LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 42, la mort de Victorine

Comme je l’avais pressenti la petite de Gustave et d’Ismérie décéda, fruit vicié dès le départ la conclusion de sa vie ne pouvait qu’être tragique.

La noce ne fut pas décalée pour autant et l’on se retrouva tous à Guérard une petite commune toute proche.

Moi je n’allais pas fort, la boule que j’avais dans la poitrine me faisait atrocement souffrir, j’étais faible car je ne mangeais rien. Je me fis donc porter et ne pus faire grand chose, pas de danse pour moi et adieu les amours passionnées des fins de noces.

Nous n’étions plus que deux à la maison, j’avais moins de travail et heureusement car j’étais bonne à rien.

Je me mis à tousser et à avoir des difficultés respiratoires, Charles inquiet m’emmena avec Hermance chez un autre médecin. Il me fit mettre nue et me palpa sur l’ensemble du corps. Il écouta ma toux et examina mes glaires. Pour être franc il le fut,  » madame Trameau votre état est inquiétant », il n’y a aucun remède à votre état  » .

La question que je ne lui posais pas me brûlait quand même les lèvres, combien de temps?

Il me donna des pilules contre la douleur en me recommandant de ne pas en abuser.

J’allais mourir et le docteur m’expliquait de faire attention à ces quelques cachets, le trajet du retour fut lugubre. Charles le taiseux perdu dans ses pensées ne s’exprima pas de tout le chemin.

Mon état s’empira soudainement et je dus m’aliter, Marie ma fille vint s’installer à la maison pour s’occuper de moi. Hermance ne me quittait pas non plus.

Mon corps s’abandonnait, je mangeais et je vomissais, je respirais et je toussais. J’avais l’impression que chaque quinte de toux m’arrachait un bout de poumon. J’avais mal partout, heureusement la médication me soulageait, j’entrais alors dans une phase de somnolence. On me tenait compagnie, mais aussi on me lavait, arriver à plus de soixante ans et se chier dessus quel avilissement.

Un beau matin un joyeux bonjour me sortait de ma léthargie, un fringant soldat se trouvait devant moi et me bisait, mon Daniel était revenu. Son engagement était terminé et il s’apprêtait à reprendre son ancien métier de botteleur. Il n’avait pas connaissance de ma maladie et ce grand benêt, ce grand voyou s’effondra en pleurant comme un gosse.

Ça présence étonnamment me redonna joie et courage et je repris même un peu de force. Bien sur je savais que je ne m’en sortirais pas mais peut être gagnerais je quelques mois précieux.

Le matin on m’installait sur une chaise longue en osier, je regardais passer les gens qui partaient au travail, ronde des bergers, des charretiers, des paysans trainant sabots avec leur faux sur le dos. Lavandières et lingères portant leurs paniers de linge, commerçants s’en allant à Coulommiers, cantonniers la pelle à la main et charriant des gravats.

 » Bien le bon jour la mère Trameau, comment va ce matin? Tous avaient un petit mot. Je les saluais d’un petit geste fatigué.

Mais il fallut se rendre à l’évidence ma fin était proche, je respirais lentement comme dans un râle, mon kyste au sein était nécrosé et mes membres ne m’apportaient que douleur insoutenable. Les cachets ne faisaient plus effet

Daniel m’apprit qu’il allait se marier en juin 1906 avec Eugénie Maury une petite de Chailly. Je ne pus que lui sourire tristement jamais je n’arriverais jusqu’à cette date.

Je n’étais plus consciente qu’occasionnellement, mes enfants et petits enfants m’entouraient, lorsque je reconnus Auguste je devinais que j’allais partir.

Je n’étais pas morte que la veillée funèbre commençait, un prêtre vint pour m’apposer le viatique. Je n’entendais que de vagues bruits, et n’apercevais plus que des ombres furtives. Je percevais la chaleur réconfortante d’une main serrée dans la mienne mais je ne savais pas à qui elle appartenait.

Je sentais aussi que l’on me bisait, pourquoi?

Puis tout fut noir, alors que je ne pensais pas avoir les yeux fermés, j’entendis encore quelque voix puis plus rien.

Mon arrière arrière grand mère Victorine Tondu est morte le 11 mai 1906 à cinq heures du matin en présence des siens.

Gustave et Émile déclarèrent le décès et tous la portèrent en terre le jour suivant.

Auguste devint entrepreneur en fourrage et se fit une belle aisance avec la guerre, Émile resta à Chailly

Victor mourut domestique à Paris en 1919, Charles vit la seconde guerre mondiale et s’éteignit en 1946 à Nangis en Seine et Marne.

Joseph resta sur Beton Bazoches et Marie la seule non paysanne vécut jusqu’en 1953 à Jouarre aussi en Seine et Marne.

La famille offrit son tribut à la folie humaine, Gustave et Daniel mourront au combat respectivement en 1916 et en 1918.

Quand à Charles le mari, il rejoignit son épouse dans la terre de Brie en 1911.

Fin

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 41, le fatal diagnostic

Un docteur cela coûtait de l’argent et puis je ne pensais pas qu’une boule sur un sein soit un sujet d’inquiétude.

Bon tout de même je commençais à n’être pas tranquille, cela faisait maintenant une belle masse et ma peau devenait comme la peau pelure du fruit que les riches offraient à leurs enfants à Noël. Au bout d’un moment j’eus même une croûte et cela me démangeait tout le temps.

Un matin fatiguée par une mauvaise nuit je me rendis chez Hermance et tout de go j’enlevais mon corsage, elle fut horrifiée et se mit à pleurer, je ne comprenais pas trop mais elle finit par me dire que sa mère avant de mourir avait eu une telle grosseur. Je vous le dis cela m’a décidé le lendemain je m’en fus chez le docteur à Coulommiers.

Hélas, le bon praticien ne m’annonça pas une bonne nouvelle , madame Trameau vous avez un cancer et malheureusement je ne vois rien à y faire. Il existe bien une méthode qui consiste à enlever le sein, les muscles pectoraux et les ganglions, mais il n’y a rien de sur en terme de survie du patient.

J’étais abasourdie, anéantie, le docte praticien venait de me dire que j’allais vers une mort certaine.

Vous avez beau savoir que tous les chemins mènent à cette fin , je me serais bien vue aller plus loin et vivre encore quelques épiques aventures.

Je gardais la nouvelle au fond de moi et je mentis à tout le monde, bien sur Hermance ne fut pas dupe mais ma famille qui ne demandait qu’à y croire se contenta de mes allégations rassurantes.

Gustave commença alors une longue approche auprès de sa future, pire que des négociations royales. Son père s’en amusait et son frère Émile se foutait allègrement de lui en lui disant  » mais nom de dieu quand vas tu la baisser ta mijaurée ?  ». A la voir minauder je pensais avec plus de nuances la même chose que mon fils, j’étais certaine que si il la brusquait un peu sur un tas de foin, elle arrêterait de maniérer.

Malheureusement la belle avait vingt ans et était fort fertile, après qu’il lui eut pris sa fleur du devant la belle devint insatiable des choses de l’amour, Gustave n’étant pas dépourvu d’appétit il s’ensuivit une fuite en avant amoureuse qui forcément aboutit à ce que la bougresse devint pleine.

Un peu honteuse, elle cacha à tous sa grossesse et une date de mariage ne tenant pas compte d’une précipitation éventuelle fut agréée par les partis en présence.

