Sûrement vous avez été prévenue officiellement du décès de Daniel, il est mort juste à coté de moi, sans avoir souffert je vous le certifie. Comme je lui avais promis je vous remets les quelques lignes qu’il avait tracées juste avant la dernière offensive.
Sachez qu’il nous parlait beaucoup de vous et de vos enfants, il était bon camarade et bon soldat.
Je vous souhaite bon courage
Louis
Ma chère et tendre Lucie.
Je te trace ces quelques lignes qui seront peut être les dernières, tant la préséance de ma mort me tenaille depuis quelques semaines.
Quoi qu’il m’arrive sache que je t’ai aimée d’un amour tendre et profond et que ces années passées près de toi ont été les plus belles de ma vie.
Je t’embrasse mon amour ainsi que les enfants, j’espère reprendre malgré tous l’écriture de ce courrier lors ne notre prochain cantonnement
je t’aime ton Daniel.
Daniel Trameau mon arrière grand oncle est mort le 15 juillet à la lisière du bois Rarrey à Châtillon sur Marne, son corps a été relevé et se trouve dans la sépulture de Dormans tombe 26.
Soldat ordinaire, non blessé, non médaillé au parcours atypique fait de brigades spéciales, de régiments d’actives et d’un régiment territorial.
Il a fait son devoir, obligé et entraîné par la folie des hommes à participer contre son gré à un conflit meurtrier qui a changé durablement la face du monde.
Il semblerait que les allemands tentent une fois de plus l’aventure en direction de Paris, moi je ne vois là qu’un éloignement de ma permission. Je m’étais fait une joie de te serrer très fort dans mes bras et peut être de te faire un autre petit.
Ma tendre Lucie plus les mois passent et plus j’ai le sentiment d’une catastrophe éminente. C’est chaque jour la peur au ventre que j’effectue ma mission. Le sacrifice de tant d’enfants français était il vraiment nécessaire, vois tu j’en doute. Je suis las de tout et je maudis la guerre et ceux qui la déclare.
Tu ne vas pas me trouver très patriotique mais depuis 4ans je n’ai plus rien à prouver. Je veux revenir auprès de vous.
Je ne crois plus les journaux quand ils annoncent une fin éminente du conflit, par contre moi accoudé à mon créneau et scrutant le dangereux horizon je sens que cela risque d’être la fin pour moi.
Ce qui me rassure c’est que tu seras là pour nos petits.
Bon je tache d’oublier mes idées noires, je t’aime, sache le ma lucie
Ton Daniel
Le 2 juin ces satanés boches attaquent avec des tanks, mais échouent complètement, ces grosses boites en ferraille ne sont visiblement pas efficaces et nous avons pu effectuer une petite contre attaque.
Nous sommes mis en alerte et l’on complète notre instruction, marches à la boussole, formations d’approche par compagnie, marches sous bois, recherches liaisons tactiques et prises de contact avec les ennemis. C’est bien technique tout cela , nous autres, on marche, on rampe, on se jette au sol. On revient épuisés, trempés et plein de boue, putain de guerre.
Le 6 juin on reçoit l’ordre de bouger, on s’ affaire à notre barda et l’ordre contraire arrive, c’est le bordel, nos galonnés ne savent plus quoi faire.
Le 9 juin on bouge enfin et mon régiment s’installe près de Vandière ( Marne ), moi avec ma compagnie je suis dans le bois de Pareuil cela me rappelle mes bois alsaciens.
Nous avons un détachement de rosbif avec nous, ces bougres d’andouilles sont chargés de nettoyer un bois pour qu’on puisse s’y installer, tu parles qu’ils ont bien fait le boulot , nous en entrant la fleur au fusil on s’est fait drôlement arroser. Les gradés se sont passés une engueulade entre eux et nous on a ramassé les copains.
Jusqu’au 22 juin le secteur est calme et moi avec mon bataillon on est dans ce que l’on nomme le quartier Sabot, un peu de duel d’artillerie, des reconnaissances et bien sur des coups de feu isolés.
C’est calme mais c’est trompeur, de la bleusaille au commandant on se doute qu’il va se passer des choses.
Cantonnement de Festigny un peu de repos, les lettres, le nettoyage des vêtements et surtout rasage.
