LE DÉPART D’UN JEUNE CON

 

Jeune, con, insouciant du mal qu’il peut faire en s’éloignant, il monte dans la vieille voiture verte du réseau SNCF de l’est .

Ce départ il en a rêvé lorsque solitaire ses yeux se perdaient sur les vieux toits de la ville.

Maintenant tout se précipite, tout se bouscule, son papier bien serré dans sa veste, ses maigres habits serrés dans une antique valise, il part.

A la lueur dansante des lampes qui éclairent le quai, son père une dernière fois l’accompagne du regard. Rien ne transparait de sa détresse intérieure mais en sage de la vie il sait au fond de lui que celui qui s’en va ne revient jamais.

C’est une sorte d’enterrement, un deuil perpétuel, une petite mort que de voir ceux qu’on aime s’éloigner.

La silhouette qui peine sous la charge de sa valise s’estompe derrière les vitres sales du wagon, elle dépose son bagage de cuir noir dans un porte bagage.

Le partant revient une dernière fois saluer celui qui l’a fait naître, celui qui l’a élevé et qui jusqu’à lors l’a nourri. Les phrases ne se bousculent pas, elles sont celles de taiseux.

Dans les regards il y a de l’amour, mais il est jeune et con, en voit-il derrière la barrière lacrymale la profondeur?

Le train s’ébranle dans la nuit, bientôt le père se fait petit dans le lointain. Les lumières de la ville qui l’ont vu grandir disparaissent, ne laissant place qu’à la froide solitude de la campagne plongée dans l’obscurité.

Alors que traînant les pieds, malheureux il rentre au foyer où plus jamais ne résonneront les cris de son enfant, son fils vogue vers son futur, son avenir, sa vie.

Il aurait préféré pour sûr que cet avenir se construise ici dans le giron mais l’inconscience de la jeunesse vient de le pousser au loin, comme un mauvais coup de vent vous volerait une page de souvenir.

La nuit sera mauvaise, comme la brise haineuse qui déroule votre vie au gré de ses envies. Jamais il ne sera le même, jamais le temps ne s’écoulera de la même façon. Il a beau savoir comme le savent les pères et les mères que leurs enfants ne leur appartiennent pas mais son cœur tout de même se brise.

Lui la tête calée sur la vitre froide regarde le paysage, il ne sait pas que c’est son enfance qui file, il ne sait pas que le morceau de vie qu’il abandonne est la brique constructrice de son destin. Non il ne sait rien de cela , il est jeune et con.

Il observe la scène qui s’offre dans le compartiment, des travailleurs abêtis par la fatigue et qui regagnent leur foyer, un bidasse en uniforme qui bientôt aura fini son temps et une jeune fille un peu intimidée qui baisse la tête alors qu’elle se doute qu’on l’observe. C’est un microcosme, ce n’est plus la cellule familiale, ce n’est plus sa mère qui tricote un chien au crochet autour d’une bouteille, ce n’est plus son père qui lit le parisien.

Puis le train ralenti, de nouveau des lumières trouent la nuit.

Les routes telles des lambeaux luminescents incendient le noir crépusculaire, maintenant des immeubles bordent les voies, la crasse, les voitures, des centaines de voies, des lumières qui clignotent, au loin un avion.

Crissements des roues, wagons qui pleurent, Paris gare de l’est. Il n’a pas loin à aller, la gare de Lyon est proche. L’odeur des quais lui pique le nez, la foule empressée le bouscule, lui cherche l’entrée béante du métro. Ligne 4, Châtelet, Clignancourt, les couloirs aux carreaux bleu métro se succèdent, un musicien, un pochard, une roumaine qui exhibe son enfant, un flic, une bourgeoise fatiguée, une gamine aux yeux bordés déjà las de la vie, dont le rimel en vilaines coulures lui donnent un masque de clown. Tout se bouscule mais il ne peut reculer, tenir son horaire, changer de gare, trouver le bon train. Il ne pense plus à ceux qui l’abritaient, à ceux qui le choyaient, son destin est enfin en marche il est lui, il n’est plus eux.

Un ignoble wagon vert, le monde s’agglutine , le train est plein. Une place, il s’y cale et ne bouge plus de peur de se la faire prendre.

A voir les visages, il n’est pas seul à tenter l’aventure. Des faces étrangères mais qui expriment toute l’inquiétude d’un grand voyage.

Ceux qui sont là ont-il la même destination, il l’ignore, chacun se tait.

Puis dans un bruit effrayant le convoi démarre, Paris Vintimille. Le bruit est le même que précédemment, les lumières sont les mêmes. Les yeux commencent à se fermer, des épaules s’affaissent. On entend toutefois des bruissement de papier aluminium, le casse croûte maternel, odeur de pâté, de jambon, puis de nouveau le silence.

Tous se taisent, aucune parole ne s’échange, un désespoir, une langueur les frappent. est ce déjà un renoncement?

Non certes pas, juste une première faiblesse , un léger remord, mais le train de la vie comme le Paris Toulon poursuit sa course et ils s’éloignent tous du foyer initial de leur premier bonheur.

Les heures défilent lentes, angoissantes, l’avenir se rapproche, le futur ignoré qu’on espère beau.

Le contrôleur réveille tout le monde titre de transport, il s’aperçoit que presque tout le monde a le même, le fonctionnaire sourit.

La fatigue écrase son monde, le sommeil est mauvais, sale, presque fatiguant, l’aube pointe à travers les carreaux, tient, on voit la mer. Arrêt, Marseille Saint Charles.

Alors que Lyon Perrache n’a suscité aucun intérêt, la cité phocéenne réveille et émerveille.

Le jour est définitivement levé, il se lève, marche dans le couloir, la peur du lendemain arrive.

Enfin l’arrivée, tous sautent à quai, observation.

Le planton est là, second maître à casquette, les recrus se regroupent autour de lui comme des canetons autour d’une mère cane

Il donne ses ordres, les premiers aboiements qui se veulent malgré tout paternaliste.

On le suit, Panurge n’aurait pas mieux fait, de la gare au port le chemin est long, les valises sont lourdes, les rues sont désertes.

Chicago étale sa saleté, sa puanteur d’urine, de vomis et de poubelles.

La darse de Toulon, autres odeurs, autre atmosphère, quelques barcasses. Malgré le soleil qui point l’ambiance est pesante, lugubre, morne, plus aucune joie ne transparaît sur les visages. Un silence de mort, de cathédrale, de Saint Sépulcre entoure les futurs matafs.

La mer exhale une forte odeur désagréable aux terriens que nous sommes encore, au fond d’eux même plusieurs pensent déjà à repartir.

On les entasse dans un grand canot à moteur manœuvré par des matelots. Éloignement du bord, enfin un spectacle s’ouvre aux yeux plein d’ébahissement, sur la droite, les masses imposantes des vaisseaux de la flotte que l’on rêve déjà de monter.

Derrière la splendeur du Faron qui écrase de sa hauteur l’ensemble de la baie, puis en face la presqu’île de Saint Mandrier.

Loin derrière, loin là bas, une mère se lève, sort un bol qu’elle ne remplit pas, le pose puis pleure. Son fils, l’idiot , le jeune con est parti pour un long voyage, celui dont on ne revient pas , celui de la vie.

