LE ROMAN DES MORTS, ÉPISODE 6, le marchand forain

Alexandre Drouillon, août 1914 village du gué d’Alleré

A Proximité de la ferme où s’affaire le petit groupe d’hommes, Alexandre Drouillon prépare sa carriole et sa marchandise, c’est un bric à brac qu’il entasse dans sa voiture, il est bien le seul à s’y retrouver.

Depuis qu’il s’est marié avec la Emilienne Drappeaud il ne pratique plus son métier de Maréchal Ferrant. Il vend la marchandise de son beau père Maximilien. Ce dernier épicier lui a confié les rênes de la vente au porte à porte. Alexandre s’en accommode fort bien, toujours en chemin à voir du monde. Son bagout le rend bon vendeur et les affaires s’en portent assez bien.

C’est aussi un joyeux drille qui sait lever le coude avec ou sans les clients. Son surnom c’est  » la France  » allez savoir pourquoi il a ramené cela de son service militaire au 27ème dragon.

Les anciens à chaque fois qu’ils le voient ne peuvent s’empêcher de sourire et de se rappeler d’une vieille histoire. Alors qu’il était en convalescence chez sa mère au cours de sa période, cette dernière lui avait fait boire une fiole d’huile de ricin, enfin c’est ce qu’elle croyait en vérité c’était une solution de crésol et de glycérine. Il avait failli être empoisonné et s’en sorti avec l’aide du docteur Jacob de Saint Sauveur de Nuaillé. Il avait failli mourir et avait été la risée de tous pendant un moment. La parution de l’histoire dans le Courrier de La Rochelle lui avait assuré une belle notoriété. L’ingestion de ce désinfectant bactéricide lui avait laissé quelques séquelles et il maudit sa mère chaque jour que Dieu fait..

Il s’élançe pour sa tournée et salue ses voisins au passage. Il doit commencer par le hameau de Rioux, puis par Mille écus, les petites rivières et Anais. Le temps est au beau fixe, la chaleur commence à poindre. Il ne doute guère du bon résultat de ses ventes.

Sa femme Émilienne, avant d’aller rejoindre sa mère à l’épicerie lève son fils René, les vacances se traînent et les taloches se multiplient au fur et à mesure des jours qui restent avant que les vauriens ne rejoignent la férule de monsieur Billeaud.

Avec Alexandre ils sont mariés depuis dix ans, elle l’aime d’un amour raisonnable, bien qu’elle sache qu’il est un peu volage et qu’il a tendance à profiter des femmes seules qui le reçoivent sur le pas de leur porte. Elle en a pris son parti, il revient toujours. Elle n’a aucune velléité d’adultère, les hommes la laissent froide. Pour les choses de l’amour elle se soumet aux volontés de son bonhomme mais se garde bien d’en demander plus.

Non pas qu’elle soit prude ou frigide, loin de là, elle n’est pas grande consommatrice voilà tout.

Ce n’est d’ailleurs pas l’arrivée de leur fils qui a arrangé les choses. L’accouchement avec madame Giraud s’est mal passé et elle a souffert en ses rapports des longs mois.

Elle prend son panier et se dirige vers l’épicerie, au loin elle voit un groupe de personne au niveau de la maison commune, c’est bizarre que ce passe t-il ?

Son père Maximilien doit bien le savoir

De fait il règne dans le village une atmosphère assez étrange, un mélange d’ondes négatives et d’ondes positives. C’est la veille d’une fête, mêlée à l’éminence d’une catastrophe. Chacun se doute, chacun s’imagine son programme, mais tous ont peur.

Alphonse Landret le maréchal ferrant colosse au bras d’acier, rougeaud, sanguin et fort en gueule interrompt son ouvrage. La barre de fer qu’il martèle, perd peu à peu de son rouge sanguin, elle attend en vain le coup qui la forgera. C’est rarissime que ce fier travailleur, amoureux du feu , du fer et des chevaux arrête un ouvrage en cours d’élaboration. Même un défilé de belles dames en petite tenue n’aurait pu lui faire cesser ce qu’il aimait le plus au monde. Mais là au regard des événements qui depuis deux mois s’enchaînent dans le monde, il est comme les autres, fort troublé.

