1830, L’ératière, commune d’Aubigny
Marie Anne Tessier
A la métairie, ce qui revenait souvent dans les conversations c’était l’avancement des travaux agricoles, les animaux et aussi l’insurrection de 1793.
Les hommes entraient alors dans des discutions animées, les femmes assises écossaient les mogettes en ouvrant grand leurs oreilles. Nous les enfants nous écoutions aussi religieusement ces histoires bien souvent enjolivées et où se mêlaient déjà une part de folklore.
Moi à la dérobé j’observais ma grand mère Malard qui était la seule à survivre de cette période. Elle avait souvent des larmes qui coulaient le long de ses rides, cela formait comme un petit ruisseau qui cheminait entre deux petits vals. Je me demandais pourquoi elle pleurait et le lendemain ma mère avec ses mots m’expliqua, ta grand mère a été violée par des soldats. Le mot me parut extraordinaire, merveilleux et comme étranger mais je n’en connaissais pas le sens. Éblouie par cet aura je ne regardais plus ma grand mère de la même façon, c’est complètement idiot mais c’était ainsi.
Un dimanche nous nous rendîmes à la messe avec toute la famille, cela valait le coup d’œil, de toutes les métairies et fermes arrivaient des paysans endimanchés.
Les plus riches portaient souliers, les autres des sabots et nous étions même obligés de nous mettre de coté quand passaient les carrioles des riches propriétaires comme notre maire le Pierre Guerineau ou même les meuniers Chaillot et Tessier. Les hommes se saluaient en soulevant leur chapeau les femmes baissaient la tête quand c’était des hommes et adressaient des joyeux bonjours à leurs commensales féminines.
Nous les enfants on courait partout, devant, derrière en un véritable cortège, un jour on croisa les Guerin de l’Auroire, nos parents se saluèrent et moi jeune oie je tombais en pâmoison devant le beau Charles, il avait treize ans, moi sept, ce fut le coup de foudre, enfin pour moi, car lui ne me regarda même pas. Mais je me promis d’en faire mon homme .
Comme je vous l’ai dit la principale occupation c’était la messe du dimanche, non pas que nous étions tous des fervents catholique mais ce jour était interdit au travail. Toute la population se retrouvait au village, la famille, les amis, tous se groupaient autour du saint édifice.
Le plaisir était en général partagé, les habitats étaient dispersés et il était hors de question de perdre son temps en vaines marches pour aller voir tel ou tel autre. Alors cette convergence dominicale ressemblait à une vrai fête.
Les couples se formaient souvent à la sortie de la messe, les filles à marier se promenaient et les garçons tentaient leur chance en les abordant, si il y avait accord, le rituel pouvait commencer.
Mon père et mes oncles allaient boire à l’auberge puis allaient jouer au palet, les parties étaient endiablées. Le but était de lancer des palets sur une plaque en plomb, moi je trouvais cela bête comme jeu. Mais enfin ce que font les adultes est souvent un peu idiot.
Les femmes pendant ce temps discutaient de tout et de rien, elles faisaient le lien entre les fratries dispersées. Tout le monde se connaissait, le travail au champs, les corvées, les foires, la messe, les sépultures, le changement fréquent de métairie, la loué, la famille, tout concourait à ce que chacun se reconnaisse.
Pour sur il y avait aussi des inimitiés ancestrales, convoitises des mêmes terres, convoitises des mêmes hommes ou femmes. Jalousie, haine, ressentiments divers liés au comportement des uns et des autres pendant la révolution. Certains avaient pactisé avec les républicains et avaient fait foi des lois républicaines, d’autres s’insurgèrent contre la levée en masse de 1793, quitte à mourir, autant mourir chez soi. A la campagne les enfants épousaient souvent les querelles de leurs parents, alors les haines perduraient.
Mon père Henri avait comme copain Pierre Guerin, ce dernier était plus vieux mais les deux hommes s’entendaient à merveille, gros travaux ensemble, tournée des cabarets et des caves et mêmes discutions endiablées sur la politique Française.
Mais je crois qu’ils avaient aussi un autre point commun, pendant la révolution, Pierre Guerin avait connu mon grand père Jean et ils avaient fait le coup de feu ensemble.
Mais apparemment il y avait autre chose entre les deux hommes, Jean sur le point de mourir avait confié un secret à son fils Henri et lui avait dit d’en parler à Charles Guerin.
Un jour où il n’y avait pas grand choses à faire sur les exploitations les deux hommes partirent en direction du moulin du Beignon sur la comme de Saint Flaive des Loups, toute la journée ils avaient arpenté les chemins creux, les fossés, les bois et une métairie ruinée.
Pourquoi faire, je n’en savais rien, mon père rentra dépité et dit qu’il leurs manquait des renseignements et qu’ils les obtiendraient bientôt si ils retrouvaient la trace d’un certain André Peaud. Tout cela était bien mystérieux pour mes oreilles enfantines et chaque fois que je tentais d’en savoir plus on me répondait que cela ne me regardait pas.
Que pouvait il y avoir au moulin de si mystérieux.
J’étais tranquille quand mes parents décidèrent que je devais aller à l’école, vraiment curieux cette prétention à vouloir me faire écrire et lire alors que nos métairies n’avaient jamais vu le moindre livre ni morceau de papier. Les contrats étaient affaires de notaires et mes parents faisaient une simple croix ou topaient dans la main de l’autre partie. Nous autres nous avions toujours vécu comme cela pourquoi m’embêter moi, surtout que nous les femmes nous n’avions rien à voir là dedans, c’était les hommes qui discutaient de tout. Maman me disait apprend à écouter ton père car il faudra que tu écoutes ton mari. Elle me prenait pour une godiche, je savais malgré mon jeune age comment les femmes s’y prenaient pour diriger les hommes.
Un soir à la maison on discuta ferme, ma tante Victoire n’avait plus quelque chose et cela signifiait qu’elle promenait. Je pataugeais un peu, alors ma sœur me déniaisa un peu sur mes connaissances, la tante elle est enceinte bougre d’andouille me dit elle.
Mon père dit que les diables n’avaient pas chômé, la grand mère Mallard s’inquiéta pour la disponibilité des lits et mère lui répondit que pour l’instant rien ne pressait et que l’on verrait plus tard.
En fait ce fut tout vu mon oncle Charles et sa femme Victoire quittèrent la métairie et le bébé naquit à Saint Georges du Pointindoux, cela me fit bizarre cette séparation familiale, mais ce ne serait que provisoire.
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