LE ROMAN DES MORTS, Épisode 24, une routinière monotonie

La routine s’installe au Gué d’Alleré printemps 1915

Au gué d’Alleré la vie continue, le petit de Benjamin et d’Adélia semble vouloir passer le cap des premiers mois, il se prénomme André et n’a toujours pas vu son papa.

Adélia tourne en rond, les économies fondent comme neige au soleil, en ce moment elle réunit quelques victuailles pour un colis, sa famille l’aide à le remplir. Tant qu’il est à La Rochelle elle ne s’inquiète pas. Mais elle sait maintenant que la situation privilégiée qu’il a ne va pas durer, Edouard Tirant a bien été rappelé au front, alors pourquoi pas lui.

Les hommes n’ont pas le droit aux permissions, celle qu’il avait obtenue était tout à fait exceptionnelle. Pourtant on dit que des hommes vont revenir pour le travail dans les champs.

Gougaud s’inquiète pour sa fille, elle est complètement anémiée, absente, distante. Même avec sa sœur qui pourtant lui est proche elle ne communique plus.

Il décide de l’emmener voir un docteur de sa connaissance à la Rochelle.

Denise, elle ne quitte guère son lit, elle rêve la vie qu’elle aurait pu avoir avec Marcel.

Son père lui aurait fait une situation, lui aurait légué ses terres. Elle sent sa main sur sa cuisse, pourquoi n’ont- ils pas été plus loin. Le hasard, la destinée, si Dieu l’avait voulu elle aurait pu porter en elle un petit être. Mais maintenant elle est seule, sans homme, sans avenir, gardant une blessure de l’âme qui,elle sait, ne guérira jamais.

Quand à Marie Chauvin la gouvernante, plus dure, plus réaliste, elle commence à faire le deuil de son unique amour, de son unique amant. Pendant un moment , elle a cru qu’elle portait, cela aurait créé un beau scandale, madame l’aurait chassée.

Mais maintenant c’est du passé, Marcel est mort et elle fait le serment qu’il sera le seul. Elle reprend ses habitudes, l’office, le linge, des menus travaux agricoles à la métairie et de longues discussions avec madame Boutin. Chaque jour elle s’efforce de venir la voir, elles ne parlent pas du disparu mais des difficultés du moment.

La famille a du se séparer d’un bœuf, le père l’a conduit à la gare comme s’il conduisait le corbillard de la commune. Le pauvre homme se demande bien comment il va labourer. La solution viendra sûrement de la mise en commun des moyens avec un autre pauvre malheureux.

D’ailleurs si certains tremblent pour leur avenir matériel, d’autres se frottent les mains. Les Michaud, vendeurs de chevaux font fortune. Leur domestique de ferme va même en chercher en Vendée, les affaires sont florissantes.

Loetitia vient de recevoir une lettre de son mari, il n’y a rien de bien folichon, il est toujours malade et rien est fait pour qu’il guérisse. Le besoin en hommes est trop grand pour qu’on mette au repos ceux qui sont malades. Elle est très inquiète, car les lettres de son homme sont plutôt joyeuses d’habitude, alors que là elles sont d’une tristesse de tombe.

Vivement qu’il revienne ce foutue grincheux qu’on s’engueule de nouveau se dit-elle.

Benjamin vient de quitter la Rochelle, il rejoint les lignes arrières du front, rien de bien inquiétant mais la nouvelle terrorise la nouvelle maman. Elle se dit que jamais Benjamin ne verra le petit André. Puis elle se raisonne en se disant que l’artillerie se trouve loin de la zone des combats.

Son père est moins confiant et lui explique que les artilleries de chaque camp, tentent de se neutraliser.

Loetitia se ronge les sangs, la dernière missive de son mari est incohérente, il lui parle de vigne, de vendange, de phylloxéra. Elle ne comprend pas, la vigne d’Edouard n’est plus qu’une poussière du vignoble d’autrefois, deux rangs de vigne en lanière, coincés parmi d’autres. Il est loin le temps de la prospérité vinicole du village, d’ailleurs il ne la pas connu, alors pourquoi lui parle t’ il de cela, pourquoi il ne dit rien sur sa vie là- bas, sur sa santé. Elle avec ses mots tente de lui d’écrire l’atmosphère étrange du village, lui fait part de ses doutes et de ses envies. Elle trace avec application les cursives, les pleins et les déliés. Elle se revoit avec l’institutrice derrière elle, des années plus tard elle se surprend à la craindre. Lui non, il évoque une nostalgie, une chimère que se passe-t-il?

LE ROMAN DES MORTS, Épisode 23, le rappel des vieux

Le rappel d’Edouard Tirant

Le printemps est bien là et l’activité dans les champs va se faire plus dense. Chacun à peur de la saison qui va venir. Le manque terrible et cruel de main d’œuvre va se faire sentir. Les femmes ne vont pas pouvoir suppléer à tout, elles se transforment en esclaves de la terre. Elles l’étaient déjà mais leur situation empire.

Certaines en profitent pour fuir la campagne et se faire embaucher dans des usines à la ville. Mais au Gué d’Alleré la plupart d’entre elles sont rivées à la glèbe familiale et bien peu d’entre elles songent à partir.

Mais les mauvaises nouvelles pleuvent comme à Gravelotte, des morts et encore des morts.

Pour peupler les tranchées, pour étoffer les régiments décimés par les saignées de 14, il faut de la chair et encore de la chair. La terre n’est pas rassasiée du sang de ses fils, encore et encore.

En avril 1915 on rappelle les classes plus anciennes.

Édouard tient sa feuille de route, il est effondré, sa femme, ses terres ou plutôt ses terres sa femme que vont t’ elles devenir.

Il pleure de rage , pour un peu il déserterait et partirait, avec sa besace et son fusil, attendre les gendarmes dans les marais.

Son départ comme ceux de tous les rappelés est lugubre, fini les flonflons, les fleurs et les embrassades frénétiques sur les quais de gare.

Il est sur la quai de gare du village, avec Loétitia. Hier soir ils ont fait mécaniquement l’amour, sans joie, sans entrain, un au revoir charnel où bien même un adieu.

Édouard se morfond, il a un mauvais pressentiment, en a fait part à sa femme. Mais elle ne croit pas à ce genre d’intuition et lui dit à bientôt mon grand couillon.

Il s’éloigne maintenant dans la fumée de la motrice, on entend encore le bruit qui fuit dans le lointain, puis le silence. Les oiseaux du marais et du ruisseau reprennent leur chant, le cantonnier reprend son balai et au loin on voit les jupons des femmes qui s’agitent dans les champs.

Edouart Tirant au front

Après maintes et maintes péripéties de voyage, trains ralentis, convois déviés, et longues marches, il arrive enfin au terme de son voyage.

Les soldats régulateurs dans les gares font un excellent travail et par miracle les hommes arrivent de leur campagne profonde pour retrouver leur régiment dans des campagnes non moins profondes que celles qu’ils ont quittées.

Édouard rejoint le 138ème régiment à Griscourt près de Toul. Ils sont au repos ainsi la transition est moins dure pour lui. Le repos ne signifiant pas de ne rien faire, les hommes travaillent dans les bois à la convection de rondins et de claies pour les tranchées. Il fait encore froid et l’humidité est encore très forte aux petites heures matinales.