Les parents Tribout pensaient que leur douce fille était vierge et blanche comme une colombe, mon nigaud de fils qui n’y connaissait rien ne vit pas qu’elle s’arrondissait grandement.

C’est moi qui un jour la voyant au lavoir accroupie au battoir remarqua en voyant ses seins que de telles mamelles étaient plutôt celles d’une nourrisse que celles d’une demoiselle.

Sur le chemin après quelques questions elle avoua , apparemment il y avait urgence, ses règles avaient disparu depuis longtemps. Enceinte jusqu’au cou qu’elle était l’Ismérie. Moi j’étais sur ce sujet encline à l’indulgence mais ses parents prirent mal la chose. La paire de claques qu’elle prit lui rappela un chapitre du code civil, le père était maître de tout et de tous.

Bref deux foyers deux visions différentes de la vie, moi mon espace se rétrécissait, je n’allais pas fort, je n’avais plus d’appétit et beaucoup de nausées. Peu à peu avec ma forme, s’envolait mes rondeurs, Hermance me reprenait mes robes. Un jour elle me dit que je retrouvais ma silhouette d’autant, gentille mais moi je savais que ce n’était pas vrai, mes seins tombaient et mon ventre fripé faisait penser à une vieille pomme ratatinée.

J’avais perdu le goût de manger, je ne sortais plus guère de la maison. Heureusement la solidarité villageoise m’empêchait de sombrer.

La petite Ismérie mit au monde une petite fille, en accord avec mon fils ils l’appelèrent Hélène, déclarée naturelle elle serait reconnue pendant le mariage des parents.

Il n’y eut pas fête, la petite était malingre et ne vivrait peut être pas, décidément que de malheurs, peut être que Dieu me faisait payer mes péchés.

Fin d’année triste et religieuse mes seules sorties étaient réservées à l’église, j’y priais et j’y pensais.

J’eus quand même la chance de voir un grand nombre de mes enfants et petit enfants. J’en avait douze, ce qui compte tenu du nombre élevé de mes enfants ,était somme toute assez peu.

Auguste me rendit visite et nous invita au mariage de sa fille aînée, elle se mariait avec un valet de chambre Allemand, mon fils aurait espéré plus noble liaison mais l’amour est imprévisible.

Bien sur mon état physique ne pouvait me permettre le déplacement mais Charles et mes autre fils se rendirent à Beauvais.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 40, une fatigue passagère

Nous étions maintenant en juin 1901, le Daniel, la rage de vivre arracha le consentement à son père il s’engageait pour quatre ans à la mairie de Coulommiers.

Dix huitième régiment de chasseur, le voilà cavalier ce grand flandrin au yeux bleus, bourreau des cœurs de Chailly et hantise des hommes possédant une belle pouliche. Au fond de moi je me disais que la grande muette ne faisait pas une bonne affaire en engageant ce futur Cartouche.

Son engagement dégagea son frère Gustave de ses obligations militaires et ce dernier revint à la maison avec un an d’avance, il était un peu heureux non pas de revenir spécialement à Chailly mais de quitter ce monde qui n’était pas le sien. Je trouvais que ce système n’était guère égalitaire mais nos messieurs des parlements qui faisaient les lois le trouvaient bon alors il n’y avait rien à redire.

Un dimanche nous avons été chez ma fille à Mouroux, elle y travaillait avec son mari dans la nouvelle usine qui fabriquait des couverts en acier et en argent. Le Henri était polisseur en métaux.

La moitié du village travaillait pour Perrin et bon nombre de maisons lui appartenait, ma Marie avait changé depuis son mariage, son caractère androgyne avait muté en une féminisation fort avantageuse, pour sur le Henri avait dans sa couche un bien beau spécimen de femme. Pour ce qui est de la procréation je crois bien que le Lépolard était engagé au  » Royal bon à rien  » bientôt deux ans et aucune graine ne venait germer dans le ventre infécond de ma jolie Marie.

Elle nous reçut dans sa petite maison, deux pièces, un jardinet où poussaient quelques légumes et la cabane d’aisance au fond du jardin. Le couple avait investi dans une cuisinière en fonte à charbon, un réel progrès pour nous les cuisinières. Elle nous délecta d’un lapin en sauce. On parla beaucoup puis on alla se promener le long du Grand Morin, l’usine y était implantée et utilisait sa force motrice. Comme nous avions fait la route le matin je me sentis assez fatiguée et la balade quoique agréable se transforma en contrainte, d’autant que nous devions repartir et refaire les huit kilomètres qui nous séparaient de Chailly.

Le soir je rentrais complètement épuisée et de plus j’avais une pointe douloureuse dans le haut du dos. Charles qui ne m’avait jamais vue ou plutôt qui n’avait jamais voulu voir une trace de fatigue chez moi s’inquiéta et pour un peu serait devenu gentil.

Nous avions de temps à autres des nouvelles de mon fils Charles, il venait d’acheter une petite maison à Nangis et travaillait dans une usine de matériaux agricoles qui appartenait à un nommé Hurtu , il s’était éloigné un peu du bottelage. Il venait d’avoir une fille et l’avait prénommée Rolande.

Mon coup de fatigue s’accentuait avec il est vrai des hauts et des bas, la douleur que j’éprouvais devenait parfois insoutenable. Hermance ma chère Hermance me massait le dos pour m’apporter soulagement. La chaleur de ses mains me détendait quelque peu et puis il faut bien le dire m’apportait comme un frisson le long de l’échine. N’allez pas croire à une relation ambiguë, elle était ma sœur, ma fille, mon amie.

Et puis merde, soyons franche l’ambiguïté de ma relation avec elle se faisait jour, nous ne nous étions jamais touchées et n’avions jamais évoqué la moindre attirance entre nous, mais je savais tout d’elle comme elle savait tout de moi.

Alors oui ses mains qui me malaxaient le haut du dos me rappelèrent des caresses plus intimes.

Je dus arrêter toutes activités pendant quelques temps, mais bon il fallait quand même mettre du lard dans les patates et je repris le chemin du lavoir. J’avais beau ne plus être très jeune mais je me traînais plus que de raison. Puis vinrent les beaux jours et j’oubliais ma peine, le soleil accompagnait nos activités, l’eau des ruisseaux était moins froide. Par contre je fus embauchée pour la moisson et cela se transforma en calvaire.

Un soir je rentrais épuisée, mais néanmoins j’étais résolue à faire une grosse toilette car j’étais noire de poussière, crasseuse et puante. C’est mon bonhomme qui alla puiser l’eau au puits et qui me la réchauffa sur les braises encore chaudes du matin. Je me déshabillais le haut du corps et avec l’aide d’un gant de crin je me frottais en commençant par le visage et le cou, puis descendant j’entreprenais le dessous de mes bras, la sueur avait collé mes poils et une odeur acre en émanait. Puis énergiquement je frottais ma lourde poitrine, je ne m’en serais peut être pas aperçue si contrairement à d’habitude je n’avais pas insisté autant. Une boule de la taille d’un œuf de caille sur le haut du sein droit, pas douloureux, mais dur, j’examinais aussitôt toute la surface de ma poitrine. N’ayant que cette petite grosseur je continuais mon décrassage en règle et constatais que le bas n’était pas plus propre que le haut.

J’allais rejoindre mon vieux dans notre couche et cela me sortit de l’esprit.