On a pas été tranquilles longtemps le 29 dans la nuit branle bas de combat, les schleues attaquent on se tient prêt à aller crever encore une fois.
Puis non ce n’est pas pour aujourd’hui, les nerfs sont à vifs.
Le 3 juillet on remonte en ligne secteur Chatillon sur Marne mon bataillon est sur la gauche, mais peut importe l’endroit, la tension est extrême, on s’attend à une attaque ennemie pour le 9 ou 10 juillet, rien ne vient on va devenir fous. Comme rien ne vient on nous autorise un demi repos et mon 1er bataillon s’égaille dans le bois Rarrey.
Les travaux vont bon train, cela vaut mieux d’ailleurs que d’attendre le fusil à la bretelle, le temps pèse moins.
Nouvelle alerte, nouvelle levée d’alerte, nous sommes le 14 juillet, fête nationale, on a du pinard en supplément et les patates sont moins mauvaises.
Le 15 juillet réveille en fanfare, ça pète de partout, l’offensive tant attendu se déclenche, comme les copains je rentre la tête dans les épaules, je prie dieu, appelle ma mère, pense à Lucie.
Je suis de retour en première ligne, heureusement le souvenir impérissable de tes courbes m’aide à tenir. Si les permissions font le plus grand bien, les retours à notre dure réalité quotidienne ne sont guère agréables. D’autant que nous autres avons un peu le sentiment que la vie à l’arrière n’est plus autant imprégnée par la guerre que lors du début du conflit.
Enfin c’est, je pense une impression, je vois bien que ta vie est rude et que vous autres les femmes avez pris nos places derrière nos charrues. Il paraît même qu’à la ville ce sont les femmes qui fabriquent les bombes dans les usines.
Moi j’ai un copain qui a été démobilisé car il était ajusteur mécanicien, j’ai la vague idée que les pauvres paysans comme moi payeront un lourd tribut.
Fini ce bavardage, je t’aime ma Lucie, j’espère à très bientôt.
Bises à Gaston, Lucien, Camille.
La vie monotone reprend, relèves, repos, cantonnements, bombardements, alertes au gaz. J’en ai marre et je ne lève même plus la tête lorsque j’entends un avion. Ce spectacle extraordinaire en début de guerre est maintenant assez banal.
Le 19 mai c’est le bordel, le général Franchey d’Esperey accompagné d’un général italien nous rend visite. Malgré les conditions il faut qu’on soit quand même impeccable. Comme si ces messieurs ne pouvaient pas rester à l’état major.
Le 20 mai nous apprenons qu’une épidémie de grippe bénigne rend beaucoup de soldats malades, une infirmerie spéciale a été installée à Mourmelon.
Je crois qu’on se fout de nous, l’état major n’installerait pas une infirmerie pour une grippe bénigne. J’ai appris par un pays qui travaille comme brancardier qu’il y a plein de morts et que pour une fois les civils de l’arrière trinquent avec nous.
Le premier juin on est relevé, tout le régiment monte en camion, direction la région de Chatillon sur Marne, nous voilà de nouveau après plus de quatre ans sur la Marne.
Mon bataillon se retrouve à Boursault il est vrai que de la Champagne à la Marne le chemin n’est guère long.
Que cette permission me fut douce, cela faisait 3 ans que je n’avais pas passé la noël avec vous.
A la messe de minuit que d’habitude je n’affectionne guère j’ai ressentis comme une grâce , un sentiment indéfinissable. Je t’ai observée à la dérobée pendant l’office ton visage était emprunt d’une sérénitude et d’une beauté sans égal.
C’est je pense ce portrait que j’emporterai avec moi si il m’arrive quelques choses.
C’est drôle mais jusqu’à maintenant je me sentais comme protégé, ce changement d’affectation m’a enlevé cette impression.
Tu vas dire que je suis fou donc je n’insiste pas. Mon nouveau cantonnement se situe en champagne, ainsi je suis moins éloigné de vous.
Je suis affecté au 1er bataillon et je m’entraîne au camps de Mourmelon pour pouvoir avec les nouveaux arrivants m’insérer efficacement dans une compagnie.