L’HOMME SANS NOM, Épisode 2

Petit, mais grassouillet, visiblement il ne demandait qu’à vivre. Décidément la chance se retirait de sa vie d’autant que sa fille n’avait pas non plus l’intention de passer l’arme à gauche.

Oh il saurait bien lui rendre la vie dure , histoire de ne pas ouvrir les cuisses à tout venant. Puis peut-être qu’il trouverait un idiot pour l’épouser et lui redonner une honorabilité.

C’était donc un garçon, il fut sommairement nettoyé, langé et abandonné dans le vieux berceau de la famille. Il resta comme abandonné mais deux formalités d’importance restaient pour clôturer l’épisode de cet enfant naturel.

La première était la déclaration de l’enfant à la mairie. Pierre se tortura l’esprit toute la journée, normalement l’aîné d’une fratrie portait le prénom du père.

Les heures passèrent, Pierre espérait qu’il passe dans la journée comme cela il aurait économisé la peine de le nommer.

Mais en fin d’après midi sa femme la Marie Pasiot insista,  » va donc le déclarer, c’est obligatoire ».

Le pauvre s’en fut accompagné de François Sauton et François Baherne à la maison commune.

Chapeau bas, il entra comme on entre au purgatoire.

Ses sabots crottés laissaient de larges traces sur les vieilles dalles cirées, cela rajoutait à sa gène.

Derrière la vaste table du conseil l’attendait monsieur le maire. Pierre toujours prit de panique devant une autorité, se rapetissait au fur et à mesure. L’homme qu’il avait devant lui n’était pas seulement le premier magistrat de la commune de Gourville mais aussi le maître du logis de Montaigon et accessoirement l’employeur de Pierre. Ce noble homme était l’un des maîtres de la région et portait le nom d’Auguste Babinet de Rancogne.

  • Alors père Barit
  • euh
  • Il faut que tu lui donnes un prénom, dépêche toi.

Le grand père dansa d’un pied sur l’autre

  • Allons j’écoute
  • Bah Pierre.

Le maire nota, l’affaire était faite l’enfant et la famille étaient en règle. Il ne restait plus qu’à élever et nourrir cet imprévu.

Bizarrement le petit Pierre n’eut pas de nom de famille sur son acte, rien il restait Pierre et seulement Pierre.

La liste des naissances en fin d’année ne reprenait que le prénom de Pierre et la table décennale fera strictement la même chose.

Il ne sera pas Pierre Barit fils de Marie ni Pierre Barit petit fils de Pierre.

Pourtant et contre tout espoir l’enfant se mit à vivre puis à grandir, celui qui lui avait donné son prénom mourut en 1834.

Les deux avaient eu le temps de se connaître et peut être de s’aimer.

Marie Barit ne trouva pas d’homme à marier, sans doute le scandale avait-il été trop fort, elle resta à Gourville et le hameau de Montaigon devint un peu comme sa prison. Elle mourut en 1873 au foyer de son fils et de sa belle fille.

Mais reprenons le cours de la vie de notre mal nommé.

Travailleur, paysan aimant la terre il trouva lui aussi l’âme sœur.

Le 30 juin 1851 à la mairie de Saint Médard notre héros convole avec Henriette Charpentier, le maire monsieur Normand, sans plus s’inquiéter ne mentionne évidement que le vocable Pierre.

Pierre, fils naturel âgé de 30 ans, fils de Marie Barrit et de père inconnu.

C’est donc Pierre qui passa contrat de mariage devant notaire et qui épousa Henriette Charpentier.

Il est vrai que le maire de Gourville qui signa le certificat pour le mariage n’était autre que Babinet de Rancogne celui qui avait établi l’acte de naissance.

Il est aussi remarquable que tous les enfants naturels de Gourville se virent amputer d’un nom de famille sur les recensements de 1841 et 1846 et sur les mandatures respectives de Babinet de Rancogne.

Mais reprenons, le quatre avril 1852 Jeanne ou Henriette Charpentier c’est selon, donne naissance à une fille prénommée Célanie le père n’est autre que Pierre. On nommera donc cette petite fille Célanie Pierre.

En 1857 notre Pierre à un fils, cette fois il sera prénommé Amiaud Félix avec comme nom de famille celui établit de Pierre.

Quoique à y regarder de plus près apparaît le vocable d’Amiaud qui semble être le surnom du chef de famille.

Mais est-on si sûr car sur les recensements notre Pierre se donne Amiaud comme nom de famille et ce du recensement de 1861 à celui de 1886.

Il est donc vraisemblable que les habitants du village aient appelé Pierre par son surnom Amiaud.

Bien évidement nous n’avons aucune idée du pourquoi il se nommait ainsi mais Amiaud se trouve être un nom de famille assez fréquent alors peut-être que finalement son géniteur se nommait ainsi.

Mais en 1888 le héros de notre histoire décède et encore une fois et officiellement n’apparaît que le vocable Pierre. Devant la mort comme devant sa naissance il n’y a aucune complaisante c’est Pierre et uniquement Pierre

 » Le 8 mars 1888 décès de Pierre fils naturel, il est âgé de 67 ans, fils de Marie Barit et de père inconnu.  »

Sur déclaration de son fils qui ne se nomme plus Amiaud mais Félix Pierre.

La boucle est bouclée, le croyez vous?

En 1884 Félix se marie à Mons commune voisine de Gourville avec Alexandrine Delouche, on lui attribue le nom de famille Pierre avec comme prénom Amiaud Félix, enfin on voit quand même une hésitation. Ce sera la dernière car les enfants de Félix se nommeront tous Pierre.

Pierre Clémentine née le 21/08/1892 à Gourville mariage sous le même nom en 1912

Pierre Clémentin le 14 mai 1887 à Gourville mariage sous le même nom en 1915

Mais pour ne pas faire simple et entretenir la confusion le 19 octobre 1900 Félix déclare un enfant de lui et d’Alexandrine, qui prend le nom de Amiaud et le prénom de Pierre, à moins que cela ne soit l’inverse . De toutes façons sur les recensement ce sera Lucien Amiaud

Eh oui, pour finir sur les recensements de Gourville la famille de Félix se nomme Amiaud.

On constate que près d’un siècle après la funeste naissance de cet enfant naturel, la famille en est encore perturbée dans l’attribution de son nom.

Mais qu’on se rassure Lucien Amiaud meurt le 13 octobre 1920 à Mons en se nommant Lucien Pierre.

Mais pour être encore plus précis et augmenter la perplexité de tous il faut savoir que la fille aînée de Pierre et de Henriette donnait comme nom Amiaud sur les recensement de la commune de Vouharte où elle vit avec son mari Pierre Gaulier. Enfin par sur tous cela serait trop simple.

L’HOMME SANS NOM, épisode 1

Seulement éclairé par la lumière blafarde de la lune un homme assis sur son banc de pierre semblait attendre.

Un froid piquant en cette nuit de février s’abattait sur le hameau de Montaigon, le vent qui n’avait pas été présent de la journée; maintenant se levait comme si il voulait marquer de sa présence l’arrivée de quelque chose.