Mais j’avais de plus en plus de mal au dos et de caille l’œuf qui grossissait devint plutôt celui d’une poule, cela me gênait au quotidien et je dus le dire à Charles.

Cela tombait au plus mal car lui aussi n’allait pas très bien et il dut même s’aliter avec de la fièvre.

J’ai un peu paniqué et fait prévenir les enfants. Ils sont tous accourus en catastrophe, le moribond quand il les a vus réuni autour du lit leur a dit que ce n’était qu’une répétition et que demain il reprendrait le travail.

Un peu présomptueux, le lendemain ses pauvres jambes ne le portèrent qu’à peine et il dut attendre une quinzaine pour retravailler. Bien entendu pas de labeur, pas de salaire, moi qui me traînait et lui qui faisait faux bond, nous faisions un bel attelage de bœufs de boucherie.

J’en avais toutefois profité pour montrer ma poitrine à ma fille et à la femme d’Émile. Elles y allèrent de leur conseil et me dire d’aller voir un médecin.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 39, le crépuscule

En octobre 1899, je mariais donc ma seule fille, autant vous dire que cela faisait bizarre. Un garçon ce n’est pas pareil, il est sensé dominer son monde il est le chef de son ménage( en théorie), alors que pour sa petite on a le sentiment de la livrer au minotaure, de la mener au taureau si vous préférez.

Il n’y eut évidemment pas de contrat de mariage, forcément ils n’avaient rien, Marie n’avait pas un trousseau énorme car en sa jeunesse elle n’avait pas été passionnée par sa confection.

D’après ses propres termes ils allaient vivre d’amour et d’eau fraîche. C’est mon mari qui fier comme un paon conduisit sa fille à l’autel, je crus même percevoir une larmichette dans ses yeux de vieux bourru.

Victor avec sa famille était arrivé la veille par le train de Nogent sur Marne, Joseph avec sa femme firent le chemin à pieds de Beton Bazoche, il ne manqua que mon fils aîné qui gentiment par une lettre nous expliqua qu’il avait à faire avec son entreprise de vente de fourrage qu’il venait de fonder.

J’étais pas peu fière d’avoir un fils qui enfin tentait quelque chose. Mais pour sur ancien botteleur , il restait toujours dans la paille.

La noce fut traditionnelle servie par nous autres les femmes aidées toutefois par une pauvrette à qui on avait donné une pièce.

Contrairement à la noce de Joseph, je n’eus pas de chevalier servant et évidemment aucune escapade dans les taillis. Mes fils me firent bien un peu tournoyer, mais personne ne s’intéressa à moi en tant que femme.

Je ne me rendais peut être pas compte que j’étais entrée dans la vieillesse, alors que visuellement les hommes considéraient que j’y étais déjà entrée.

Tout cela ne fut rien par rapport au vide que laissa ma fille, elle nous charmait tous, nous enquiquinait tous, mais elle nous apportait une sorte de joie de vivre.

Comme une idiote j’ai chialé, heureusement mon amie est passée et nous avons bu un café en discutant du village et en médisant bien un peu.

Nous étions maintenant dans un autre siècle, le vingtième, que de progrès depuis ma naissance.

Nous avions maintenant le train qui raccourcissait les distances, dans les villes il y avait l’eau courante,  enfin chez les plus riches. Mais l’invention qui révolutionnait le plus était l’électricité, je ne savais pas comment cela marchait. Vous pensez bien qu’à Chailly en Brie ni même à Coulommiers ce n’était pas encore installé. Tourner un bouton de faïence pour avoir de la lumière cela tenait de la magie. D’autres choses encore, des voitures qui marchent toutes seules sans chevaux, des oiseaux de toiles et de bois qui volent dans les airs.

Je n’en n’avais jamais vu de ces inventions du diable, mais dans les journaux il y avait plein de dessins les illustrant.

Un jour un drôle de type est venu au village, il avait une boite avec un trépied, on est tous sortis de chez nous, que voulait il cet étranger? Gamins, vieux, ménagères, artisans voulurent en être car il s’avéra que c’était un photographe ambulant qui fixait les villages pour en faire des cartes postales.

Ce fut une sacrée affaire de mise en scène, un peu longue, mais pour être immortalisée un peu de patience était de mise.

Mes fils Daniel et Gustave sont allés à Paris à l’exposition universelle, ils furent stupéfaits, une grande roue de 70 mètres de haut qui permettait de voir tout Paris, un télescope géant pour voir les étoiles, une sorte d’appareil qui projette des images et qu’on nomme le cinéma des frères Lumière. Ils prirent aussi une sorte de train qui s’appelait le métro. Puis il y avait les pavillons étrangers, les nègres, les indiens , les asiatiques et des russes.

Mais ce qui les marqua le plus était la tour Eiffel, monstruosité en ferraille plus grande que la cathédrale Notre Dame héritée de l’exposition précédente.

Bon je crois que mes deux lascars furent aussi séduist par d’autres beautés, mais cela nous en reparlerons plus tard.

Moi l’aventureuse, celle qui voulait voyager pourquoi n’y ai je pas été moi même, certes Charles ne tenait pas à ce que j’y aille, mais j’aurais pu désobéir à mon seigneur et maître après tout je ne lui avais jamais obéi aveuglement. Je perdis donc la seule chance de voir toutes ces merveilles réunies.

En lieu et place de Paris, Chailly en Brie, en lieu et place du champs de Mars, le hameau de Saint Lazare, tout me paraissait mesquin et ridiculement petit. En lieu et place de la gare de l’est, la gare de la Bretonnière, en remplacement du Louvre, nous avions le château voisin et coulant négligemment le ru du Charcot faisait une piètre Seine.

Ma vie se faisait de plus en plus intriquée, il ne restait à la maison que ce diable de Daniel, bagarreur, grande gueule, il parlait de s’engager dans l’armée. Son père disait que c’était une bonne chance plutôt que  de se retrouver à Cayenne.

Car voyez vous perpétuant une tradition commencée par moi il passa par le tribunal correctionnel de Coulommiers pour outrage, il n’avait pas montré son cul mais c’était copieusement engueulé avec le garde champêtre , l’amende avait été salée et il n’était plus dans les petits papiers de la maréchaussée.

Gustave était maintenant au service, il était comme son frère Auguste à Orléans au 5ème commis.

Ma fille avait suivi son ouvrier d’usine et filait un parfait amour, entre mansarde et réunion syndicale, entre nuits d’amour et pain sec.

Je sentais confusément que j’entrais dans une période crépusculaire, le plus beau de ma vie était passé, mais quel bilan tirer de cela. Était ce ma vie de famille ou bien mes transgressions qui m’avaient apporté le plus de joie et de satisfaction? Je n’en savais rien, en ces années je me tournais doucement vers l’église, j’étais plus assidue à la messe, et je me mis à me confesser pour Pâques. C’était une redécouverte pour moi, mais dans le silence de confessionnal que devais je dire, que j’avais eu des amants mais c’était de l’histoire ancienne, enfin un peu, que j’avais par deux fois succombé au charme du corps d’une femme ça c’était entre ma conscience et moi et ne regardait pas notre Seigneur.

Mon mari me disait : pourquoi tu te comportes comme une vieille veuve, je ne suis pas encore mort.