Dès le 23 avril les compagnies sont réparties dans les tranchées de Fey en Haye.

Une dure réalité s’installe, il pleut et tous pataugent dans la gadoue. La nuit n’est pas réservée au sommeil, on consolide les positions. Édouard se transforme en une sorte de machine. Le jour les boches bombardent sans arrêt pas moyen de dormir dans les cagnas. Le bruit est terrible, tout tremble. Les gars de garde rentrent transis de froid, trempés comme des souches. C’est le tour d ‘Édouard, il est ivre de fatigue, ses pieds crottés pèsent des tonnes. Il tente de penser à Loetitia, à ses terre que bientôt un étranger devra moissonner à sa place. Au bout de quatre heures il rentre frissonnant et se couche dans sa bannette. Il a maintenant froid, son front est chaud, la sueur mouille son tricot de corps et son long caleçon.

Mais bientôt il faut recommencer, garde, travaux de nuit, jeux de cartes, repas amenés par la corvée de bouffe, puis on recommence.

Il est sûr, il a de la fièvre, il tousse.

On l’envoie voir le major. Après plusieurs heures d’attente, le médecin lui donne un sirop. Il a des consignes, pas de tire au flanc, à la tranchée, au combat à la mort.

Il fait toujours un temps détestable, Édouard tousse de plus en plus, il n’est plus que l’ombre de lui même. La fièvre embrase ses chairs.

Le 27 avril le régiment est relevé et part en réserve d’armée à Gondreville près de Toul.

Enfin du repos ou presque, nettoyage, exercices, menus travaux, mais du moins il n’y a plus de bombardement ;

Édouard pense se refaire une santé, d’ailleurs il se sent un peu mieux. Mais finalement il s’illusionne, une matinée d’exercice il est épuisé. On le renvoie à l’infirmerie, mais comme la première fois il est renvoyé. Le médecin n’est guère sympathique et lui dit que la toux n’empêche pas de combattre.

Il vient de recevoir une lettre de sa femme, cela le rassure un peu, elle lui dit qu’elle n’a plus ses menstrues et qu’elle est pleine d’espérance. Un petit héritier Tirant, il a hâte après toutes ces années d’attente.

Le 3 mai, ils sont passés en revue par un général de corps d’armée, ils attendent des heures et des heures. Debout, sans boire, sans manger, certains s’écroulent, Édouard tient car le corps médical le tient à l’œil. Pour peu il passerait pour un tire au cul.

Le 6 mai le régiment change de cantonnement et se rend en automobile à Commercy, pour la plupart c’est leur premier voyage en véhicule à moteur.

Nouvelles corvées de bois, gabions, fascines, claies, on se croit au temps de Napoléon .

Puis de nouveaux exercices, c’est pour l’hygiène et la discipline. Pour cette dernière parlons en, les soldats sont plein de poux, et certains ont même des morpions.

Édouard habitué à faire ses besoins au grand air a du mal à s’accommoder des feuillés,chier en société fut-elle de qualité ne le satisfait que moyennement.

Il tousse encore, cela lui fait mal, il crache même du sang. Ce n’est rien, et encore rien. Une langueur lui vient, les journées sont dures pour lui. Les copains essayent de faire sa part de corvée pour qu’il se repose mais tout est vain, Édouard se délite.

Il vient de recevoir une courte carte avec la photo de Loétitia, qu’elle est belle et sérieuse, droite, la main posée sur une sellette dans sa plus belle robe. Elle n’est finalement pas enceinte, fausse alerte, espoir encore une foi disparu.

Le 11 mai le régiment renoue avec les tranchées de première ligne, et cela recommence, garde, froid, pluie. Vraiment une région pourrie, au Gué d’Alleré le froment doit être déjà bien levé. Il espère que Loetitia s’occupe bien des bêtes, cela n’a jamais été son fort les animaux.

Un soir il s’endort à son poste de veille, un lieutenant le surprend, cela peut le conduire au conseil de guerre. Mais devant son état, l’officier a pitié et ne dit rien.

Les nuits des 12 et 13 mai sont ponctuées de fusillades, il n’y a pas de perte mais le sommeil s’en ressent, des êtres sans vie peuplent les tranchées, tout se fait par habitude. Les périodes de repos ne sont pas suffisantes au bout de deux jours tous sont de nouveau exsangues.

Édouard cauchemarde, il se bat contre des ombres, délire de fièvre, tousse. Enfin un officier prend conscience qu’il ne peut rester, il fait un mot pour le major. Hélas celui ci est relevé et part sur l’arrière avec le mot dans sa poche. Le nouveau veut voir et reporte sans cesse son renvoi. Se lever, se traîner, se soutenir, il ne mange plus guère. Les copains se partagent sa gamelle avec plaisir. Curieusement les cigarettes adoucissent sa toux. Encore des travaux, encore des fusillades et de la canonnade, les journées font des années. Jamais ils ne sortiront d’ici.

Il pleut toujours, comme un mois de novembre. Il va se passer quelques choses, les Allemand intensifient leurs tirs.

Le 23 mai nouvelle relève, le temps vire au beau, du froid on passe à une chaleur épouvantable, de la terre naît une vapeur qui monte comme un fort brouillard.

Le 138ème s’installe encore, on dirait que le temps passe à s’installer.

LE ROMAN DES MORTS, Épisode 22, Alors que les pères meurent, des enfants naissent

Loetitia Coudrin épouse Tirant

Mon dieu, c’est une foutue réputation qui est entrain de lui naître à Loetitia. Elle n’a encore rien fait de compromettant . Elle n’a jamais trompé son Édouard.

Que va donc imaginer cette peste d’Adélia, oui elle a discuté avec le petit André, peut être a t ‘elle joué un peu avec lui. Mais il n’ y a pas de mal, elle ne lui a pas volé son mari. D’ailleurs il n’a guère d’allure dans son uniforme ce prétentieux.

Pour sûr Loetitia si elle n’a rien fait et a bien cela pour elle,n’est pas tout rose pour autant qu’on puisse lui imputer le désir de le faire. Oui si son foutue bonhomme n’est pas capable de lui faire un drôle elle ira ailleurs.

Mais que son attitude ai pu suggérer une inconduite elle ne le pensait pas.

Il y a bien aussi le Vérité Denis à qui elle a fait du gringue, oh trois fois rien comme une ligne qu’on lance pour voir si le poisson va mordre.

Ce qui était sûr c’est qu’elle se sent femme et qu’elle veut un petit, ce qui est sûr également c’est qu’elle se sent encore capable de séduire, malgré le temps qui file et les outrages d’une vie trop dure.

C’est certain elle aimerait être habillée à la mode de Paris comme les deux filles du château, mais avouons le ce n’est guère pratique pour traire ou manier la fourche à fumier. Il paraît qu’à la ville l’eau arrive dans les maisons, il paraît même aussi que l’électricité change le quotidien des gens .

Ici rien de tel, même Gougaud le plus riche n’a rien de tout cela, l’eau il faut la puiser, alors vous pensez bien qu’on en fait pas une consommation importante. D’ailleurs le tas de fumier des voisins pollue le puits, des fois l’eau est maronnasse et pu la merde.

Cela ne gène nullement Édouard, il ne boit que du vin et se lave rarement.

