Jeune, con, insouciant du mal qu’il peut faire en s’éloignant, il monte dans la vieille voiture verte du réseau SNCF de l’est .
Ce départ il en a rêvé lorsque solitaire ses yeux se perdaient sur les vieux toits de la ville.
Maintenant tout se précipite, tout se bouscule, son papier bien serré dans sa veste, ses maigres habits serrés dans une antique valise, il part.
A la lueur dansante des lampes qui éclairent le quai, son père une dernière fois l’accompagne du regard. Rien ne transparait de sa détresse intérieure mais en sage de la vie il sait au fond de lui que celui qui s’en va ne revient jamais.
C’est une sorte d’enterrement, un deuil perpétuel, une petite mort que de voir ceux qu’on aime s’éloigner.
La silhouette qui peine sous la charge de sa valise s’estompe derrière les vitres sales du wagon, elle dépose son bagage de cuir noir dans un porte bagage.
Le partant revient une dernière fois saluer celui qui l’a fait naître, celui qui l’a élevé et qui jusqu’à lors l’a nourri. Les phrases ne se bousculent pas, elles sont celles de taiseux.
Dans les regards il y a de l’amour, mais il est jeune et con, en voit-il derrière la barrière lacrymale la profondeur?
Le train s’ébranle dans la nuit, bientôt le père se fait petit dans le lointain. Les lumières de la ville qui l’ont vu grandir disparaissent, ne laissant place qu’à la froide solitude de la campagne plongée dans l’obscurité.
Alors que traînant les pieds, malheureux il rentre au foyer où plus jamais ne résonneront les cris de son enfant, son fils vogue vers son futur, son avenir, sa vie.
Il aurait préféré pour sûr que cet avenir se construise ici dans le giron mais l’inconscience de la jeunesse vient de le pousser au loin, comme un mauvais coup de vent vous volerait une page de souvenir.
La nuit sera mauvaise, comme la brise haineuse qui déroule votre vie au gré de ses envies. Jamais il ne sera le même, jamais le temps ne s’écoulera de la même façon. Il a beau savoir comme le savent les pères et les mères que leurs enfants ne leur appartiennent pas mais son cœur tout de même se brise.
Lui la tête calée sur la vitre froide regarde le paysage, il ne sait pas que c’est son enfance qui file, il ne sait pas que le morceau de vie qu’il abandonne est la brique constructrice de son destin. Non il ne sait rien de cela , il est jeune et con.
Il observe la scène qui s’offre dans le compartiment, des travailleurs abêtis par la fatigue et qui regagnent leur foyer, un bidasse en uniforme qui bientôt aura fini son temps et une jeune fille un peu intimidée qui baisse la tête alors qu’elle se doute qu’on l’observe. C’est un microcosme, ce n’est plus la cellule familiale, ce n’est plus sa mère qui tricote un chien au crochet autour d’une bouteille, ce n’est plus son père qui lit le parisien.
Puis le train ralenti, de nouveau des lumières trouent la nuit.
Les routes telles des lambeaux luminescents incendient le noir crépusculaire, maintenant des immeubles bordent les voies, la crasse, les voitures, des centaines de voies, des lumières qui clignotent, au loin un avion.
Crissements des roues, wagons qui pleurent, Paris gare de l’est. Il n’a pas loin à aller, la gare de Lyon est proche. L’odeur des quais lui pique le nez, la foule empressée le bouscule, lui cherche l’entrée béante du métro. Ligne 4, Châtelet, Clignancourt, les couloirs aux carreaux bleu métro se succèdent, un musicien, un pochard, une roumaine qui exhibe son enfant, un flic, une bourgeoise fatiguée, une gamine aux yeux bordés déjà las de la vie, dont le rimel en vilaines coulures lui donnent un masque de clown. Tout se bouscule mais il ne peut reculer, tenir son horaire, changer de gare, trouver le bon train. Il ne pense plus à ceux qui l’abritaient, à ceux qui le choyaient, son destin est enfin en marche il est lui, il n’est plus eux.
Un ignoble wagon vert, le monde s’agglutine , le train est plein. Une place, il s’y cale et ne bouge plus de peur de se la faire prendre.
A voir les visages, il n’est pas seul à tenter l’aventure. Des faces étrangères mais qui expriment toute l’inquiétude d’un grand voyage.
Ceux qui sont là ont-il la même destination, il l’ignore, chacun se tait.
Puis dans un bruit effrayant le convoi démarre, Paris Vintimille. Le bruit est le même que précédemment, les lumières sont les mêmes. Les yeux commencent à se fermer, des épaules s’affaissent. On entend toutefois des bruissement de papier aluminium, le casse croûte maternel, odeur de pâté, de jambon, puis de nouveau le silence.
Tous se taisent, aucune parole ne s’échange, un désespoir, une langueur les frappent. est ce déjà un renoncement?
Non certes pas, juste une première faiblesse , un léger remord, mais le train de la vie comme le Paris Toulon poursuit sa course et ils s’éloignent tous du foyer initial de leur premier bonheur.
Les heures défilent lentes, angoissantes, l’avenir se rapproche, le futur ignoré qu’on espère beau.
Le contrôleur réveille tout le monde titre de transport, il s’aperçoit que presque tout le monde a le même, le fonctionnaire sourit.
La fatigue écrase son monde, le sommeil est mauvais, sale, presque fatiguant, l’aube pointe à travers les carreaux, tient, on voit la mer. Arrêt, Marseille Saint Charles.
Alors que Lyon Perrache n’a suscité aucun intérêt, la cité phocéenne réveille et émerveille.
Le jour est définitivement levé, il se lève, marche dans le couloir, la peur du lendemain arrive.
Enfin l’arrivée, tous sautent à quai, observation.
Le planton est là, second maître à casquette, les recrus se regroupent autour de lui comme des canetons autour d’une mère cane
Il donne ses ordres, les premiers aboiements qui se veulent malgré tout paternaliste.
On le suit, Panurge n’aurait pas mieux fait, de la gare au port le chemin est long, les valises sont lourdes, les rues sont désertes.
Chicago étale sa saleté, sa puanteur d’urine, de vomis et de poubelles.
La darse de Toulon, autres odeurs, autre atmosphère, quelques barcasses. Malgré le soleil qui point l’ambiance est pesante, lugubre, morne, plus aucune joie ne transparaît sur les visages. Un silence de mort, de cathédrale, de Saint Sépulcre entoure les futurs matafs.
La mer exhale une forte odeur désagréable aux terriens que nous sommes encore, au fond d’eux même plusieurs pensent déjà à repartir.
On les entasse dans un grand canot à moteur manœuvré par des matelots. Éloignement du bord, enfin un spectacle s’ouvre aux yeux plein d’ébahissement, sur la droite, les masses imposantes des vaisseaux de la flotte que l’on rêve déjà de monter.
Derrière la splendeur du Faron qui écrase de sa hauteur l’ensemble de la baie, puis en face la presqu’île de Saint Mandrier.
Loin derrière, loin là bas, une mère se lève, sort un bol qu’elle ne remplit pas, le pose puis pleure. Son fils, l’idiot , le jeune con est parti pour un long voyage, celui dont on ne revient pas , celui de la vie.