Alors que dire, que j’avais médis au lavoir, que je m’étais moquée ou bien même cela ne portait pas à conséquence que je m’étais refusée au pauvre Charles. Deux, trois avé maria et deux trois pater et j’étais tranquille, il me semblait qu’il pouvait m’arriver n’importe quoi.

Je ne me considérais pas pour autant comme une grenouille de bénitier, mais je faisais œuvre de charité en m’ occupant de l’église, nettoyage, fleurs, changement des cierges.

Pour sur les mauvaises langues allaient bon train, une ancienne prisonnière qui fréquentait monsieur le curé. Ces mégères coincées du cotillons, si elles avaient su l’usage que j’avais fait de mon corps elles m’auraient interdit l’entrée du lieu saint.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 38, la fin du siècle

Les fêtes de fin d’année approchèrent, de religieuses qu’elles étaient au départ, elles étaient devenues nettement plus profanes, pour la première fois cette année nous accrocherions une branche de sapin à la mode des émigrés alsaciens et nous la décorerions de bouts de tissus.

Nous on allait encore à la messe de minuit et on se faisait un petit repas entre nous en rentrant. Le Charles allait à la messe que pour cette occasion, pour les mariages et les enterrements. Si je l’avais seulement écouté les enfants n’auraient même pas été baptisés.

Dans certaines familles aisées les parents offraient même des joujoux ou bien des fruits que l’on appelait orange, les nôtres étaient trop vieux et de toutes façons nos finances ne s’amélioraient guère avec le départ des enfants.

De plus je n’avais jamais goûté ce fruit et je crois qu’à Coulommiers on en trouverait certainement pas.

Pour le passage à la nouvelle année je reçus une carte de mon fils aîné , c’était la première fois qu’il m’envoyait une telle missive alors je l’ai accrochée au dessus de la cheminée à coté du miroir que Charles utilisait pour se raser.

Nous on avait pas d’argent pour se faire des cadeaux mais on se devait quand même de rendre des visites, moi je n’aimais guère et Charles le sauvage encore moins. Comme nous n’avions plus de parents, nous n’avions en fait que la visite chez nos employeurs. On arrivait bien poliment, mon mari plein de déférence avait la casquette à la main, bien le bonjour messieurs, dames, une bien bonne année. En retour un verre de cidre et quelques banalités sur le temps et les futures récoltes. Cela faisait un peu lèche cul mais bon.

Les enfants ce jour là nous rendaient visite avec leurs petits, nous les gardions à manger, c’était une occasion de se retrouver.

A oui j’ai oublié j’ai reçu également une carte de mon neveu, le fils de mon frère, architecte à Paris vous vous rendez compte, un col blanc dans la famille, là aussi direction la cheminée.

Bon ce n’est pas tout cela mais il faut que je vous parle enfin de ma fille Marie. Elle a maintenant vingt un ans, une beauté assez troublante, garçonne je dirais. Longue comme un jour sans pain,effilée comme un haricot vert , des jambes fuselées comme des couteaux,  un ventre plat comme la plaine de Brie et des seins à peine gros comme des pommes à cidre. Des hanches de gamine qui à mon avis ne pourrait jamais enfanter. De dos on eut dit un jeune conscrit.

Mais le tout vous retournait, vous enjôlait, vous hypnotisait, vous séduisait, cet air androgyne rendait fou les hommes et lors des bals ou des noces tous faisaient la roue pour obtenir une danse.

Son visage n’avait rien à envier à son corps, un sourire cristallin, des pommettes rouges et des yeux bleus azur vous subjuguaient et vous obligeaient à rendre les armes et à l’aimer.

Si elle se moquait du pucelage de ses frères c’est qu’elle avait jeté le sien depuis longtemps avec un ouvrier de la papeterie.

Un jour que bêtement je l’enjoignais de faire attention afin de ne pas anticiper l’arrivée d’un enfant et que le meilleur moyen était encore d’attendre le mariage pour avoir une aventure. Elle me rigola au nez et m’avoua qu’elle l’avait déjà fait avec plusieurs hommes et que je n’avais pas à m’en faire qu’elle maîtrisait la situation.

Maîtriser la situation pour qui me prenait elle, une gamine, une nonne ou une bourgeoise aux fesses serrées. Les bras m’en tombaient pour un peu, Marie se serait galvaudée d’une réputation de femme à homme dépassant de loin toutes mes expériences. Je crois de toutes façons que ma fille ne se doutait pas de ma propre expérience et bien heureusement d’ailleurs.

Donc sa vertu jetée aux orties, elle me chuchotât qu’elle était maintenant amoureuse d’un ouvrier nommé Henri.

J’étais à la fois contente et inquiète comme toutes les mères quand me le présentera t’ elle?

Le siècle était bientôt terminé, et j’avais donc cinq enfants mariés, et dix petits enfants, mon bonhomme était en bonne santé bien qu’un peu vieillissant.

Si il fallait faire un bilan de ma vie je dirais que j’étais presque aussi pauvre que dans ma jeunesse , mais la pauvreté il faut en convenir devenait moins dure. J’avais fait quelques bêtises et il faut malicieusement en rire , mon deuxième séjour en prison m’avait fait découvrir une partie inconnue de moi même. J’avais eu bon nombre d’amants et d’amantes et ces entorses au contrat de fidélité ne m’empêchaient pas d’aimer à ma façon mon rude botteleur. Je n’étais pas une mère parfaite, ni une épouse irréprochable.

J’avais une seule amie en la personne d’Hermance et cela suffisait à mon bonheur. Pour ce qui en est de ce chapitre j’avais eu des nouvelles de ma Marie, son époux l’avait un jour dérouillée et jetée toute nue sur la chaussée. Les gendarmes étaient intervenus, justice , divorce pour mauvaise conduite, elle avait perdu ses enfants et son foyer. Aux dernières nouvelles, elle était partie sur Paris, mais je n’augurais rien de bon pour cette pauvresse qui n’avait fait que suivre son penchant pour les gens du même sexe que le sien.

Maintenant que les enfants étaient grands j’avais plus de temps et je pouvais plus travailler, malgré ma répugnance pour la terre je m’y étais mise, mais je préférais sans conteste faire la lingère et la ménagère. Je trouvais facilement à m’employer, il y avait quelques propriétaires dans les belles maisons du village qui répugnaient à s’occuper de leurs culottes tachées.

Pour l’heure je préparais un repas, une magnifique volaille nous recevions à manger les parents d’Henri le galant de Marie. Les deux amoureux avaient tenu à tout faire dans les règles, des fleurs m’avaient même été portées. C’était la première fois qu’on m’en offrait, Marie jubilait, elle aussi humait son bouquet. Charles évidemment râlait en disant que c’était argent dépensé pour rien. Les parent Auguste et Clémentine arrivèrent avec leur fils, c’était pour nous une première que ces fiançailles en règle. Henri décidément prévenant avait offert un anneau à Marie. Le repas fut un peu coincé au début mais bon il faut dire que la mère Lépolard qui je le rappelle était de Coulommiers m’avait connue dans mes mauvais jours. Il fallut plus d’un verre pour que l’atmosphère se détende.

Pourquoi un tel cirque alors que le Henri il avait déjà boulotté la Marie.

