LE DIVORCE DE L’ENFANT, 3ème épisode

Notre Dame de Vouharte et la place de l’ancien cimetière

Il n’y avait d’ailleurs pas que dans l’univers du lit clos que les choses n’allaient pas, Jean qui se voyait chef de ménage, fut sous la tutelle de son beau père et de ses beaux frères. Au Breuil tous étaient plus ou moins apparentés, il faisait figure d’étranger et ces paysans bourrus ne faisaient guère preuve d’aménité face à ce jeune freluquet qui leur avait chipé une belle plante.

Oui il connaissait son travail et n’était pas plus mauvais paysan que ces Vouhartais mais il ne se sentait pas à l’aise avec eux.

Au foyer relégué en bout de table comme un drôle, il n’avait point la parole sur les choses de la ferme et des terres qui ne lui appartenaient pas. Sa belle mère le terrifiait d’un regard et sa femme peu encline à venir à son secours éprouvait un sentiment sadique à le voir souffrir.

Le pauvre dépérissait à vue d’œil, déjà point gros il en perdait le boire et le manger, un jour n’y tenant plus il prit son baluchon et s’en alla rejoindre sa fratrie sur Xambes.

Comme on peut bien s’imaginer la nouvelle du départ du Jean Godichon se propagea dans tout le village et bientôt dans celui de Xambes.

Chatain fut fou de rouge et cria à la trahison et à la rupture du contrat, sa femme qui se voyait mourir de honte brailla dans tout le hameau. Seule Catherine fut pénétrée d’une immense satisfaction et espéra vivement que jamais il ne revint.

Une expédition fut montée pour aller chercher le fugitif en son repère, rien ni fit, Marie Degail la mère ne put convaincre son fils et l’oncle qui avait oui dire que rien ne se passait comme il aurait fallu avait pris position pour Jean.

Au cours des semaines plusieurs missions de conciliation furent menées, le curé de Vouharte sur sa mule y cassa son chapelet et même Monsieur Hierard notabilité influente du canton dut manger son rond de chapeau.

Jean réfugié en ses terres, dans le giron de sa mère qui en son sein recueillait tous les griefs de cet homme enfant.

L’affaire prenait une mauvaise tournure, se transformant en antagonisme entre la commune de Xambes et celle de Vouharte. Le fait que Catherine se refusait à son mari depuis la nuit de noces, faisait les choux gras des lavoirs des deux communes. On se moquait de Jean qui n’avait pas su faire et on reprochait à la pauvrette de ne pas satisfaire à ses devoirs conjugaux.

Les ennuis du couple n’étaient évidement pas lier au sexe, il était simplement incapable de vivre ensemble et rien ne pourrait les faire changer d’avis.

Ces événements matrimoniaux alimentaient les conversations et même le décollement de Robespierre et la fin de la terreur passaient en seconde place.

Monsieur Hierard le maire de Vouharte fut contraint de trouver une solution avant que les partis n’en viennent aux mains.

Depuis des temps immémoriaux, le mariage était indissoluble, tant du point de vue religieux que du contrat passé devant notaire. Les législateurs de la révolution sous l’influence des lumières décidèrent que le mariage pourrait être rompu par un divorce. Ce fut la loi du 20 septembre 1792 qui en même temps qu’elle laïcisait l’état civil ,autorisait la dissolution du mariage.

Bien sur il y avait quelques contraintes qui furent adoucies par les décret des 4 et 9 floréal an II ( 23- 28 avril 1794 ).

Le maire du village connaissant ces dispositions les proposa à la famille Bonnemain. Ces paysans ne connaissaient évidement pas ces nouvelles lois et aucun mariage n’avait encore été rompu dans la contrée par ces dispositions légales.

Mr Hierard expliqua, Jean n’était point dément, ni criminel, n’avait jamais amené de femme en son domicile, n’avait pas de mœurs déréglées. Aucun désaccord insoluble n’avait pu être constaté ,l’ incompatibilité d’humeur et la rancœur ne pouvaient être prouvées, restait l’absence au domicile conjugal depuis plus de six mois.

Le clan Bonnemain et Courtin se laissa convaincre et Catherine requit le conseil municipal de Vouharte pour dissoudre son union.

Le 12 avril 1795 ou le 23 germinal an 3, Jean Baptiste Hierard réunit son conseil en la maison commune.

Antoine Courtin, gros laboureur de la commune âgé de 41 ans et époux de la Marie Chaignaud, c’est un lointain cousin à Catherine, mais qui n’est pas cousin avec les Courtin sur la commune de Vouharte ? . Antoine est l’archétype du coq de village, laboureur presque opulent, hâbleur, fort en gueule, d’un physique de courtaud mais avec une force considérable, c’est naturellement qu’il s’est retrouvé comme officier public à la nouvelle municipalité du village. Il dévisage Catherine avec mépris, quand on est une femme on subit la loi de son mari, pour le meilleur et pour le pire.

Jean Beaud est aussi officier public et aussi laboureur, certes il n’est pas du même niveau qu’Antoine, mais sa culture est certainement plus développée. Il est également plus tempéré en ses propos, sans toutefois considérer le divorce comme une chose acceptable.

Jean Bloin 51 ans laboureur également est un notable du village, il connaît Catherine depuis son plus jeune age et l’encourage d’un regard. Ce simple appui réconforte un peu Catherine dans son entreprise.

Dans un coin en pleine discussion avec le maire, il y a Pierre Courtin, laboureur, notable respecté et plus ou moins cousin d’Antoine et de Catherine. D’un physique agréable il a 47 ans, il est le mari de la Marguerite Guidon.

Au vrai les Courtin sont si nombreux qu’on leur donne un surnom ou bien on les identifie par leur femme.

Le dernier présent en cette assemblée est Michel Turlais qui a été nommé agent National, laboureur également, autant rester entre soi. Il a 44 ans et est chargé du contrôle de l’application des lois et des décrets. Il est redouté et possède une puissance qui peut vous conduire à l’échafaud. Heureusement l’homme est plutôt débonnaire et aucun Vouhartais ne fut guillotiné par son action.

Catherine assise dans son coin écoutait les débats forts animés de la réunion, le divorce était chose nouvelle et dure à faire comprendre à ces paysans somme toutes assez frustres et empêtrés du poids coutumier. Mais enfin la loi triompha, il fut conclu qu’une citation serait portée à Jean Godichon et qu’elle serait apposée à la maison commune de Vouharte et de Xambes pendant une décade.

Un huissier de Montignac le citoyen François Geoffroy se rendit à Xambes pour y remettre la citation à comparaître à Jean Godichon, après quelques promenades dans les champs pour le trouver

il lui remit copie de l’opération du conseil municipal de Vouharte. L’huissier afficha une copie à la salle commune de Xambes, comme il en avait affiché une à celle de Vouharte.

Le peu de personnes qui n’était pas au courant, le furent, en ce 7 mai 1795, le drôle au feu Étienne était la vedette du bourg.

Une bien piètre célébrité que de ne pas pouvoir garder sa femme, se disaient les anciens. Les femme au lavoir beaucoup plus crues claironnaient en rigolant que le Jean avait rien dans la culotte.

En bref il bouleversait l’ordre établit et tous considéraient que les lois nouvelles avaient du bon mais aussi qu’elles avaient aussi du mauvais.

A vouharte cela jasait également, les vieilles crachaient sur le passage de Catherine, et les plus jeunes disaient qu’elle avait le cul serré.

Seule la notoriété et le nombre de la parentelle fit qu’on la laissa globalement tranquille.

Le divorce prononcé les deux furent de nouveau sur le marché des cœurs à prendre. Mais les soupirants de Catherine ne furent pas légion et elle dut attendre 8 ans (01/02/1803 ) avant de trouver le Jean Bouyer dit Charon, cet ancien militaire se ficha du quand dira t’ on et on arrêta enfin d’appeler Catherine la divorcée.