Notre bonhomme nullement troublé par la bise glaciale restait d’une immobilité de marbre. Si de temps à autre sa pipe n’eut pas rougie on aurait pu penser qu’il fut trépassé.

Son teint cireux de vieillard, accentué par une barbe blanche non faite faisait penser au visage d’un agonisant avant la toilette des morts. Ses traits inspiraient la souffrance et le désespoir et à bien y regarder le vieille homme laissait parfois couler une larme.

Au loin les ombres des tours du logis noble du hameau, dansaient une ronde lugubre, le cri des grenouilles des douves venait troubler la sérénité du silence de la froide campagne.

Les arbres aux branches dénudées, bras menaçants, troncs aux allures fantasmagoriques appelaient à la danse.

Au loin parfois une chouette en hululant, fendait l’air glacial et voltigeant en des courants froids attendait une proie.

Mais rien ne troublait l’immobilisme statuaire du vieux paysan. Le gel qui de l’année n’avait encore fait qu’une timide apparition, voulait lui aussi en cette nuit sans étoile inscrire sa troublante apparition.

La buée formée par la lente respiration de l’homme se changea en une mince pellicule qui mélangée à la blancheur de la peau donnait l’impression d’un masque mortuaire.

Pourtant derrière lui par la petite fenêtre de la façade de pierres entre un pied centenaire de glycine et un rosier sauvage apporté là par un vent mauvais, l’on pouvait apercevoir une lumière tremblante et hésitante.

Il y avait en ces lieux deux entités indépendantes, l’une immobile au froid et un havre où régnait comme une activité portuaire.

Autour d’un lit s’activaient plusieurs femmes, chacune semblait avoir quelque chose de précis à faire.

Il faisait chaud et le foyer où normalement à cette heure ne se mouraient que de faibles braises, grondait d’un feu du diable. Une énorme bûche presque un tronc, sylve qu’on réservait pour noël apportait une chaleur outrancière qu’en tous temps le vieux eut réprouvé.

Sur un haut lit, reste branlant d’une aisance perdue, une jeune femme presque assise et presque couchée attendait une délivrance.

Ses cheveux détachés que la sueur collait, lui donnait un air de virago, son jeune visage fatigué était emprunt de désespoir et des cernes bleues autour des yeux qu’elle tenait mi clos, la faisait ressembler à une madone en souffrance d’un tableau de la renaissance.

Ses jambes nues écartée étaient relevées, au milieu comme plongé dans un gouffre une femme s’y affairait.

Cela faisait des heures que tous jouaient un rôle, le vieux dehors attendait et les femmes dedans en faisaient autant. Lui en son immobilité et elles en leur fébrilité s’exaspéraient.

Seule au milieu de cette attente, la jeune femme sexe ouvert, offert au regard, exténuée, presque morte semblait redouter la venue de ce que tous attendaient de tout leurs vœux.

Marie retenait son petit inconsciemment, d’autres eussent souhaités la prompte apparition d’un enfant aimé, elle en une sorte de réticence voulait qu’il ne sorte jamais.

A l’âge qu’elle atteignait elle aurait pu être mariée, 24 ans dans nos campagnes c’est l’âge où les femmes sont courtisées, convoitées et demandées en justes noces par un rude gars avide et frustré par une longue attente.

Marie en souffrance savait que jamais plus un homme ne viendrait frapper à l’huis de sa maison pour en une demande officielle à son père obtenir sa main.

Non plus jamais car maintenant marquée du sceau de l’infamie elle ira rejoindre la cohorte des damnées.

Le père Pierre Barit toujours immobile ruminait son désespoir, depuis six mois il buvait sa honte à grands traits.

Le temps pour lui s’était arrêté depuis que sa fille avait attiré l’opprobre sur leur famille, de mémoire aucune femme portant son nom n’avait osé fauter de telle manière, non jamais, interrogés les vieux du village confirmèrent ses dires en hochant la tête.

Pourtant la Marie était sérieuse, travailleuse, appliquée en son labeur, toujours première à l’office, que c’était-il passé pour qu’elle succombe.

Il n’en savait strictement rien car la bougresse se tenant dans un mutisme absolu ne lâcha rien de l’affaire.

La volée qu’il lui avait administrée avec sa ceinture devant la famille réunie ne l’avait pas fait parler.

Les heures qu’elle avait passées semi nue dans la campagne lorsqu’il l’avait jetée dehors l’avait rendue comme muette.

Un jour il l’avait en un geste d’impuissance enfermée dans la soue à cochon, elle en était sortie crasseuse, affamée mais toujours aussi peu diserte.

Sa mère au moyen de subterfuge l’avait questionnée sans relâche. Toutes les solutions avaient été soulevées. D’abord la Marie avait-elle été forcée, cela aurait demandé réparation de la marchandise dépréciée ou bien avait-elle été séduite par une quelconque connaissance familiale. Cela arrivait parfois dans les familles, ces foutues femelles faisaient bien tourner la tête à n’importe quel homme.

Mais peut-être aussi que se transformant en créature du diable la gentille Marie se transformait en catin à soldats, en libératrice des pulsions des jeunes mâles. Non rien, on ne savait rien. En toute l’égalité on avait bien essayé de lui faire passer. Une kyrielle de plantes abortives ne tuèrent pas le vilain fruit. Sa mère tenta désespérément en lui assénant des coups de poing dans le ventre, de lui faire rendre l’enfant du diable. Rien, la honte était accrochée dans le vilain ventre de la Marie Barit.

Chacun s’était détourné d’eux, Pierre en souffrait, sa femme en pleurait et le reste de la fratrie prit d’une haine sans précédent aurait étripé la fautive au bord d’un chemin.

Elle vivait donc son calvaire en dedans des murs sales et lépreux de la maison commune.

Après un temps qu’elle avait jugé infini, était enfin venu de faire tomber son vilain fruit.

Comme une expiation, la parturiente mit longtemps. Son père commençait à se dire que le bâtard pourrait crever au sein du ventre de la pécheresse ou bien qu’il naisse sans vie. Il n’aurait plus lui le grand père; qu’à jeter quelques pelletées de terre sur ce corps sans âme pour qu’enfin l’honneur rejaillisse de nouveau sur le front de la famille Barit.

Pierre entendit enfin un vagissement, l’enfant du diable était né, il se précipita en espérant qu’on moins cela ne fut pas une femelle.

LA SOUPE AUX PATTES DE POULETS, épisode 6, Le retour des mauvaises images plein les yeux

Même le ventre vide l’on succombe au sommeil, les filles finirent dans les bras de Morphée mais Daniel attendit le retour de son père.

Rien, il n’avait rien trouvé si ce n’est un quignon de pain moisi qu’il avait volé à des animaux.

Fernand partagea et garda une part à ses petites qui dormaient. Tout le monde  appliqua le précepte  » Qui dort dîne  », celui qu’on applique aux enfants pas sages et qui n’apprécient pas le repas proposé.

Daniel fit des cauchemars toute la nuit et se réveillant mille fois. Il voyait un homme s’enfuir sur son vélo, il sentait l’odeur de femme de la bourgeoise, il revoyait le vacher étendu mort.

