Alors un jour on m’emmena chez mon grand-père à Surtauville, on m’expliqua que j’allais apprendre le métier de scieur de bois. C’était le papa de maman, il tenait une scierie dans le village et une autre à la Haye Malherbe. J’étais un peu heureux, m’en aller de la boucherie, des jeunes qui m’ennuyaient, des filles qui me chassaient et de maman qui ne m’aimait guère.
Le grand père s’appelait Zéphir Levigneron, un vrai personnage qui me faisait un peu peur il est vrai, mais moins que ma grand-mère Victoire, et ma tante Céline. Mes parents me lâchèrent là-bas avec une réelle satisfaction. J’étais perdu, dépaysé et j’avais un peu de mal à discerner le rôle de chacun, car voyez-vous il y avait plusieurs ouvriers qui demeuraient sur place.
Zéphir avait bien réussi, fils de journalier, devenu marchand de bois, il était maintenant un personnage reconnu dans le village et les alentours.
On tenta de m’apprendre le métier, mais ce fut comme à l’école, pas assez rapide, trop lent. Je faisais des erreurs et les employés me hurlaient dessus. Heureusement grand-père intervenait, il était gentil avec moi, lui.
Moi j’aimais bien faire toujours la même chose, je trouvais mon plaisir à faire et à refaire le même geste.
Bon je m’énervais souvent et parfois je devenais violent. Si on m’avait laissé tranquille aussi.
Le grand père disait que j’étais un peu couillon, alors les ouvriers quand je passais me chantaient : couillon, couillon, couillon. Je m’enfuyais dans la campagne, et Zéphir disait laissez-le donc, quand il aura faim, il rentrera.
Seulement, voilà j’étais devenu au physique presque un homme et personne n’acceptait que je suive les filles ou les femmes. Un jour le père de l’une d’elles m’a mis une gifle et un autre a failli m’embrocher avec sa fourche. Le grand-père arrangeait toujours tout.
Il y eut un drame à cette époque, la grand-mère Victorine cassa sa pipe, j’ai pas pleuré et même qu’au cimetière ma mère m’a mis un coup de pied dans les chevilles car je souriais.
A l’enterrement ce fut peut-être la première fois que nous étions tous réunis , Marcel, Alice et moi.
Je ne retournerai jamais à Louviers, j’étais bien ici, je coupais mes planches et nettoyais la scierie.
Le grand père me donnait quelques sous et avec je pouvais m’acheter des friandises et aussi du tabac car les ouvriers m’avaient appris à fumer.
Ma tante me surveillait mais moi j’étais plus malin qu’elle et je fumais en cachette. Bon un jour le vieux il m’a collé un fameux coup pied au cul, car je m’étais caché dans la réserve de planches. Alors vous pensez bien qu’avec le feu c’était défendu.
Un autre fois les copains ils m’ont fait boire, j’ai été malade, puis j’ai fait une crise. Ma tante, je l’entendais la méchante disait qu’on ferait mieux de m’enfermer.
J’étais bien quand j’étais tout seul, je pensais, je regardais le ciel et écoutais les oiseaux, autour de moi.
Maintenant cela s’agite autour de moi, c’est mon voisin de lit, il n’a pas l’air très bien. C’est drôle l’une des sœurs lui recouvre la tête d’un drap.
Puis des messieurs en blouse grise l’emmènent, je pense qu’on le ramène à sa chambre.
On m’essuie le front, on prend mon pouls, le docteur sentencieux dit, il va bientôt rejoindre celui qui vient de partir. Je le sentais bien que j’allais guérir.
Chez grand-père la vie suivait son cours, mais les ouvriers commençaient à se plaindre de mon attitude, je les retardais. Zéphir me protégeait mais quand il n’était pas là on me chahutait.
Mais le pire c’était quand je me promenais et que les gens se détournaient ou riaient à mon passage. J’essayais de ne pas y faire attention mais les mots sont parfois cruels et malgré ma bizarrerie apparente je les comprenais très bien.
Tous s’effaçaient devant moi et particulièrement les femmes, j’étais un homme, je travaillais et j’aurais bien aimé me marier pour posséder l’une d’elles.
Mais elles avaient peur de moi et chaque fois cela tournait mal.
Grand-père bien ennuyé m’expliqua qu’en attendant mon conseil de révision je pourrais aller travailler chez l’un de ses copains à Romilly sur Andelle. Moi je ne voulais pas, j’aimais pas qu’on change mes habitudes. Je fis une crise de nerf, me roulait par terre, le docteur eut beaucoup de mal à me calmer.
Finalement je partis là-bas vers mon destin.
C’est mon père qui me conduisit au conseil de révision. On passa une visite médicale, tous à poil à la queue leu leu, moi j’ai pas trop aimé, c’était la première fois que je me mettais tout nu devant quelqu’un, instinctivement je me cachais le sexe.
On prit mes mensurations, 1 m 68, j’étais grand, yeux gris, cheveux châtains, visage ovale.
Je savais lire et écrire, on nota, degré d’instruction 3, on me posa également des questions, cela dura plus longtemps que pour les autres. Le militaire qui était là semblait se moquer et le médecin me fit défiler plusieurs fois devant lui.
Finalement on m’incorpora, mon père ne voulut pas que j’aille avec les autres conscrits faire la fête.
Il avait raison de toutes façons ils n’auraient pas voulu de moi.
Je reçus quelques temps plus tard mon affectation, 5ème régiment d’infanterie à Falaise dans le département du Calvados.
J’y arrivais le 4 octobre 1910, vaste bâtiment rectangulaire à plusieurs étages, une immense cour et des bâtiments de service sur les côtés.
On nous aboya dessus immédiatement, nous n’étions plus des civiles mais des militaires. On allait nous transformer en homme.
J’eus immédiatement peur, je ne comprenais pas ce que l’on me voulait et je me fis repérer tout de suite.
On nous donna notre paquetage puis on nous fit monter dans les chambrées.
Nous étions dans de vastes dortoirs et moi je me retrouvais à l’une des plus mauvaises places c’est à dire près de l’entrée.
Je n’avais jamais connu une telle promiscuité, cela me déconcerta. Un bourdonnement grave et incessant de conversations, des grandes gueules, un mélange aussi de patois, bas normand, haut normand, breton. Puis des odeurs de corps entremêlés, sueur, crasse, saucisson, jambon que certains avaient amenés de leur ferme.
Puis il faut bien le dire, une odeur de pisse et de merde qui passait par la porte et venait des latrines placées sur le palier.
Le soir couché, ce fut un concert de pets, tous rigolaient, moi cela me dégoutait.
Le lendemain le calvaire commença, l’ordre serré qu’on appelle cela, faire marcher au pas une bande de paysans qui ne marchaient au quotidien qu’avec des sabots n’était pas une chose aisée.
UNE SIMPLE HISTOIRE DE FOU, ÉPISODE 1
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