Le Jean se maria un peu plus vite avec la Jeanne Testaud de Saint Amand de Boixe ( 18/07/1799 ), il n’avait que 20 ans pour son deuxième mariage, mais celui ci fut fécond car dès l’année suivante il eut le bonheur d’avoir une fille.

Ainsi se termine l’histoire de ce premier divorce Vouhartais. Quelques années plus tard leur vie aurait été tout autre car les Bourbons au cours de leur restauration, restaurèrent l’indissolubilité du mariage.

Ainsi donc de 1816 à 1884, date de la réapparition du divorce, les couples durent faire contre mauvaise fortune bon cœur et supporter souvent l’ insupportable.

La période de 1792 à 1816 pour courte qu’elle fut, permis quand même à plusieurs milliers de couples de se séparer.

LE DIVORCE DE L’ENFANT, 1er épisode

LE DIVORCE DE L’ENFANT, 2ème épisode

LE DIVORCE DE L’ENFANT, 2ème épisode

Vouharte recroquevillé autour de son église

Comment en dépit des contraintes sociétales, des habitudes ancestrales des paysans, une petite paysanne des bords de Charente brisa les liens sacrés de son union, c’est ce que nous allons voir en remontant le cours des événements.

L’histoire commune entre Jean et Catherine avait commencé en fin d’année 1793 lorsque l’oncle et tuteur de Jean avait rencontré le père de Catherine au cours d’une foire aux bestiaux. Une discussion en amenant une autre, ils en vinrent à conclure que le petit Jean ferait bien un mari pour Catherine. Certes il n’avait que 15 ans, mais était déjà gaillard et puis Catherine saurait bien le faire devenir un homme. D’une poignée de main l’affaire fut conclue sans évidement que les intéressés fussent au moins prévenus.

En rentrant à Xambes l’oncle avisa son neveu qu’il lui avait trouvé une femme, les bras du jeune homme lui tombèrent et il bredouilla qu’il était bien jeune. Ce gamin monté en graine rapidement, avait la stature d’un homme, mais sa musculature restait celle d’un adolescent. Pratiquement imberbe, légèrement boutonneux, les cheveux longs à la mode du moment, gras et non peignés, il n’excitait aucune convoitise de la part de la gente féminine du village. Sans aucune fortune ce petit orphelin de père, dénué de toute conversation et d’attraits, faisait un bien piètre parti. L’oncle salace lui dévoila les nombreux attributs qu’il pourrait découvrir dans le corps de la jeune femme, qu’il n’avait par ailleurs jamais vue. Vu sous cet angle, un mariage ne pouvait qu’avoir des avantages. Il voyait déjà la tête de ses compagnons paysans du même age que lui, lorsqu’il se promènerait au bras de sa femme ou qu’il conterait ses exploits d’alcôve. Il fut donc facilement persuadé, d’autant plus que la dot de la belle pourrait être fort intéressante, le veinard allait avoir le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière, il s’en alla à son grabat le cœur fort joyeux .

Au Breuil en la commune de Vouharte, le Pierre Bonnemain que l’on appelait  » châtain  » pour le différencier d’un autre Pierre Bonnemain n’en menait en vérité pas large. Faisant le fier et ayant le verbe haut après boire, il n’avait pas la même aisance devant la Jeanne Courtin, son épouse devant Dieu et les hommes.

Lorsqu’il annonça à cette dernière qu’il avait donné sa fille à un jeune puceau de 15 ans de la localité voisine, Jeanne entra dans une colère épique qui retentit dans tout le Breuil au moins jusqu’au moulin de Touzogne.

Catherine, jeune fille réfléchit, pleura de tout son saoul, elle se faisait une haute idée de son mariage, y pensait, en rêvait, mais jamais au grand jamais elle ne s’imaginait dans les bras d’un drôle d’à peine 16 ans. De grande taille, corpulente, la poitrine généreuse, les fesses redondantes, un joli minois à peine gâché par des dents gâtées, elle soulevait un fort engouement parmi les mâles des bords de Charente du village aux 100 îles .

Rien ne put faire changer d’avis le père de famille, il eut droit aux pleurs de sa fille, au cul tourné de sa femme, aux exhortations du reste de la famille, mais rien n’y fit, il avait topé, paroles de paysans, même si elles sont celles d’un ivrogne, elles sont sacrées .

Il fallut se revoir pour peaufiner les termes du contrat, ce que chacun devait apporter, terres, meubles, bêtes, semences, objets usuels et lingerie. Il fut en outre convenu que Jean porterait son domicile chez ses beaux parents au Breuil de Vouharte. Il ne restait plus qu’ à entériner ces clauses par un contrat devant notaire et fixer la date des épousailles.

Ce qui fut moins facile, fut de faire rencontrer les deux futurs. Disons le tout de suite ,Catherine fut consternée par l’apparence du jeune homme et une répulsion irrépressible à son encontre se fit jour. Lui comme un benêt, fut surtout captivé par les formes de la jeune femme, il ne produisit aucune conversation construite, audible et intéressante et ne séduisit guère sa promise. Il tenta gauchement de lui voler un baiser en fin de journée, mais rétive elle s’écarta.

Les autres rencontres ne purent faire fondre la glace qui s’était formée entre eux, mais la date des noces approchait et il fallait bien composer.

Le 10 mars 1794, devant la famille réunit leur destin fut scellé, l’officier public Jean Baptiste Hériard de la Ronde ( en 1794, sans le  » de la ronde », terreur oblige ) maria Jean Godichon et Catherine Bonnemain à la maison commune.

Le convoi qui s’efforça d’être joyeux, monta la côte à la sortie du village, prit à droite et longea la Charente. Le chemin empierré, pour que les charrettes puissent amener les grains au moulin de Tousogne en une longue ligne, avançait entre la colline boisée et les peupliers du bord du fleuve qui en cette saison faisaient plonger leurs racines dans les eaux débordantes de la récente crue.

Au moulin les eaux se faisaient entendre et couvrirent un moment le son lancinant de la viole et le bavardage des convives. Après avoir salué les meuniers sortis sur leur pas de porte, le défilé monta sur le hameau agricole du Breuil.

Ils étaient arrivés, que la fête commence.

Jean et Catherine ouvrirent le bal, c’était la première fois qu’ils se tenaient dans les bras l’un de l’autre, la noce hurla aux baisers et avec une sorte de dégoût ils s’exécutèrent.

Jeanne Courtin la mère de Catherine et Marie Degail la mère de Jean perçurent le malaise et en un regard partagèrent leur inquiétude.

En fin de soirée Jeanne fit la leçon à sa fille, tenta de l’encourager et de la rassurer. Pour Jean qui était un homme il allait de soi qu’il maîtriserait la situation. Pas besoin de conseil et comme disait l’oncle« tu finiras bien par trouver le trou».

Mais les deux épousés tardaient à partir et il fallut que Jean le père et l’oncle de Xambes comme on amène la vache au taureau accompagnent les deux dans la chambre qui leurs était réservée.

Mais voilà que faire, ils ne s’aimaient pas, Catherine n’avait aucune attirance pour cet homme mal dégrossi à peine sorti de l’enfance et ils étaient tous les deux vierges sans aucune expérience ni connaissance des choses de la vie.

Catherine pensant que la chose serait plus facile dans le noir, souffla la chandelle. Elle finit par ôter sa robe et sa coiffe et se glissa dans le lit glacé. Jean assit pétrifié sur le bord du lit attendait.

Consciente qu’il ne servait à rien d’attendre et que plus vite l’acte serait pratiqué, plus vite elle pourrait en être délivrée, elle l’invita à se dévêtir et à le rejoindre.