.Je ne t’en dis pas plus d’ailleurs il n’y a rien à en dire de spécial. Je te laisse donc en te couvrant de mille baisers. Serre fort contre toi ma petite Camille et soit ferme contre les deux garnements qui sans cela finiront par te manger.
Ton daniel
Je commence ma nouvelle carrière, sur les lignes du fameux Mont Cornillet, ce sont de vastes collines crayeuses qui normalement boisées ont été comme rasées par les bombardement et les combats. C’est triste à mourir et forme un contraste saisissant avec la végétation luxuriante du ballon d’Alsace.
Le secteur est calme mais le fantôme de dizaines de milliers de morts plane en ces lieux et les bombardements sporadiques déterrent encore de nombreux cadavres. Visions d’apocalypse que ces charognes puantes vêtues de loques militaires. Des corvées sont organisées pour apporter à ces malheureux une digne sépulture. Lorsque vous avez effectué une telle mission jamais plus vous ne voyez les choses de la même façon.
Pour l’instant le bataillon Demay auquel j’appartiens est en soutien, c’est à dire en deuxième ligne.
Quelques avions passent au dessus de nous, c’est nouveau pour nous et nous les voyons passer comme au spectacle.
Malheureusement ce balai aérien est tout de même dangereux car ces maudits oiseaux nous balancent des grenades à ailettes heureusement pas très précisément.
Nous assistons quelques fois à des combats et les teutons nous ont abattu un ballon presque au dessus de nos lignes.
Le 31 janvier je passe en première ligne. Tout ce passe bien mais ces salopard nous balancent des gaz dans la nuit du quatre février, nous mettons nos masques et il n’y a pas beaucoup de victime.
Le 8 février avec le bataillon on repasse en deuxième et là pas de répit je reprends la pioche pour aménager encore et toujours les positions. J’oubliais, il fait un froid polaire et même les grolles ne semblent plus vouloir voler .
Le 16 février nous sommes enfin au repos, enfin relativement car il faut bien entraîner la chair fraîche, moi je suis un vieux soldat et pour les jeunes classes un vieux tout court.
J’ai foutu ma main dans la gueule à l’un de ces blancs becs, car il a osé me dire que je n’étais pas un vrai soldat car je n’avais pas été à Verdun, de quoi que je me mêle.
Comme de juste après le repos la première ligne, c’est le balancier habituel nous ne savons pas ce qui se passe , en règle générale notre vision de la guerre est assez limitée, on sait à peine où l’on se trouve et notre horizon ne dépasse guère l’échelon du capitaine. Moi je sais que le général Pétain nous a sauvés à Verdun, qu’il est maintenant à la tête de l’armée, que le gros Joffre avec son bâton de Maréchal a été écarté et que le général Foch est maintenant généralissime de toutes les forces armées.
Début mars les teutons nous cherchent des noises, nous au 115ème on dérouille pas trop mais le reste de la division!!
On est donc un peu nerveux dans nos trous.
Le 12 mars violent bombardement, tout nous tombe sur la tête, ensuite les boches déclenchent une attaque d’infanterie. Comme d’habitude le coup de main est repoussé, on se demande bien pourquoi d’un coté comme de l’autre on s’obstine ainsi. Sans doute pour qu’on ne s’emmerde pas, une sorte de macabre occupation.
Heureusement dans tout ce merdier les services postaux marchent à merveille et je reçois des lettres de Lucie avec parfois un petit mot des garçons.
Le 15 mars il n’y a pas de raison, la division attaque pour reprendre les quelques mètres perdus le 12, question d’honneur plus que de tactique à mon avis.
Le 21 mars non de Dieu ils recommencent, cela dur depuis deux jours leur petit jeu, qui comme d’habitude se termine par une partie nulle.
Nous assistons en applaudissant à la chute d’un avion ennemi, en feu l’appareil s’écrase devant nos yeux. Il n’empêche que nos nerfs sont soumis à rudes épreuves, le petit con qui faisait le coq devant moi l’autre jour c’est chier dessus au premier bombardement.
Le 29 mars nous retournons en cantonnement à Mourmelon le petit quartier Zurich. Moi j’ai gagné une permission.