Bien sur nous l’avions déjà vu et il avait fait sa demande dans les règles mais là c’était la première fois qu’il se mettait à la table avec nous et ses parents. Charles le fit asseoir à coté de lui, le pauvre coincé entre le vieux et mon turbulent Daniel n’en menait pas large. Les parents de Marie étaient assis à coté de Marie, une vive discussion s’engagea entre ces ouvriers rouges et mon fils Gustave un peu rétrograde qui en pinçait encore pour les gens des châteaux. Mon pain perdu départagea tout le monde et les hommes s’en allèrent boire un dernier coup au cabaret, moi j’allais me promener avec ma commère et avec Marie.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 37, comme une dernière aventure

Au cours de la noce j’ai été invitée à danser par un lointain cousin de la mariée et figurez vous que j’ai bien aimé et que je me suis laissée serrer d’un peu près, enivrée par la musique et le vin.

Mon vieux bonhomme comme de coutume dormait du sommeil des poivrots, mes fils joyeux, gais et saouls lutinaient leur jeune femme, les petits couraient partout dans la ferme. La mère de la mariée stoïque veuve semblait même se dérider et entrait dans la folle bacchanale.

Mon cavalier improvisé s’enhardissait et à chaque quadrille canaille, il devenait évident qu’il avait la prétention gaillarde de s’isoler un moment avec moi.

J’étais partagée par l’honneur que l’on s’intéresse à moi, la honte d’avoir encore envie d’un homme à mon age et enfin de me faire surprendre le cul à l’air par un de mes petits enfants ou par une des mes pestes de belles filles.

Plus la soirée passait plus mon danseur fou s’excitait, à l’aube les mariés étaient partis et la noce maintenant s’essoufflait, je me décidais imprudemment, mue par une envie irrépressible. Je m’enfonçais dans l’obscurité de la campagne, le son des violons s’estompait et la lueur blafarde des bougies de la grange vacillait au loin.

Je savais qu’il m’avait suivie,sous l’ombrage protectrice mais au combien inquiétante d’un grand chêne il me prit par la taille, comme depuis longtemps personne ne m’avait prise. Oubliées mes rondeurs, mes rides, mes cheveux gris, sa bouche alla rejoindre la mienne il me caressa et remonta lentement ma robe, je sentais sa virilité le long de mon ventre, je faiblissais et n’avais plus aucun rempart, il tomba son pantalon et il me prit le long de cet arbre dont la rugosité me semblait soie. A chaque mouvement je recouvrais ma jeunesse, il était hussard, j’étais la petite Victorine mendigote de Provins. Sa jouissance arriva, la mienne aussi se confondant en un sublime bouquet. Adieu la mère de famille vieillissante, adieu la grand mère, adieu la femme baisée par habitude. je revivais, on s’en revint à la fête  séparément et personne ne sut notre embarrassant secret.

En rentrant nous coucher Charles voulut un dernier baroud d’honneur, je ne tenais pas à ce qu’il salisse ce que je venais de vivre et le repoussait vivement. Il grogna, pesta puis se retourna, ses ronflements m’indiquèrent que je serais tranquille.

Au matin une grosse patte se posa sur moi sans ménagement, je savais résignée que je n’y échapperais pas une autre fois. Il me monta brièvement comme un chat monte une chatte, délivra sa semence, puis satisfait se leva et sortit pisser au fumier.

Je me levais alors que le Charles avec la cuvée de la veille s’était rendormi, les enfants ne bougeaient pas non plus, j’étais donc tranquille et après un brin de toilette intime je fis ma vaisselle.

Je regardais alors la rue en méditant, tout s’y prêtait, le calme, et le soleil qui s’annonçait radieux. Pourquoi éprouvions nous une attirance physique pour un être plus que pour un autre. Quel était le processus qui nous permettait d’accepter qu’un homme pénètre votre intimité et que vous en éprouviez du plaisir, alors que pour un autre tout ne sera que souffrance et rejet. Je n’avais pas de réponse, vraiment qu’elle idiote j’étais de me triturer l’esprit avec de telles considérations.

Derrière moi Charles remettait son pantalon en pétant d’un air satisfait. Ma fille Marie les cheveux en bataille, la bretelle de sa combinaison lui tombant sur l’épaule et dévoilant la naissance d’un sein se levait impudiquement. Gustave et Daniel tous deux allongés dans le même lit faisaient semblant de dormir et espérant apercevoir un morceau de chair de leur sœur. Je n’étais pas dupe et Marie non plus, d’ailleurs parfois elle faisait exprès d’en rajouter et les faisaient hurler en les traitant de jeunes puceaux.

Ma pensée s’était donc tournée vers autre chose et surtout vers mes tâches ménagères du jour.

Je mis quand même tout cela dans un coin de ma tête et me promis dans parler à Hermance.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 36, mariages et petits enfants.

un fils de Victorine

Sur le retour, toutes envies irrémédiablement passées j’aperçus ma fille Marie en galante compagnie prés de la papeterie. Elle fit mine de ne pas me voir et fila prestement, décidément une bien mauvaise journée.

Je verrais plus tard à éclaircir les allées et venues de ma fille, je me renfrognais sur moi même et sur un amour perdu que j’avais d’ailleurs à peine entrevu et goûté.

Je ne sais comment aurait réagi Charles si il m’avait surprise , je ne préférais pas y penser et me décidais à enfouir ce secret au plus profond de moi. Quand j’irai mal, j’y repenserai, un moment de sublime délice qui m’aiderait à passer mes mauvais moments futurs.

Joseph avait maintenant fait son temps au 31ème régiment d’infanterie, c’était un bel homme, vigoureux, de taille moyenne. Les yeux bleus des Trameau qui étaient fort bien assortis à sa tignasse châtain clair. Il avait décidé de se mettre à la recherche d’une femme , de fonder un foyer et de s’émanciper de la tutelle paternelle. Il exigea et obtint de son père de garder sa paye pour pouvoir se constituer un petit pécule. Cela ne nous changea pas grand chose après quatre ans de vie militaire où sa solde disparaissait en boissons, cabarets et putains.

J’avais donc un fils qui désirait partir de la maison, alors que j’étais déjà triste d’avoir vu partir Victor et sa famille sur la ville de Nogent sur Marne, enfin triste de le voir lui, car sa femme la Marguerite je n’y étais guère liée. Je ne supportais pas ses airs supérieurs, il fallait la voir passer, se prenant pour une parisienne la bouche et le cul pincés. Elle avait beau tenter des effets vestimentaires, elle gagnait son argent au cul des vaches et son Victor suait sang et eau en bottelant ses gerbes comme son père et ses frères.

Quand aux enfants ils n’en avaient plus qu’un car le deuxième était mort à trois ans emporté, le pauvre petit par une maladie infantile. Les parents avaient tout fait pour le sauver à l’avait même fait entrer à l’ hôpital Trousseau de Paris spécialisé pour les enfants. Il y était mort quand même, du temps de mes parents on ne se préoccupait guère des enfants qui crevaient comme des chatons sur tas de fumier.

Donc le Victor y reviendrait à Chailly seulement pour les noces et peut être aussi pour les enterrements.

Mais ce n’était qu’une vaste allée et venue car le Charles celui marié avec Léonie se prit de gueule avec son beau père et revint s’installer au village, bien sur pas chez nous il faut pas exagérer.

Comme cela je pus prendre le petit Fernand dans mes bras alors que je ne l’avais encore jamais vu.