Pétrifié le jeune homme osa enfin une caresse, Catherine roide ne ressentait que répulsion. Il finit par maintes contorsions à lui remonter sa chemise et à se coucher sur elle. Il la pénétra comme il le put, maladroitement, sans tendresse et avec précipitation. Pour une première il ne put se contenir longtemps et délivra Catherine. Un filet de sang coula entre ses cuisses, la semence emmêlée en sa toison se figea et une larme sur sa joue de femme coula. Catherine roula sur le coté et se refusa à toutes les autres avances de son jeune mari déniaisé.

Dès lors de ce dépucelage contraint, de cette défloration légale rien ne pouvait sortir de bon. La situation n’avait rien d’exceptionnelle en soi, la plupart des mariages étaient arrangés et les mariés ignorants, mais si la majorité arrivait à s’en accommoder il n’en fut pas le cas pour Jean et Catherine.

Si vous avez manqué le premier épisode

LE DIVORCE DE L’ENFANT, 1er épisode

LE DIVORCE DE L’ENFANT, 1er épisode

Mairie de Vouharte

Dans la salle communale du petit village de Vouharte en Charente, Jean Baptiste Heriard fait les cent pas.

Maire de ce petit bourg paisible baigné, par les eaux limpides du fleuve Charente, il est ce que l’on peut nommer un notable de province, cultivateur, propriétaire. Il est issu d’une famille roturière mais qui par les places qu’elle occupe dans la magistrature et l’administration, se pique de fréquenter la petite noblesse Angoumoisine.

Jean Baptiste Héviard sieur de la Ronde habite au Breuil, hameau du village et éloigné de lui de quelques encablures. Il est l’ un des principaux propriétaires du bourg et c’est naturellement qu’il fut choisi comme représentant de la commune au début de la révolution.

Il officie depuis 1792 et remplace monsieur le curé dans la rédaction des actes que l’on nomme maintenant l’état civil.

En 1789, c’est à lui que fut confié la rédaction des cahiers de doléances. Il est instruit, accessible à tous, juste avec ses fermiers, il est respectable et fort respecté.

En ce 12 mai 1795 il n’est plus un jeune homme et ses 69 printemps lui pèsent parfois, grand, corpulent, une forte bedaine, un teint coupe rosé dut aux excès bachiques, un nez proéminent où se promènent de fortes veinules. Dignement vêtu mais sans ostentation, il en impose à ses proches, il commande et sait se faire obéir.

Son énervement va grandissant car justement en ce jour, quelqu’un le défie et ose ne pas se présenter à une convocation officielle émanant de son autorité municipale.

Assis derrière la table de délibération, deux hommes attendent également, silencieux, par respect ils n’osent engager une conversation de peur d’encourir les foudres de sieur Hériard. Antoine Courtain et Jean Bloin sont aussi cultivateurs propriétaires et exercent la fonction d’officier municipal. Coqs de village, ces deux êtres redoutés par les autres villageois sont loin d’avoir le charisme du maire. Mais les temps sont troublés et la terreur et ses dénonciations toujours présentes dans les esprits. Ces deux frustres en profitent et pressurisent leurs concitoyens.

A l’angle opposé assise sur une chaise, une jeune femme la tête penchée en avant et regardant ses sabots, patiente également avec les édiles.

Jolie sans être belle, petite, les hanches larges prêtent à la maternité, la poitrine ferme et redondante semblant vouloir sortir de son corsage. Une petite coiffe blanche sur ses cheveux bruns fait ressortir la teinte halée de son visage de paysanne.

C’est la Catherine Bonnemain, la fille au Pierre que l’on nomme Châtain pour le démarquer de ses homonymes et s’y retrouver dans cette famille prolixe du Breuil.

Elle a 21 ans et pour quelques minutes doit encore être appelée la femme Godichon.

Car en effet à sa demande et à celle de sa famille elle va disposer à son avantage d’une toute nouvelle loi qui permet de se séparer légalement de son conjoint.

De mémoire de paysans, une union même malheureuse est une union indissoluble. Ce décret instaurant ce qu’on appelle le divorce, est une abomination, mais une loi est une loi et chacun peut en disposer.

A onze heures après une heure d’attente Jean Baptiste Hériard, maire du village de Vouharte prononce en vertu des pouvoirs que la loi lui confère, son premier divorce et le premier également de la commune.

« Je prononce en ce 23 floréal an 3, le divorce entre Jean Godichon cultivateur demeurant actuellement sur la commune de Xambes et Catherine Bonnemain demeurant en celle de Vouharte, pour le motif et à la demande de Catherine Bonnemain, d’absence du dit Godichon au domicile conjugal depuis plus de 6 mois. Ce domicile ayant été stipulé sur le contrat de mariage comme étant celui de Catherine Bonnemain»

 

 

JEAN LE VIEUX GABARIER

Assis hiératique sur un banc,  un vieil homme perdu dans ses pensées semble observer le paysage. Figé dans une immobilité inquiétante l’homme ressemble à un arbre séculaire. Seuls les yeux qui scintillent, témoignent encore d’une vie dans ce vieux corps noueux comme un cep de vigne du Cognaçais. Son visage est tracé de rides profondes, sa moustache grise est jaunie par l’usage du tabac, de sa bouche depuis longtemps édentée surgit parfois un sourire.

 

Son vieux chapeau le protège du soleil et de la pluie, été comme hiver il porte les mêmes vêtements de drap de laine. Ses deux mains, parcheminées, sillonnées de grosses veines bleues reposent sur le bâton qui lui sert de canne.

Jean Blanchard comme il se nomme sort chaque jour  de sa maison serpente dans les venelles du vieux village et va prendre position sur son banc, en chemin les chapeaux se lèvent, des mains se tendent, les femmes respectueuses le saluent d’un mouvement de tête, les enfants nullement effrayés lui donnent du bonjour  » père Blanchard  ». Il est l’aîné du village, le sage , la mémoire vivante.

Saint Simon hier

Au vrai ceux qui le respecteraient le moins seraient plutôt les membres de sa famille, il demeure chez sa petite fille Marie Blanchard épouse Dubois. Il a le gîte et le couvert, des chemises propres, il serait bien si ses deux arrières petit enfants étaient un peu moins turbulents.

A ses pieds s’écoule tranquille le fleuve Charente, cette eau verte et claire est plus que de l’eau qui s’écoule, elle est son sang.Tous les jours de sa longue vie il les a passés à coté d’elle, s’en abreuvant, il en connaît les moindres détours, chaque arbre qui la borde lui est familier. Il pressent ses réactions, ressent ses sauts d’humeur et tel un goutteur de parfum en hume toutes les odeurs.

De son banc le vieillard cacochyme observe également avec attention des ouvriers qui s’activent sur les bords du quai.

Un squelette en bois se dresse, des hommes aux gestes surs s’affairent, il connaît tous ses ouvriers, la plus part on le même sang que lui dans les veines. Dans ce village de Charente nommé Saint Simon l’activité principale est la construction de gabares charentaises, de nombreux chantiers parsèment les quais. Les charpentiers de gabares y sont légion, Jean Blanchard était autrefois l’un d’entre eux. Ceux qui ne sont pas charpentiers, sont maîtres de gabare ou employés comme marins à leur bord. Le cours de la Charente semble être peuplé des habitants du village, on dit qu’un tiers des embarcations tirant sur le fleuve est enregistré au village.

Dans ce village chacun est cousin, neveu, frère ou fils, l’endogamie professionnelle y est très forte et les lignées de marins ou de charpentiers de gabares se succèdent sur les bords du fleuve éternel. Au 12ème siècle déjà des charpentiers travaillaient à Saint Simon et Jean,malicieux faisait croire à son fils crédule que la vieille pierre sculptée symbole du village représentait un  » Blanchard  ». La famille de Jean ne faisait pas exception au phénomène bien que sa petite fille Marie fut mariée à un boucher.

Les gabares que Jean saluait en levant sa canne était le moteur économique de la région, chargées de vin, de bois, elles descendaient aidées par le courant jusqu’à Rochefort et Tonnay Charente. Celles construites à Saint Simon l’étaient à franc bord puis calfatées, elles pouvaient porter gréement. Souvent halées, soient par des animaux soient par des hommes ( souvent des femmes à Saint Simon ), elles remontaient le courant chargées du sel, venu des marais salant des environs de Rochefort.