Le cadre idyliquement trompeur de notre cantonnement ne cache pas le manque cruel de ton corps, cette dernière permission qui nous a permis de renouer avec les joies de l’amour a eu tous les atours d’un séjour enchanteur.
La joie de tes caresses, le bonheur de voir mes petits et aussi de sentir un peu l’odeur de la terre Seine et Marnaise m’ont redonné un peu goût à la vie.
La visite d’Ismérie et de Blanche m’a fait bien de la peine, mon cher frère va bien nous manquer.
J’ai vu aussi que le travail ne vous manquait pas et que la vaillance des femmes française faisait merveille . Je suis fier de toi et je t’aime
Je t’embrasse tendrement
A bientôt ma Lucie
Ton Daniel
Le 19 août sous une chaleur suffocante nous laçons nos godillots et nous partons pour Sewen afin d’entretenir la route qui mène au Ballon d’Alsace.
La route est longue et l’étape du soir bien venue, de la paille fraîche un canon de pinard et une nuit de sommeil raffermissant. Le lendemain nous arrivons et nous nous installons.
Le travail est dur, il fait chaud mais du moins nous ne mourons pas, c’est un avantage indéniable, pendant un moment j’ai cru que j’allais pouvoir avec d’autres aller exercer mes talents de botteleur mais malheureusement le décret ministériel ne portait pas sur ma classe.
De vrais bagnards, nous cassons et transportons des cailloux toute la sainte journée. Quand je suis exténué j’en viens à me dire que je serais mieux à jouer à la manille dans une tranchée, mais c’est des conneries et chaque fois que je me lève je remercie le ciel de me permettre de vivre un jour de plus.
Le 19 septembre ma 6ème compagnie change d’endroit, nous allons à Alsfeld, l’endroit est idyllique, sombre forêt qui se miroite dans des eaux limpides , on pourrait croire que nous sommes à mille lieux de la guerre, c’est indéfinissable.
En attendant il faut bien travailler, les mois passent et on a le sentiment qu’on nous a oublié dans la montagne , les jours se raccourcissent et les stations prolongées pendant les gardes commencent à être pénibles à cause du froid, d’autant qu’on a un peu l’impression de garder les arbres.
Le capitaine Larrue nous rappelle à l’ordre en nous expliquant que la guerre n’est pas finie loin de là et que les boches ne sont pas loin.
On le sait le Auguste Rainvillé , il a trouvé le moyen de se prendre un coup de fusil, il en est mort.
Je croyais finir ma guerre avec ma pioche et ma pelle, j’étais devenu un bûcheron chevronné. La bouffe était bonne, le pinard d’Alsace nous changeait ma foi de l’affreux picrate du Roussillon.
Il en fut autrement, le lieutenant me fit venir, pour m’annoncer une permission, ma joie fut de courte durée quand il me dit que je ne reviendrais pas au 140ème territorial mais que je rejoindrais le 115ème régiment d’infanterie.
Nom de dieu fallait qu’ils aient rudement besoin d’hommes pour piocher dans les pépères .
C’est avec horreur que je viens d’achever ta dernière lettre, notre famille vient de payer un lourd tribut à cette damnée guerre, Gustave mon compagnon d’enfance, celui avec qui j’ai partagé les gifles et les caresses celui qui dormait dans le même lit que moi. Mort à Clery depuis presque 6 mois, pas loin de l’endroit où je cantonne. Quel malheur, Joséphine doit être au désespoir, veuve si jeune et la petite Blanche orpheline parmi des millions d’autres qui ne profitera jamais de son père.
Je suis tout chamboulé mais il faut que je poursuive ma tâche, mon groupe est de corvée et le sergent s’impatiente.
Embrasse Joséphine et Blanche pour moi, je vous aime
Ton Mari
Le travail continue, et les échos des événements nous parviennent étouffés par la censure, mais nous toujours sur les routes ou dans les gares nous voyons bien le manège des pauvres gars qui repartent vers l’arrière, hébétés ou mutilés à vie.
En février on est en subsistance chez les » rosbif » à la gare de Warfusée, c’est un comble on est chez nous mais on est nourris par l’armée de son très gracieux.
Les mois passent inexorables, les chefs changent et les cantonnements aussi par contre le labeur est le même, marqué parfois par un accident dramatique. Nous au service routier nous avons plus de risques de mourir d’un accident que par les boches.
