Les années passèrent donc, mon frère qui habitait avec sa femme à Auger un village voisin eut à subir ce que malheureusement la majorité des paysans subissaient à savoir la mort d’un enfant.
Ce fut cruel de voir partir son petit garçon, âgé de deux ans il fut pris de fièvre et mourut de la rougeole. Sophie sa mère enceinte jusqu’aux yeux prête à accoucher crut mourir de désespoir. Moi c’était la première fois que je voyais un enfant mourir, petite poupée aux yeux clos, blanche, immobile, puis statue hiératique à la peau de marbre, rictus sardonique aux lèvres, puis enfin viande nauséeuse dont il fallait rapidement se défaire.
Pendant quelques temps je restais chez eux pour assister ma belle sœur, sa grossesse la clouait au lit aussi sûrement que son désespoir. Je restais des heures à la caresser, à la bercer à lui tenir compagnie. Elle aussi tomba malade, allait on la perdre également?
Dame nature fut plus forte et début novembre 1817 elle rentra en travail, c’était de fait mon premier accouchement vu de l’extérieur. Je fis pour elle ce qu’on avait fait pour moi.
Je ne fus pas la marraine de cette petite fille, l’honorable curé n’étant point chaud pour confier cette petite âme chrétienne à la putain de Sancy.
Je ravalais ma haine et maudissait encore et encore mes agresseurs.
Mon amoureux au loin, je me devais de trouver maintenant un mari, non pas que j’avais hâte mais il paraît que cela se faisait, moi je veux bien mais pourquoi une femme ne pouvait elle pas rester seule.
Une veuve oui, mais une jeune fille non, vous parlez d’un idéal de vie, tous les jours subire le joug d’un homme après avoir subit celui de son père. Gentil au départ mais après, avec le temps, beaucoup buvaient plus que de raison et devenaient violents, le viol conjugal pouvait être journalier. Nos bonhommes n’étaient pas très propres, faisaient rarement toilette, se couchaient au retour des champs sans même se passer à l’eau, quelle » dégoutance », mon père lui pétait à faire dans son froc, il trouvait cela hilarant. Ma mère était visiblement habituée.
Moi je me voyais donc indépendante vivant de mon travail et me satisfaisant des bonheurs de la chair avec qui je voulais.
J’étais loin du compte, mon salaire était pris par ma mère, quand à mon père alors que j’avais vingt ans passés me mit une belle paire de gifles devant un garçon qui me raccompagnait.
J’étais bien décidée à me venger de cet affront et un soir que je rentrais d’une traite à la ferme d’à coté l’homme qui m’avait vu giflée m’aborda. C’était un garçon de Champcenest, gentil mais point beau, qu’importe il ferait l’affaire. Il n’en demandait pas tant.
Écarter les cuisses à un presque inconnu pour se venger de l’autorité parentale était forcement une mauvaise idée. Je fus troussée comme une lavandière par un enfant de troupe, lestement, rapidement , violemment, je n’eus aucun plaisir et le bougre comme pris en faute se sauva bien vite sans même un au revoir.
Cette petite affaire du fait changea ma vie. C’est presque bizarre mais je n’avais pas la peur au ventre comme avec mon aventure d’avant, non je baignais dans les limbes de l’inconscience.
Par contre moi qui était régulière au bout de deux mois je commençais à prendre peur et de fait mon ventre plat se transforma en petit bedon et ma poitrine déjà abondante prit une ampleur qui dépassait largement l’étendue de mon corsage.
Il fallait que je fasse vite, m’en débarrasser de ce méchant fruit. Par ragots de femme nous savions qu’une pratique officiait à Provins dans une petite venelle de la ville haute. Mais comment et sous quel prétexte me rendre la bas. Il me fallait une complice et je n’en voyais qu’une ma belle sœur.
Elle me devait bien un service après tout. Je me rendais chez mon frère et révélais mon secret.
Compréhensive Sophie en femme m’écouta et promit de réfléchir.
La belle, la traîtresse elle m’a abandonnée, racontant tout à son mari mon frère. Celui ci pitoyable voulant sauver l’honneur de la famille Ruffier déblatéra les faits à mes parents.
L’orage éclata à notre retour de l’office du matin, nous étions réunis pour l’habituel repas du dimanche et ma mère avait tué et dépecé un gros lapin pour la circonstance.
J’ai cru qu’ils allaient me tuer, les insultes fusèrent, salope, fille à soldat, catin, marie couche toi là, putain,garce, grue, cocotte. Ensuite je reçus une grêle de coups, mon père, mon frère, ma mère et même la Sophie. Jamais je n’avais été battue comme cela, ils voulurent me faire avouer le nom du père. En aucune façon je ne voulais associer un père à cette malencontreuse chose qui évoluait maintenant dans mon ventre. Je me voyais jeter dehors, obligée de mendier avec mes deux enfants ou bien me prostituer comme beaucoup de malheureuse. La période n’avait rien de bien marrante pour les filles mères, les ultras catholiques tenaient maintenant le haut du pavé et les bien pensants des villages leur emboîtaient le pas en une sorte de réaction contre les turbulences de la révolution et de l’empire.
Bien sur avec le raffut que fit ma famille la population de Liéchen eut un beau spectacle, tous me voyaient battue, dénudée, humiliée, jetée au fumier. Mais, mes parents tout haineux qu’ils étaient ,n’entendirent pas que la communauté prompte à juger, leurs dicte une conduite.
Je restais donc chez mes parents, meurtrie, humiliée par les mots et les coups mais au fond de moi je leurs savais grès du fond d’humanité qu’ils leurs restaient.
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