Mais il devait endurer les affres de la faim, et l’estomac qui se contracte. A l’aube un fumet paradisiaque réveilla les dormeurs. Une vieille dame dans un poêlon bosselé tournait avec une grande cuillère qu’elle avait déniché, un savoureux breuvage. Cela sentait le bouillon et Daniel immédiatement sur ses pieds se souvint de celui délicieux de sa cuisinière de mère. Il s’approcha comme tous les autres. Le brouet était clair, très clair même, aucun morceau de lard, aucune carotte, aucune patate. La merveilleuse touilleuse souleva avec sa cuillère le met principal de son bouillon.

Pierrette eut un haut le cœur, Lucette s’enfuit au fond de la grange, Daniel détourna son regard et la bourgeoise lâcha  »  jamais je ne mangerai cela  »

Fernand grommela  » à Verdun on aurait bien mangé notre merde et bu notre pisse  » . Il n’empêche les pattes de poulets qui flottaient à la surface du liquide n’engageaient pas à la dégustation.

Une espèce de gélatine se formait en surface, c’était prêt, avis aux amateurs. Ce fut une sacrée affaire pour faire avaler ce potage aux enfants. Daniel pourtant pas difficile eut un haut le cœur, mais le regard noir de son père fit qu’il montra l’exemple et avala devant ses petites sœurs l’ignoble breuvage.

C’était maintenant le moment de repartir, Montargis était la prochaine étape, 40 kilomètres à faire avec des enfants sous un soleil de plomb et le ventre vide.

Cela se transforma en un chemin de croix, Pierrette ne pouvait plus avancer et les hommes se relayaient pour la porter. Les muscles devinrent lourds, les ampoules apparurent, l’on fit des pauses de plus en plus fréquentes, les colonnes de marcheurs étaient de plus en longues, faméliques, toujours le même spectacle. Les vaches  beuglaient à la mort de n’être pas traites, Ferdinand et les ouvriers en rattrapèrent afin de les soulager et aussi pour apporter quelque chose de substantiel aux estomacs.

Dans une petite commune ils eurent droit à du pain, fruit de la charité publique et d’une organisation municipale pas encore défaillante. Cela faisait d’ailleurs exception car dans la plupart des communes le maire avait déserté.

Il y eut encore des alertes et les avions à croix gammées, comme des corbeaux virevoltaient au dessus de la longue file de presque moribonds.

L’on vit encore des cadavres, une famille fauchée par une méchante explosion, le père pantelant, la tête ridiculement tournée semblait vouloir encore demander des nouvelles de sa famille. La mère tenant son bébé gisait dans l’herbe, sa belle robe blanche était maculée de sombres taches rouges qui maintenant viraient au noir. Les mouches faisaient déjà festin de la tendre chair du poupon. Une odeur acre montait en une écœurante volute, tous, à tour de rôle détournaient le regard mais gardaient pour de longues minutes la suave flagrance de la mort.

Pourquoi avait-on fait choix de se sauver, que faisait-on ici à crever doucement de faim et de fatigue. A ce niveau les voitures à moteur avaient singulièrement disparu et celles attelées avaient été abandonnées à Montereau. ll manquait maintenant du foin, la ruée avait pillé les réserves des fermes, les animaux hagards refusaient d’avancer..

La résistance humaine est presque sans limite devant la peur. Ils mirent vingt heures pour effectuer les 40 kilomètres.

La situation à Montargis virait au tragique et la condition sanitaire des réfugiés se dégradait.

On eut aussi la confirmation que Paris était occupé mais surtout que le maréchal avait demandé un arrêt des combats aux allemands. Cela devait se faire dans l’honneur entre soldats, Fernand qui pourtant vénérait Pétain eut comme un mouvement d’humeur. Ce fut fugace mais c’était une brèche dans la confiance sans borne qu’il lui portait.

Deux longs jours ils restèrent à Montargis, les allemands arrivèrent et les firent rebrousser chemin.

Comme à l’aller, le retour fut pénible mais on allait retrouver sa maison et dormir, dormir et manger enfin.

Sur place à Nangis ceux qui étaient restés, n’avaient pas été massacrés. Fernand retrouva sa maison boulevard Voltaire, elle n’avait pas été pillé.

Il retourna à son labeur d’ouvrier agricole, les rutabagas et les topinambours firent avec les tickets de rationnement leur apparition dans les ménages.

Daniel continua son apprentissage, continua à jouer au foot et enfin rencontra une belle paysanne de Rampillon. A la libération de Nangis il s’engagea dans la première armée de de Lattre de Tassigny et faillit se faire tuer à la bataille de la poche de Colmar.

Toute mon enfance j’ai entendu l’histoire de cette virée inutile et tragique . C’est avec plaisir que je vous la restitue afin que la mémoire se transmette.

Vous l’aurez compris Daniel est mon père et Fernand mon héros de grand-père et gageons que ces deux réunis ont fait l’homme que je suis devenu.

Pour clôturer cette évocation de l’exode terminons par une petite touche d’humour, à savoir que mon père n’a jamais plus mangé de soupe de pattes de poulets et qu’il s’en est pas plus mal porté.

LA SOUPE AUX PATTES DE POULETS, épisode 5, le vol du vélo rouge

 

Une odeur de mort planait, la fumée piquait les yeux et faisait tousser. La chaussée encombrée empêchait tout mouvement. On s’arrêta par nécessité mais maintenant où aller?

Fernand et le bourgeois s’approchèrent des rives afin de trouver un moyen de passage, les polonais restèrent avec la charrette, les enfants et les patrons? Il fallait faire attention à ne pas se faire voler.

Le temps s’arrêta pour tous, il faisait chaud, on ne trouvait pas d’eau, les estomacs commençaient à se contracter.

Il n’y avait plus rien à vendre, plus rien à voler, qu’allait devenir cette marée humaine.

La bourgeoise s’éloigna un instant pour satisfaire aux besoins de la nature, au même moment l’un des polonais s’écarta aussi.

Les deux ne revinrent qu’après un long moment, l’ouvrier avait la mine réjouie et l’on compris quand polonais il se vantait de sa bonne fortune. La belle dame avait son plein de paille dans son chignon et les boutons de son corsage étaient attachés le lundi avec le mardi.

Érotisme de la peur, pulsion d’animaux qui sentent qu’ils peuvent mourir ou phantasme d’une rencontre interdite, toujours est-il que l’exode du peuple faisait un cocu de plus.

Ceux partis revinrent enfin et expliquèrent qu’ils s’étaient fait tirer comme des lapins par les soldats français postés sur l’autre rive.

Il y avait quand même une bonne nouvelle, Fernand avait trouvé un passeur pour mener tout le monde sur l’autre rive. Mais comme chaque chose à un prix il fallait laisser les charrettes et l’ensemble des affaires.