De temps en temps pour pas qu’on oublie notre statut de soldat nous avons quelques exercices. C’est pas vraiment sérieux et heureusement qu’on se retrouve pas au front.
Le 13 mai 1917 on embarque sur ordre à la gare de Montdidier, évidemment on ne sait pas où l’on va, la destination est définitive car on nous fait prendre notre paquetage complet.
De fait nous débarquons à la gare de Montreux le vieux, c’est apparemment en Alsace
Moi avec le 6ème je vais cantonné à Gommersdorf et tout le bataillon est mis à la disposition du génie.
C’est bizarre et un peu rassurant, la nature se fout des guerres, les village commencent à fleurir et les maisons à colombages, rehaussées des leurs parures lumineuses sont vraiment magnifiques.
Il y a aussi les nids de ces grands oiseaux qui viennent de nos colonies ils sont impressionnants, certains de ces volatiles sont arrivés, noirs et blancs immenses il semblent se moquer de nos peines.
Les habitants et il en reste très peu, parlent une espèce de langue qui ressemble à si méprendre à celle des prisonniers allemands que parfois on garde.
Le temps me pèse toujours autant loin de toi, mon esprit libéré de toutes idées de mort est maintenant tout à toi. Il me vient des idées ma bonne,qui te feraient certainement rougir. Je pense que je vais bientôt obtenir le précieux sésame qui me permettra de te montrer ma fougue. En attendant sache que je suis tout à toi et que je t’aime. A la fin de la guerre je pourrais aisément postuler pour un poste de cantonnier je suis devenu expert en maniement des gravats.
Le temps est revenu au beau et la fraîcheur apportée par la rivière Somme nous ravit, lorsque nous allons y faire boire les chevaux il nous arrive de nous y tremper. Il faudrait que tu vois tout ces culs blancs pataugeant comme des demoiselles. Loin des dangers ils nous arrivent maintenant de rigoler.
Je vais te laisser maintenant , je t’embrasse partout même sur les parties les moins avouables, embrasse bien les enfants et mon frère Emile.
Ton époux Daniel.
Parfois la dure réalité des combats nous rejoint, alors que nous étions à la gare de Maricourt pour décharger des wagons de cailloux , le grondement caractéristique des canons se fit entendre , puis un sifflement et enfin une déflagration. Nom de dieu c’était pour nous, les teutons s’étaient ils trompés, mais non cela continuait de plus belle, leur service de renseignement avait il confondu des pierre avec des munitions.
Nous nous sommes jetés au sol et moi j’ai trouvé un refuge précaire dans un fossé, malheureusement les copains Blot et Plantecoste ont morflé, démantibulés, écartelés , éventrés les pauvres pépères, il y a eu aussi deux blessé graves et pour eux la guerre était finie aussi.
On évacue tout cela, mais c’est un peu le rappel que nous ne sommes pas des cantonniers ordinaires et que le front n’est pas si loin.
Notre chef le capitaine Larrue est nommé chevalier de la légion d’honneur, nous lui faisons un piquet d’honneur pour la remise de sa breloque.
Sinon quoi dire, nous avons un nouveau médecin pour le régiment , il s’appelle Erny drôle de nom pour un toubib.
Nous voilà maintenant cantonnés à Framerville dans la Somme, nous entamons une nouvelle année, puisse Dieu faire que cela soit la dernière .
Fin du mois de janvier ma compagnie est dissoute et on va nous éparpiller dans les autres compagnies. Cela me pince un peu car j’aimais bien certains copains, sinon pour sur le boulot va être le même.
Moi pour ma part je reste avec le capitaine Larrue en passant à la 6ème compagnie du 2ème bataillon.
Excuse moi pour l’absence de courrier mais quelques événements indépendants de ma volonté me firent interrompre l’envoi de mes lettres.
Figure toi que je ne suis plus caporal et que sous la férule d’un gradé on m’a reclassé comme deuxième classe.
La bonne nouvelle ma très chère c’est que l’affaire me fait muter dans un autre régiment qui se nomme le 140ème territorial. Ce n’est plus un régiment d’active, chez les pépères je serais moins exposé.
