L’automne se passe, il n’y a plus de titres de noblesse, mais il y a toujours une différence entre les riches et les pauvres. La soudure entre les deux récoltes a été difficile, beaucoup de ventres creux, Maman ne s’en sort qu’à peine avec les deux petits, d’autant que mon frère s’est envolé on ne sait où, l’armée, l’aventure. Un soir il n’est pas revenu, Maman est inquiète et pleure parfois.
La révolution est-elle terminée, le roi a cédé, il paraît même qu’un de ses frères est parti en exil.
Nous sommes maintenant le département de la Seine et Marne, moi cela ne change rien pour mes bêtes sauf que maintenant je pâture aussi bien dans le département de la Marne, dans l’Aisne que dans le notre. Même terre, même eau, même herbe et toujours le sentiment que je suis libre comme l’air.
Marie Jeanne va se marier, bien lui en fasse, elle m’a déniaisé, je l’en remercie. Par contre je n’aime guère son air narquois qui me rappelle mon manque d’expérience. Peut-être qu’un jour je lui montrerai une autre facette de moi même. En attendant mon univers féminin est assez réduit, ma mère, ma petite sœur. J’ai appris par hasard que ma sœur ainée s’était mariée à Boitron voilà bientôt trois ans. Je lui en veux, pourquoi ne pas m’avoir invité, je suis son petit frère.
En attendant de trouver une compagne, mais bon j’ai le temps, je pense donc à Marie Jeanne, cela ne me fait pas de mal malgré qu’elle m’ait quitté.
Au fait le curé ne tient plus les registres paroissiaux, mais est devenu officier d’état civil. On parle qu’ils vont devenir ce qu’on appelle des fonctionnaires et qu’il devront prêter une sorte de serment. Le père Blost n’est pas enthousiaste et la population se ceint en deux camps. Moi je n’en ai rien à foutre que les curés soient payés par l’état ou par notre dîme. De toutes façons c’est toujours nous qui payons.
La prêtraille s’était vue confisquer ses biens en 1789, il convient de les vendre pour assécher le déficit. C’est la vente des biens nationaux, une belle empoignade, les lots sont bien gros pour les bourses des petits paysans, alors ce sont les bourgeois des villes ou les gros laboureurs qui se gavent de biens et de terres. Nous autres c’est écrit, on crèvera toujours de faim et on ne possédera que notre pauvre chemise déchirée.
En 1791 on recrute des volontaires pour les armées, moi mon patriotisme n’est guère marqué et je préfère m’occuper de l’agnelage de mes moutons, je suis certainement plus qualifié pour cela que pour le maniement du fusil.
Au printemps 1792 c’est la fête au village, nous les patriotes comme dans toutes les communes de France on décide de planter un arbre de la liberté. C’est une belle fête, un magnifique peuplier fait l’affaire, avec les filles du village on danse autour, on va boire aussi quelques chopines à l’auberge de Vilcoq. Je n’ai pas l’habitude, moi je suis plutôt lait de brebis. Je suis saoul, c’est aussi une première, c’est comme l’amour, un sentiment bizarre, une impression de bonheur. J’ai vingt ans, je n’ai d’yeux que pour Marie Marguerite Fauvet, rien que de lui tenir la main pendant une ronde j’en ai la boule au ventre. Toute la journée je la bois des yeux, je la dévore du regard. Mon esprit n’est pas de toute pureté, c’est une sensation animale, mon esprit se brouille un peu.
Je me promets de l’embrasser avant la fin de la journée, mais acceptera-t-elle? Il faut être prudent les frères surveillent, ils n’accepteraient certainement pas qu’un galeux de berger embrasse une fille de tisserand et qui de plus est maitre d’école.
Moi je ne sais ni lire ni écrire, je n’ai pas d’argent, je n’ai pas de terre, ni de métier à tisser. Je n’ai que mes yeux bleus. C’est suffisant pour séduire une fille mais pas les parents.
Avec la belle on s’écarte un peu, elle est sous mon charme mais que me donnera-t-elle?
Elle me donne un baiser qui sent la pucelle, c’est prudent et maladroit. Moi je joue un peu le vieil habitué, ce que je ne suis pas d’ailleurs.
Quelques baisers, des caresses timides c’est tout, la forteresse ne sera pas facile à enlever.
La situation se dégrade en France, la guerre menace, le roi la veut, les étrangers la veulent, l’ immigration la veut, les Girondins de l’Assemblée législative aussi. La reine trahit.
Les éléments vont se précipiter, un mouvement insurrectionnel se forme à Paris, une commune se forme et organise l’attaque des Tuileries. La royauté n’est plus, la nouvelle nous arrive à Hondevilliers le lendemain, il y a eu des massacres, les suisses de garde au château on subit les pires ignominies.
Nous sommes hébétés mais qui va diriger le pays, au fond de nous même nous sommes tous royalistes, on ne connait rien que le roi sacré.
La tension monte rapidement dans le village car les opinions divergent, on en vient aux mains.
Ce soir là je me bagarre avec des garçons meuniers, ils ont le dessus et je suis amoché, Marie Marguerite me voit sanguinolent et m’essuie le visage avec son mouchoir. Je m’abandonne à ses soins, c’est merveilleux, j’oublie ma douleur. Nos visages se rapprochent et nos lèvres se joignent. A-t-elle envie de moi comme j’ai envie d’elle?
Maintenant je la caresse, elle se laisse faire, mes mains remontent sa robe, je sens la chaleur de sa peau. Je la découvre peu à peu, ses jambes sont blanches, elle me repousse subitement en baissant sa robe. La rudesse du refus me fait perdre contenance et je me sauve.
Le lendemain je me porte volontaire pour partir aux armées, c’est mon devoir. Ma mère pleure et s’inquiète de ne plus avoir mes gages. Je lui abandonne ma prime d’engagement.
Puis les jours qui suivent tels de longs serpents, nous glissons le long des chemins pour monter aux frontières. Nous sommes les dépenaillés de la république, pieds nus, presque sans chemise sur le cul . Nous chantons la chanson des fédérés marseillais, cela nous entraine. Au bivouac on se raconte les massacres dans les prisons françaises, on rigole lorsqu’ un parisien nous raconte qu’un dénommé Brune c’est fait des moustaches avec les poils du conin de la Lamballe, une des catins de l’Autrichienne. Je dois dire que nous ne sommes pas exemplaires, le ravitaillement ne suit pas alors parfois on brusque un peu les habitants du village. Parfois il y a des rixes, avec l’alcool certains bousculent les filles. On dit même que parfois certaines sont forcées. Puis des grandes villes viennent des filles, ceux qui ont un peu de sous en profite, moi comme je n’ai rien, je suis à l’abri de toute tentation. Beaucoup se repentissent de leur coupable abandon car ils se retrouvent avec des sacrés chancres sur le vié. On se fout d’eux, mais certains disparaissent à tout jamais victime de cet ennemi invisible.
La France est gouvernée par la convention Nationale et par son émanation le comité de salut public.
On entend parler maintenant de Robespierre et de Saint Just mais la véritable gloire est un avocat d’Arcis sur Aube le nommé Danton.