De plus ma belle fille eut un petit André au mois de mai, j’aurais aimé l’assister mais visiblement ma présence ne fut pas requise et ils se débrouillèrent entre jeunes et aussi avec la sage femme. Car voyez vous madame ne voulut pas de docteur car c’était un homme et question de pudeur elle ne voulait pas lui montrer ses cuisses. Considération d’un autre age, pour moi  seule la certitude de survivre à cette dure épreuve importait et quand un accouchement se passait mal on montrerait son fondement à n’importe quel homme.

Pour résumer, cette période pour moi est familiale, Émile à deux enfants, Charles à deux enfants, Victor à deux enfants et mon aîné ma fois j’en sais trop rien. Pour les plus jeunes, mon joseph vient de rencontrer une domestique nommé Clotilde, il ne l’a pas cherchée bien loin car elle travaille à la ferme avec nous à Saint Lazare. Il faut les voir tous les deux, des vrais amoureux, toujours à se toucher, à se baiser, à rigoler pour un rien, ils ne tarderont pas si cela n’est déjà fait à se découvrir plus profondément.

Moi cela m’attendrissait et m’émouvait, cette jeunesse plein de sève et de vitalité alors que moi grosse dondon je m’enfermais dans une solitude affective.

Joseph demanda l’autorisation à son père de se marier, le vieux surpris qu’on lui demande sourit de sa bouche édentée. La petite était de Beton Bazoche, le père mort, il ne restait qu’une pauvre manouvrière qui pour sur était contente que sa fille se marie. Aucune richesse, aucun contrat à signer, ils avaient leur jeunesse, leur force et leurs espérances. Pour sur cela ne faisait pas lourd en un temps où les choses changeaient et que les tentations augmentaient. De mon temps on avait rien, maintenant vous pouviez acheter des babioles, des jolis habits, des médications, des pommades ,des onguents, les journaux nous sollicitaient et il paraît même qu’à Paris il existait des grandes boutiques ou l’on trouvait de tout. Nous nous avions l’épicerie et son bric à brac.

En octobre nous fumes donc de noce, cela se passa à Chailly, Charles servit de témoin ainsi que Victor qui était venu avec sa famille de Nogent sur Marne, avec le train cela était maintenant facile.

Les compagnies ferroviaires pour obtenir les concessions des grandes lignes devaient en contre partie développer un réseau secondaire. Il y avait donc des gares dans le moindre village et les tacots qui emmenaient le fret local avaient tous quelques wagons de voyageurs.

Avec Marie on alla les chercher à la Bretonnière, on se bisa et on fut heureux de ces retrouvailles.

Mon fils aîné avait été convié par son frère mais par retour de courrier nous expliqua qu’il ne pourrait se rendre à Chailly.

Je m’investis dans les préparatifs du repas, quitte à se saigner aux quatre veines on ne manquerait de rien. Noces traditionnelles sur deux jours mais là n’est pas l’essentiel.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 35, la honte

Quelques années passèrent monotones, angoissantes pour moi, l’expérience que j’avais eue avec Marie me hantait, nous n’avions pu reprendre cette merveilleuse parenthèse, trop dangereux, malgré notre attirance nous ne voulions rien sacrifier à notre vie.

Puis un jour elle vint me trouver pour me dire qu’elle repartait sur Coulommiers et que là bas l’anonymat serait plus facile à préserver. J’en doutais mais mon cœur se remit à battre.

Je n’étais plus maintenant en état de faire des enfants et d’ailleurs je n’avais plus envie du tout de faire l’amour, j’étais devenu sèche comme une paillasse de son et Charles qui ne comprenait jamais, s’activait comme un cultivateur s’active sur son champs.

J’avais dépassé la cinquantaine et ressemblait plus à une touque qu’à une femme, j’avais les cheveux presque gris, mes seins gros, distendus, tombant n’éveillaient plus l’intérêt masculin. J’étais ridée, mais ce qui me gênait le plus était la perte de quelques dents, cela était particulièrement disgracieux. Il paraît qu’à la ville certains se font mettre des fausses dents, moi j’ai particulièrement peur des dentistes ambulants et je ne me risquerais guère à les consulter. Je souffrais donc le martyr avec mes chicots pourris, il n’y avait que Charles à en rire , lui il n’en avait plus depuis longtemps. J’en souffrais et physiquement et moralement, vraiment quelle idiote . Bref je n’étais plus très appétissante et je me demandais comment Marie ma fulgurante passade  me verrait. Pour les hommes je n’étais plus que la grosse Trameau la mère de la petite Marie, qui elle faisait virevolter les coeurs.

Mon mari, entre deux cuites ne prêtait guère attention à mon physique, il prenait ce qu’il avait et me faisait grâce de toutes remarques. Ces dernières auraient été de toutes façons  déplacées car lui non plus ne ressemblait plus à rien.

Une certaine monotonie s’installa à la maison, Joseph batifolait dans tous les bals du coin et certaines filles ne lui étaient pas cruelles, bien lui en fasse, il était paysan dans l’âme et n’avait nullement l’intention de sortir de cet état alors il profitait des biens faits du terroir. De toute manière c’était une perle mon Joseph, toujours prompt à aider et ne rechignant pas à nous donner sa paye, pourvu qu’il lui en reste suffisamment pour payer son tabac et quelques tournées.

Non ma source d’inquiétude était tournée vers mon dernier, le Daniel, un vrai garnement, insolent, tyrannique. Il me contrait sur chaque chose et pourtant je n’étais pas tendre, les gifles, les engueulades, le martinet, mais rien n’y faisait. Une fois je lui ai mis une tournée le cul à l’air devant sa sœur Marie. Pour l’édification comme on dit, mais malgré ses fesses rouges et sa dignité en berne il m’a encore toisée d’un air arrogant.

Pour la loi je ne suis pas le détenteur de l’autorité parentale, c’est mon mari Charles, nous dépendions tous de lui. Pour un peu il aurait le droit de vie et de mort, non j’exagère un peu, mais il pourrait facilement me mettre une volée que je ne saurais pas où me plaindre.

Il y a bien ce qu’on appelle le divorce, mais se séparer de son homme serait synonyme pour beaucoup de femmes de devenir des crèves la faim. Donc pour en revenir à mon fils Daniel, je n’ai aucun droit dessus mais c’est moi qui l’élève et qui tente de l’éduquer. Mon mari après douze heures dans les champs ne pense qu’à se vautrer dans son grand fauteuil en paille et à hurler que la soupe n’est pas prête.

Bon un jour c’est les gendarmes de Coulommiers qui l’ont ramené après qu’il ait jeté des pierres sur les bec à gaz de la rue principale, il a vu rouge. Je crois qu’il a tout utilisé, une canne, son poing et sa ceinture, il l’aurait tué si je ne m’étais pas interposée. Il a fallut que le lascars se mette à travailler après l’école pour rembourser peu à peu les dégâts et l’amende.

Gibier de potence qui dès son plus jeune age s’intéressait aux filles, toujours à zyeuter les jupons de sa sœur, toujours à traîner près du cabinet pour entrevoir une cheville. De plus il avait une tendance avec ses petits camarades à jouer à des jeux qui ma foi n’étaient pas encore de leur age.

Il me causait donc des soucis en une période ou je m’en serais bien passée, j’avais envie de ne penser rien qu’à moi pour les quelques années qui me restaient à vivre sur les quelques unes qui m’avaient été attribuées par le destin.