D’ailleurs il est là courbé sur ses pieds de vigne, amoureux de ses ceps et les caressant mieux que les galbes de Loétitia. Pour un peu il les embrasserait et les enlacerait. Elle ne donne qu’un alcool médiocre mais cette lanière de terre qui monte sur le coteau du fief Godon, il en est fier et jamais ne s’en séparerait.

Le père Gouraud qui se croit le seigneur des lieux a bien essayé de remembrer et de regrouper toutes ces poussières de parcelles. A son profit bien sûr, mais Édouard comme les autres ont résisté et préférerait de se séparer de sa femme que de ses foutues pieds tordus.

Ce n’est d’ailleurs pas avec ses maigres vignes que Loétitia et lui pourraient vivre, ni d’ailleurs avec le reste de leur terre. Non ils jouent tous les deux les journaliers, se crevant pour Gougaud, se crevant pour Petit ou bien pour cet avare de Michaux.

Indifférent à ce qui se passe au loin, faisant abstraction des copains qui sont au front, lui fait le buté et ne pense pas qu’un jour il puisse être appelé.

La naissance du petit de Benjamin

Pour la énième fois, Adélia pénètre dans l’atelier de son mari, tout est bien en place, les outils trônent en majesté, immaculés et dans un ordre d’horloger. On pourrait y manger par terre, Benjamin a tout nettoyé, tout graissé. Marteau, clou, varlope, vilebrequin attendent le retour du maître de séant.

Elle a du vague à l’âme, elle se sent responsable du départ de l’apprenti et du silence qui règne ici. Soudain, un liquide s’écoule entre ses jambes, elle sait ce qui lui arrive, elle a déjà été mère.

Elle a mal, son ventre se contracte, il faut qu’elle rentre chez elle, et qu’elle fasse appeler la sage femme.

En sortant elle voit Marie Louise Turquois la cafetière, celle-ci comprend et aussitôt elle envoie son fainéant de fils Marcel chercher Madame Giraud.

Il la trouve chez elle à trier la vaisselle que son mari vend, les affaire du vieux marchand de vaisselle ne vont d’ailleurs pas bien fort et le complément de salaire que lui procure les accouchements met du beurre dans les épinards.

Estelle fait cela depuis fort longtemps et la majeure partie des enfants du village est arrivée entre ses mains. Benjamin dit souvent qu’avec tous les derrières que la mère a vus, il pourrait se constituer un beau harem.

Du fait de ses soixante dix ans elle a une longue pratique. Elle connaît tous les secrets du corps des femmes et l’on dit que parfois elle pratiquerait ce que la loi et le curé défendent par dessus tout. C’est sûrement des on dit, car cette savante femme est chrétienne .

Elle arrive promptement, se lave les mains et examine Adélia. Aucune chaleur ne ressort du diagnostique, elle est avare de parole. Le col est bien ouvert, en position presque assise le travail se poursuit.

Aimée la petite âgée de six ans n’en perd pas une miette, elle voit sa mère souffrir, hurler, souffler. Elle la voit aussi appeler Benjamin son père.C’est un lit de souffrance, cela dure et dure encore. La sage femme s’impatiente, s’essuie le front, demande de l’eau, demande même un verre de vin. Elle se décide enfin à appuyer sur le ventre d’Adélia. Cela va mal finir, pour sûr un médecin serait peut-être nécessaire.

Anne Tiffreau est venu aider en voisine, la vieille Mélina Rouhault également. On fait quérir la famille. Bientôt la pièce est noire de monde, presque un accouchement public. Madame Giraud s’agace et fait sortir du monde.

Puis en un dernier effort, une dernière poussée, la tête du bébé apparaît, il a des cheveux. Pousse , pousse, la sage femme tire doucement l’enfant à elle. Enfin il est là, aucun hurlement, serait-il crevé. Suspendu par les pieds elle lui met une petite tape. Un vagissement, il est bien vivant, gueule maintenant à tout va, c’est un garçon.

On dépose la larve sur le ventre de la mère, elle est épuisée mais heureuse. Elle charge son père qui vient d’arriver d’envoyer un télégramme pour prévenir Benjamin.

Il rechigne un peu car il doit courir à Saint Sauveur d’Aunis, mais s’exécute tout de même.

LE ROMAN DES MORTS, Épisode 21, les croix de bois d’Alexandre

Alexandre Drouillon et les croix de bois

Alexandre le cul dans l’herbe, appuyé le long de la roue de la voiture, fume sa énième cigarette. Cela l’apaise, le tranquillise, il est fatigué de tout cela. Ses nuits sont peuplées de cauchemars. La nuit dernière encore, il a senti la main de ce pauvre type qui les tripes à l’air agonisait dans sa carriole. D’un regard suppliant il lui tendait une lettre chiffonnée, griffonnée à la hâte et maculée de sang. Il lui confiait la dernière missive qu’il avait reçue avant de recevoir ce funeste éclat d’obus qui lui avait ouvert le ventre. Maintenant cette lettre il l’avait dans sa poche au niveau de son cœur. Le sang avait séché mais il savait qu’il avait été la dernière vision du pauvre gars et il ne pouvait s’empêcher d’y penser.

Puis pour faire pendant à cette vision il y a l’odeur de mort qu’il sent maintenant partout, celle des chevaux gonflés les pattes en l’air, celle des copains qui semblent bouger sous l’effet des asticots qui s’en repaissent.Il y a aussi la flagrance piquante du gaz moutarde puis la fumée des charpentes calcinées. Alexandre tire sur sa clope et voit en rêve des enfants, qui il y a peu jouaient dans ces jardins ravagés, il voit dans les maison ouvertes béantes des couples qui font l’amour, il voit des vieux cassant des noix et lisant journaux à la chaleur de leur cheminée. Oui il voit tout cela.

Ses cauchemars ne sont pas que nocturne, ici maintenant alors que d’autres font abstraction et jouent à la manille ou lisent une lettre de leurs parents; lui, il entend le vol noir des corbeaux sur la plaine qui s’abattent sur les viandes pourrissantes des soldats morts des deux folles armées. Il croit entendre les coups de bec de ces fossoyeurs noirs qui font éclater les yeux sans vie des morts sans sépulture.

Oui il les a vus, ces fous d’oiseaux que rien n’arrêtent et qui chassés sans cesse reviennent et reviennent encore. Ces voleurs de chair vous disputent vos troupes aussi sûrement que la garde du Kronprinz.

Mais ce qui hante le plus Alexandre ce sont les croix qui surgissent partout dans le paysage aussi sûrement que des champignons après une pluie d’automne ensoleillé.

Toutes identiques, il en frémit, toutes pareilles vous dis-je, fichées sur un monticule de terre, terrifiantes et dérisoires. Alexandre à tous moments s’attend à ce que la terre s’ouvre, qu’un livide cadavre prenne ce dérisoire repère et le brandisse. Ces croix de bois qui avancent, il en crève.

Un coup de pied dans ses godillots le tire de sa torpeur, ils doivent aller à l’arrière chercher leur lot de mort. Les troupes de l’avant vont en manquer. En avant et encore une fois le convoi s’ébranle, les chevaux pour l’instant semblent tranquilles mais lorsque viendra le moment où ils rejoindront les lignes eux aussi sentiront la mort et leur destin leur échapper.