C’est à ce moment d’hésitation que le drame se joua, Montereau était un carrefour stratégique et les bombardiers allemands apparurent à nouveau. Abris dérisoires, fuites échevelées, détresse, une explosion, des corps. Les petites furent soufflées et couvertes de débris et Daniel un peu sonné par la déflagration. Ils n’avaient rien, mais l’horreur apparut, un vacher de la Psauve qui les suivait depuis le début gisait mort. Les enfants restèrent muets, tétanisés, jusqu’à présent ils ne connaissaient pas les morts, celui ci discutait avec eux quelques minutes avant l’attaque. On l’abandonna, quelqu’un viendrait bien le relever. C’était pour sûr gageure que de penser cela, les services étaient partis depuis un moment, maire, pompiers, infirmiers, croques morts tous fuyaient comme les autres l’avance des troupes allemandes.

Chaque homme se voyait fusillé, chaque femme se voyait forcée et chaque enfant se voyait mangé.

Pour Daniel il y eut un autre traumatisme que le regard du mort qui restait figé dans ses pupilles. Ce fut la disparition de son vélo, un salaud avait profité de la situation. C’était à vrai dire plus qu’une bicyclette, c’était le cadeau de sa mère défunte pour son certificat d’étude. Avec cette disparition sa maman mourait une autre fois. Une plaie béante s’ouvrait de nouveau, sa vie en sera changée à coup sûr. Il chercha en vain le voleur, mais dans la confusion, la foule et la mort il ne la retrouva pas. Des larmes de haine et de désespoir lui montèrent aux yeux. Fernand son père portait aux Boches une haine inextinguible pour les années qu’il avait perdu dans les tranchées, lui à n’en pas douter leurs en voudrait le restant de ses jours pour ce souvenir perdu, ce bien plus précieux qu’un bijou, l’image d’un être disparu.

On ne prit que le nécessaire et l’on passa comme on aurait passé sur le Styx le fleuve qui sépare le monde terrestre des enfers. Le passeur ne se nommait pas Charon mais il fallut lui donner une pièce pour chacun des passagers. Le sens des affaires pouvant aller de paire avec la charité.

L’on voyait les ponts bouleversés, le fleuve charriait des cadavres d’animaux mais malheureusement l’on reconnu aussi une capote de soldat. Divers débris voguaient au rythme du courant, planches, tonneaux, poutrelles . Une barque à la dérive vint frapper le long de notre frêle esquif, Pierrette poussa un cri de terreur, les gamins ne savaient pas nager et de toutes façons les nappes d’hydrocarbure qui surnageaient entre deux eaux auraient servi de terrible obstacle.

Mais enfin tous étaient en sécurité, les patrons, la bourgeoise et son cocu ainsi qu’une partie des polonais. Le reste de la troupe resta avec les charrettes et les animaux, il est vrai contre un substantiel dédommagement.

La journée était presque terminée et la situation sur cette rive était aussi précaire que sur celle que les réfugiés avaient quittée.

On se réfugia dans une grange, les ventres criaient famine, Daniel surveilla ses sœurs, Fernand et les ouvriers agricoles de la Psauve tentèrent de trouver de la nourriture.

Dans cette grange l’on pouvait faire un panorama de la nature humaine, il y avait ceux qui bâfraient en silence et en cachette ne partageant rien, il y avait une pauvre maman avec des marmots en bas age qui vit que la petite Pierrette la regardait avec insistance et qui charitablement partagea un fond de lait entre elle et ses petits.

Il y avait aussi un couple d’amoureux qui se nourrissait de leurs baisers et aussi un cacochyme vieillard en sarrau qui tenait la main parcheminée de son épouse. Ridée comme une poire tapée elle souriait de sa bouche édentée. Rien ne semblait les atteindre, ils étaient là car leur fils les avait presque hissés de force dans le tombereau.

 

LA SOUPE AUX PATTES DE POULETS, épisode 4, la rupture des ponts

LA SOUPE AUX PATTES DE POULETS, épisode 4, la rupture des ponts

 

Fernand lui s’inquiétait un peu de ses parents, Charles et Léonie normalement devaient être aussi sur la route. Ils étaient partis avec les employés de la sucrerie Lesaffre où Roger, leur plus jeune fils travaillait.

Au loin on entendait encore le fer des roues de charrettes, de ceux qui coûte que coûte avançaient. Mais ce qui était le plus triste c’était encore d’entendre le beuglement des vaches non traites. Cela vous retournait l’âme d’autant que paradoxe, les femmes cherchaient du lait pour leurs petits.

Le lendemain matin après avoir mangé chichement l’on se remit en route, bientôt Montereau, tous pensaient que cela serait le début de la sécurité.

On eut dit finalement une bande de romanichels, pas lavés, dépenaillés, qui se mit en marche.

Le bourgeois tenta de redémarrer sa voiture, rien n’y fit, les hommes la poussèrent, mais rien ne put la faire repartir. On la cacha dans une grange mais sans beaucoup d’espoir qu’elle ne suscite pas l’intérêt du pillard. Madame en cassa son talon et on lui trouva une place dans la deuxième charrette. Un ouvrier agricole se mit à lui faire du gringue, sans se préoccuper du mari qui marchait devant.

Fernand rigolard disait tout haut, celle là, m’étonnerait qu’elle y passe pas.

De loin l’on voyait enfin Montereau et ses deux cours d’eau, l’Yonne et la Seine qui se rejoignaient pour n’en faire qu’un.

L’on voyait aussi la colline de Surville où Napoléon avait bombardé les autrichiens en 1814 lors d’une autre invasion.

Cela aurait pu être rassurant si des volutes de fumée n’apparaissaient pas également.

Puis le voyage presque bucolique prit un tour plus tragique, au détour d’un virage, l’innommable se fit jour.

Les Junker 87 avaient fait leur office, des dizaines de voitures gisaient là abandonnées, retournées. Des meubles brûlaient lentement comme pour un feu de la saint Jean, des bagages éventrés laissaient échapper des hardes. Un tas de photos, dérisoire souvenirs s’envolaient au vent.

Un couple de bœufs regardait en piétinant le spectacle prêt à repartir. Sur le bord une antique Renault se consumait lentement, la peinture partait en cloques, les sièges pleins de paille et couverts de cuir laissaient voir leurs ressorts. Sur le toit un matelas qui deux jours avant avait du voir les joutes amoureuses d’un couple d’amoureux, fumait en son intérieur et exhalait une odeur de crin brûlé.

Dans l’herbe pleurait une petite fille, les larmes coulaient comme un fleuve sur sa petite robe. Elle avait perdu l’un de ses petits souliers vernis de communiante, les parent au départ lui ayant passé ses habits du dimanche.

Dans le champs, un cheval les pattes en l’air le ventre gonflé, puait sa charogne maléfique.

Mais là sans doute n’était pas le pire, un homme gisait sur le dos, le ventre ouvert, les boyaux débordant encore chauds que de ses mains il n’avait plus retenir. Ses yeux étaient révulsés, il avait vu la terreur, avait senti sa mort. Pas très loin une scène morbide et fascinante, une femme nue dont les vêtements avaient été soufflés par l’explosion d’une bombe, gisait là sans blessure apparente. Chacun regardait, obnubilé par l’indécente nudité ou par l’immobilité de la morte. La blancheur de ses fesses contrastait avec le rouge de la mare de sang qui se coagulait sous sa tête. Un soldat qui passait, la couvrit d’un dérisoire linceul.

