital de la Rochelle le 2 avril 1928.