LE ROMAN DES MORTS, Épisode 2, la bonniche du chateau

Marcel Boutin suite

Il se dit aussi que trois ans de service cela gâchait un peu la jeunesse, non pas que le travail ici était bien dur, en tous cas bien moins difficile que le travail d’esclave de paysan. Il y avait même des avantages, avant de venir ici la ville la plus grande qu’il n’ai vue était la blanche de l’Aunis, la belle La Rochelle et encore il ne se rappelait y avoir été qu’une fois. Donc au cours d’une libération il avait visité Paris, une bien grande ville ou l’on se perdait au sens propre comme au figuré.

Comme tous les traînes godasses de militaire il s’y était saoulé et avait été voir les dames tarifées.

Il s’en souvient bien d’ailleurs de la demoiselle, elle ressemblait à une estampe qu’on voyait chez les boutiquiers des quais,charnue, pulpeuse, fardée, plus de la première jeunesse, mais au tarif accessible pour une bourse plate. Il n’en avait pas éprouvé un plaisir immense, mais il avait fait comme tous et il saurait à quoi s’en tenir sur les forfanterie amoureuses de certains hâbleurs.

Alors qu’il se dirigeait nonchalamment avec ses copains de section vers le grand réfectoire pour y casser une croûte, ils entendirent sonner le rassemblement.

Cela n’augurait rien de bon, il n’était pas dans les habitudes des gradés de casser l’ordonnancement de la libation méridienne.

Le régiment rassemblé, le colon revenu, les ordres claquèrent

  • garde à vous
  • repos
  • garde à vous

Pour faire court de sa voix de stentor le galonné nous déclara que nous étions en guerre contre l’Allemagne.

Il tenta de nous expliquer, le jeu des alliances, le danger de l’empire Allemand et de l’empire Autrichien et vive la France et vive la France.

Au vrai les sentiments étaient partagés certains éructaient des  » à Berlin à Berlin  » et d’autres, comme Marcel, faisaient grise mine.

La plaisanterie de se retrouver dans un régiment colonial pendant trois ans pouvait encore passer.

Se faire aboyer dessus par des sous ordres pouvait se supporter.

Porter un paquetage qu’une mule rechignerait à soutenir pouvait encore être une éventualité. Mais se faire tuer pour la France ou pour une toute autre raison dépassait de loin le sacrifice que Marcel était prêt de fournir.

Mais il fut pris dans l’ambiance générale des préparatifs, la caserne devint une ruche grouillante et les gradés des abeilles prêtent à piquer.

La mobilisation était générale et là bas au village du Gué d’Alleré la nouvelle devait également être connue.

Marcel Boutin né au Gué d’Alleré en 1893, ouvrier agricole chez son père, allait donc comme des millions d’autres se jeter sur les hordes teutonnes. Il se laissa finalement persuader par quelques avertis que cela ne serait pas long et que les boches seraient raccompagnés à Berlin à coup de pied au cul. Les plus finauds supputaient même que les allemandes aux hanches larges auraient la croupe accueillante pour les franzoses vainqueurs.

La troupe avec le pinard du soir devint unanime et la marseillaise fut beuglée à tout va jusqu’à l’extinction des feux.

Marcel dans le noir, énervé ne peut comme ses compagnons trouver le sommeil. Sa pensée se dirige vers celle qu’il désire et qu’à, n’en point douter il demanderait un jour en mariage.

Marie Chauvin août 1914 village du Gué d’Alleré

Marie comme tous les matins se lève à l’aube, dernière couchée, première levée, c’est presque une devise chez elle.

En plus de vingt ans de service jamais elle n’a été prise en défaut, donnant l’impression que jamais elle ne se couche.

Pourtant ce matin un événement mensuel lui rappelle qu’elle est une femme. Cette incongruité féminine lui fait d’un coup penser qu’elle n’est pas qu’une servante dévouée à ses maîtres.

Qu’elle est comme les autres et qu’elle peut ressentir ce que ressentent les autres femmes.

Devant sa table où trône en majesté sa bassine et son broc de toilette aux fleurs stylisées roses, elle se revoit tenant la main de son amoureux sur le chemin de l’abbaye. Son ventre comme un tapis de douce verdure s’invite pour une joute de douces caresses.

Son esprit divague et va à l’homme qui, il y a peu a comblé le grand vide affectif de sa vie sentimentale.

Mais bon soudain elle se reprend, ne pas être en retard, ne pas être surprise entrain de jeter le chaud fumet de son pissa nocturne.

Elle s’asperge plus qu’elle ne se mouille, se débarrasse des ses impuretés mensuelles et revêt enfin ses vêtements par dessus l’impudique chemise de nuit.

Elle se coiffe devant le petit miroir en bambou, s’aperçoit que sur la brosse, des cheveux de fils gris se mêlent à ceux de sa longue crinière brune. Elle vieillit, le temps passe vite, elle n’est plus la petite Marie Chauvin qui gambadait dans les rues du village de Virson.

Non, elle a maintenant quarante trois ans, ce n’est pas rien, plus que la moitié se dit-elle. Jamais mariée, sans enfant, sans bien, elle dépend en toutes choses de ses patrons, ils sont sa seule famille.

Elle se prend à rêver que maintenant ce n’est plus tout à fait vrai, un homme est entré dans sa vie.

Un doute cependant l’assaille, cet amant a qui elle a donné la fleur qui fanait en elle est-il sincère ou bien n’a t’ il que profité de sa faiblesse.

Elle verrait bien après tout, c’est sa première folie et dieu merci personne n’est au courant.

 

2 réflexions au sujet de « LE ROMAN DES MORTS, Épisode 2, la bonniche du chateau »

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