C’était donc décidé, un jour ou j’avais tout lieu d’espérer d’être tranquille je me rendis à Coulommiers, je pris par la route qui menait aux petits Aulnoys, me signait en passant devant la croix Saint Médard, je pouvais car j’allais sûrement pécher. Puis je remontais par Pontmoulin, franchissant le grand Morin et laissant la papeterie je me dépêchais de passer la masse trapue de la tour, encore quelques mètres et j’arrivais au Theil. Je me renseignais auprès d’une vieille femme ou je pourrais trouver Marie, muette elle se signa et cracha par terre.

Je finis bien par trouver l’objet de mon désir, au loin une silhouette me sembla familière. Un soudain retour en arrière me donna des frissons, je voyais son joli corps nu, ses fesses dodues . Je me rapprochais, un bambin entièrement nu pataugeait dans un bac d’eau, une petite fille sale, morveuse vêtue de haillons semblait attendre son tour. A coté d’eux j’eus peine à reconnaître Marie, la femme triomphante qui m’avait dénudée et m’avait initiée à l’amour façon Sappho. Presque à terme, un ventre proéminent, une robe sale et déchirée, un tablier crasseux et troué, une vilaine coiffe de coton et surtout un terrible horion au niveau de l’œil. Des traces de larmes se voyait encore sur sa peau et son visage emprunt d’une grande tristesse exprimait une peine immense. Je l’appelais, elle se retourna mais ne fit pas mine de me connaître. Soudain un homme sortit de la maison tel un chien de garde et me hurla de m’en aller, devant sa détermination et le mutisme de Marie je m’en retournais presque en courant.

Une femme sur le chemin me rattrapa et me demanda si j’étais une amie de Marie, je répondais que je la connaissais car autrefois elle habitait Chailly en Brie. Elle me conta ses malheurs, son mari l’avait surprise avec une femme. Il l’avait presque battue à mort, mais devant la peur du scandale ne l’avait pas jetée dehors. Il aurait mieux valut pour elle, depuis elle était son esclave, battue, violée, à peine nourrie et maintenant enceinte. Nous ne pouvions rien faire pour elle.

La mégère nous dit que c’était une véritable honte pour ce brave homme  et qu’il portait une croix bien lourde . Je me gardais bien de lui rétorquer, que cette mère de famille tiraillée par ses démons portait elle aussi sa croix et que cette dernière n’en était pas moins grosse que celle portée par son tyran de mari.

J’ai manqué de courage, comme quoi un restant de honte pour une liaison avec cette femme obscurcissait mon jugement, je n’en suis pas fière, j’aurais du courir à son secours, hurler mon amour et mon envie. Au lieu de cela je suis repartie lâchement et égoïstement, comme quoi finalement je ne serais jamais prête à l’aventure.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 34, ma fille Marie

En ce début d’année 1890 mon fils Charles s’éprit d’une petite souillon de Marolles en Brie, ouvrière agricole comme lui.  Il avait noué une relation à l’ombre d’une meule de foin. Ils étaient follement amoureux et ne pensaient qu’à batifoler et accessoirement à se marier. Le Charles lui aussi avait échapper au service car le jour de son conseil de révision son frère Victor n’était pas revenu de son service, alors il en bénéficiait et pourrait facilement se marier au mois d’octobre.

A peu près au même moment le Charles m’expliqua que nous allions déménager, non de dieu comme cela sans prévenir, me faire quitter la présence rassurante et complice de ma belle Hermance, pourquoi?

Comme toujours les considérations financières se mettaient en travers de nos aspirations propres, une maison plus grande, moins chère et plus prés du lieu de travail de Charles. Je ne pouvais lutter et l’on se retrouva à Saint Lazare. Je pleurnichais pour rien car ce lieu n’était qu’à quelques centaines de mètres du bourg, une grosse ferme tenue par Lucien Duhouyer et sa femme Emilie. Un charretier se nommant Joseph Duval, une petite peste de domestique à la langue bien pendue et à la croupe engageante se nommant Clotilde et un berger suisse, inquiétant célibataire de trente ans s’appelant Joseph faisaient le personnel

Nous notre maison nous la partagions avec la vieille veuve Landrin de son nom de jeune fille Titou Marie thérese.

Cette présence étrangère dans mon univers me gênait, mais bon elle faisait partie des meubles alors on en prit soin.

Donc mariage en octobre au hameau saint Georges à Marolles en brie, Victor et Émile endimanchés furent les témoins pour Charles. Je me suis amusée comme une petite folle, j’avais un peu bu, danses, chansons, ripaille. Je m’étais trouvée un cavalier, l’oncle Mulot car mon bonhomme rond comme une queue de pelle était incapable de faire autre chose qu’à brailler des obscénité sur la virginité de sa belle fille et de tenter de toucher les fesses de la jeune serveuse. Alphonse puisque c’était son nom me serait bien d’un peu prés et si je m’étais laissée faire m’aurait prise dans l’étable comme une bonniche de seize ans. Il fallut que lui remonte les mains quelques fois car loi de la gravité elles retombaient toujours sur mon arrière train.

Bon ce n’est pas tout mais dès le lendemain Charles s’installa à Marolles avec ses beaux parents. La table de nos repas semblait s’agrandir.

Le Charles voyant ma tête dépitée d’un tel vide me dit en plaisantant » bon Victorine vient en que je t’en fasse un autre de môme ».

Qu’il ne fasse pas l’imbécile j’avais cinquante ans mais tachait encore mon jupon tous les mois comme une jouvencelle. J’avais d’ailleurs hâte d’être libérée de cette menstruelle corvée, non pas pour libérer ma sexualité mais plutôt que chaque partie de jambes en l’air ne se transforme pas en saillie.

Il me restait donc Joseph vingt ans, Marie quinze, Daniel huit et Gustave douze. J’avais donc de quoi m’occuper.

L’aîné travaillait avec son père et mis à part un petit procès pour jet de pétards n’avait pas fait trop parler de lui pour l’instant.

Il n’en en était pas de même pour Gustave qui faisait que des conneries mais j’y reviendrai.

Non la préoccupation de chaque mère était surtout tournée vers la jeunesse des filles. Marie était belle, grande, les yeux gris , la chevelure tirant sur le blond comme l’ensemble de la fratrie, une poitrine ferme et haute qui à n’en point douter ferrait défaillir les hommes et une paire de fesses à damner un moine. Sachant qu’elle était admirée la diablesse en rajoutait et je m’inquiétais . Pour l’heure la grande gueule de son père et les poings de Joseph chassaient les impétueux mais il était sur que cette douce péronnelle en chaleur attirerait inexorablement un jeune puceau, un vieux saligaud ou un ouvrier entreprenant à la langue bien pendue.

Nous étions donc deux femelles au foyer, certes la comparaison ne jouait plus en ma faveur moi je ne risquais plus grand chose. Mais bon comme toute fille avec sa mère elle me cherchait et parfois me trouvait. Je scellais son insolence par une paires de gifles et parfois son père lorsqu’elle n’avait pas forcement eut une conduite digne d’une jeune fille la menaçait d’une fessée magistrale le cul à l’air au milieu de la rue.

Il n’en n’était pas capable, elle le savait et en rigolait tout en se méfiant un peu quand même.

