Ma chère et tendre Lucie
Il semblerait que les allemands tentent une fois de plus l’aventure en direction de Paris, moi je ne vois là qu’un éloignement de ma permission. Je m’étais fait une joie de te serrer très fort dans mes bras et peut être de te faire un autre petit.
Ma tendre Lucie plus les mois passent et plus j’ai le sentiment d’une catastrophe éminente. C’est chaque jour la peur au ventre que j’effectue ma mission. Le sacrifice de tant d’enfants français était il vraiment nécessaire, vois tu j’en doute. Je suis las de tout et je maudis la guerre et ceux qui la déclare.
Tu ne vas pas me trouver très patriotique mais depuis 4ans je n’ai plus rien à prouver. Je veux revenir auprès de vous.
Je ne crois plus les journaux quand ils annoncent une fin éminente du conflit, par contre moi accoudé à mon créneau et scrutant le dangereux horizon je sens que cela risque d’être la fin pour moi.
Ce qui me rassure c’est que tu seras là pour nos petits.
Bon je tache d’oublier mes idées noires, je t’aime, sache le ma lucie
Ton Daniel
Le 2 juin ces satanés boches attaquent avec des tanks, mais échouent complètement, ces grosses boites en ferraille ne sont visiblement pas efficaces et nous avons pu effectuer une petite contre attaque.
Nous sommes mis en alerte et l’on complète notre instruction, marches à la boussole, formations d’approche par compagnie, marches sous bois, recherches liaisons tactiques et prises de contact avec les ennemis. C’est bien technique tout cela , nous autres, on marche, on rampe, on se jette au sol. On revient épuisés, trempés et plein de boue, putain de guerre.
Le 6 juin on reçoit l’ordre de bouger, on s’ affaire à notre barda et l’ordre contraire arrive, c’est le bordel, nos galonnés ne savent plus quoi faire.
Le 9 juin on bouge enfin et mon régiment s’installe près de Vandière ( Marne ), moi avec ma compagnie je suis dans le bois de Pareuil cela me rappelle mes bois alsaciens.
Nous avons un détachement de rosbif avec nous, ces bougres d’andouilles sont chargés de nettoyer un bois pour qu’on puisse s’y installer, tu parles qu’ils ont bien fait le boulot , nous en entrant la fleur au fusil on s’est fait drôlement arroser. Les gradés se sont passés une engueulade entre eux et nous on a ramassé les copains.
Jusqu’au 22 juin le secteur est calme et moi avec mon bataillon on est dans ce que l’on nomme le quartier Sabot, un peu de duel d’artillerie, des reconnaissances et bien sur des coups de feu isolés.
C’est calme mais c’est trompeur, de la bleusaille au commandant on se doute qu’il va se passer des choses.
Cantonnement de Festigny un peu de repos, les lettres, le nettoyage des vêtements et surtout rasage.
On a pas été tranquilles longtemps le 29 dans la nuit branle bas de combat, les schleues attaquent on se tient prêt à aller crever encore une fois.
Puis non ce n’est pas pour aujourd’hui, les nerfs sont à vifs.
Le 3 juillet on remonte en ligne secteur Chatillon sur Marne mon bataillon est sur la gauche, mais peut importe l’endroit, la tension est extrême, on s’attend à une attaque ennemie pour le 9 ou 10 juillet, rien ne vient on va devenir fous. Comme rien ne vient on nous autorise un demi repos et mon 1er bataillon s’égaille dans le bois Rarrey.
Les travaux vont bon train, cela vaut mieux d’ailleurs que d’attendre le fusil à la bretelle, le temps pèse moins.
Nouvelle alerte, nouvelle levée d’alerte, nous sommes le 14 juillet, fête nationale, on a du pinard en supplément et les patates sont moins mauvaises.
Le 15 juillet réveille en fanfare, ça pète de partout, l’offensive tant attendu se déclenche, comme les copains je rentre la tête dans les épaules, je prie dieu, appelle ma mère, pense à Lucie.
Un sifflement, un souffle.