 

construction à franc bord

Jean avait abandonné le travail depuis bien longtemps, mais ces coques de bois le rendait nostalgique de sa vie passée.

Nous étions au crépuscule du second empire, Jean était né sous le règne du bien aimé Louis XV en 1770, il avait connu bon nombre de changements, mais lui inexorablement avait poursuivi son labeur de charpentier, l’odeur du bois, les gestes ancestraux et puis l’amour de sa vie, la belle Charente. Âgé de 96 il savait qu’il devait partir au paradis des mariniers, son fils et sa femme étaient morts depuis longtemps, même si sa petite fille était adorable il savait qu’il gênait, il avait fait son temps. Son petit fils Pierre avait perpétué la tradition familiale en devenant marin, mais signe des temps il était devenu plus tard receveur buraliste. Il n’en revenait pas un Blanchard qui ne travaillait plus sur les bords de la Charente, non décidément il était grand temps.

Mais Jean eut le bonheur de partir avant les changements qui l’auraient à coup sur brisé. A voir toutes ces gabares voguer sur le fleuve, il ne pouvait imaginer qu’un concurrent allait tuer la navigation fluviale. La ligne de chemin de fer entre Cognac et Angoulême fut ouverte en 1867, c’était la chronique d’une mort annoncée pour la batellerie. Puis vint le coup de grâce avec le transport routier. Les belles gabares cessèrent de glisser sur l’eau et depuis Jean se retourne sans cesse dans sa tombe.

Saint Simon aujourd’hui

Ce texte est écrit pour Maël mon petit fils, qui a un peu de sang de marinier qui lui coule dans les veines et qui un jour peut être voguera sur les ondes vertes du beau fleuve qui a nourri ses racines familiales.

                                                   Gabare de saint Simon reconstitution

ARBRE SIMPLIFIE

Pierre Blanchard dit Caillias 1737 – 1820,   marin sur gabare

Jean Blanchard 1770 – 1866, charpentier de Gabare

Pierre Blanchard 1807 – 1855, marin sur gabare

Marie Blanchard 1832 – 1876

Géronime Dubois 1855

Jeanne Fougeret 1885

Édith Aubinaud 1909 – 2000

Albert Maurin

Nicole Maurin

Émilie Vaillant

Maël Chabot

NOTA :  lien sur Saint Simon https://www.village-gabarrier.fr/visites-et-decouverte/village-de-saint-simon-en-charente/historique-du-village-gabarrier-de-saint-simon

HISTOIRE DE VIEILLES PIERRES, LA MAISON DE MARIE

2014-10-28-14-36-17

MAISON DE MARIE

Blottie au pied d’un ginkgo biloba centenaire, ceinte de murs entourant un jardin luxuriant, bercée de soleil, la vieille demeure somnole.

Veillée par les âmes des anciens prieurs qui reposent pour l’éternité dans le jardin de la maison le temps s’égraine lentement.

A l’ombre de l’église Notre Dame de Vouharte les vieux murs de la maison sont bordés par une jolie place ombrée d’arbres. Ancien jardin des morts, les mânes des défunts dans de vastes farandoles animent parfois l’ancien sanctuaire.

Le clocher majestueux domine les 5 bras de la Charente qui serpentent à ses pieds, les restes d’un ancien prieuré suggère une opulence,maintenant disparue. Tout semble figé dans le temps, seul les flonflons des fêtes organisées par l’association Grandir à Vouharte viennent troubler le silence impénétrable des lieux.

Marie ma cousine se fond à merveille dans l’ambiance tutélaire des lieux, silence , méditation et recueillement.

Mais il fut un temps pas si lointain ou la jolie place bruissait de mille bruits. Marie installée depuis de nombreuses années à l’ abris de son clocher avait reçu la demeure des mains de son père.

Ce dernier entreprenant chef d’entreprise avait su faire prospérer la maréchalerie issue du travail de son propre père.

A l’époque de la mutation entre l’agriculture hippomobile et celle automobile de nombreux

artisans avaient fermé leur atelier, d’autres plus malins avaient muté en vendeurs, réparateurs d’engins agricoles.

Jacques le père de Marie, forgé au dure métier, fut l’un de ces derniers.

Revenons maintenant à notre maison et plongeons dans le temps, la physionomie de l’endroit s’est quelque peu modifiée mais laissons librement filer notre imagination.

Dans le bâtiment principal une ancienne forge, l’environnement est encombré de diverses machines agricoles, l’ancien et le nouveau se côtoient encore, il règne sur l’endroit un air de nouveauté que Roger l’ancêtre Maréchal Ferrant ne voyait que d’un œil circonspect.

Ce n’est que mouvement et agitation sur la place, les tractations se font encore à l’ancienne, poignets de mains et coups au bistrot.

Roger DUCOURET n’est plus depuis 1956, son fils Jacques gouverne en maître l’atelier qui devient  sous son impulsion une jolie entreprise.

A l’étroit dans l’ancienne forge tous déménageront pour des lieux plus vastes qui sont toujours ceux où se trouvent encore aujourd’hui la célèbre entreprise.

Cette forge avec hangar, écurie, maison principale, maison à la suite, cour, jardin était habitée par Roger depuis 1930, Jacques et son frère Michel y étaient donc nés.

L’ensemble n’appartenait pas en propre à Roger, malgré une tentative d’achat malheureuse dans les années 30 mais à son père Louis DUCOURET agriculteur au Fouilloux.

Le vieux Louis qui avait survécu à son fils Roger en avait fait don à son petit fils Jacques qui administrait avec maestria l’ancienne forge. Nous étions en 1958. Louis s’éteindra l’année suivante.

Louis possédait la forge de son fils depuis 1946, date à laquelle il avait acheté l’ensemble au frère LAUNAY. Ces derniers résidant à la Couronne près d’Angoulême, chef de service de papeterie et employé de bureau n’ont jamais résidé à Vouharte.

Un bail de location liait Roger DUCOURET et les frères LAUNAY depuis 1941.

C’est pendant cette année que les frères LAUNAY avaient acquis l’ensemble des bâtiments en l’achetant à la famille FIXOT , Moise, Yves et Lucille. Héritage de leur père Moise qui avait acheté la forge en 1939 au dépend de Roger DUCOURET toujours l’unique occupant avec sa famille du groupement forge et habitations.

Les frères LAUNAY n’achetèrent en 1941 que les 2 tiers de la propriété, le dernier tiers resta aux mains de Lucille FIXOT femme BABONNAUD.

En 1944 Lucille FIXOT concéda son tiers aux frères LAUNAY, pour la somme de 20000 francs payés en en billets de la banque de France.

Les 2 premiers tiers leurs avaient fait débourser 13000 francs. L’ensemble revenait donc à 33000 francs * greffés de l’occupation des lieux par Roger DUCOURET.

Mais plongeons dans le temps, Roger en 1931 achète donc l’ensemble des bâtiments et installe son labeur et sa famille qui s’agrandissaient. Malheureusement il mangea la grenouille et resta locataire.

L’affaire se déroulait pourtant bien, 20000 francs remboursables sur 10 ans.

Le vendeur issu d’une vieille famille Vouhartaise se nommait Pierre Bernard, employé commercial à la grande quincaillerie Rochelaise Laurent sise rue Saint Yon, il était l’unique héritier de son père, feu Jean arthur ( ou Raphaël sur l’acte notarié ) docteur en médecine.

Il vendit au décès de sa grand mère Marie TURLAIS morte dans la dite maison le 23 mai 1931, sans doute peu  intéressé par la vie à Vouharte , les personnes ayant eux un lien avec la maison étaient toutes décédées.

A vrai dire la maison était l’acquisition de toute une vie des arrière- grand parents de Pierre Bernard.

