1829, cimetière de Saint Julien des Landes,
Jean Aimé Proux
La pluie tombait en cataracte et insidieusement mouillait nos vêtements, groupés autour de la fosse nous pataugions dans la terre fraîchement retournée.
Au fond du trou quelques planches d’un mauvais bois clouées à la hâte . Le méchant déluge répandant ses eaux écroulait déjà les parois terreuses de la fosse funèbre. Sous ces vilaines planches, un linceul de chanvre blanc enveloppait ma maman.
Le bruit de l’eau sur les planches semblait jouer une mélopée, on aurait dit sabots frappant le parquet d’une salle de danse. Mon père se tenait à coté de moi, son regard comme perdu, errait dans le néant. Toute la famille se tenait près de nous.
Mon grand frère Jean Louis masquait ses larmes derrières les gouttes de pluie qui lui fouettaient le visage.
Mon grand père courbé sur une canne de roseau psalmodiait derrière ses grosses moustaches, comme détaché du temps. La perte de sa fille l’avait comme englouti dans les méandres de sa peine.
Marie Jeanne ma grand mère dure au mal faisait face à l’adversité, son visage fait de marbre n’exprimait aucun ressenti humain. Sûrement avait elle mal, mais la vie l’avait durci comme le feu trempe le fer.
Mes oncles Jean et Jean Pierre, rudes gaillards que rien ne pouvait atteindre étaient figés dans une attitude de résignation, la tête baissée, ils observaient comme moi la flaque d’eau qui se formait dans le trou.
Le restant de la fratrie nous entourait mélangé avec les amis et voisins.
Le curé marmonna en latin une dernière prière, puis deux gars du village commencèrent à jeter de la terre pour recouvrir celle qui hier encore me tenait dans ses bras. Ce fut le signal de la séparation, ceux qui avaient du chemin s’en allèrent directement, pour les autres rendez vous était donné à la métairie pour y boire le coup.
Pour ma part je n’arrivais pas à me détacher de ces pelletées de terre qui tombaient sur le corps froid de ma mère.
Mon père mit un arrêt à ma méditation en me posant la main sur l’épaule.
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Viens rentrons.
Ce simple contact me rassura, je crois que mon père ne m’avait jamais encore donné un geste d’une telle affection.
De l’église à la maison il y avait bien 4 kilomètres, nous les fîmes groupés comme des moutons, silencieux, abattus , malheureux.
En arrivant chacun se groupa autour de l’âtre où brûlait une massive bûche de chêne, mon frère et moi, on fut placé devant avec les anciens. La vapeur d’eau qui s’échappait de nos nippes trempées exhalait une forte odeur, sueur, crasse, humus et terre en une seule flagrance se mélangeaient.
Grand père Pierre sortit du buffet familiale une fiole d’eau de vie, tous les hommes présents se revigorèrent, les femmes qui n’avaient point accès à ce noble breuvage se contentèrent d’une sorte de pisse mémé fait de plantes dont Marie Jeanne ma grand mère avait le secret.
Moi et Jean Louis nous eûmes la satisfaction de boire une bolée de lait tiède et gras tout droit sorti des pis de la Noiraude.
Une fois le monde parti, le silence se fit, d’un commun accord plus personne ne parla.
Grand père rompit la gêne qui s’installait en donnant quelques ordres.
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Jean va donner à manger aux bêtes.
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Jean Pierre va continuer la coupe de bois au pâti de la Gîte.
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Marie Jeanne va à l’étable, nettoyer.
Tous sauf mon père eurent une tâche à effectuer.
Mon grand père régnait en maître sur sa métairie de la Poissolière ainsi que sur ses occupants, nul ne contestait ses ordres et directive.
Moi pour l’heure je me réfugiais dans les jupons de ma tante Marie Jeanne, je l’adorais et ne la quittais guère, je crois bien que du haut de mes 5 ans j’en étais un peu amoureux. Elle me cajolais et me cédait tous mes caprices. Mon père se moquait en me disant que de traîner avec les fumelles j’allais me transformer en pleurnichouze .
Ma mère s’était différent elle n’avait guère eu de temps pour moi car ma sœur Marie était toujours à la mamelle.
D’ailleurs se fut à la mort de ma mère la première préoccupation, comment nourrir la Marie Véronique, moi je croyais simplement que le fait d’être une femme permettait de donner le sein mais apparemment grand mère et tante ne pouvaient le faire. Mon frère qui s’y connaissait m’expliqua qu’une femme s’était comme une vache, il fallait qu’elle ait un veau pour donner du lait.
Je n’ai pas bien compris le rapport mais bon la petiote se retrouva aux seins d’une domestique de la Bassetière.
A mon père, perdu dans ses pensée près du potager je n’avais encore posé aucune question.
Je tentais de le faire
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Pourquoi elle est morte maman.
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Parce que not bon dieu la rappelée
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Il l’a rappelé parce qu’elle avait fait le mal
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Non au contraire Aimé
Ce fut tout et je n’étais pas plus avancé, pourquoi le bon dieu faisait il mourir une maman de 29 ans.
Certes ces dernier temps, elle était fatiguée se plaignait de la poitrine, toussait et avait même de la fièvre mais tout de même.
Maman se nommait Rose Letard, elle était née sous le consulat de Napoléon, mon père l’avait marié en 1821, il était domestique chez grand père quand celui ci tenait la Grassière sur la commune de La Chapelle Achard.
Mon père avait coutume de dire j’ai troussé la fille du patron pour pouvoir être métayer. C’était un peu vrai mais aussi un peu faux. De fait lui qui n’était qu’un valet de ferme devint associé de mon grand père sur la métairie de la Poissolière à Saint Julien des Landes
Il eurent rapidement mon grand frère, très rapidement même . Puis se fut mon tour deux ans plus tard.
Ils complétèrent la famille par mes deux sœurs, Rose Victoire et Marie Véronique, j’avais l’impression que maman était toujours avec un gros ventre. Je ne sais par quel miracle les enfants venaient mais j’avais quand même l’idée que cela avait un rapport avec les petits cris que poussaient maman le soir derrière les rideaux de leur lit.
Mon père se retrouvait donc avec quatre enfants dont un aux langes, il allait falloir qu’il se retrouve au plus vite une femme. Moi j’aurais bien aimé que ma tante Marie Jeanne devienne la femme de mon père. Au village un métayer s’était remarié un mois après son veuvage avec sa jeune belle sœur.
Bon cela ne se fit pas c’est pour moi un grand mystère, ma tante était très belle et elle n’avait point d’homme.
La construction d’une histoire » le TRÉSOR DES VENDÉENS »
LE TRÉSOR DES VENDÉENS, épisode 1, L’ignoble massacre
LE TRÉSOR DES VENDÉENS, Épisode 2 Charles Guerin, Ma famille de L’Auroire
LE TRÉSOR DES VENDÉENS, Épisode 3, une enfance paysanne à l’Ératière
Bravo, c’est très agréable à lire malgré la rudesse du texte !
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