Depuis le mois d’août il en a fait du chemin, plus qu’il n’en a jamais fait. La Belgique, la retraite sur la Marne, l’ avancée sur l’Aisne et la course à la mer.

Il en faut des kilomètres de convois pour nourrir les troupes, nourrir les canons, nourrir les hôpitaux mais aussi les cimetières . C’est harassant, il n’est plus le forain du Gué d’Alleré mais plutôt un romanichel qui erre d’un bivouac à un autre. Alexandre finalement ne se plaint pas, il en a de la chance, il ne sort pas au coup de sifflet de ces maudites tranchées. Il ne doit pas baïonnette au fusil se jeter sur des mitrailleuses. Il ne doit pas attendre des heures sous des bombardements incessants. Il ne doit pas non plus dormir dans la boue fangeuse des vallées crayeuses de Champagne. Il ne doit pas craindre les tireurs isolés qui jusqu’aux feuillées vous foudroient.

Non, lui il chemine caressant l’encolure de son complice, mais il se retourne et voit encore et encore ces foutues tombes et ces maudites croix de bois.

LE ROMAN DES MORTS, Épisode 20, des morts, des blessés, des prisonniers, la guerre s’installe pour durer

L’année se termine maintenant, malheureusement le maire a eu le désastreux privilège d’annoncer deux autres décès.

Lorsqu’il a annoncé à Joséphine Roy le décès de son fils Fernand Néraudeau il n’en menait pas large et redoutait que se déroule la même scène que chez les Boutin. Il n’en fut rien Joséphine veuve impénétrable épaulée par sa fille Angèle ne cilla pas et resta d’une dignité de marbre. Gougaud surpris crut qu’elles avaient mal compris et leur répéta. Le courage qu’elles eurent le stupéfia. Il faudrait qu’il pense à leur faire accorder une aide par le conseil municipal. Il n’avait que 25 ans et pour l’instant son corps repose à Verneuil dans l’Aisne là où la mort l’a fauché.

Quelques temps après ce fut le tour de Daniel Gillet le fils d’Eustache et de Mélanie, soldat au 107ème régiment d’infanterie, mort à Jonchéry le 30 octobre . Les parents restèrent dignes. Mais il vit bien que le ressort de la vie s’était brisé chez eux.

Il en souffrit énormément.

En fait il ne quittait plus son bureau de la mairie, aux morts vint s’ajouter l’annonce des blessures et de ceux qui furent faits prisonniers.

Pour sûr c’était moins pénible, le premier blessé était Camille Boisson, deux balles de schrapnel à la hanche et au coté droit au combat de Montmirail, Pierre et Eugénie les parents avait déjà eu des nouvelles et Camille allait beaucoup mieux.

Le maire en faisait des cauchemars, Gaston Plisson lui aussi à Craonne blessé au mollet par un éclat d’obus, il garda sa jambe et put repartir au combat.

Pour les prisonniers ce fut plus simple, les parents furent soulagés de les savoir vivants, la guerre était terminée pour eux , ils reviendraient bien un jour.

Camille Arsicourt et Lucien Savary furent tous les deux conduits à Amberg en Bavière après avoir été pris à Rossignol en Belgique.

Quand à Abel Coudrin il se retrouva à Haasel au camps de Soltau dans la province lointaine du Hanovre, cela fit sourire le maire de voir André le père réagir en disant que là bas il saura bien s’occuper des vaches des boches et des greetchens qui les traient.

La famille de Camille Hillaireau avait entre temps apprit que leur fils Camille était hospitalisé à Bergerac après l’ablation de l’annulaire.

Quoi qu’il en soit le maire a l’impression que ses déplacements sont épiés et commentés, et que ses administrés le fuit comme la peste. Il est le porteur de mauvaises nouvelles, le corbeau qui plane, il est l’assistant de la grande faucheuse.

En cette nouvelle année il règne donc une atmosphère bien spéciale, lui il croule sous les tâches, la mairie mais aussi sa métairie. Puis évidemment les affaires sont les affaires, en bon négociant d’eau de vie, il flaire les bons contrats avec l’armée.

Le pinard et la gnôle sont comme l’artillerie, le soutien du fantassin.

Il est donc harassé et aussi inquiet de sa fille au point qu’il fait venir un médecin.

Comme de juste il ne lui trouve rien mais à ce rythme de dépérissement elle va bien attraper quelque chose.

Le docte homme en déduit que ce sont des langueurs de femme et un mariage lui ferait peut-être du bien.

Gougaud s’interroge comment trouver un mari au milieu d’une pénurie d’homme. C’est comme vouloir trouver un journalier qui veuille travailler pour un prix raisonnable.

La permission de Benjamin.

Benjamin Sorlin de la guerre pour l’instant il n’en avait rien vu, semblant être oublié en la place de La Rochelle. Il avait vu partir le 123ème, avait assisté au rassemblement sur la place d’armes, mais depuis il s’ennuyait à mourir.

Être au loin et ne pas voir les siens est une chose, mais être au près et ne pas les voir non plus tient du martyr.

Pas de permission, alors qu’en 4 heures de marche il aurait pu surveiller l’évolution de la grossesse de sa femme.

Adélia souffre et peine, elle ne peut plus rien faire elle même, aller chercher du bois, puiser de l’eau devient impossible. Elle est obligé de commander à l’apprenti.

Mais celui-ci rechigne, joue l’important et ne regarde plus sa patronne comme il devrait la regarder , mais plutôt comme si elle était devenue sa possession.

Son travail laisse même à désirer et beaucoup de clients s’en plaignent, Benjamin à ce train va perdre sa clientèle. La porte de l’atelier va devoir fermer c’est sûr à moins qu’on trouve un ouvrier. Rien de plus difficile, car il n’est pas le tout de le trouver, il faut encore pouvoir le rémunérer.

Un jour, Adélia péniblement rentre de l’épicerie et trouve attablé le jeune André un verre de fine à la main. Elle lâche le panier de surprise, il n’est pas seul.

La grande bringue de Loétitia est là en pleine causette. N’a t-elle pas honte cette traînée de jacasser comme une lavandière avec un gamin d’à peine dix huit ans.

Depuis que son homme est au front, cette furie se libère de toutes chaines, des bruits courent à son sujet. Le cul lui chauffe, ses volants sont souvent soulevés. Vieux, jeunes, beaux, laids, les discussions vont bon train.

Il lui vaudrait une bonne volée à cette voleuse, cette charmeuse, cette femme de rien qui visiblement c’est donnée comme mission de déniaiser tous les puceaux du village.

Loetitia ne souhaite visiblement pas s’attarder et André se lève d’un bon. Les deux femmes se souhaitent le bon jour d’un ton glacial. Adélia n’a pas même le temps de lui demander le pourquoi de sa présence, elle se sauve.

Quand à l’apprenti, elle n’en veut plus à la maison et se met immédiatement à écrire à Benjamin.

Mais à peine assise , elle entend quelqu’un frapper à la porte. Cette façon de faire bien particulière est celle de son homme, ce n’est pas possible. Mais si c’est bien lui, la porte s’ouvre, il est là magnifique en uniforme. Elle lui saute au cou, lui la soulève , la bise comme du bon pain. Il l’a fait tourner maintenant pour voir son gros ventre.

