La vie au village 1915
Le curé pourtant habitué à la mort n’arrive pas à croire à tout cela, il est patriote mais pense tout bas que les gouvernants n’ont pas fait assez d’efforts pour sauver la paix.
Gougaud est plus en rébellion, il pense que si l’armée était mieux conduite on en serait pas là, il déteste le gros Joffre et crie à son remplacement.
En homme pratique, le maire recrutera quelques jeunes paysans pour aider Loetitia à faner son pré.
Maintenant la voilà veuve, elle est forte et va prendre le dessus. Elle se fixe des objectifs à court terme, son pré, ses blés, ses vaches et la fameuse vigne du défunt.
Le maire lui affirme qu’elle aura une pension de veuve.
Un matin elle se retrouve avec sa faux en compagnie du seul Henri Billeaud,le jeune fils de l’instituteur. Vous parlez d’un renfort, habillé de son uniforme de lycéen, les mains non cornées, il va faire un piètre faucheur.
Il faut pourtant commencer, Loetitia pourtant assez forte à beaucoup de mal à manier l’engin. Henri, maladroit au début prend de l’assurance, elle l’a mal jugé.
Il fait son travail et les andains prennent forme. C’est le casse croûte, ils sont là tous deux, au loin d’autres groupes de travailleurs, un peu similaires d’ailleurs, des femmes faites, des vieux, des gamins, puis les silhouettes noires des veuves.
Elle l’observe du coin de l’œil, il mange comme un homme et elle lui verse à boire comme elle le versait à Édouard. Il n’a pas l’habitude et est un peu gris.
Il dit des bêtises, fait le pitre, un rire s’ échappe de la gorge de la jeune veuve. Elle se reprend aussitôt, le travail doit reprendre.
Bientôt il prend de l’avance, sa force juvénile fait merveille, au soir épuisés les deux regagnent le village. Naturellement il la suit, mais Loetitia qui pourtant hésite un instant lui barre le passage. Elle ne peut laisser cet enfant presque homme pénétrer chez elle. Trop tôt c’est présence presque masculine la marquerait d’ignominie.
Chez elle pourtant alors que s’abat sur elle la solitude, elle pense que sa présence l’aurait réconfortée. Réconfortée comment, elle ne le sait guère.
Elle va chercher de l’eau à son puits pour faire sa toilette, elle est couverte de poussière, ses pieds sont noirs de crasse. Elle verrouille sa porte et se dévêt. Le contact de l’eau froide sur son corps lui procure soudain comme un plaisir coupable.
Son mari vient de mourir, elle est veuve et elle pense à des choses bizarres. Henri le gamin de l’instituteur a -t-il déjà vu une femme nue, a-t-il déjà caressé un corps de femme?
Elle chasse ses mauvaises idées, met sa chemise de nuit et tombe bientôt d’un sommeil de brute et dans des rêves sans fin.
Martial Billeaud l’instituteur est fier de son fils Henri, c’est un brave garçon qui spontanément a proposé ses services à des agriculteurs en peine.
Il revient fort content de chez la veuve Tirant, Martial aurait préféré une autre personne car celle-ci n’a pas bonne réputation.
Sa femme de sa voix douce le tempère et lui explique qu’il ne faut pas suivre les ragots du village.
Il en est convaincu,mais en homme prude toutes les affaires de moralité lui hérisent le poil. Sa conception de l’amour est la stricte observance de la fidélité conjugale. Jamais il n’a été tenté de griffer d’un coup de canif le serment qu’il a fait à sa femme devant Dieu et les hommes. Marie sa femme est plus circonspecte sur la chose, dès fois lorsque son mari est parti faire sa classe elle a des idées qui lui trottinent dans la tête. Rien de bien sérieux sans aucun début d’exécution mais cela lui suffit, elle s’échappe ainsi de la routine des assauts sans effusion de son Martial.
Lui, si il voit son fils heureux de vivre, s’inquiète toutefois de la prolongation de la guerre, si elle venait à continuer, son fils serait mobilisable.
Un membre du conseil lui a dit que André Coudrin est parti pour les Dardanelles, il explique à sa femme où cela se trouve et les développements éventuels en faveur des alliés qui pourraient se produire.
L’instituteur qui s’intéressait vivement aux enfants du Gué, à qui il avait apprit à lire, était pourtant plus préoccupé par ses deux fils aînés qui étaient aussi sous les drapeaux.
Léon le plus vieux a fait des brillantes études d’ingénieur et Marcel d’un an plus jeune le suit en une même destinée professionnelle.
L’importance de la mobilisation générale fait que dans chaque famille il y a plusieurs mobilisés.
Loetitia son foin séché doit maintenant le rentrer au fenil, ce n’est pas une mince affaire et là encore elle doit faire appel à la générosité. Henri est bien sûr présent mais il ne sais pas s’occuper de la charrette et des bœufs. C’est Eugène Jean l’ouvrier agricole des Raymond qui lui vient en aide. Elle le connaît bien car c’est le mari de Germaine sa copine lavandière. Certes il a affaire dans les prés de son patron mais si Loetitia et le jeune étudiant se charge du ramassage, lui conduira l’attelage au champs puis le ramènera.
Aussitôt la complicité de la veille reprend, certains crieraient à l’indécence mais Loetitia se sent revigorée, rassurée par ce jeune homme plein d’allant qui essaie maladroitement de la faire rire ou de la séduire.
La journée est fatigante, il fait une chaleur saharienne et un vent soufflant en tornade propulse un air sec. Une espèce de sable teinte les herbes vertes en une couleur ocre.
Eugène ramène le chargement, puis aide à le rentrer dans le fenil qui se trouve au dessus de la pièce principale. Ils sont couverts de paille, de poussière. Henri gamin s’amuse à en recouvrir Loetitia. Elle a l’age d’être sa mère mais pourtant elle est troublée.
Une fois le travail fait, la soif étanchée Eugène s’en retourne chez lui, Henri traîne et fait durer le temps. Loetitia le fait rentrer chez elle. Ils se mettent à discuter, lui est volubile, elle comme hypnotisée finit par s’endormir au coin de la table.
Au bout d’un moment qu’elle ne saurait quantifié, elle sent la main d’Henri qui doucement comme il le ferait d’une plume chasse une mèche qui lui tombe dans les yeux. Elle ne bouge pas fait semblant de dormir. Il s’enhardit un peu en lui enlevant une brindille de paille de son corsage. Elle sent sa poitrine involontairement se gonfler, osera t -il aller plus loin. Sans invite le petit n’ose, sur la cheminée une photo l’observe. C’ est Edouard en jeune conscrit qui pose et sourit dans sa moustache. Non il ne peut, cela serait trahir.Il se lève et quitte précipitamment la maison du héros mort d’une fièvre des tranchées.
Loetitia reste seule, avec son envie d’homme, avec son envie enfouie de bébé et son envie de revoir même une seule fois son Édouard.
Ses colères d’ivrogne, les engueulades, les presque bagarres quand il levait sa ceinture, même lorsque le soir avec ses genoux il la forçait à ouvrir les cuisses , tout cela lui manque, il n’est plus et elle pleure.
LE ROMAN DES MORTS, Épisode 26, la mort sans gloire
LE ROMAN DES MORTS, Épisode 25, les morts de l’;arrière
LE ROMAN DES MORTS, Épisode 24, une routinière monotonie