En 1876 Jean Bernard dit Rigaillou et son épouse Marie BONNEMAIN souhaitant s’installer et développer leur activité de marchand de bestiaux achetèrent une partie des bâtiments à Pierre PIFFRE et à CORNAUD Marie.

Le commerce sera florissant et la rue du centre comme on la nommait était une véritable ruche, paysans amenant leurs animaux, troupeaux emmenés aux foires d’Aigre et de Rouillac.

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Église Notre Dame de Vouharte

La place de l’ancien cimetière est encombrée de charrettes au grand dam des femmes qui crient au non respect des morts, des pierres tombales surgissant toujours entre les animaux qui paissent.

Jean est né en 1829 à Genac et Marie née en 1832 est une vouhartaise, le couple marié à Vouharte en 1851 aura 3 fils.

L’achat de l’ensemble tel qu’on le trouve lors de l’installation des DUCOURET a été composé en plusieurs fois.

Une première partie en 1874 achetée au couple Jacques LOTTE et Marguerite PIEDFROID.

La partie principale en 1876 au couple Pierre PIFFRE et Marie CORNAUD

En 1899 un atelier de maréchalerie et dépendances aux époux Louis BELLIGOT et Marie MERIGNAC.

En 1909 un bâtiment à la famille TURQUOI.

L’ancêtre Jean décéda dans sa maison en 1904 et sa veuve en 1924 âgée de 86 ans.

L’héritier se nommait Jean BERNARD et développa une entreprise de boucherie, souvent complémentaire de la vente de bestiaux.

Né en 1852 il épousa lui aussi une Vouhartaise nommé Marie TURLAIS.

Jean le boucher décéda en 1912 dans la maison et sa veuve Marie TURLAIS,  y resta jusqu’à son décès en 1931. En 1911 le couple et la mère de Jean y vivaient avec leur servante Marguerite LASCOUX.

Le docteur BERNARD décéda à la Couronne ( 16 ) en 1915, laissant donc Pierre BERNARD notre employé de commerce comme seul héritier .

Plongeons maintenant dans le temps et retrouvons Pierre PIFFRE et Marie CORNAUD, cultivateurs ils achetèrent l’ensemble à Pierre AUGIER et à Marie LABORDE en 1855,  acte déposé chez maître RANCON à Vars.

Pierre était cultivateur et même un bon car il obtint un prix en 1857 pour le bon comportement d’une jument, exploit agricole qu’il réitérera en 1866 .

Originaire de Saint Cybardeaux, Pierre s’était marié avec Marie, une fille du village en 1850.

Ils achetèrent donc la propriété aux époux AUGIER et LABORDE. Ces derniers propriétaires cultivateurs s’étaient mariés à Vouharte en 1840, elle était d’une famille vouhartaise et lui venait de Saint Groux canton de Mansle .

Quelle était la physionomie des bâtiments à l’époque difficile de se faire une idée. Mais gageons que les murs principaux de la bâtisse plongent leur origine très loin dans le temps et que cet endroit fut habité dès la création du prieuré vers les années 900.

De nombreuses personnes décédèrent dans la maison, est- ce que c’est vraiment l’esprit de ces derniers qui viennent hanter la demeure, cela reste un mystère.

LISTES DES DIFFÉRENTS PROPRIÉTAIRES

Marie

Jacques

Louis

LAUNAY  Angel Daniel et LAUNAY Jean Henri

FIXOT Moise, Yves et Lucille

BERNARD Pierre

BERNARD Jean Arthur ( Raphaël ) ( Vouharte 09/05/1873, La couronne 20/01/1915 )

BERNARD Jean Auguste

BERNARD Jean

PIFFRE Pierre

AUGIER Pierre

LISTES DES DIFFÉRENTS OCCUPANTS

Marie

Jacques DUCOURET

Roger DUCOURET ( Vouharte 13/07/1905, Vouharte 14/0/1956 ), sa femme et ses 2 fils

Marie TURLAIS (Vouharte 19/03/1853, Vouharte 23/05/1931 )

Marie TURLAIS, Jean Auguste BERNARD ( Vouharte 14/04/1852, Vouharte 21/06/1912 )

Marie TURLAIS, Jean Auguste BERNARD, Marie BONNEMAIN

Marie BONNEMAIN (Vouharte 28/03/1832, Vouharte 01/10/1924 )

Marie BONNEMAIN et Jean BERNARD (Genac 30/10/1829, Vouharte 09/01/1904 )

Pierre PIFFRE et Marie CORNUAUD

AUGIER Pierre et Marie LABORDE

Nota : Un ouvrier gagnait entre 7000 et  8000 francs par an

LA MORT DU PRÊTRE DE VOUHARTE

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Vouharte début du  20-ième siècle ( Les arbres sur la place de l’église ne sont plus ces magnifiques ifs  mais elle a été replantée et est est toujours aussi magnifique )

Le lundi 12 avril 1762, une rumeur court dans le petit village de Vouharte, transmise de bouche en bouche, la nouvelle parcourt le petit bourg et se propage de maison en maison. Bientôt tous les habitants du bourg sont au courant, Pierre COUDRIN, l’annonce à Michel GUIDON, qui prévient sa femme Marie CHESNE. Cette dernière avise  à son tour la famille L’HOUMEAU.

Au lavoir c’est la consternation, certaines femmes abandonnent leur ouvrage et partent en pleurant sur les lieux du drame.

La rumeur n’est pas longue à parvenir au village du Breuil où Messire Jean de PEINDRAY s’apprête à monter à cheval pour aller chasser dans l’une des nombreuses îles formées par les alluvions de la Charente. Le meunier de Touzogne et de nombreux villageois des environs venus faire moudre des grains sont également mis au courant. Le bruit qui avait longé la Charente se propage aux coteaux chacun maintenant connait la nouvelle, le père DELESSAT est mort.

Les villageois se pressent à la cure, la servante du curé et le sacristain ont le plus grand mal à les contenir. Chacun veut s’assurer de la chose et rendre un dernier hommage.

Jean de PEINDRAY arrive au galop du Breuil et disperse tout le monde, chapeau bas chacun s’incline, noble homme, l’écuyer de Roumilly est l’autorité du bourg.

Il pénètre dans la maison et trouve le curé allongé dans sa chambre à coté du lit, la mort ne fait aucun doute, foudroyé d’une crise d’apoplexie sa bouche est tordue son visage crispé, sa soutane est souillée.

Le saint homme est porté sur son lit et une chapelle ardente est dressée.

De Pindray envoie quérir le curé de Coulonges le père VINDRILLAS afin de veiller sur le corps.

Les autorités ecclésiastiques sont prévenues ainsi que le présidial de la sénéchaussée.

Par discussion il est décidé que le curé serait enterré de façon exceptionnelle dans  l’église Notre Dame de Vouharte, des travaux sont diligentés afin que le bon berger repose parmi les siens dans le chœur même de la maison de Dieu. Honneur infime que peu de Vouhartais obtinrent au cour des temps.

Monseigneur l’évêque  donna son consentement tant l’aura du défunt était grande dans la contrée.

Considéré comme un saint homme par les gens du cru ce dernier n’en était pas moins mortel, presque 30 ans qu’il officiait à Notre Dame de Vouharte, dévoué il aimait ses paroissiens d’un amour sans faille. Il vivait chichement de la portion congrue que ses supérieurs lui reversaient, ses presque 700 livres le mettaient à l’abri de la misère mais n’en faisait pas un nanti . Un petit bout de vigne et un potager lui assurait un surplus de pitance, comme l’ensemble des villageois . Chargé comme ses confrères de la vie de la paroisse, messes, organisations des fêtes religieuses, sacrements, tenue des registres paroissiaux, et enseignement, il était l’âme du village.

Le père DELESSAT était partout, une personnalité forte prêchant avec virulence quand le besoin s’en faisait sentir et secourant avec piété toutes les misères .