Le bonheur est trop fort, elle pleure et déverse d’un coup tous ses soucis, ses peurs et ses craintes. Il la réconforte comme il peut, il est gauche, maladroit, peu habitué à ce genre d’épanchement sentimental.

Pendant qu’elle lui concocte un repas de fête , lui rejoint son atelier. C’est un bordel indescriptible, les outils ne sont pas rangés, ils sont mal aiguisés. Visiblement le nettoyage n’est jamais fait, des copeaux et de la sciure trainent en abondance au sol.

André est surpris à bader aux mouches, la colère de Benjamin est terrible, un roulement de tonnerre , une crue soudaine, un feu de meule de foin. Il a les yeux révulsés d’un tueur, ferme ses poings, il va le tuer c’est sûr.

La silhouette de Loetitia qui se profile le calme aussitôt, il n’a finalement qu’une parole.  » fout moi le camps  ».

L’apprenti prend sa besace et s’en va, Benjamin prend un balai de paille et nettoie avec amour son atelier , son lieu de vie. Il y passera sa permission, Adélia assise, le regardera avec fierté. Elle aurait aimé que son petit naisse en la présence de son mari, mais la mère Giraud qui l’a examinée lui a dit qu’il fallait encore attendre un peu.

Dormir dans des draps blancs auprès de sa compagne, Benjamin en rêvait, certes l’état avancé de sa grossesse ne leur permettent pas un rapprochement intime, mais sa seule présence est déjà réconfortante. Il dort comme un bébé, la tête d’Adélia dans le creux de son épaule.

Le lendemain il repart, ne sachant quand il va revenir.

LE ROMAN DES MORTS, Épisode 19, Les piliers de l’arrière

La rentrée des classes 1914

Mais il faut bien que la vie continue, la jeunesse doit être instruite. Martial Billeaud dans sa blouse grise attend que tous s’alignent devant lui. Il les aime bien ces têtes à poux, c’est son sacerdoce à lui et il se délecte de chaque rentrée. Il en connaît la plupart, la commune est petite et c’est une classe unique. Certains, les meilleurs vont être poussés vers le certificat d’étude et les autres iront rejoindre les fermes ou les ateliers de leurs parents. Les plus petits, ceux pour qui c’est la première rentrée hésitent, sont encore timides. L’un d’entre eux à la morve au nez et les sabots crottés. Les parents ont fait choix de la tonte, on dirait un bagnard. Cela fait rire Martial, il en a tant vu déjà.

Il a reçu des consignes de l’académie, il faut développer l’esprit civique des enfants , pour en faire de futurs soldats. Ils doivent devenir de parfaits patriotes et on doit leur inculquer l’esprit de revanche ainsi que le retour de l’Alsace et la Lorraine dans le giron national. Martial va suivre les consignes, il n’est pas de ceux pacifistes qui tenteront de saboter les instructions du ministère.

Déjà trône sur son bureau le nouveau livre de lecture qu’il va distribuer aux plus grands,  » Le tour de France par deux enfants devoir et patrie  » Mais des têtes pleines ne seraient rien sans les exercices du corps. Il ira donc sur le terrain derrière l’église pour les entraîner comme de vrais petits militaires.

Du coté de l’école des filles la maîtresse Léonie Lacour d’un regard bienveillant embrasse l’ensemble de sa classe. Ce n’est pas une débutante, elle enseigne depuis plus de 25 ans, mais elle ne se lasse pas de tenter de faire sortir de leur condition toutes ces gamines. Au fond d’elle même elle aimerait qu’elles s’émancipe de la tutelle de leur père, de leur futur mari et des hommes en général. Cela passe par l’instruction, cette rentrée est un peu particulière , leur père, leurs frères sont au loin. L’école doit les réconforter mais aussi les dresser à devenir les compagnes de ceux qui partent à la reconquête du pays. En plus des matières générales elles feront du tricot et de la couture pour envoyer quelques douceurs aux soldats du front.

Léonie constate encore cette année que les parents des filles du Gué d’Alleré ont préféré l’école privée de mademoiselle Bouquet.

Cette tendance à vouloir éduquer ses filles dans une école catholique étonne un peu Léonie, mais enfin, elle fera avec ceux qu’elle aura.

Face à l’ancienne place du château, dans un fond de cour se dresse le bâtiment de l’école privée, Mademoiselle Philomène Bouquet avec ses deux aides Joséphine Amagnieux et Marie Vacher président à l’accueil .

L’enseignement sera le même qu’à la laïque mais le drapeau français sera remplacé par un crucifix et l’on y jettera les bases et les fondements de la catholicité.

La messe du curé Niox

En ce jour de célébration des morts, la foule des grands événements se presse dans la petite église Saint André du Gué d’Alleré.

Le curé Niox a revêtu sa chasuble noire, il a cinquante cinq ans et tient la cure depuis 1906 date à laquelle il a remplacé le père Cherpentier.

C’est un érudit passionné d’histoire locale et il s’efforce de reconstituer le passé du village. Il se dresse devant l’autel, solennel comme il sait l’être. L’église a été préparée par sa servante Marie Rousseau , une native du Gué qui lui est dévouée de toute son âme. Quelques fleurs, propres à apaiser les tourments, une propreté d’hôpital et le soleil qui perce à travers les vitraux.

Le maire monsieur Gougaud a mis ses plus beaux habits, il semble vieilli, tassé sur lui même, comme enveloppé par des événements qui le submergent.

Sa femme Berthe Petit pérore et toise son monde, la situation de son mari la rend fière et hautaine. Elle est bien au dessus de tous ces pécores fussent-ils en deuil d’un enfant.

Des enfants, seule Lucie est présente, Denise est malade et reste alitée.

Tout le conseil est présent, même ceux dont la religiosité a vacillé depuis longtemps.

On a placé devant monsieur et madame Boutin. Elle, n’est plus qu’une caricature de ce qu’elle a été autrefois. Elle est morte, tuée par la mort de son fils. Elle est incapable de répondre au salut, ne voit personne. Marie Vicenté avance à petits pas sur les dalles froides du saint lieu. Elle vit sa propre mort, cette cérémonie en attendant le rapatriement du corps de son fils est déjà presque un enterrement.

Lui est perdu, égaré parmi ceux qui lui témoignent de l’amitié, il n’a pas l’habitude d’être sur le devant de la scène. La dernière fois qu’il a eu l’honneur d’être dans la première rangée de l’église, c’était à l’enterrement de son premier fils. Il soutient sa femme mais préférerait être dans son champs, loin des regards pleins de compassion.

Niox n’en revient pas, seul manque peut être les cafetiers qui préparent leur estaminet pour la sortie de la messe .

Sa voix haute s’élève, la messe est belle, empreinte de solennité, la presse de la foule réchauffe peu à peu le glacial édifice à la froidure du début monte une douce chaleur.

A la fin le curé prend dans ses mains celle de Marie Vicenté, il lui transmet son courage et l’invite à vivre dans la foi de Dieu.

A la sortie les hommes se rassemblent dans les cafés alors que les femmes s’attardent sur la place de l’église.

Tous commentent l’arrêt des Allemands sur la Marne, leur recul et l’enlisement du conflit sur le front de l’Aisne. Les hommes ne rentreront pas de sitôt et les labours devront se faire sans eux.