De l’autre coté un vieux, canne à la main hurlait qu’il avait perdu sa femme, fou de douleur. Sa fille vint le chercher et rassura ceux qui cherchait sa pauvre femme, elle était morte depuis dix ans et le pauvre n’avait plus sa tête.

Un groupe de soldats avait quand même prit position pour riposter, cela avait été vint, mais sauvait l’honneur.

En fait la route était pleine de morts, tas de chair désarticulée, dérisoires morceaux humains. Daniel qui n’avait vu que sa mère morte était livide, les gamines pleuraient et la bourgeoise geignait comme une enfant qui n’avait plus son hochet.

L’un des ouvriers Polonais qui connaissait le martyr de ses compatriotes à Varsovie laissait échapper des larmes. Un autre serrant les poings se jurait d’aller combattre quelque part.

Maintenant que nous arrivions, l’endroit se transformait en cimetière de voitures, civiles, militaires, une ambulance et même un corbillard. Les militaires se faisaient plus nombreux et tenez vous bien certains étaient encore organisés pour combattre.

La colonne se stoppa ,comme un serpent immobile sur une pierre au soleil.

Fernand se détacha et partit aux nouvelles afin de se  renseigner pour le passage des rivières.

Le patron tenta d’acheter de la nourriture mais ne trouva rien. Les enfants se partagèrent le dernier quignon.

Au bout d’une éternité le père revint, les ponts étaient détruits. Tous se regardèrent en maudissant leur venue dans cette ville inconnue.

C’était une toute autre chose que précédemment, les carcasses de véhicules jonchaient les accès au pont, des maisons avaient souffert des bombardements. De nombreux cadavres d’animaux commençaient leur pourrissement et malheureusement aussi quelques pauvres malheureux.

Pour Fernand qui avait fait la bataille des frontières, la Marne, l’Aisne , Verdun, la Somme, le Mont Cornillet cela paraissait presque une farce, mais pour Daniel et les petites se fut un théâtre apocalyptique.

LA SOUPE AUX PATTES DE POULETS, épisode 3

 

On ne voit plus maintenant la blonde ondulation des champs de blé, remplacée par l’ombre rafraîchissante de la forêt.

Pierrette  dort bien calée entre deux matelas, mais Lulu elle commence à geindre, entre pipi et grosse commission elle tente d’attirer l’attention sur sa fatigue. Mais marche ou crève, il faut fuir.

Soudain un bruit venu du ciel, on s’interroge, Français, boche ou rital. La panique s’installe, la peur prend aux tripes.

Un couple de vieux belges semble reconnaître le bruit caractéristique des terribles bombardiers en piquée Allemand.

C’est la ruée vers les couverts, Fernand attrape Pierrette et la jette presque dans le fossé.

Daniel lâche avec regret son vélo et plonge à son tour se retrouvant la tête dans les nichons de la bourgeoise à la Peugeot. La situation pour lui est inédite, elle aurait pu être sensuelle, mais avec la peur les sens ne se régissent pas de la même façon.

Jacqueline est quand à elle sur le dos avec un Polonais comme protecteur, en profite t-il ?

Mais où est passé Lulu, pas bien loin elle s’est calée le long de la grande roue et on aperçoit sa tête derrière le gros moyeux. La patronne quand à elle hurle comme un goret qu’on égorge à l’abattoir de Nangis, on a oublié ou pas eut le temps de la descendre. Son mari bientôt passera un sale quart d’heure.

Ce n’est qu’une fausse alerte, la mort est pour d’autres, on entend au loin quelques claquements.

Un fumée monte à l’horizon, le silo, la sucrerie, l’aérodrome des loges, non c’est plus loin déclare le patron. Cela rassure tout le monde et on reprend la marche. Il fait chaud, la faim tenaille maintenant les ventres.

Personne ne s’arrête, comme une nuée d’abeilles mut par le même instinct, on avance.

Pierrette et Lulu se chamaillent, il y a de la taloche dans l’air. Daniel engage par la vitre un semblant de conversation avec la belle dame qu’il a drôlement côtoyée pendant l’alerte. Son père sourit de le voir lui si timide parler avec une femme.

On arrive au chemin qui mène aux étangs de Villefermoy, Daniel y vient nager avec la jeunesse du village, c’est un lieu de rencontre et des idylles s’y nouent .Il a un pincement au cœur au dimanche qu’il aurait pu passer là bas.

Puis mus par un instinct grégaire chacun s’arrête à tour de rôle pour manger, même une fuite éperdue n’empêche pas d’avoir le ventre creux.

Ce n’est pas parce que les boches nous talonnent au cul qu’on doit pas bouffer, dit l’un, oui et puis boire un coup, dit l’autre.

Comme un pique nique de congés payés de 36, saucisson, fromage et pinard, on se croit sur les bords de Marne. Pour peu certains mariolles pousseraient la chansonnette.

Le bourgeois et sa femme se joignent sans rancune à ceux de la ferme après tout on fuit la même chose. Certes et la différence est notable, eux savent qu’ils vont rejoindre l’hospitalité d’amis dans le sud alors que les pauvres en culotte de velours et ceinture de flanelle partent en une aventure sans but bien fixe.

Personne n’a envie de repartir mais hélas les bruits les plus alarmants courent. D’ailleurs quelques tirailleurs nord africain en leur charabia font comprendre à tous que les frisés défilent sur les champs Élysées.

Fernand ricane avec d’autres anciens de la dernière, en leur temps on les avait arrêtés sur la Marne. Chacun commente différemment mais pour sûr tous sont d’accord pour penser que le vieux Pétain va arranger cela.

Le rythme se fait moins rapide, toujours plus chaud, une poussière épaisse s’élève de la colonne , tous font grise mine.

La famille n’est pas encore à Montereau, il faut s’arrêter pour la nuit. Un campement s’improvise autour d’une grange, la ferme a été abandonnée par ses occupants.

Les polonais font le tour des lieux, les portes sont béantes, déjà forcées. Les placards ont été visités, pillés de fond en comble les pièces présentent un triste spectacle. Pour sûr à leur retour les pauvres ne retrouveront plus rien. On trouve un drap pour allonger les petites mais les ouvriers aurait bien aimé trouver un peu de vin . La cave plus que tout avait intéressé quelques soiffards. D’ailleurs il n’est pas besoin d’être grand clerc pour trouver les coupables. Un groupe de militaires dépenaillés, sans les armes qu’ils avaient dû jeter et évidemment sans officier, braillaient autour d’un feu complètement saouls.

Pour Fernand ils ont mérité le peloton d’exécution, mais tout se délite, tout part à l’eau

Daniel fait le tour de l’endroit, il voit une femme qui donne le sein et une autre qui cherche au près des groupes un peu de lait.

Les repas s’organisent, certains sont opulents d’autres chiches, c’est selon le degré de richesse, de préparation et bien sûr du nombre de jours qu’on a marché.

Jacqueline la grande organisatrice s’aperçoit qu’au niveau nourriture la famille n’ira pas loin. On fait cause commune avec les ouvriers polonais et les patrons de la Psauve.