Martial Billeaud, costume, cravate et souliers vernis accompagné de sa femme Marie s’apprêtent à partir sur Saint Sauveur où madame a de la famille.

Eux s’inquiètent que contrairement aux habitudes on ne les salue pas bien bas. L’énervement dans le village est tel qu’on en oublie la politesse.

Martial de haut de ses un mètre soixante cinq en impose autant qui si il était un géant, cet enseignant craint et respecté est au Gué depuis 1898.

Il a donc tiré les oreilles à plus d’un Gué d’Allérien et bon nombre se souviennent d’avoir reçu sur les bouts de doigts des coups de sa grosse règle carrée.

Elle, contrairement à lui n’est guère appréciée, on lui trouve un air de fille de la ville, trop apprêtée, précieuse. Les femmes en rigolent lorsqu’elle se pince le nez d’un mouchoir immaculé, incommodé qu’elle est par les flagrances des tas de fumier.

Elle fait l’importante et tente de côtoyer le beau linge, cela en fait sourire plus d’un. Le traitement d’un instituteur n’est guère élevé et certains cultivateurs besogneux et économes ont certainement un bas de laine plus rempli que notre fonctionnaire.

A sa décharge cette fille de Saint Sauveur d’Aunis est encore belle, ou non disons plutôt jolie. Elle est moins abîmée que les paysannes du coin car exempte de dur labeur. Elle ne va jamais au lavoir et à recours à une lavandière.

Lorsqu’elle déambule dans le village les hommes l’observent en rignochant, légèrement concupiscents.

 

Au vrai elle n’en a cure car l’ impression qu’elle donne est fausse. Cette  mauvaise réputation  lui a été révélée par son amie Léonie Lacour l’institutrice des filles.

Mais comme lui explique cette dernière peu importe une quelconque vérité, seule l’impression qu’elle en donne compte.

Henri leur fils âgé de seize ans, quand à lui, file le parfait amour avec la libertine Angèle, entendons que cette dernière, joli brin de fille délurée  lui en fait voir de toutes les couleurs. Elle est plus âgée que lui et sans lui dévoiler beaucoup de son intimité en a fait son jouet. Ils sont donc à se promener du coté du chemin des charbonniers. Elle doit aller à l’abbaye de la Grâce Dieu et comme un  homme de bât elle lui fait porter sa charge en l’échange d’un baiser.

L’instituteur se dirigeant sur Saint Sauveur et voyant les habitants se diriger vers la mairie fait demi tour. Il passe le pont qui en cette période permet de traverser un ruisseau bien à sec.

Sur la place de la mairie il y a du monde, le vieux Joseph Mélé a quitté l’épicerie de son épouse Honorine. Que peut bien faire ce cacochyme vieillard a piétiner ainsi.

Moise Belnard le tisserand et Moise Martinet le scieur de long devisent en s’agitant, Gapail le marchand de vin a laissé ses commandes et Olivier Richard le charcutier ses boudins. Cela s’agite, cela s’énerve, la foule grossit devant l’éminence d’une grave annonce. Il y a déjà plus de monde qu’à l’office de dimanche dernier.

Soudain la porte s’ouvre, Auguste Petit raide dans son uniforme comme à la parade du 14 juillet tient une affiche à la main.

Le rude et bougon garde champêtre doit se faire jour à travers les habitants qui se pressent .

Derrière lui paraissant calme mais intérieurement bouillonnant le maire Camille Gougaud préside et scrute la foule comme à un comice agricole.

Gougaud c’est un peu le père de la commune, à la fois paternaliste, dur en affaires, grand seigneur et bien sur premier magistrat.

Il est maire depuis 1912 mais avait déjà effectué un premier mandat avant d’être remplacé par son meilleur ennemi Jules Petit.

Il est l’homme le plus aisé de la commune et a fait sa fortune dans les eaux de vie.

Il n’a plus l’âge d’être envoyé aux armées, mais il se doute des conséquences de ce que le garde champêtre va afficher.

Il scrute la foule et devine l’inquiétude sur les regards.

Maintenant ils peuvent lire, les voix s’éteignent, les sourires s’effacent, une femme pleure, un vieux sort son grand mouchoir à carreaux et se mouche bruyamment.

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