LE ROMAN DES MORTS, Épisode 18, le premier mort au champs d’honneur,

La corvée du maire

Le maire dans son bureau de la mairie tient dans ses mains un télégramme.

Avant même de l’avoir lu il se doute du contenu. Il ne sait pas qui, mais il sait.

Il chausse ses lunettes et lit, Marcel Boutin mort au chant d’honneur. C’est le premier de la commune, tué le 31 août 1914. Ce qu’il redoutait depuis le départ de ses infortunés administrés, arrive maintenant.

Il connaît Marcel depuis longtemps, ses parents sont de braves gens, les larmes lui viennent malgré lui.

Il va lui falloir être plus solide, mais il tergiverse encore et encore. Les heures se passent et il s’oblige à traiter des dossier et à répondre à des courriers.

Il manque de courage et se persuade qu’il lui faut une femme pour soutenir la maman de Marcel.

Il retourne chez lui et demande à Denise de venir avec lui pour l’assister dans une bien mauvaise annonce.

Denise pose son ouvrage et suit son père, il ne lui dit rien pour l’instant. Tous les deux prennent la direction de la maison des Boutin. Au fur et à mesure qu’on se rapproche Denise se pétrifie, son gosier est sec, elle marche maintenant avec difficulté. Le maison d’Émile se dresse devant eux.

Par la fenêtre Marie Vicenté voit le maire et sa fille, elle ouvre la porte et pousse un hurlement de terreur. Gougaud n’a encore rien dit mais elle a évidemment deviné.

Elle s’écroule dans les bras de Denise qui ne tient guère debout elle non plus.

Le mari est au champs on l’envoie chercher au plus vite.

Maintenant c’est des pleurs et des pleurs, les cris ont alerté les voisines. La vieille Julienne Savary se précipite, Marie Louise Baudry dont le mari est aussi à la guerre vient la soutenir, Julia Coudrin, Mélina Martinet et Zaida Naud emplissent maintenant la pièce.

Le maire aimerait être ailleurs mais voilà maintenant Emile. Il n’est guère fort non plus et s’effondre sur sa chaise. En quelques minutes ils se sont transformés en vieillards

Le village entier est maintenant au courant, Loetitia Tirant l’apprend de Loetitia Coudrin qui elle l’a appris de Emma Petit.

Maintenant c’est bien du concret, on est dans la guerre et la mort loin du front vient frapper aux portes.

Le maire doit maintenant rentrer, sa fille n’est pas bien, le choc de l’annonce sans doute, bien qu’il se dit qu’il ne la croyait pas aussi émotive.

Au château elle se sent mal, de la fièvre et un mal de ventre lancinant qui la tenaille qui la précipite dans les lieux d’aisance.

Elle doit se coucher sa sœur qui ne sait rien se demande bien pourquoi la mort d’un presque inconnu la renverse à ce point.

Comme elle ne veut pas venir manger on demande à Marie de lui monter un bol de soupe. La porte est fermée mais elle entend des sanglots. Après avoir insisté elle rentre dans la chambre plongée dans l’obscurité. Doucement elle se renseigne sur le tourment de sa jeune maîtresse.

Un cri aigu venu d’outre tombe raisonne dans la maison, Denise n’a pas fini de dire Boutin Marcel que le bol de soupe se fracasse au sol.

Marie en pleine crise d’hystérie monte dans sa chambre en hurlant de désespoir. Rien ne pourra l’en faire sortir pas même les injonctions de la patronne.

La servante , la bonniche que l’on croyait de marbre et sans sentiment se révèle être une femme qui peut avoir une réaction humaine.

Elle pleure et lorsqu’elle enfin elle s’endort d’épuisement les cauchemars prennent le dessus.

Elle le voit nu s’écrouler sur elle mort d’une balle en pleine tête, elle le voit la caresser avec des mains pleines de sang. Puis alors qu’elle veille sur sa tombe, la terre se craquelle et laisse place à un Marcel rigolard. Elle se réveille alors terrorisée, mais il n’y a personne dans sa chambrette. Sa table de nuit n’a pas bougé, les rideaux ont les même plis et ses vêtement dont elle s’était débarrassée sans ordre hier soir sont toujours à la même place.

Elle est épuisée de désespoir, mais doit descendre à l’office, continuer son service, ne rien dire à personne, avaler sa désespérance et enfin s’excuser au près de ses maîtres.

Berthe Petit l’attend à la cuisine, l’accueil n’est pas chaleureux, son emportement d’hier est inadmissible cela sera une retenue sur ses gages. Les larmes lui montent à nouveau aux yeux, madame est méchante mais surtout ne rien dire et ne pas dévoiler sa liaison avec Marcel.

Quand à Denise elle vient pour toujours de revêtir ses habits de fantômes. Elle devient un spectre et garde bien enfoui en elle le souvenir de la caresse que lui a offert le petit militaire en permission.

Sans qu’elle ne lui ai rien donné elle fait vœux de chasteté et refusera toutes futures propositions de mariage. Un jour elle le rejoindra là haut et se donnera à lui.

La mort de ce premier enfant du pays laisse un couple de parents dans le désespoir et deux jeunes femmes dans l’affliction la plus totale.

LE ROMAN DES MORTS, Épisode 17, femmes de soldats

Adélia Caillaud femme Sorlin, village du Gué d’Alleré

Assise devant la grande table, Adélia a posé une feuille blanche. Elle n’a que peu écrit dans sa vie et les formules et le style ont du mal à venir. Elle se serait bien faite aider par l’institutrice privée, c’est une amie mais ce qu’elle a à écrire est très privé et elle ne veut pas que ce qu’elle va dire à son mari se sache. C’est évidemment stupide, mais elle veut qu’il soit le premier à le découvrir.

C’est la chose la plus simple au monde pour un couple, Benjamin était à peine parti qu’elle se rendit compte qu’elle n’avait pas eu ses menstrues. L’inquiétude, le drame du départ, le fait d’être seule, non pas, d’autres signes lui font savoir qu’un petit Sorlin se développe dans son ventre. Encore ce matin, elle a regardé son ventre et ses seins. Elle a même bêtement soupesé sa poitrine, aucun doute.

Aussitôt elle espère que cela sera un garçon, Benjamin qui aime les enfants va être fou de joie.

Cher homme

J’espère que ton installation à La Rochelle c’est bien passée. Ici la désorganisation est à son comble, trop d’hommes sont partis. Les vendanges ont été bien tristes, tout le monde a été réquisitionné.

J’ai prêté notre apprenti à monsieur Gougaud pour la récolte de ses parcelles.

J’ai bien hâte de te voir mon cher homme. J’ai une grande nouvelle à t’annoncer, je crois que je porte espoir en moi. Oui, tu vas être père pour la seconde fois.

Alors je t’en supplie essaye de te préserver afin que nous puissions tous les deux le voir grandir.

J’espère que bientôt je vais te voir, tu sais bien que d’être mère me rend plus belle.

Porte toi bien mon homme, ton Adélia qui t’aime.

Voila c’est fait le facteur emportera la lettre, elle est heureuse car elle s’imagine la joie de Benjamin.