Fernand mange peu et donne sa part à ses filles. Les gamines s’endorment du sommeil de l’enfance. Daniel lui se cale comme il peut et entame une nuit agitée. Ne pouvant dormir Il ouvre les yeux à la lune et compte les étoiles. Il ne peut s’empêcher de penser à sa mère qui était morte il y a deux ans, des larmes lui viennent. C’est souvent dans les moment de détresse qu’on pense aux disparus.

 

LA SOUPE AUX PATTES DE POULETS, ÉPISODE 1

LA SOUPE AUX PATTES DE POULETS, épisode 2

 

LA SOUPE AUX PATTES DE POULETS, épisode 2

 

Soudain apparut une charrette, puis une deuxième, le père Fernand marchait fébrilement au rythme lent des deux lourds chevaux de trait qui tiraient l’ une des voitures.

Pierrette fut surprise et Lulu cessa immédiatement sa sarabande autour de la corde, d’ailleurs les autres gamines tout aussi subjuguées par incongruité de l’échafaudage lâchèrent leur jeu enfantin.

Instinctivement toutes surent que l’événement qui touchait une partie de la population et dont elles avaient entendu parler par leurs parents allait maintenant les toucher elles.

Les deux gamines Tramaux connaissaient une partie des hommes qui accompagnaient les charrettes, c’était des ouvriers agricoles Polonais. Main d’œuvre à bas prix qui pullulait dans toutes les fermes briardes. Leur père Fernand en disait pis que pendre et les appelait les polacks, reconnaissant toutefois qu’ils étaient de fiers et courageux paysans. Mais c’était plus fort que lui, tous ceux qui ne venaient pas de l’est de la Seine et Marne étaient un peu étrangers. Pierrette se gardait bien à l’école d’employer les mêmes épithètes que son père. Les boches, les ritals, les polack, les rosbifs, les amerloques, les crouilles, les négros, les youpins et les niakoués, le père il voulait pas en entendre parler, c’était acquis et acté.

Apercevant ses filles, les ordres fusèrent, Lulu fut envoyée à l’atelier de menuiserie pour récupérer Daniel. Pierrette dut aider son père à ficeler quelques affaires dans une valise de carton bouilli. Prendre l’essentiel sans en prendre de trop, la était la gageure.

Le fils de la maison arriva sur son beau vélo, il portait sur le guidon sa sœur Lulu, l’impudicité de la position n’échappa pas à l’une des femmes juchées tout en haut de l’enchevêtrement. Entre un matelas et une cage à poule on apercevait que sa vieille tête ridée.

Daniel en gamin tourmenté et anxieux savait contrairement à ses petites sœurs ce qui se passait. Son maître d’atelier préparait aussi son départ comme d’ailleurs la plupart de la population de Nangis.

Mais où était passée l’effronté de Jacqueline, nul ne le savait. Il faudrait bien un jour que l’impulsif zouave ne corrige sa fille avant que la féminité débordante de sa fille ne lui amène un petit qu’ils ne pourront pas appeler Désiré.

Mais enfin elle arriva, car bien placée au défilé des malheureux, elle avait vu son père passer.

Elle aussi boucla une grande valise où prévoyante elle entassa quelques victuailles. Elle considéra que c’était nécessaire au détriment de quelques nippes dont l’on pourrait aisément se passer..

Le convoi s’ébranla enfin Pierrette fut montée sur la charrette, lieu de dominance où son espièglerie pourrait jouer à plein.

Pour l’instant il fut décidé que Lulu marcherait mais tous se doutaient qu’elle ne tiendrait nullement la distance.

Daniel emmena son vélo et en compagnie de Jacqueline chemina.

Le convoi n’était pas encore sorti de Nangis que les difficultés déjà se faisaient jour . En effet des centaines d’autres habitants de la ville mus par une sorte d’instinct fuyaient comme une horde d’animaux chassée par le feu.

Fernand, son patron et les polonais voulaient aller jusqu’à Gien. Daniel ne demanda pas aux adultes la raison de cette destination. Il s’enquit simplement du nombre d’heures qu’il faudrait pour y parvenir. Personne n’en savait rien. Lentement l’on vit disparaître le château et la silhouette de l’église. Ces symboles familiers et protecteurs se perdaient dans l’évanescence de l’horizon.

Daniel en fut troublé mais ne pipa mot, le spectacle était somme doute grandiose mais aussi un peu burlesque à la fois. La foule qui se mouvait n’avait rien d’homogène, beaucoup de femmes et d’ enfants accompagnés d’ un grand nombre de vieillards. Certes des hommes marchaient aussi de concert avec les femmes et les chiards, mais la tranche des hommes faits, avait quand à elle bien disparue.

Bien que cela ne fut pas entièrement exacte car le convoi de pauvres hères, était souvent doublé par des convois militaires qui par leur direction ne partaient pas pour soutenir l’offensive Weygand.

Quand nos défenseurs passaient en ordre ou en désordre ce n’était qu’imprécation. Les vieux, entendons ceux de 14, les accusaient de lâcheté et les insultaient, les femmes plus incisives s’en prenaient à leur virilité. Certains n’avaient plus d’arme d’autres ressemblaient aux militaires de l’armée à Bourbaki.

Le spectacle au vrai était grandiose que ce long serpentin de fuyards, les voitures à moteur il est vrai pas nombreuses côtoyaient celles qui étaient tractées. Odeurs de bouse, de crottin et de pots d’échappement , le tout en un écœurant mélange venait incommoder la masse des fuyards.

Un véhicule , une Peugeot vint klaxonner afin de doubler la charrette de la Psauve, Fernand ne bougea pas. Des noms d’oiseaux s’échangèrent, le vieux zouave au bar de la gare en avait couché pour moins que cela et le ton monta.

Le fier à bras des villes, presque en costume du dimanche ne soupçonnait pas le danger d’insulter l’ancien nettoyeur de tranchées. Seuls les polonais le sauvèrent d’un désastre en retenant le botteleur énervé.

La circulation avait été bloquée et tous s’impatientaient, la voiture à moteur resta derrière en attendant de trouver le moyen de s’échapper de la lenteur des pourvoyeurs de purin.

LA SOUPE AUX PATTES DE POULETS, ÉPISODE 1

En cette journée, tous les habitants n’avaient qu’une phrase à la bouche,  » ils arrivent, ils arrivent  ».

Cela courait de bouche en bouche comme un mauvais microbe, comme une médisance sur un marché, comme un fait divers au café des sports et comme un bubon sur un pestiféré.

Daniel comme les autres entendit, mais rivé sur son établi, une varlope en main, il s’appliquait en apprenti consciencieux sur la tâche que lui avait confiée son patron le père Legouge.

Tous en ce lieu étaient nerveux comme dans l’attente d’un départ ou bien même d’un événement.

Ils avaient suivi sur leur TSF les dernières péripéties où plutôt devrait-on dire les derniers drames.

Depuis le 10 mai de cette année 1940, l’Allemagne avait forcé la France comme on force une femme. Au niveau d’un point faible que la ganache de Gamelin notre généralissime considérait comme fort , ils brisèrent nos lignes, dispersèrent nos forces.

