L’hospitalisation d’Edouard
Au 138ème rien de particulier ne se passe, les troupes se sont enterrées, il pleut et il pleut encore, heureusement les allemands sont calmes, enfin presque, car ils bombardent tous les jours. Cela disperse les travailleurs et les patrouilles, et souvent cela oblige à refaire le travail. Le jeu n’est guère intéressant, ce n’est pas comme cela que les paysans vont pouvoir rentrer moissonner.
Cette nuit Édouard a senti quelque chose courir sur son visage, il a hurler, c’était un rat . Ils sont légions et remontent sur les couchettes pour se mettre à l’abri de l’eau qui suinte par le sol. Foutues bestioles, elles vous boufferaient vivants.
Il flotte maintenant dans son uniforme tant il a maigri, la fièvre qui le brûle a parfois des rémissions et il croit qu’il est guéri .
Le 23 mai, ils sont enfin relevés, Édouard ne pense qu’à s’épouiller, il est couvert de cloques et la chasse qu’il fait à ce parasite est stérile, il en écrase cent il en revient mille. Il cantonne à Magnoville, son bataillon est au cantonnement mais les deux autres montent la garde. Ils sont touchés par des tirs d’artillerie, il y a des morts. Même en deuxième ligne le danger est permanent.
Il est désigné à la corvée de ramassage, les brancardiers s’occupent des blessés, eux des morts.
Au début c’est un peu dur, les copains vous regardent de leurs yeux vitreux. Une fois, alors qu’il devait ramasser un pauvre gars à moitié déchiqueté, il lui a fermé les yeux. Mais aussitôt fermés aussitôt rouverts, le malheureux était encore vivant. Il n’en a pas dormi la nuit suivante d’autant que le gars est mort peu de temps après.
Là les gaillards sont morts sous les bombes, ce n’est pas joli à voir, des morceaux de viandes comme à l’équarrissage. Du sang, des tripes , un bout de bras, un pied.
La corvée essaye de récupérer tous les morceaux et de trouver la chaîne pour l’identification. On fouille aussi les poches pour redonner les petits riens qui traînent, lettres, bijoux, souvenirs, mèches de cheveux, c’est à en pleurer, c’est à en devenir dingue.
Les jours s’allongent maintenant, la garde de nuit est moins angoissante, mais Édouard va définitivement mal, il reçoit un billet pour se rendre à l’ambulance. Il s’y traîne, la tête lui tourne, la fièvre encore la fièvre, il a soif, mais rien ne passe. Son cas n’est pas grave alors il attend encore et encore, il s’écroule au pied de l’abri.
Il se réveille plus ou moins, il sent qu’on l’examine,le palpe, il croit reconnaître le major qui l’autre jour l’a traité de feignant. Puis il entend évacuation immédiate. Enfin il va rentrer, Loetitia va lui faire un bon bouillon et un cataplasme, puis elle se couchera le long de son corps. A eux deux ils vaincront la maladie.
Il ferme les yeux s’endort, quelques heures plus tard il se réveille dans une grande salle . Il fait encore nuit, mais à la lueur d’une chandelle il voit d’autres lit identiques au sien. Au bout de la salle un râle monte. Des femmes habillées de blanc surgissent,elles portent des cornettes comme les bonnes sœurs. C’est bizarre Loetitia n’a pas ce genre de bonnet. Un homme arrive et écarte les apparitions blanches, il n’y a plus de râle.
Édouard est maintenant parfaitement conscient, il est dans un hôpital, et au loin on recouvre celui qui râlait d’un drap blanc. L’homme est mort, une corvée le prendra au lever du jour.
Au petit jour, une ravissante créature amène le café, c’est l’apparition d’un ange.
Il demande où il est, vous êtes à l’hôpital des contagieux de Toul lui répond la divine.
Contagieux , mais de quoi, il y a quelques heures encore, il montait la garde, il mangeait du singe avec les potes, il chiait cul à cul aux feuillées communes. Nom de Dieu il n’était pas contagieux à ce moment là.
La journée se passe , il ne voit personne, aucun médecin, une bonne sœur lui tend un thermomètre, il ne sait pas quoi en faire. Elle le regarde doctement puis prend les choses en main. Oh moins maintenant il a apprit où se met ce tube de verre.
Puis une cohorte de galonnés en blouse, se pressent dans le service, on discute visiblement de lui. Il ne comprend rien aux palabres, il a mal à la tête et à de la fièvre.
Il profite maintenant de la quiétude de son lit douillet, il n’émerge plus guère, la fièvre ne passe pas. Chaque jour, une jeune fille vient lui donner la becquée, elle lui parle, cela le berce, il voit sa mère , il voit sa femme.
Il n’a plus conscience du temps, un matin on lui lit une lettre de sa femme, il n’est plus capable de le faire lui même. Il fait des cauchemars, tente d’échapper aux griffes des monstres qui tournent autour de son lit. Il a peur des apparitions, des fantômes blancs qui l’encerclent, ils posent leurs mains sur lui. Cela le terrifie, il hurle, puis de nouveau retombe dans sa léthargie.
Le 15 juin il râle, une infirmière se précipite. Il est trop tard, Dieu le rappelle près de lui. Il est détendu, voit une lumière blanche dans un grand couloir.
La brave femme constate son décès, on remonte un drap sur son visage, tout à l’heure on l’emportera.
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