En attendant elle a d’autres problèmes et notamment avec son apprenti André. Celui-ci depuis que le patron est parti se joue à l’homme. Il se sent presque patron, veut en imposer alors qu’il a encore du lait qui lui sort du nez. Il en est même venu à tourner autour de sa patronne, il devient insolent, la frôle de drôle de façon. S’imagine t’ il ce gamin qui n’a même pas l’ombre d’une moustache qu’il va supplanter son patron dans le lit de la patronne.

Adélia va en parler à monsieur Billeaud pour qu’il intervienne avant que cet imbécile ne s’imagine des choses.

Son autre difficulté est d’ordre financier, Benjamin n’est pas là donc pas d’ouvrage, et sans cela pas d’argent. Elle va faire avec les quelques économies qu’ils ont, mais il ne faudra pas que la guerre se prolonge.

Pour l’instant elle se languit de Benjamin et pense à aller le voir à La Rochelle, ce n’est pas si loin mais elle ne sait si cela peut se faire.

Loetitia Coudrin épouse Tirant

Son mari n’est point parti, ou du moins pas encore. Elle n’a donc pas l’entière liberté que lui accorderait un homme loin du foyer. Ce n’est pas qu’elle veuille qu’il s’en aille mais elle a bien réfléchi à ce que lui a susurré Églantine sa voisine.

Elle a d’autant plus pensé à cela qu’elle a déjà commencé à regarder les hommes qui composent son entourage. Il en reste peu et son regard ne se porte pas sur les vieux. Pour cela elle a son légitime. Alors un gamin pourquoi pas, ils sont vigoureux, pas regardant sur la situation. Mais elle a peur qu’il s’entiche et ne fasse un scandale quand elle n’aura plus besoin de lui.

Elle s’inquiète aussi de son pouvoir de séduction, comment fait-on pour séduire en dehors de toutes fêtes et grands rassemblements.

Elle se décide enfin à se tester sur son voisin, le mari d’Églantine.

Justement, elle le rencontre, il est grand bien tourné, encore jeune, d’ailleurs pourquoi n’est il pas encore mobilisé?

La conversation est facile , il est assez bavard et d’initiative il demande des nouvelles d’Édouard et de sa récolte de raisin. Cela coupe un peu les moyens de Loetitia, séduire un homme alors que celui-ci vous parle de votre légitime, n’est pas une bonne entrée en matière.

Elle réessayera plus tard, maintenant elle doit aller chercher le pain à la boulangerie des Petit. En chemin elle se met à observer d’une drôle de façon la gente masculine, elle soupèse ses chances. Mais il faut bien le dire, plus elle le scrute plus elle pense que si son mari ne lui donne pas d’enfant c’est que le destin s’y oppose.

Chez le boulanger, c’est un peu la consternation, Pierre le patron de la société de panification se lamente, il fait des journées de seize heures et n’arrive pas à fournir.

Son fils Auguste a été mobilisé dans une section de commis et ouvrier, eh oui les soldats doivent aussi manger du pain.

D’autant que son ouvrier Victor Robin a été rappelé également, c’est Augustine la drôlesse qui a pris la place de son frère, mais elle débute et les rendements s’en ressentent. Alors le patron clame, qu’ il va fermer la boutique, qu’il n’y arrivera pas,  et qu’en plus il va bientôt manquer de farine.

Pour un peu il déclencherait une émeute de la faim se bougre d’andouille. Toujours est-il que Loetitia n’a pas son pain et qu’elle devra revenir quand la nouvelle tournée sera prête. Ce n’est rien qu’une perturbation mineure mais ajoutée à d’autres cela perturbe les habitudes.

Elle voit également Lucien âgé de 11 ans, lui aussi est au four depuis minuit, il est blanc de farine, hâve de fatigue et des cernes bleues marquent ses yeux creusés.

Dans les fermes les pères emploient les plus jeunes il n’y a donc aucune raison qu’en boulangerie il n’en soit pas de même.

Qu’il en profite, la rentrée scolaire va se faire le premier octobre et plus d’un se demandent comment ils vont faire sans leurs petits ou petites.

LE ROMAN DES MORTS, Épisode 16, Alexandre monte en guerre

Alexandre Drouillon à Bordeaux

Émilienne depuis le départ de son bonhomme n’a guère le temps de se reposer, le travail que faisait son mari il faut bien le faire à sa place.

Le commerce s’est un peu ralenti mais il existe encore. Il n’est évidemment pas question qu’elle effectue des tournées, cela ne serait pas convenable. Mais elle se verrait bien de les faire, une lutte sourde à ce sujet commence avec son père.

Enfin un matin on lui tend une lettre, elle vient de Bordeaux, c’est son Alexandre.

Son grand comme elle l’appelle a eu l’idée de se faire photographier et d’en faire une carte où l’on écrit quelques lignes.

Qu’il est beau sanglé dans son uniforme, la main posée sur un guéridon, fier, un léger sourire en dessous de sa fine moustache.

Elle en pleure de joie, d’amour, de fierté.

Visiblement il va bien, et surtout n’est encore qu’à Bordeaux. Il est loin du drame qui se joue maintenant à quelques kilomètres de Paris.

Émilienne avec tous les habitants de France et de Navarre, tremblent de voir envahir le territoire. L’Aunis est loin du front certes mais l’on voit déjà les maires du village un télégramme à la main se rendre dans les familles qui viennent d’être frappées par le malheur.

Lorsqu’elle reçoit la carte postale, son mari est déjà loin, le 15 août, il embarque en train avec toute sa compagnie.

C’est une rude affaire que de faire monter 258 chevaux, les bêtes ont peur, se cabrent , hennissent et ruent. Les officiers tempêtent et les hommes malgré leur bonne volonté arrivent difficilement à effectuer leur tâche. Pratiquement tous sont de la campagne et ont l’expérience des chevaux, Alexandre les aime et arrive à les apaiser.

Puis c’est le tour des voitures au nombre de 213, les 313 hommes s’installent dans des wagons à bestiaux, heureusement la paille est fraîche. Les officiers sont à part dans un wagon de voyageurs. Les banquettes de bois sont-elles plus confortable que la paille rien n’est moins sûr.

L’atmosphère est bonne, aucun n’a peur pour sa vie, ils sont chargés du transport, alors ils ne seront pas en première ligne. Un plus sagace que les autres leur fait remarquer qu’il faudra bien s’approcher des combats. Après des heures de discussion ils conviennent que même si il y a des risques ils sont moindres que pour les fantassins de première ligne.

L’arrivée à Coussey dans les Vosges se fait le lendemain, la compagnie fait partie de la 70ème brigade, 35ème division, 18ème corps d’armée, 2ème armée. Le bivouac se fait près de la gare.

Le boulot est celui d’un charretier ou d’un conducteur de chevaux, rien de bien difficile pour Alexandre . Comme à la ferme les bêtes passent avant les hommes. Ce n’est qu’après que le ventre des soldats est rassasié.

Ensuite le déplacement se fait sur Colombey les belles, la compagnie perd un cheval, elle le laisse pourrir sur le bord de la route. Cela met mal à l’aise Alexandre mais le temps presse et il faut avancer.

On se déplace un peu et la troupe est logée chez les habitants d’un village, les voitures sont laissées en file indienne dans le village, les chevaux paissent dans une prairie.