J’espère que tu vas bien j’ai senti comme une légère lassitude dans ta dernière lettre, soit courageuse cela finira bien par finir et tout reviendra comme avant. Vous me manquez et il m’arrive de pleurer comme un jeune couillon. Comme quoi ambiguïté humaine on peut bien chialer comme un môme et éventrer de sa » rosalie » le ventre d’un père de famille allemand.
Avec ce changement je ne pense pas avoir de permission tout de suite, alors reçois par milliers mes doux baisers. Serre fort les petits
Ton homme qui t’aime
Daniel.
Pour un changement ce fut un changement, je passais d’une angoisse permanente de la mort à une sorte de détente.
Je ne me demanderai plus chaque jour si j’allais finir la journée, si une mine allait m’enterrer vivant, si un tireur isolé allait jouer à pile ou face avec ma tête ou si une patrouille teutonne entreprenante n’allait pas nous surprendre et nous égorger comme des cochons.
Non maintenant même si je restais dans le secteur des armées je n’étais plus en première ligne, car mon nouveau régiment le 140ème territorial était affecté à l’entretien des routes et à la coupe du bois.
D’un soldat entraîné à donner la mort je me transformais en cantonnier et en bûcheron. Il n’y a pas de sot emploi. Une guerre moderne entraîne de multiple déplacement, hommes , munitions, ravitaillements, matériaux divers et variés. C’est un véritable va et vient, les lourds charrois et les nouveaux camions automobile détruisent inexorablement le réseau des routes et des chemins. Alors chaque jour, nous réparons, nous refaisons telles des fourmis industrieuses.
Nous sommes dispersés en compagnie avec des secteurs différents, mais le labeur et le même, pelles, pioches, haches, cognées. Le travail est dur et laborieux, les journée sont longues, de notre travail la vie des premières lignes en dépend. Au début j’ai eu des ampoules aux mains car les longs mois dans les tranchées me les avaient fait devenir comme celles d’un tabellion. Mais elles retrouvent peu à peu la corne que j’avais lors du temps bénis des moissons.
Je suis dans le secteur de La Neuville les Bray dans la Somme au nord d’Amiens pour le service routier de la 6ème armée.
Ces quelques lignes pour te dire que tu as affaire maintenant au caporal Trameau, je ne sais vraiment pas si le lieutenant m’a nommé pour m’emmerder ou pour me récompenser.
Mais à quoi bon de réfléchir à cela je suis nommé et dois faire face à mes nouvelles responsabilités
Nous avons subi une attaque d’importance, je dois dire que certains copains sont vraiment des bons, des enragés, oui c’est cela des foutus enragés. Moi je fais simplement mon devoir mais mon devoir principal est de vous revenir.
Tu me manques ma douce, ton corps, tes seins lourds et la tendre moiteur de tes reins.
J’en meurs de ton absence.
Heureusement que j’ai tes lettres que je relis sans cesse, certains ont une bible, un chapelet, une bague, moi j’ai donc tes tendres missives.
Je te laisse encore une fois, mon corps transpire de toi, embrasse nos petits
ton Daniel pour la vie
Du plateau de la fille morte les allemands nous dominent et nous canardent avec tous les calibres, obus , torpilles, mines.
Le temps est long je suis devenu un as de la manille, moi qui n’aimais guère cela au cabaret de Chailly.
Comme sur l’ensemble du front les coups de mains se succèdent, cela occupe la troupe, on finit par s’habituer, les poux , les puces, les rats, les corneilles, l’odeur des charognes, la merde, le fumier des animaux, la boue, l’eau, le froid, le râle des copains qui agonisent entre les lignes, l’absence des familles, la mauvaise bouffe ,oui on s’habitue. Mais la seule chose qui moi m’exaspère c’est les cons et là je vais vous dire que l’arrivée d’un jeune blanc bec sans poil au cul tout droit venu de Saint Cyr troubla la sereine tranquillité de notre mouroir.
Ordres injustes, corvées, tours de garde, inspections, nom de dieu on se serait crus à l’école de peloton.
Moi j’ai un peu renâclé, oh rien de méchant, une simple répugnance et un ralentissement significatif du travail en cours. Eh bien figurez vous que ce jeune sardiné il m’a collé un rapport.
