LE ROMAN DES MORTS, Épisode 26, la mort sans gloire

La mort d’Édouard

Loetitia croule sous le travail, le matin elle doit obligatoirement traire ses deux vaches avant le passage du laitier qui emmène le lait à la coopérative de beurre d’Anais. Elle se lève à l’aube, avale un repas frugal, elle fait fi de toute féminité, à quoi bon, nul besoin d’être belle et élégante pour être au cul des vaches et au brassage de la litière de ses bêtes.

Aujourd’hui elle a décidé de faire sa buée, puis de profiter de l’eau du ruisseau de l’abbaye pour son rinçage.

Le lavoir se trouve à coté du pont c’est un peu le centre du village. Quand elle arrive les meilleures places sont prises par les lavandières. La vieille Marie Barreau 75 ans est à sa place, courbée par les années son corps forme un L inversé, par respect pour son âge personne ne lui conteste son coin. Un immense tas de draps illustre bien ce que sera sa journée. Elle est payée à la tâche alors il ne faut pas qu’elle traîne. Marie Rousseau n’est plus toute jeune non plus mais le salaire d’ouvrier agricole de son mari ne suffit pas à faire bouillir la marmite alors elle se crève encore et encore auprès de sa ponne puis de ce ruisseau. Louisa Borde et Germaine Foucaud sont plus jeunes, ce sont les amies de Loetitia. Elles l’aideront à tordre ses draps et par leurs chants l’encourageront, elles n’ont aucun préjugé sur elle.

A peine les mains dans l’eau, les croupes en l’air, qu’elles sont observées et zieutées par une bande de jeunes mâles qui partent avec leur faux pour faire les premières fenaisons. Louisa qui n’a pas la langue dans sa poche leur cri  » mon cul n’est pas pour vos mains, allez donc travailler bande de feignants. »

Au cours de la matinée la cadence ralentie un peu , elles sont éreintées et prennent une pause.

Le facteur rural arrive sur le pont et semble chercher quelqu’un.

Il dépose soigneusement sa bicyclette le long du parapet et sort une lettre de sa sacoche.

Comme un croque mort, respectueusement il s’incline et tend l’enveloppe à Loetitia.

Elle est saisie de frisson comme à chaque fois depuis deux mois que son mari est parti et qu’elle reçoit une lettre de lui.

Mais celle-ci à une écriture différente, plus racée, moins malhabile. Le cachet est de Toul en Meurthe et Moselle, elle sait que son homme est par la bas.

Elle commence à lire, Louisa derrière son épaule lit en même temps.

Madame,

Je suis au regret de vous annoncer que votre mari Edouard Tirant est décédé à l’hôpital des contagieux de Toul le 15 juin dernier. Ce dernier, malade n’a pas pu être sauvé mais je vous rassure il n’a pas souffert.

Nous vous ferons suivre ses effets personnels.

Le directeur et major de l’hôpital chef de service.

La missive lui tombe des mains et finit dans l’eau, Germaine la récupère. Le sang s’est retiré des veines de Loetitia, elle s’écroule moitié dans l’eau moitié sur la rive. Vite on la redresse. Léopold Jouinot qui passe avec sa carriole de charbon s’arrête et se précipite, on monte l’infortunée dans la voiture.

Bientôt le village est au courant de ce nouveau décès. Le maire et le curé arrive en même temps au chevet de la pauvre femme. En ces instants difficiles, le pouvoir religieux et le pouvoir communal oublient leurs dissensions et chacun avec ses mots tente de réconforter Loetitia. Elle est pudique et aucune larme ne coule. Courageuse , elle sort une bouteille de vin bouché, trois verres et s’installe à la table avec Gougaud et Niox.

Édouard est le cinquième mort de la commune, après Marcel Boutin,  Fernand Néraudeau, Daniel Gillet  et Camille Jourdain .

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