D’un famille bourgeoise d’Angoulême le père à son arrivée comme jeune officiant signait LESSAT au bas des actes qu’il rédigeait, puis à partir du 16 septembre 1740 sa signature se transforma en DELESSAT. Il maria, enterra, et baptisa de nombreux paroissiens pendant sa longue prêtrise.

Il fut donc enterré le mardi 13 avril 1762, les fossoyeur n’avaient pas chômé pour préparer la sépulture du curé, enlèvement du dallage sous le chœur et creusement d’un trou assez grand pour y déposer le corps. Il fallut faire un peu de place et enlever les os des précédents occupants. La place sous le chœur était très convoitée car comme chacun sait la montée au paradis s’y fait plus rapidement. L’endroit était payant, mais pour un saint homme la place était acquise d’office.

L’ensemble de la population se pressa dans l’église, elle était petite et seuls les premiers arrivants purent y pénétrer. Les premiers bancs étaient occupés par les notabilités et les paysans les plus aisés.

L’archiprêtre d’Ambérac Jean SAUVAGE fit la messe assisté du père VERDILLAT de Coulonges, du père MATHELON de Xambes, du père ROUSSELOT de Villognon et des desservants de Saint Amant De Boixe et de Bignac. Tous les curé de l’Archiprétré d’Ambérac avaient donc fait le déplacement. Le vicaire de Montignac représenta le curé titulaire qui était souffrant.

La messe fut belle et chacun à l’issue sans fut vaquer à ses occupations.

Le curé DESSELAT Jean Jacques resta longtemps dans la mémoire de ses paroissiens et ses émanations se firent sentir tout l’été de l’année 1762. ( Les inhumation dans les églises furent théoriquement interdites à partir de 1776 pour des raisons de salubrité publique, les corps n’étaient pas ensevelis assez profondément et l’utilisation de la chaux ne remédiait à l’odeur que partiellement. )

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Pierre tombale dans l’église de Vouharte, ( j’ignore qui est dessous ). ( photo maryanick Gaultier )

 

De ses ossement maintenant devenus poussière émanent une atmosphère particulière qui se repend encore un quart de millénaire après la disparition du bon prêtre.

Si vous passez par Vouharte faite une halte à l’église Notre Dame, montez par les escaliers en venant de la rue principale, passez sous les porches, et pénétrez dans les lieux. Prenez place un instant, priez, ou méditez selon vos convictions mais soyez convaincus qu’une sérénité y plane et vous pénètre.

Le père DELESSAT fut rapidement remplacé car dès juin 1762 un nouveau desservant officia dans le bourg, la crise des vocations n’avait guère cours en ces temps post révolutionnaires et les cadets des bonnes familles y faisaient encore leur nid.

Nota : Il est noté dans l’acte de décès qu’on a eu le temps de lui administrer les sacrements de pénitence et l’extrême onction, phrase rajoutée en fin d’acte. Vu la mort soudaine que  le rédacteur de l’acte appelle apoplexie et qui est rappelons le une  suspension  brutale plus ou moins complète  de toutes les fonctions vitales il est pour le moins improbable à moins qu’un autre prêtre ne fut présent que les derniers sacrements ne lui fussent administrés.

 

  • ARCHIPRÉTRÉ  d’AMBÉRAC  : Ambérac, Saint-Amant-de-Boixe, Vindelle, Lanville, Montignac, Vouharte, Gourville, Vars, Balzac, Champniers, Brie, Xambes.

Ces communes dépendaient du diocèse d’Angoulême

  • ARCHIPRETRE  : Titre attribué au curé du clergé de l’église principale d’une ville ou d’un ensemble de paroisses.
  • Église  Notre de Dame de Vouharte :  date des XI et XII-ièmes. elle a été remaniée aux XIV et XV-ièmes. Elle s’inscrivait dans le contexte d’un prieuré bénédictin déjà mentionné  vers 900.
  • Vouharte,  se situe en Charente à environ 20 km d’Angoulême.

 

 

 

LE CHOLÉRA EN CHARENTE ( 1855, SAINT-AMANT-DE-BOIXE )

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La mort vient souvent de l’eau

On estime que le foyer original du choléra est le delta du Gange en Inde, au 19ème siècle la maladie a voyagé dans le monde entier en 6 importantes pandémies.

Le choléra a depuis lors fait plusieurs millions de victimes. Le choléra est devenu endémique dans de nombreux pays.

Le choléra est une infection diarrhéique aiguë provoquée par l’ingestion d’aliments ou d’eau contaminés par le bacille vibrio cholerae.

Les symptômes sont des crampes violentes, des fortes diarrhée, une soif inextinguible, un amaigrissement rapide, une excavation des orbites et des sueurs froides.

La transmission est féco oral est souvent due à une mauvaise hygiène et à une gestion calamiteuse de l’environnement et en particulier de l’eau.

Il n’existe aucun cas de transmission par des cadavres

La version atténuée du choléra s’appelle la cholérine.

La mort peut survenir de quelques heures à 3 jours.

En 1855, la maladie arrive en Charente, pourquoi, comment ?

Une contamination par les soldats revenant de la guerre de Crimée est une explication possible, quoi qu’il en soit, début janvier la ville d’Angoulême est touchée. L’épidémie se propagera alors en tout sens dans le département.

Le petit village de Saint-amant-de-Boixe est construit en amphithéâtre sur le vallon d’un coteau, baigné par un affluent de la Charente, le Javart. Une magnifique abbatial implanté au centre du village impose sa magnifique architecture depuis plus de mille ans. Elle à pour origine un ermite qui vivait au 6ème siècle dans la forêt de Boixe, le nommé Amant. Elle fut l’un des plus grands centres monastiques de Charente, mais dès le 14ème siècle un long déclin s’annonce. Pour la période qui nous intéresse, les moines ont disparu et la commune peine à entretenir cette vaste structure.

Le village est composé du bourg principal avec une partie haute et une partie basse où s’entasse la population la moins aisée. Au sud ouest se trouve le hameau de la Fichère et au sud est celui de Nitrat.

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Le Javart et l’abbatial

L’officier d’état civil de la commune a eu la bonne idée de mentionner toutes les causes de décès pour l’année 1855 facilitant ainsi un travail statistique.

Le premier cas arrive le 17 septembre 1855 et touche un bébé de 2 ans dont le père est chauffeur d’omnibus ( peut être un lien de transmission ). D’après le docteur Chapelle l’épidémie se révéla dans la partie basse du village réputée plus pauvre pour ensuite frapper sans distinction entre riches et pauvres et partie basse et partie haute.

Il y a eu 11 mort au hameau de la Fichère et le reste sur le bourg, le hameau de Mitra a été curieusement épargné.

La proportion de femme est très importante, 42 pour 23 hommes.

Catégories d’ages

0 à 10 ans  : 12 soit    18,46 %

11 à 20 ans  :  4  soit   6, 15 %

21 à 30 ans  :  3 soit    4,61 %

31 à 40 ans   : 8 soit    12,30 %

41 à 50 ans   : 8 soit    12,30 %

51 à 60 ans   :  11 soit  16,92 %

61 à 70 ans   :    5 soit   7,35 %

71 à 80 ans    :   9 soit  13,8 %

81 à 90 ans    :   4 soit    6,15 %

Le nombre de foyers différents est très important, environ 59 sur 65 décès.

En effet très peu de foyer perdirent plusieurs personnes.

Francois Tribot et Marie Bouffanais perdirent 3 enfants âgés de 2 ans , 7 ans et 13 ans.

Marie Nadeau 78 ans morte le 24 octobre avait perdu son mari de 81 ans 2 jours plutôt ( mais de vieillesse, on peut s’interroger !!! ).

François Masson, 35 ans mort le 7 octobre juste le lendemain de son épouse Marie Certain, 25 ans.

