UNE SIMPLE HISTOIRE DE FOU, ÉPISODE 4, la fin d’un calvaire

 

Une, deux, une deux, à droite, à gauche, demi-tour droite, je m’y perdais, jamais sur le bon pied, tournant toujours du mauvais côté.

Le caporal gueulait et plus il gueulait plus je me trompais, rien à faire. Évidemment il crut que je me moquais de lui et la première sanction tomba. Le lendemain je me retrouvais de corvée de chiottes, répugnance des odeurs, des merdes tombées à coté, des virgules le long des portes, des papiers journaux ; ce ne fut qu’un long calvaire, j’alternais les corvées et les séjours à l’infirmerie. Car des fois je me révoltais, j’entrais en convulsions, me roulais par terre, bavais, alors pour quelques temps j’allais au repos. Le major faisait rapport sur rapport pour me faire exempter.

Le pire c’était les brimades des autres, on me volait mon sac, on m’attachait les lacets de mes chaussures, lorsque je posais culotte on me balançait un seau d’eau. Au réfectoire on me prenait ma viande. Je ne savais pas me défendre.

Un jour pour s’amuser, les autres m’ont foutu à poil et m’ont fait courir tout nu dans la cour. J’étais l’idiot, j’étais le fou.

Un jour on me donna une permission, les autres se décidèrent à me faire déniaiser. Tous l’avaient apparemment fait, il ne restait que moi, j’étais pas très rassuré je me demandais comment j’allais faire.

On me trouva une fille, grosse, laide et vieille, elle m’emmena dans une chambre sordide et me fit déshabiller. J’avais l’impression de me trouver devant le docteur alors je fus particulièrement troublé.

Elle m’aida et je dois dire que ce fut un réel plaisir, mais bon dieu que c’était court. Je demandais à recommencer mais il lui fallait encore de l’argent et évidemment je n’en n’avais pas.

Bon de ce côté-là j’étais comme les autres, mais pour le reste.

Jamais on ne me confia un fusil, juste un balai, jamais je ne mettais mon beau képi, toujours ce foutu bonnet de police. On ne m’emmenait pas aux manœuvres, car le sergent disait que j’étais trop con.

C’est pas vrai, je ne suis pas con, je sais lire et écrire et je connais mon catéchisme, alors je me suis énervé et on m’a envoyé de nouveau à l’infirmerie.

Le médecin major a jugé cette fois que c’en était de trop, il a fait un rapport et on m’a conduit à Caen pour une visite médicale. De nouveau tout nu, puis des exercices, moi je croyais les avoir réussis, mais non on me réforma et là j’appris que j’étais débile mental.

Ce n’était pas vrai, je le savais et mes parents aussi.

Je revins à Louviers où visiblement maman et papa ne m’attendaient pas.

Mais qu’est ce qu’on va faire de toi ?

Papa tenta de me montrer son travail, mais rien ne m’intéressait, je passais des heures à ne rien faire, à regarder les gens qui passaient, je les entendais dire, ‘’c’est y pas malheureux pour ces pauvres gens ».

Moi j’avais envie de filles, mais elles ne voulaient même pas me parler, alors je leurs courais après, cela faisait des histoires.

Même si j’en rêvais, jamais je n’en ai touché une, je voulais juste qu’elles s’intéressent à moi, seulement voilà les parents portèrent plainte.

Un soir papa et maman m’expliquèrent que pour mon bien ils allaient m’emmener dans un hôpital où je serais très bien soigné. Moi je voulais pas y aller, j’étais pas malade alors j’ai fait une crise.

J’ai attrapé un couteau et je m’en suis frappé, j’ai pas senti la douleur, je voulais en finir, pas l’hôpital, je voulais retourner chez grand père.

 

Dans ma chambre un prêtre arrive, il se dirige vers moi, me dit quelques mots, mais je m’en rappelle, ce sont les mots qu’on prononce pour les morts, les mêmes que pour grand-mère.

Suis-je en train de mourir, je ne veux pas, je veux revoir maman et papa, Alice et Marcel.

Des messieurs en blouse blanche m’ont conduit à l’hôpital d’Évreux, j’étais finalement content car c’est la première fois que je montais en voiture à moteur. J’étais un peu fier, mon frère Marcel lui n’était jamais monté dans ce genre d’engin.

Nouvelle visite médicale, encore tout nu, cette fois devant les sœurs, on m’a même mesuré le crâne, microcéphale avec asymétrie crânienne. Je ne comprends rien mais j’entends bien. Le docteur dit encore, stigmates de dégénérescence.

Nous étions le 25 aout 1913, l’hôpital était celui des fous, mais comme je ne l’étais pas je n’allais pas y rester longtemps.

Nous n’y étions pas si mal, mais j’avais de drôles de compagnons, certains chantaient, d’autres hurlaient, l’un se prenait pour un roi, un autre mangeait sa merde.

On nous faisait travailler, des choses simples, du jardinage, de la petite menuiserie, moi j’aurais voulu travailler à l’extérieur. Le médecin disait que ce n’était pas possible, j’étais dangereux pour moi-même et pour les autres.

Alors je faisais des crises, me roulais par terre, je me frappais. Je finissais en cellule attaché par une ceinture bizarre.

Je n’arrive plus à fermer mon pantalon, j’ai grossi, mais maman m’a envoyé un colis de jolis habits.

Une sœur m’a énervé alors j’ai fait une grosse crise, on m’a fait une piqûre et on m’a enfermé.

Au mois de mars 1915 je les ai bien eus, je me suis évadé. C’est un copain qui m’a aidé à passer le mur. J’étais fier de moi, je voulais repartir à Surtauville chez grand-père. Mais je ne savais pas par où partir, j’avais faim et froid. Ce sont les gendarmes qui m’ont ramené, nouvelle visite médicale et enfermement avec surveillance stricte.

Qu’on me foute la paix, je ne veux plus rien faire. A l’extérieur c’est la guerre et un jour avec d’autres on m’amène à Rouen où je passe encore une visite médicale avec un médecin de l’armée.

On ne veut toujours pas de moi et je suis confirmé dans ma reforme.

Personne de la famille ne vient me voir, personne ne me fait sortir, souvent je pleure.

Dans une grande pièce nous fabriquons de la charpie pour les soldats. Je vais mieux et je propose qu’on me laisse partir tuer les Allemands. On m’éconduit, alors je redeviens agité.

Fin 1917 on doit manquer d’hommes au front, alors nous les soi-disant aliénés on vérifie encore si on ne serait pas devenus aptes.

Je crois que je vais passer ma vie ici, c’est un comble, j’étais scieur et je suis allé à l’armée. J’ai même fait l’amour à une fille, je ne suis pas fou, pas malade, je veux que papa et maman me sortent d’ici, promis je ne courais plus après les femmes.

Vraiment je suis mal, la tête me tourne, ma vue se brouille.

Lucien est mort le 18 octobre 1918 à l’asile d’aliénés d’Évreux, victime de la grippe espagnole.

Puisse ce petit récit l’avoir fait un peu revivre.

Pascal

 

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