Marcel Boutin aout 1914, caserne Issy les Moulineaux
Marcel allongé sur son lit sentait poindre le jour, l’obscurité faisait place à la lumière.
Les deux forces comme tous les matins se faisaient face. Bizarrement comme si un événement funeste allait se produire le soleil se faisait timide, comme récalcitrant.
Lui, tous les matins assistait silencieusement à ce combat, bien sûr il en connaissait le résultat mais il faisait comme si la nuit avait une chance de pouvoir continuer à déployer ses ailes.
Autour de lui tout le monde dormait encore à poings fermés, lui souffrait de ne pouvoir comme chez lui se lever avant que la vie des êtres ne reprenne.
Alors il restait étendu, immobile, il rêvassait, pensait, et réfléchissait. Souvent comme d’ailleurs ce matin sa virilité masculine se manifestait, il ne savait que faire ou plutôt n’osait pas le faire.
Un ancien du régiment qui venait du Maroc, vieux de la vieille tout couturé de mille tracas lui avait appris et l’avait encouragé. En rigolant il lui disait petit on est jamais mieux servi que par soi même.
Mais lui entouré de ces mâles dormeurs ne se serait jamais commis à faire ce genre de choses.
Alors laissant jouer son imagination il voyait quelques belles s’occuper de son émoi, cela lui suffisait et de toutes façons avant de partir de chez lui , il avait juré fidélité à une belle. Il n’avait pas l’intention de renier sa parole et tant pis pour les instants de plaisirs qui lui échappaient irrémédiablement.
Maintenant il comptait, le clairon allait sonner le réveil, Marcel qui se délectait de cette sonnerie chantonnait déjà pour lui même.
»soldat lève toi, soldat lève toi, soldat lève toi bien vite ! soldat lève toi, soldat lève toi, soldat lève toi bien haut ! si tu veux pas te lever, fais toi porter malade ! si tu veux pas te lever, fais toi porter blessé !
Le clairon du jour était un gars qui comme lui venait de la Charente inférieure, un fameux souffle, sans doute le meilleur. Le son s’éleva soudain , alors mu par des semaines d’habitude chacun se réveilla. Tous avaient un rituel, l’un pétait, l’autre se grattait les choses de la vie, l’un gueulait qu’il était trop tôt, un autre pestait parce qu’il devait pester. Puis c’était la course aux gogues, un fameux bazar que tout cela. Le caporal entra et remit un semblant d’ordre dans l’immense chambrée. La section s’habilla en tenue de service , elle était de corvée alors que d’autres allaient partir en exercice.
Le rassemblement se fit, le 21ème était au garde à vous dans l’immense cour de la caserne d’Issy les Moulineaux. Le colon n’était pas là alors son adjoint le lieutenant colonel Mas se fit rendre les honneurs.
Marcel trouva l’ambiance pesante comme un ciel d’orage chargé d’électricité mais n’en soupçonna pas la cause. Il se rendit après le jus aux écuries pour panser les chevaux de l’état major. Pour lui ce n’était guère une corvée de s’occuper des équidés, cela lui rappelait son bon vieux travailleur qui l’attendait au village.
Certes son gros pépère n’avait point l’élégance ni la finesse du cheval du capitaine Chambon son commandant de compagnie, mais un outil indispensable pour le travail de leur terre, il le bichonnait comme un pur sang dans des stalles de Longchamps.
La chaleur montait doucement comme sûre d’elle, prenant son temps, musardant et comme rebutant à brûler les humains qui s’activaient dans la cour de pierre blanche.
Le capitaine vint chercher son cheval, celui ci piaffait d’impatience en attendant sa promenade matinale. Nous n’étions pas dans la cavalerie mais dans une troupe coloniale, mais privilège les officiers étaient encore montés.
Marcel se figea en un garde à vous approximatif, il n’était pas féru d’une stricte obéissance et s’accommodait à grand peine à la férule militaire.
- Alors Boutin en forme ce matin
- oui mon capitaine, mais fait déjà chaud
- t’inquiète pas, là où nous irons bientôt il fera moins chaud
C’était pour le moins énigmatique, Marcel qui depuis de nombreux mois s’attendait à rejoindre le Maroc se demanda soudain si les anciens ne lui avaient pas raconté des bobards en affirmant qu’au Maroc il faisait chaud.
Il en discuta avec ses camarades, l’un d’entre eux émit l’hypothèse que les tensions entre l’Autriche et la Serbie allaient entraîner les peuples Européens à se battre.
Considéré par les autres biffins comme un intellectuel, comptable parisien égaré parmi les paysans, l’homme avait un avis autorisé sur tout et surtout s’autorisait à donner son avis.
Marcel resta dubitatif, il ne savait pas où se trouvait la Serbie, ni en quoi l’assassinat d’un héritier autrichien pouvait mettre en péril la paix en Europe.
Son instituteur monsieur Billeaud ne lui avait enseigné qu’avec peine les départements et leur préfecture.
En Aunis là bas, la préoccupation principale était la terre et encore la terre et peu importaient les affaires mondiales.
Mais pour l’instant présent, Marcel aurait bien bu à la régalade une lampée de vin des Charentes, il avait soif et son ventre commençait à jouer la chamade.
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