Jean Sylvestre 30 ans et son père Jacques, mort respectivement le 11 octobre et le 14 octobre.

Le couple François Gautron et Marie Bouvalet respectivement 44 et 48 ans ainsi que leur fille Jeanne âgée de 14 ans. La famille fut décimé en 3 jours, soit les 11,12, 14 octobre.

Anne Menier 82 ans morte le 12 octobre était veuve de Jean Bouffanais depuis le 3 octobre.

Le maire et huissier Louis Védrenne perdît sa femme Anne Jolly le 1 novembre elle avait 41 ans.

La dernière victime fut la fille du boucher du village Pierre Picard, elle se nommait Marie et avait 4 ans, nous étions le 6 novembre 1855.

Du 17 septembre au 6 novembre l’épidémie avait fauché 65 personnes.

Le docteur Chapelle dénombre 72 victimes au total pour cette apparition du choléra sur les coteaux de Saint-Amant-De-Boixe en effet quelques cas de cholérine furent enregistrés en 1854 et en 1856.

Le choléra disparut à jamais de ce jolie coin de Charente, sans que l’on sache pourquoi ni comment.

D’autres personnes furent contaminées sans en mourir et le traumatisme fut sans doute très important.

Si la France n’enregistre plus de décès par le choléra, ce dernier fait encore de nombreuses victimes dans le monde.

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UNE MACABRE DÉCOUVERTE

 

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En cette fin du mois de mars, notre promenade nous avait portés dans un endroit calme et charmant du pays Charentais.

Ceint de murs de pierres, ombré par quelques arbres, l’idyllique endroit nous apparaissait.

Faisant grincer une vénérable porte en fer forgé, nous pénétrâmes dans le lieu divin.

Nous nous mîmes à cheminer au milieu de belles allées, la magie du lieu opéra en nous et d’une conversation vive et enjouée nous passâmes à des chuchotements respectueux du silencieux endroit.

Longeant les allées, les demeures des maîtres des lieux se dressaient, grandes ou petites, en pierre ou en marbre, propres ou sales, fleuries ou non fleuries, effondrées ou se dressant fièrement.

Certaines arboraient fièrement le nom des occupants d’autres étaient anonymes.

Mais riches ou pauvres, la mort comme point commun les liait.

La sérénité du lieu nous invita à deviser sur notre avenir commun et le choix de notre ultime foyer.

Sépulture chrétienne, crémation païenne, jardin du souvenir, répartition des cendres dans un lieu familier, endocannibalisme, ( non je plaisante ) tout y passa, chacun avec son opinion et sa conviction profonde.

En devisant nous nous étions écartés des magnifiques caveaux en pierre, chapelles vaniteuses où les différentes conditions humaines se prolongent dans l’architecture funéraire. Nous nous retrouvâmes devant des sépultures plus modestes, l’une d’elles la plus simple attisa notre curiosité. Une simple croix plantée à même la terre, petit endroit délimité de pierres des champs. Dépassant par sa simplicité la beauté des fières demeures du voisinage.

Une inscription nous rappela que nous connaissions l’habitant du lieu.

Ce dérisoire morceau de terre, nous incita au recueillement.

Frêle enclos dérangé je me penchai pour remettre une pierre dans son alignement quand stupéfait, je soulevai une partie de boite crânienne humaine d’un ancien habitant des lieux.

Macabre découverte, inédite pour moi visiteur invétéré des cimetières.

Ossement blanchi, confondu avec un simple caillou à qui appartiens- tu ?

Jamais nous ne le saurons et par ces quelques lignes et cette ultime photo, je t’adresse cher inconnu une simple prière.

Nous remîmes en place la pieuse relique et poursuivîmes malgré notre émoi notre printanière et bucolique promenade .

 

Nota : Je ne mentionne évidement pas la commune, mais ce charmant village est baigné par la Charente et possède une belle église, vous n’en saurez pas plus.

Au demeurant le cimetière est très bien tenu et le cantonnier municipal ne peut être incriminé.

Cette aventure vous est- elle déjà arrivée ?

 

POUR QUI SONNE LE GLAS (UNE ÉPIDÉMIE EN CHARENTE 1855 )

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La lugubre musique se fait de nouveau entendre aux oreille de Catherine, alitée depuis 4 jours elle devine que le morne glas des cloches de l’abbatiale sonnera bientôt pour elle. Elle est très faible, la migraine ne la quitte plus depuis son malaise au lavoir.

    • Ma fille pour qui sonne t’ on aujourd’hui ?
    • Pour Jean Bouffanais, ma mère.
    • Oh ton père ne l’aimait pas
    • Le Jean il aurait bien aimé me marier.

Ces quelques paroles l’épuisent, Catherine retombe en léthargie.

Nous sommes le 03 octobre 1855, Catherine Thorin veuve Coculet (ou Coqulet ) dans sa demeure de la rue haute à Saint Amant de Boixe en Charente est au plus mal. Elle vit maintenant avec sa fille Jeanne ( ou Marie ) et son gendre Antoine Dussautour. La maison est joyeuse et pleine des enfants qu’ a eu le couple ( mais pas que ).

Jeanne est très inquiète de l’état de santé de sa mère qui âgée de 74 ans aura ,et elle le ressent beaucoup de mal à réchapper à l’effroyable épidémie qui sévit dans la région.

Le médecin de Montignac Mr André Dumaine arrive justement avec sa carriole pour visiter Catherine. Le médecin de Saint Amant de Boixe, touché par l’épidémie, n’est plus en état d’effectuer sa mission.

Gravement le docteur examine la faible vieille dame, cette dernière est à peine consciente.

  • Jeanne depuis quand ta mère est telle prise par le mal?
  • Depuis 3 jours docteur, elle a fait un malaise au lavoir et a eu des crampes terribles, des voisines l’ont ramenée.
  • Elle a été prise immédiatement de diarrhée, elle se vide littéralement et j’ai du la changer une paire de fois.
  • Maintenant la colique est passée mais elle sue abondamment et a tout le temps soif.
  • Jeanne tu sais ce dont souffre ta mère?
  • Elle va mourir, je n’y peux plus rien, son état est trop avancé.

Résignée comme tous les habitants du village, Jeanne attend la mort de sa mère avec tristesse.

La malade ne réagit plus, elle vomit une bile jaunâtre et continue de secréter une sueur visqueuse.

Jeanne patiemment change sa mère et nettoie le pauvre corps décharné, les voisines fuient le foyer infectieux. Le labeur est dur, elle est seule, elle a écarté son mari par décence et ses filles par sécurité .

Le 5 octobre à 4 heure du matin, alors que Jeanne sommeille sur une chaise à coté du lit, la mourante expire dans un dernier râle. Jeanne prévient son mari et les enfants.

Antoine se lève va voir sa belle mère et va frapper à la maison voisine où demeure Pierre Thorin le frère de Catherine.

On organise bientôt une veillée, mais là aussi les visiteur se font rares tant la peur de la contagion est forte.

Le 6 octobre Pierre Thorin déclare le décès à la mairie en compagnie d’un voisin.

Le maire Louis Védrenne est consterné, l’afflux de morts est tel que le cimetière du village est complet. Il faut prendre une décision rapide, le conseil municipal est appelé d’urgence.

Le temps que tout le monde arrive, un quatrième décès est déclaré pour la journée du 5 octobre.

Un solution existe et elle est adoptée rapidement, un terrain vague sur le chemin qui mène à Mansle prés du lieu nommé les Métairies.

Le changement de place du cimetière avait déjà été évoqué, la place manquait autour de l’ancienne abbatiale et les conditions d’inhumation à même la terre sur ce flanc de coteau présentaient quelques inconvénients.

 

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1ere tombe du nouveau cimetière de Saint Amant de Boixe , 1855

 

Catherine Thorin a donc l’honneur d’inaugurer le nouvel emplacement. Elle ne reste pas longtemps seule, car le même jour la rejoignent les morts du 5 octobre puis ceux du 6. Le curé ne chôme guère et le bedeau sonne le glas toute la journée.