Le capitaine m’a dit qu’il était bien étayé et que mon cas demandait sanction, me voilà embarqué sur un navire ou je me serais bien passé de monter.
A l’arrière et au gnouf, me voilà bien engagé, on me prête un défenseur et je passe devant une sorte de tribunal , ils furent indulgents, remarquez je n’avais rien fait. Je perdis simplement mon petit rien de grade et on me fit comprendre que j’aurais pu être fusillé, sut été dommage un si bon élément.
Je me retrouvais deuxième pompe mais le fait majeur c’est que ma sanction entrait un changement de corps. Je paniquais à l’idée de me retrouver dans un groupe spécial une nouvelle fois.
Le lendemain sous un soleil radieux j’appris que l’on m’affectait au 140ème régiment territorial. J’en ai laissé tombé ma musette et pour un peu j’aurais embrassé le lieut.
Putain de cadeau, fini les premières lignes je prenais mon bardas et le 28 mai 1916, je rejoignais ma nouvelle unité. Le glorieux 4ème partait sur Verdun où paraît il se passait quelques combats.
Le cul dans la paille fraîche, le corps enfin reposé, le ventre gonflé par les fayots de la roulante, je te pose ces quelques lignes.
J’ai l’impression d’être avec des étrangers, tous mes copains sont disparus à jamais, Gaston les tripes à l’air est parti sur un brancard en pleurant sa mère, Léon c’est un trou propre au milieu du crane qui a tué ses vingt ans, le Louis un de Coulommiers enterré est à jamais disparu.
Mon âme divague un peu, je ne sais plus ce que je veux, j’oscille entre désespoir et espérance, la perspective de te serrer de mes bras et mon copain » pinard » me font seul tenir.
Nous pourrions au repos être un peu tranquilles, mais les corvées et les exercices se succèdent sous les aboiements terribles et dérisoires de nos gardes chiourmes. C’est paraît il pour amalgamer les nouveaux et pour qu’on ne s’amollisse pas trop. Moi je veux bien, j’obéis à tous, accepte tout, à la condition que cela cesse un jour, mais j’ai l’impression que cet espoir est vain.
Bien je ne veux pas te rendre triste alors je te laisse ma bien aimée, embrasse, Gaston , Lucien, Daniel et ma petite Camille
Je t’aime ton Daniel.
Puis fin août on nous conduit à la cote 285, où l’on domine le ravin de Cheppes et celui de courtes chausses. Cet endroit protège la route qui amène à la grande chevauchée.
Le juteux nous dit c’est simple les gars, les boches veulent atteindre la crête et nous on a l’ordre de la tenir. Pour faire simple les salauds d’en face doivent crever pour reprendre ces quelques mètres et nous on doit mourir sur place et rien lâcher. Donc rien de nouveau, on s’installe dans nos meubles et on tente d’améliorer l’habitat.
J’oubliais on vient de me nommer caporal, le lieutenant me dit tu ne le mérites guère mais bon il en manque et tu es l’un des plus vieux. En gros je suis responsable de quatre blancs becs, moi qui peine déjà à être responsable de moi.
Le 27 septembre les voilà qui recommencent et cette fois encore ils mettent le paquet, cinq fourneaux de mines nous pètent à la gueule. Des pauvres gars il n’en n’est rien restés, pulvérisés , dispersés, rayés des cadres du régiment, des cratère plus gros que des immeubles de ville.
Les chleuhs attaquent aussitôt, massivement, durement, ils débordent et prennent nos ouvrages, le 5 est pris, mais le 4 tient, le 6 est fortement menacé, mais aujourd’hui l’héroïsme est de notre coté, une contre attaque et les teutons recèdent le terrain. Une telle vaillance est récompensée on gagne même quelques mètres, évidement nos morts s’en foutent. Vraiment une belle journée, citations, décorations, les braves poilus pourront fièrement montrer à leurs enfants leurs belles médailles et leurs bouts de papier.
Moi je n’ai toujours rien, je ne suis pas héroïque mais je suis vivant, cela fait il une différence, pour l’instant peut être pas car nous sommes des morts en puissance, mais après quand j’effeuillerais les jupons de ma Lucie, qui sera un héros ?