Elle avait très bien travaillé à l’école avait son certificat d’étude primaire et en récompense avait un un livre de prix, elle en était très fière de ce Jules Verne, un grand livre rouge qui vint trôner à coté de la sainte vierge et du général Boulanger . Ce n’était pas une fille de la terre et comme au village se trouvait de nombreux imprimeurs et papetiers nous lui trouvâmes un apprentissage chez un ces spécialistes des lettres. Ce qui nous rassurait c’est qu’une autre fille exerçait ce travail qui nous semblait exclusivement masculin. Décidément douée elle devint ouvrière typographe et s’émancipa en tous points de vue de notre univers de cul terreux.

Eh oui en travaillant dans une imprimerie elle changeait de monde, plus intellectuel, plus ouvrier aussi, ces hommes tous originaires de la terre et qui maintenant ne la travaillaient plus se teintaient légèrement de rouge ou même de noir.

Les hommes qui côtoyaient Marie s’opposaient vivement dans les bals où aux cabarets avec les ouvriers agricoles. Les uns tournés vers l’amélioration des conditions de travail et des salaires plus gros, les autres plus attachés aux traditions aux coutumes et qui ne pensaient qu’à une chose, acquérir une terre.

Les uns voyaient rouge les autres blancs. Ma petite qui prit rapidement les idées de sa nouvelle caste engagea des discutions endiablées avec ses frères. Cela finissait par des fâcheries, Émile et Joseph considéraient qu’une femme devait tenir son foyer se dévouer à son mari et rester éloignée de toutes réflexions sociales. Victor qui avait vu le monde comprenait sa petite sœur communiste et le disait que si elle mettait un pantalon et qu’elle pouvait pisser debout on la prendrait pour un homme.

Elle rageait, tempêtait et clamait qu’un jour les femmes voteraient et gouverneraient et qu’en attendant elle n’avait aucune peine à pisser debout et mettre une cotte de travail comme les ouvriers mécaniciens.

Moi je laissais dire et je laissais faire, ma crainte était de voir la belle s’enflammer pour un bel ouvrier et finir trousser dans une sous pente de Coulommiers ou dans un hangar de la papeterie de Pontcormolin. L’essentiel fut donc pour moi de lui préserver sa virginité, du moins pour quelques temps.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 33, la gougnote

Bref le Charles pouvait faire toutes les remarques qu’il voulait je m’en moquais et je pensais à mon rendez vous avec Marie, car voyez vous ma complice Hermance me prêtait sa maison.

Il fallait quand même que je fasse attention, j’étais connue et de plus mon fils Émile qui habitait jusqu’à maintenant à Beautheil venait justement de s’installer dans ma rue. J’étais énervée comme une jeune pucelle et je ne dormis guère. Il avait été convenu que je me glisserais chez Hermance et que Marie sous couvert d’une retouche à une robe m’y rejoindrait. Cela faisait un peu rendez vous de gamins qui se rencontraient à l’insu des parents, mais c’était beaucoup plus grave que cela.

La transgression m’avait toujours attirée mais là, la dimension en était toute autre.

Elle entra belle et lumineuse, je tremblais de tous mes membres. Mon corps semblait se vider de toutes ses forces, je m’abandonnais déjà à elle sans qu’elle m’ait simplement touchée.

Sans un mot ses mains joignirent les miennes, sans paroles ses lèvres prirent les miennes. Lentement, amoureusement, irrespectueusement elle me dévêtit, je n’étais qu’une misérable esclave, nue en sa possession, elle avait le contrôle de mon corps et de mon âme. Gisante, offerte, je l’attendais maintenant sur le lit, elle offrit sa nudité à mon regard et vint me rejoindre.

La suite ne fut que caresses et baisers . Dans un désordre indescriptible de drap nous atteignîmes la jouissance. D’une force telle qu’elle nous laissa pantelante.

Hermance frappa à la porte Charles arrivait, il me fallait partir, un dernier baiser sur l’origine du monde de Marie et je rejoignis mon quotidien.

N’allez pas croire que j’étais une gougnotte, non pas, j’étais amoureuse, transfigurée, renaissante. Malheureusement j’étais aussi comme partagée, la honte de faire quelque chose d’immorale, d’interdit, de sale. Même si à Paris quelques célébrités s’affichaient et provoquaient la pudeur, dans nos campagnes la réprobation était générale. Je deviendrais la sorcière, la gouine, je ne serais plus acceptée nulle part et mon mari me chasserait. Je pense qu’il n’y avait que mon amie qui me comprendrait et de plus je crois que notre amitié féminine pouvait parfois se teinter d’ambiguïté.

Ce soir là Charles fut d’un cèle et d’une monotonie confondante, pendant qu’il me pilonnait j’entendais les aiguilles de la pendule s’égrener et je me pris à compter.

Le souvenir de mon expérience amoureuse me fit la vie plus belle, plus joyeuse, sans qu’en aucune façon nous cherchions à nous rencontrer de nouveau.

Tout me paraissait beau, j’admirais le beau charroie d’Edmond Massiot et la forme délicate des traits du charretier. J’aimais entendre le passage des moutons du père Massiot et les chiens briards qui en commandaient l’ordonnancement, immense nuage blanc qui envahissait soudain la rue, la parsemant de marque odorante qui faisait hurler Placide notre cantonnier.

J’aimais aussi les bruits du village, chez Gustave Duquesne le charron j’aurais pu rester des heures à observer si des remarques salaces ne ponctuaient pas ma présence. Le bruit du marteau sur l’enclume d’Augustin Bergeron le maréchal me ramenait à mon enfance Provinoise et à ses rues animées. Certaines fois il fallait laisser le passage à la grande charrette de Payard le marchand de bois, de grandes billes d’arbres nobles faisaient ahaner les attelages malgré la force des six gros ardennais souvent attelés pour la circonstance.

Le père Fay lui portait ses fûts dans un attelage plus rapide et plus vif et se démenait comme un beau diable pour écouler la piquette Seine et Marnaise fruit des derniers pieds de vigne épargnés par le phylloxéra.

Passaient aussi Hubert Désiré Mulot cantonnier ou plutôt chef cantonnier comme il aimait à le dire, il supervisait plus qu’il ne travaillait et faisait grever sous le joug son seul subordonné le couillon de Placide Ledou.

Tout un monde qui s’animait tôt le matin, l’épicerie de la mère Leclerc qui s’ouvrait concurrencée par celle d’Adélaide Camus. Nous avions nos préférences mais les produits vendus étaient les mêmes.

Ce qui me réjouissait et qui me délectait tel un spectacle de théâtre était le passage de nos pâtres suisses, venus de leur montage ils se déplaçaient en chantant une sorte de chant guttural, il y avait Petter Joseph, Schwinger Joseph et Schval Eugène, toujours inséparables nous les surnommions les trois suisses .

C’était des braves gars travailleurs et compétents mais je n’approuvais pas leur présence. Paradoxal le fait que l’on puisse embaucher des étrangers alors que des paysans de chez nous s’entassaient dans des usines de Paris, me gênait un peu.

Le plus jeune venait traîner prés de chez nous pour rencontrer ma gamine, d’abord elle était trop jeune pour rêvasser avec ce jeune mâle en rut et ensuite cet émigré à l’accent étrange m’inquiétait quelque peu. Prévention idiote pour sur, ils étaient travailleurs, correctes et cherchaient tout comme nous à pouvoir vivre dignement. D’ailleurs les employeurs les avaient en haute considération et comme pâtres ou domestiques ils étaient légion.