Le fléau est effroyable, le choléra laissera une trace indélébile dans la conscience collective du village.

Nota : quelques années plus tard Catherine fut rejointe par sa fille Jeanne, par son gendre Antoine Dussutour et par une de ses petites filles. Une autre personne est inhumée sans que je puisse établir la filiation exacte.

Jeanne Coculet, née le 11 juin 1822 est morte le 20 février 1900 à Saint Amant de Boixe, (Prénom de d’état civil, Marie )

Antoine Dussutour né en novembre 1814 à Saint Pierre de Cote en Dordogne ouvrier amidonnier, mort le 8 mars 1893.

Marie Augustine Dussutour née le 3 septembre 1845, morte le 27 octobre 1898 à Saint Amant de Boixe.

Victoria Isabelle Dussutour , décédée en octobre 1865 ( lieu naissance, filiation et date décès ignorés quand à  présent )

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Nota : un article sur le l’épidémie de choléra dans le village de Saint Amant de Boixe est en cours de préparation.

LA VOLEUSE DE MOUCHOIRS, ( Une peine exemplaire ou les tribunaux du 19ème siècle )

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Salles Lavalette, département de Charente

Encadrée par deux gendarmes, Marie arrive au greffe de la maison de correction d’Angoulême, malgré la cape qui la protège , elle frissonne, il fait terriblement froid ce vendredi 26 janvier 1838.

Elle a les mains entravées sur le devant et avance la tête basse, l’un des pandores la pousse dans un couloir et referme une lourde porte.

Ils sont accueillis par les gardiens de l’endroit. Mr Texier est le gardien en chef, sa femme s’occupe du quartier des femmes. La passation entre les 2 gendarmes et le gardien de la prison se passe sans palabre inutile, le papier signé par le sieur Durand, huissier est parfaitement conforme et bientôt Marie se retrouve seule avec ses geôliers.

– Ton nom.
– Dumont Marie
– Ton age
– Environ 38
– Ton lieu de naissance
– Je suis de Chadurie, mais je suis née à Salles Lavalette
– Ouai tu es donc de Chadurie.
– Le nom de ton père
– François, mais il est mort.
– Ta mère.
– Elle est morte aussi et pour son nom, j’suis pas bien sur.
– Tu faisais quoi.
– J’étais servante
– ouai, mettons sans profession.
– Donc si j’ai bien compris t’es une voleuse.

A ces mots le visage de Marie se couvre de honte, elle se tait.

– Je t’ai causé, t’es une voleuse ou pas.
– Oui
– Oui quoi
– Oui je suis une voleuse.

Marie est effectivement une voleuse et elle s’en repent tous les jours depuis les faits.

– Bon maintenant y faut qu’on te fouille
– Déshabille toi.
La pauvre ne sut que faire, il lui répugnait d’ôter ses habits devant le gardien. Elle avait déjà dû se plier à cette humiliation devant des gendarmes goguenards.

La gardienne lui hurla dessus.

– Tu préfères que je fasse venir des gardiens pour te les enlever.

Marie s’exécuta, elle ôta sa cape, défit sa coiffe de toile, dénoua son mouchoir blanc, retira son tablier de coton bleu à points blancs.
Elle hésita à enlever son juste de drap bleu, mais les Texier s’impatientaient.
Puis vint le tour de sa jupe de droguet gris.
La pauvre petite voleuse se retrouvait en chemise devant ses 2 gardiens.
La gardienne dit à son mari sors de la, tu en as assez vu.
Il s’exécuta.

– Enlève ta chemise.

Marie se retrouva maintenant nue, la gardienne l’observa et sembla se délecter de ce moment de honte.
Au physique, elle était de petite taille, 1,42 m, ses longs cheveux châtain, tombaient sur ses seins et sur ses épaules formant un voile pudique. Ses yeux roux étaient embués de larmes

– Écarte les jambes et penche toi

Marie s’exécuta, exposant son anatomie intime, la gardienne hardiment lui glissa 2 doigts dans le vagin. Elle hurla de douleur et d’indignation.

– Bon tu caches rien , remets ta chemise et prends les vêtements que je te donne.

– Mon mari t’a pas demandé, d’où est ce que tu viens ?
– Du village de Chadurie Madame.

L’histoire de Marie est d’une tristesse absolue, née à Salles sur Lavalette le 1er janvier 1794 d’un père cultivateur nommé François Dumont et de Margueritte Labrousse elle fut placée dès l’age de 14 ans comme servante dans une grosse ferme des environs.

Les années passèrent, ses parents moururent de bonne heure et elle se retrouva orpheline à la merci du premier venu .

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Chadurie département de Charente

Elle devint l’amante d’un journalier qui l’entraîna sur la commune de Chadurie en 1821. Elle trouva à se placer comme servante chez Jean Vergeraud au village de la Meulière.
Elle s’y trouvait bien même si son journalier  l’avait abandonnée pour se marier.
Sa condition ne prêtait guère à ce qu’un homme lui fit une demande en mariage.

Sa vie bascula en 1826 lorsqu’un vieux veuf de 61 ans la pressa de devenir sa femme. Le bougre ne lui était pas étranger car il était le beau frère de son patron. L’union se prépara à son insu, elle avait toujours subi et cela continuait.

Son mariage eut lieu avec Jean Perrot le 31 octobre 1826 à Chadurie ( Charente ). Si le vieux pensait trouver une vierge, il fut déçu.

Le statut social de Marie augmenta, de servante, elle passa cultivatrice. Mais les villageois reprouvaient cette union et elle fut mise à l’écart.
Elle s’accoutumait du reste fort bien de cet ostracisme. Les années passèrent, la vigueur de Jean diminuait et le devoir conjugal s’espaçait au plus grand plaisir de Marie.

Un jour qu’elle accompagnait son mari chez un gros fermier du coin elle aperçut dans une armoire entr’ouverte des mouchoirs brodés. Seule dans la pièce elle s’en saisit pour les admirer et les toucher. Elle n’avait jamais rien vu d’aussi beau ni d’aussi doux.
L’entrée inopportune du propriétaire lui fit glisser les mouchoirs dans son corsage.

Deux jours plus tard, sa vie bascula, 2 gendarmes montés venus d’Angoulême vinrent la chercher.
Attachée elle traversa le village sous les regards haineux de la population. Les propriétaires des mouchoirs avaient porter plainte pour leur disparition.

Nul n’intervint pour elle, son mari honteux ne sortait plus.

Elle fut condamnée à 1 an et un jour de prison pour le vol de quelques mouchoirs, la justice pour les pauvres gens en le règne du roi bourgeois Louis Philippe était dure et expéditive.

Elle ne pût se défendre, elle avait bien pris les mouchoirs.

Elle resta 3 mois à la maison d’Angoulême puis fut transférée à la maison centrale de Limoges.
Sa vie fut brisée, son mari l’abandonna et mourut l’année suivante. Son nom ne fut même pas mentionné dans l’acte de décès de son mari.

Elle disparue socialement après avoir purgé sa peine jour pour jour, à cette époque aucune remise de peine pour bonne conduite n’était accordée.
A sa sortie elle revint à Chadurie pour implorer son mari de la reprendre, ce fut en vain car il venait de mourir.
Elle ne pouvait rester dans ce village, pas de famille, pas de travail, 2 solutions s’offraient à elle, le vagabondage et la prostitution. Finalement elle se fixa sur Angoulême où elle se mit à la colle avec un ouvrier qu’elle avait entre aperçu pendant son incarcération.

Nota : Mes sources sont les registres d’écrou des prisons de Charente, une vraie mine d’or, description physique et vestimentaire précises. Véritable reflet de la société pré industrielle, les peines infligées au regard des faits sont d’une lourdeur terrible. Victor Hugo, dans les  »misérables  » n’a rien inventé ni exagéré.