LE ROMAN DES MORTS, ÉPISODE 5, le gueulard d’Édouard

Gustave Tirant , août 1914 village du gué d’Alleré

En cette matinée du 2 août, cela chauffe au foyer de Gustave Tirant, comme toujours, un mot en entraînant un autre la dispute enfle. Le ton monte et bientôt le voisinage sera au courant de leur énième dispute.

Il n’y sans doute guère de raison pour le déclenchement des colères de Gustave et ainsi tous les prétextes sont bons, cela peut être une soupe pas assez salée, un vêtement pas prêt, un refus de devoir conjugal, une dépense excessive, ou simplement la mauvaise humeur.

Loetitia son épouse ne lui envie rien sur le sujet et lui emboîte le pas dans les colères, elle est vindicative, mauvaise et sa langue qu’elle a d’acérée ferait vaciller les couples les plus solides.

Avouons que parfois elle a de quoi s’énerver, le Gustave picole avec ferveur, mange le bénéfice et ne met pas une tendresse excessive quand il veut son dû.

Les vitres tremblent, il a empoigné une ceinture pour lui mettre une volée, c’est son credo, sa volonté , son fantasme, lui mettre une tournée le cul à l’air. Mais la fille du Joseph Coudrin n’est pas fille à’ se laisser humilier, elle campe sur ses positions, hurle plus fort que lui. Il renonce, comme il renonce toujours, elle finit par avoir le dernier mot.

Il va aller se coller un coup derrière la cravate chez Alcide Berthet, au moins au café Agnès la patronne, est bien plus gracieuse et souriante que son harpie.

Les raisons réelles de leurs disputes continuelles sont sûrement profondes, mariés depuis l’année 1897 ils n’ont pas le bonheur d’avoir des enfants. Lui est meurtri de n’avoir pas de descendant à qui transmettre son lopin de terre et son savoir ancestral et elle est frustrée dans son corps et son âme de ne pas avoir enfanté.

Peut-être qu’il n’est pas trop tard, elle a trente huit ans. Alors parfois pleine d’espoir, elle se livre comme une damnée à son minotaure de mari.

Mais rien ne vient, elle commence à croire ce que dit sa mère, tu es marié un bon à rien.

Loetitia a même ouvert sa conscience au curé de la paroisse, mais que peut conseiller un homme sans femme, un homme de Dieu à part des prières.

De dépit elle est maintenant encline à écouter les conseils véreux de sa voisine Églantine Mussat. Si ton homme a l’aiguillette nouée va en voir un autre.

De fait ce n’est pas si idiot que cela, elle est encore jolie et ne manque pas d’arguments pour débaucher un homme. Loetitia qui pense réellement que cela serait une bonne chose ne veut pas se donner à un jeune freluquet, hâbleur et vantard. Non elle a besoin d’un homme fait, sûr de sa puissance et qui ne tomberait pas amoureux d’elle. Elle veut non pas de l’amour mais de la semence.

Malgré tout, elle aime son mari, elle en est sûre, enfin pas toujours. Lorsqu’il lui vient à penser qu’elle aurait pu avoir mieux. Elle voit la petitesse de son homme qui à la toise ne dépasse pas les cent cinquante neuf centimètres, elle voit son visage ovale qui maintenant qu’il commence à perdre ses cheveux le fait ressembler à un œuf. Elle ressent aussi parfois du dégoût pour ce travailleur de la terre à la mise non soignée. Son Gustave n’aime guère le contact de l’eau, ses pieds aux ongles longs sont sales et elle hurle lorsqu’il se glisse dans les draps le soir . Son odeur est celle dont on ne s’accommode guère même lorsqu’on n’est point délicate comme Loetitia. Entre flagrance de boucs et de cochons le fumet oscille. Le grand bain a lieu que lors des grandes occasions, autrement le bénéfice de la petite toilette ne revient qu’à ses mains caleuses et craquelées.

Elle rêve d’un homme à la peau blanche et lisse, parfumé avec goût, dont les beaux habits immaculés seraient posés avec soin lorsqu’il se serait déshabillé pour lui faire l’amour dans des draps de coton soyeux.

N’ayant connu que son rude Gustave, la paille de l’étable et les draps de lin rêches et froids elle ne pouvait que s’imaginer. Cela l’aidait lorsqu’elle avait du vague à l’âme ou que les travaux qu’elle effectuait étaient trop durs.

Gustave son battoir sur l’épaule s’en alla rejoindre le père Raymond. Sur l’air de battage il rejoignit son copain Eugène Jean, un journalier vendéen qui se louait pour les gros travaux. En général et bien que la plupart soient propriétaires et maîtres d’eux même les gros travaux se faisaient en commun.

On battrait les grains chez Raymond, puis on irait chez Tirant et ainsi de suite. Le travail est moins dur, on boit des canons à la régalade et on y commente les derniers événements du village mais aussi de la France. Gustave fait rigoler l’assistance en racontant qu’il s’est encore engueulé avec sa femme et encore une fois se gausse qu’il va lui mettre une tannée. Cela fait rire les autres car tout le village sait que si volée il y a,  c’est lui qui l’a prendra.

Non entre deux commentaires sur le mariage de Marie Louise Coudrin avec un vendéen qui porte le prénom ridicule de Clovis et le nom de Bouhier, ils parlent sans bien comprendre de ce que les journaux appellent la montée des tensions.

Gustave suit les événements par les journaux, mais ne perçoit guère le rapport entre un archiduc autrichien assassiné par un serbe et le déclenchement d’une guerre où participeraient les français.

Au Gué d’Alleré la Serbie on ne sait pas où cela se trouve. Le père Raymond qui est plus intelligent qu’il n’en a l’air se lance dans une explication passionnée, la Russie et son tsar Nicolas II, la lutte pour l’hégémonie dans les Balkans entre l’Autriche et la grande Russie. La France et l’Angleterre qui sont alliées à la Russie qui elle soutient la Serbie. Il y a aussi l’empire allemand allié de l’empire autrichien qui attaque la Serbie.

Les lieux, les pays, les noms dansent dans le cerveau de Gustave, il lâche un peu prise, on verra bien.

Lui, la haine contre les Allemands il ne l’a pas, en 1870 il n’était pas né, l ‘Alsace et la Lorraine il s’en fout pas mal.

En attendant les battoirs s’abattent en cadence, vivement le casse croûte que doit lui amener sa bonne femme.

 

LE ROMAN DES MORTS, Épisode 1, le début du drame

LE ROMAN DES MORTS, Épisode 2, la bonniche du château

LE ROMAN DES MORTS, ÉPISODE 3, deux femmes pour le même amour

LE ROMAN DES MORTS, ÉPISODE 4, le menuisier du Gué d’Alleré

Une réflexion au sujet de « LE ROMAN DES MORTS, ÉPISODE 5, le gueulard d’Édouard »

  1. Lors de la guerre de 1870, Edouard Gustave Tirant était déjà né : il a vu le jour le 18 mars 1869 à Bouhet au foyer de Edouard Louis Tirant et Geneviève Célestine Rambaud. Bon d’accord, à l’époque il était plus en âge de s’intéresser à ses peluches qu’à la politique ou aux affres de la guerre, mais néanmoins déjà venu au monde !

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