LE TRÉSOR DES VENDÉENS, Épisode 6 , Les yeux de l’enfance

1830, Saint Julien des Landes, La Poissolière

Jean Aimé Proux

Sans maman qu’allions nous faire, grand père accepterait il de nous garder car après tout mon père n’était métayer que parce qu’il avait épousé maman sinon il serait encore domestique de ferme.

Il fallait que je trouve une solution et je crois qu’elle passait par un remariage de mon père avec sa belle sœur, mais comment faire. Je m’ouvrais du problème à mon frère aîné, il me répondit que ce n’était pas nos affaires et que mon père avait peut être mieux à faire.

Bon si ce dernier n’avait aucune vue sur Marie Jeanne moi j’en avais, je ne la quittais jamais. Le matin lorsqu’elle se levait pour préparer le repas des hommes, je me glissais hors du lit où mon frère dormait encore et j’allais la rejoindre. Je me nichais près de l’âtre et sans un mot je l’observais. C’était notre moment. Puis tout le monde arrivait, les yeux moitiés fermés, les cheveux en bataille.

Les hommes sortaient pisser sur le tas de fumier et telle une rangée d’hirondelles sur une barrière, alignés presque par ordre de taille, ils rigolaient grassement à celui qui allait le plus loin. Invariablement on se moquait de moi,  » Aimé c’est une drôlesse y préfère pisser avec les filles  »

Je râlais mais c’était vrai, chaque matin Marie Jeanne m’emmenait faire en même temps qu’elle.

Impudicité de sa part , non certes pas, j’étais encore un bébé disait elle. J’avais le sentiment que cela ne durerait pas encore très longtemps, la grand mère pudibonde y mettrait les oh là.

Ensuite chacun allait travailler, Marie Jeanne allait à la traite, je la suivais. Lorsqu’à sa suite je pénétrais dans l’étable j’étais immédiatement saisi par l’odeur acre qui s’en dégageait, pisse, bouses, fumier en décomposition, odeur corporelle des vaches. Nous en étions comme envoûtés et il nous fallait quelques minutes pour nous y habituer.

Le jour à peine levé, nous ne devinions qu’avec peine la forme des animaux, pas question de prendre une chandelle, trop dangereux et pas assez économique. Mon grand père disait les pis des vaches c’est comme la queue d’un homme on la trouve bien dans le noir.

Outre l’odeur envoûtante, la prégnance de la chaleur qui venait vous saisir vous irradiait d’un bonheur indéfinissable. Lourde, humide, chargée de miasmes elle vous pénétrait hiver comme été.

Marie Jeanne prenait son tabouret et avec dextérité tirait sur les trayons des vaches. J’étais toujours là pour la première tirée, odorant, chaud, gras ce lait presque jaune ravissait mes papilles.

Au champs je n’avais pas le droit de la suivre, je traînais à la Poissolière en étendant chaque jour mon champ d’investigation.

Le soir lorsque je pensais que tout le monde dormait, je descendais de mon lit et gagnait la couche délicieuse de ma tante presque mère, de ma tante presque ma fiancée. Jamais elle ne me repoussait, je me lovais le long de son corps chaud, je m’inondais de son parfum corporel. Elle me grattait la tête et je m’endormais serein.

En juillet 1830 ce fut un beau chambardement, le tocsin sonna et les hommes coururent au bourg, un incendie, une guerre, un mort ou l’arrivée imminente d’une catastrophe. Cela ramenait aux jours lointains et mon grand père Pierre ressortit même son vieux fusil.

Cela ne fut qu’une révolution Parisienne mais tous furent inquiets la dernière fois cela avait commencé de la même manière.

On apprit que les morts s’amoncelaient et que le roi Charles avait abdiqué pour son fils. Tout le monde conjecturait, mais les adultes se disaient que le père ou le fils c’était bien pareil, du moment qu’il n’y avait pas une république. Mon père n’y comprenait rien pas plus que les autres d’ailleurs.

A la Poissonière il fut décidé que l’on ferait comme les beaux messieurs des châteaux et comme le curé Bougnard.

L’effervescence redescendit un peu lorsque l’on apprit qu’un roi nommé Louis Philippe avait succédé à celui qui occupait le trône. Voila qui se terminait bien et moi je me pris une torgnole par grand mère lorsque je dis que c’était bien la même chose. Le curé à la messe avait dit que ce roi n’était point le légitime alors ma grand mère qui croyait aux paroles du bon père comme à l’évangile ne jura que plaies et bosses pour l’intrus.

Cela avait animé les soirées des adultes,  justement un soir au détour d’une porte mon grand père Pierre raconta une aventure qu’il avait eu pendant l’insurrection, je ne compris pas tout car les  hommes chuchotèrent mais il fut question d’un coffre et de patauds.

A la table quand les hommes évoquaient cette période que d’ailleurs bien peu avait connu, ma grand mère Marie Jeanne debout près du potager se fermait et se mettait à psalmodier une prière.

Je ne sus que bien plus tard qu’elle avait été déshonorée, forcée par deux républicains en goguette. Bien étrange période ou un même peuple s’entre-tua et ou se réveilleront les pires instincts.

De mes oncles et tantes aucun n’était marié et il va s’en dire que les conversations sur le sujet allait bon train.

Moi je n’en perdais pas une miette, car je n’avais pas encore abandonné l’idée que mon père refasse sa vie avec Marie Jeanne ou bien même et plus bêtement encore que cette dernière m’attende.

Pour mon oncle Jean les négociations étaient déjà entamées avec une famille de la Mothe Achard, ce fut assez long car voyez vous la belle n’était point paysanne et alors là chez les Letard, il y avait comme un problème. En fait il y avait deux problèmes la soupirante était couturière et les parents cabaretiers. Autant dire aux yeux de la grand mère qu’ils tenaient un bordel et que leur fille n’était que catin. Moi avec mon frère on trouvait cela un peu curieux car les hommes allaient tous au cabaret après ou pendant la messe sans que les femmes n’y retrouvent à dire et de plus elles avaient recours à des couturières pour leur robe de mariage. Mais la grand mère en démordait pas. Elle n’eut pas le dernier mot mon grand père commandait encore un peu et en plus l’oncle Jean mit semble t ‘il la charrue avant les bœufs.

A cette occasion je me pris une gifle magistrale de l’amour de ma vie la tante Marie quand j’eus demandé pourquoi mon oncle avait mis cette fameuse charrue devant les bœufs avec une catin.

Ce soir là autant vous dire que je restais dans mon lit. Jean devint donc fiancé avec Véronique Seguin, je l’appris un dimanche quand grand père, les oncles Jean et Pierre ainsi que mon père rentrèrent complètement saouls du petit bourg de La Mothe Achard. L’accord avait été entériné entre les parties après force coups d’un petit vin aigrelet qui venait de la région Nantaise.

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