Les arbres centenaires des Ardennes et le cours impétueux de la rivière Meuse, tels une ligne Maginot naturelle, étaient sensés nous protéger des hordes germaniques.

Certes quelques esprits chagrins s’étaient bien aperçus après quelques manœuvres que cette prétendue invulnérabilité n’existait guère. Mais écoutait-on les esprits chagrins.

Depuis rien n’avait pu arrêter les troupes teutonnes, ni le prétentieux colonel de Gaule, ni le défaitiste Weygand, ni le cacochyme Pétain et bien sûr encore moins nos généraux en place.

La ruée des chars allemands que l’on aurait pu prévoir si l’on avait lu les livres de Gaule était irrésistible. Que pouvait faire un Corap face à un Gudérian, que pouvaient faire des blindés dispersés faces à des meutes métalliques et tourbillonnantes commandées par des jeunes loups comme le général major Erwin Rommel.

Ce n’est pas que les hommes ne furent pas héroïques, mais il est difficile d’arrêter le sable avec ses mains. Mal commandés, mal équipés, démoralisés par la soudaineté de l’attaque après presque une année de drôle de guerre, ils ne purent que subir. Les Anglais à Dunkerque réussirent leur premier miracle en se ré-embarquant, mais nous nos pauvres poilus de l’an 40 finirent en immense majorité dans les stalags.

La chaleur montait doucement en ce jour de juin 1940, le soleil montrait déjà malgré l’heure matinale, toute l’étendue de sa puissance. Pierrette pour jouer c’était mise à l’abri des arbres du boulevard Voltaire.

 » le palais royal est un beau quartier toutes les jeunes filles sont à marier  »

La corde à sauter allait de plus en plus vite et Pierrette s’efforçait de suivre le rythme.

 » Mademoiselle Tramaux est la préférée de monsieur Untel qui veux l’épouser »

Bientôt essoufflée elle se prit les pieds dans la corde et chuta, heureusement elle n’abîma pas la belle robe que sa sœur Jacqueline lui avait confectionnée.

Elle se souvenait d’un précédent incident où en sautant par dessus les grosses chaînes qui bloquaient le passage sous les arbres, elle avait fait un accroc à sa robe.

Elle ressentait rien qu’en y repensant la brûlure sur sa joue quand sa grande sœur l’avait giflée.

Pour l’heure, elle était tranquille, cette dernière était partie avec une de ses copines voir le passage des réfugiés sur la route de Provins. Au vrai, il devait bien y avoir anguille sous roche car des réfugiés ils en passaient devant la maison sans que Jacqueline en fusse autrement intéressée.

Interrogée sur le sujet son autre sœur qui l’avait rejointe préféra éluder. Visiblement cela ne regardait guère une enfant de 8 ans. Lucienne ou Lulu n’avait que deux ans de plus mais semblait jouir d’une connaissance bien plus grande.

Que pouvait bien manigancer Jacqueline et que pouvait-elle cacher de bien suspect. Cette dernière exaspérait souvent Pierrette, en voulant agir en femme de la maison et en mère de substitution.

 » Tiens toi bien, montre pas ta culotte, coupes tes ongles noirs, mange proprement »

Elle n’arrêtait pas de lui casser les pieds et tant mieux si un quelconque secret la tenait éloignée de la maison à courir le guilledou.

Sa grande sœur avait quatorze ans, une vraiE femme avec de la poitrine et semble t’ il des poils entre les jambes bien que sur ce sujet Lulu ne sache pas grand chose. Elle jouait certes sa mijaurée, prenait de grands airs mais assumait il faut le dire son rôle de femme dans cette demeure qui en était dénuée depuis le décès de leur mère.

Leur père Fernand n’était jamais là, il partait à l’aube pour travailler comme ouvrier agricole à la ferme de la Psauve. Même si il était considéré comme l’un des meilleurs botteleurs des environs il peinait à nourrir sa nichée.

Depuis peu, Daniel son seul fils lui venait en aide en lui donnant sa maigre paye d’apprenti menuisier.

Ce dernier petit brun de seize ans, maigre comme une sardine encaquée, un peu rêveur avait été mis en apprentissage chez le menuisier Legouge à deux pas de chez eux.

Peut-être se serait-il vu poursuivre un peu ses études, il en avait les capacités. Le certificat d’étude qu’il avait eu avec brio était comme pour beaucoup le couronnement de leur scolarité.

Le beau diplôme viendrait rejoindre le cadre avec les médailles du père sur la cheminée puis finirait dans un tiroir lorsque l’enfant serait parti à tout jamais de la maison.

Lui comme les autres jours, était donc parti jouer de la varlope et du vilebrequin, il avait emmené sa gamelle pour manger sur place malgré que son atelier n eut été qu’à une encablure.

Lui aussi était le protecteur de ses petites sœurs, bien que ce ne fusse pas de la même manière que Jacqueline. Peu lui importait leur tenue et leur comportement, il les protégeait de loin en loin comme un pâtre sur ses ouailles.

Parfois même il atténuait les colères du père rien que par sa présence tranquille.

Par contre l’attitude de Jacqueline le révoltait quelque peu, cette gamine au corps de femme n’était encore qu’une enfant qu’elle affolait déjà par son aplomb la gente masculine. Elle était par trop entreprenante et bien trop libre de ses mouvements.

Les deux sœurs aînées Léone et Suzanne avaient quitté la maison depuis peu pour suivre leur vie affective.

Toutes deux vivaient en région parisienne dans la proche banlieue de la capitale.

ODE A UNE DERNIÈRE COMPAGNE

 La mort est venue chez moi ce soir,

Je lui ai dit de repasser plus tard.

A-t-elle perdu la raison,

De venir hors de saison .

Elle est partie en souriant,

Me disant j’ai tout mon temps.

Car voyez vous la gredine,

Ce fait un jour votre copine.

Au moment où on s’y attend le moins,

Elle est tapie là dans son coin. 

La faux s’abat sur vous, heureusement

Elle ne gagne pas à tous les coups. 

Pour quelques temps elle lâche sa proie,

Mais soyez sûrs elle reviendra. 

Vicieuse, elle est sournoise,

Prenez garde, qu’elle ne vous cherche noise.

Je suis sûr qu’elle est partie excédée,

De ne pas m’avoir emporté. 

Quand elle vous a frôlé,

Vous en restez obsédés. 

Maintenant j’ai soixante printemps,

M’étonnerait qu’il m’en reste autant. 

Rien ne sera comme avant,

Sauf peut être les rires d’enfants. 

Mais je m’appuie sur la main de mon amour,

Pour que le bonheur coule toujours.

Bientôt une nouvelle brise soufflera,

J’espère qu’elle me pardonnera,

De l’avoir ce dimanche humiliée,

Hippocrate en urgence repoussé. 

Afin que je puisse vivre mon destin.

Celui simple de vivre avec les miens. 

Présomptueusement je pense l’avoir domptée,

Mais je la crois très fâchée. 

Nous redeviendrons un jour bons amis,

A ce moment tout sera fini. 

On ne gagne jamais contre la faux,

Quand elle décide de s’y prendre comme y faut .

Mais en attendant je jouis de la vie,

Combien de temps avant que tout soit fini.

 

Pascal