Alexandre est logé chez une veuve et sa fille, elles font ce qu’elles peuvent pour être agréables au bien être de ces pauvres hommes. La gamine est joliette et Alexandre ne manque pas de la reluquer à loisir. Si elle y consentait il mettrait bien un coup de canif dans le contrat et puis Émilienne , elle est bien loin.

Comme de bien entendu rien ne se passe mais le rêve fait parti du bagage du troufion.

Nouveau départ vers Sauvigny c’est un peu en arrière là le cantonnement se prolonge.

La routine s’installe pour quelques jours, Alexandre en profite pour donner des nouvelles à sa femme . Il est serein, pas un boche en vue, pas de bruit de canonnade, rien que des prairies luxuriantes, c’est dimanche tous les jours.

Pourtant l’armée Française a perdu la bataille des frontières, m’étonnerait dit-il qu’il soit au Gué d’Alleré pour Noël.

De bivouac en bivouac le temps passe monotone, Alexandre en a déjà marre, il tient en main une lettre de sa femme.

Au village la situation pour les vendanges n’est pas bonne, trop d’hommes sont partis, les journées ne vont pas être assez longues. Eux non pas de terre mais solidarité oblige toute la famille va aider et fermer l’épicerie pour quelques jours.

Le vieux a repris les tournées, il gueule toute la journée et le soir pas rassasié il s’époumone contre Angélique sa femme.

En habituée, elle reste de marbre, mais non de non quel vieux ronchon.

Au gué d’Alleré même si le temps de la splendeur viticole est passé, tout le monde a des vignes.

Ce n’est certes plus l’économie principale depuis cette foutue bestiole américaine qu’on a appelé le phylloxéra. Mais on produit encore un peu d’eau de vie en plus de la vinasse locale pour les gosiers locaux.

Elle ne lui raconte rien de très personnel, il enrage de ce manque d’expansivité, mais il la connaît par cœur son Émilienne ce n’est pas une grande causeuse d’elle même.

Pourtant il serait heureux de savoir, des petits riens, des détails, des bêtises. Lui il est plutôt disert dans ses missives et ne se prive pas de lui glisser quelques douces folies.

Il s’imagine qu’elle enrage et qu’elle doit le traiter avec un petit sourire de vieux cochon.

Il sont tous déjà en mal de femme et quelques copains à lui sont carrément en chasse parmi le cheptel des villages traversés.

LE ROMAN DES MORTS, Épisode 15, la mauvaise annonce

Le Gué d’Alleré 31 août 1914

Denise soudain se réveille, elle a froid, malgré la précoce chaleur, son drap jonche le sol. Elle est trempée d’une mauvaise sueur. Elle se lève et se dirige comme une folle en direction du cabinet d’aisance. Pieds nus, comme une damnée elle court, elle ne s’aperçoit pas qu’une bretelle de sa chemise de nuit a glissé et qu’un de ses seins est impudiquement sorti. Elle croise son père mais ne le voit pas, ne répondant à aucun appel elle dévale l’escalier. Arrivée dans les lieux elle perçoit que ce n’est pas une envie pressante qui la fait se lever précipitamment. C’est une peur, une angoisse un mauvais pressentiment.

Marie, normalement a le réveil guilleret. Chaque matin depuis le départ de son amoureux , elle est prise d’une sorte de fièvre féminine, elle a chaud et des visions animales lui traversent l’esprit. Elle ne sait à qui s’ouvrir de telles choses. Sa patronne et les deux demoiselles la regarderaient avec suspicion et se moqueraient. Une bonne n’a pas d’état d’âme. Peut-être Julie la métayère du château, enfin elle verrait.

Mais ce matin un mauvais vent la chagrine, à peine perceptible, un souffle léger comme un râle qui la traverserait.

Le soleil qui déjà frappait sur les vitres se voile, disparaît, elle se lève regarde par la fenêtre, il n’y a aucun nuage. Un frisson de terreur la pénètre comme lorsqu’un soir au cimetière elle avait cru voir une ombre.

Sa gorge est sèche il faut qu’elle descende à l’office pour boire et enfin chasser son esprit des vilaines choses qui la terrassent.

En bas elle croise Denise, à moitié nue et qui pleure doucement en croyant que personne ne la voit.

Marie se garde de la consoler, la bonniche qui n’a pas le droit à la nouvelle installation sanitaire s’en va à la cabane au fond du jardin.

Elle y pénètre et lève sa robe s’assoie sur le trou de droite, on lui a toujours dit que celui de gauche était destiné au cul des maîtres. Elle n’a jamais pu vérifier mais par défiance ne déroge pas à la règle.

Au retour son angoisse est passée et Denise est remontée s’habiller, la journée peut commencer.

Chez les Boutin, Marie Vicenté n’est pas levée, Émile dort innocemment à ses cotés. Elle s’est doucement tournée de coté pour ne pas le réveiller. Elle pleure, des grosses larmes mouillent le polochon, sa poitrine lui fait mal, elle respire difficilement.

Son intuition de mère lui fait deviner l’inimaginable, l’impensable. Marcel est mort, il n’est plus. Elle l’a ressenti à l’instant même de son départ, c’est sûr, il git quelque part, il a besoin d’aide, il appelle au secours, elle voit sa main se tendre. Mais qu’y faire, il est loin, trop loin, c’est trop tard.

Pour ne pas alerter son mari elle se lève et vaque à ses occupations, de toutes façons elle sait, alors à quoi bon.

Émile se lève enfin, il voit bien que sa femme est un peu pâle et a les traits tirés, mais à quoi bon il commence à s’y faire, elle est comme cela depuis le départ de Marcel. Dimanche dernier, plein de bonnes intentions il a même voulu lui faire l’amour. Elle n’a jamais voulu, se refusant comme lors du décès de leur premier enfant.

Il ne lui en veut pas, il part au champs, le travail ne manque pas, bientôt les vendanges.

Camille Gougaud est ce matin à son bureau, il en ouvre la fenêtre, les odeurs coutumières, qu’il affectionne, lui chantent la chanson de la vie. A voir ce paysage et à humer ces flagrances on pourrait se croire en paix.

La fumière de sa métairie qu’il aperçoit, les prés à l’herbe grasse et odorante, les feuillages des chênes qui bornent le ruisseau de l’Abbaye le comblent de plaisir.

Il s’en vient même à imaginer qu’autrefois à l’emplacement de son jardin un château s’élevait, demeure des seigneurs du Gué. Détruit depuis longtemps il entretient son imaginaire, il se serait bien vu en seigneur tutélaire veillant sur ses gens.

Mais se ressaisissant, il se dit qu’en exerçant la fonction de maire, il est un peu le maître des lieux. D’ailleurs sa fortune personnelle le place un peu au dessus du commun, ces cultivateurs qui se targuent d’être propriétaires mais qui ne possèdent que si peu de terre. Ces vignerons qui peinent à remplir quelques futailles ne sont rien par rapport au volume de ses transactions d’alcool et d’eau de vie.

Comme tous les matins il se remet à son vaste bureau, le préférant à celui de la mairie où il sait qu’il sera dérangé à tout moment.

Pour l’instant il n’a comme souci que la livraison des bêtes réquisitionnées à la gare d’Aigrefeuille, ceux qui les ont fournis et malgré le dédommagement crient à l’injustice et à la misère.

Sous peu cela ne sera que le cadet de ses ennuis, il le pressent, le subodore et s’en afflige.