LES SAUNIERS DE L’ILE BLANCHE, Épisode 12, le prix de notre labeur et le prix de notre malheur

La saison se termina nous avions fait une bonne récolte et les pilots sur les tasseliers étaient conséquents.

Mais bonne récolte ne voulait pas dire gros profit, encore fallait t’ il que le sel soit vendu.

Autant vous dire tout de suite que nous, pauvres malheureux, , nous ne nous occupions pas de la vente et que les marchands s’enrichissaient grassement sur notre dos.

Non seulement nous n’avions aucun regard sur les ventes mais en plus nous devions attendre pour percevoir un salaire que notre sel soit l’objet d’une tractation commerciale.

La raison pour laquelle nous étions pauvres, résidait dans le système du colonage que j’ ai expliqué au début de mon histoire.

Notre rémunération était au tiers, c’est à dire que nous percevions le tiers du fruit de la vente, moins les frais de charroie et les droits. Ces droits du propriétaire nous amputaient d’environ un quinzième de notre profit.

Seulement comme je vous l’ai dit, c’est le propriétaire qui vendait et si il ne voulait pas vendre car le cours du sel était trop bas, et bien le fruit de la récolte restait sur la bosse. Croyez moi, il pouvait y rester longtemps et pour mon compte un pilot que j’avais récolté était resté 5 ans sans être vendu.

Moi je crevais famine car pas de vente donc pas d’argent.

Rien à y faire, même chapeau bas le négociant ne voulait rien savoir, quand les ventres étaient vides et que la populace commençait à bouger ces messieurs nous faisaient l’aumône de nous permettre de vendre un peu de sel localement, sur notre tiers évidemment.

Ce n’était pas la panacée car le sel était toujours au plus bas quand on nous autorisait à ce genre de vente .

Le sel rapportait beaucoup d’argent, mais pas aux mains calleuses.

Dans les villages nous avions un habitant élu qui gérait les aumônes faites aux pauvres, le 24 février 1726, ding dong ding dong au son de la cloche, de manière accoutumée, nous fûmes convoqués à Saint Eutrope pour l’élection de ce brave homme.

L’homme en question fut Jacques Poitevin un marchand, « ce procureur des pauvres » c’était son appellation s’occupait de distribuer les aumônes aux plus démunis, comme par exemple la rente perpétuelle accordée par feu François Caillo écuyer de Beauvais et qui s’élevait à 50 livres.

Cela pouvait prêter à sourire, si cela avait été un sujet moins dramatique que la misère. Car en effet  c’était un de nos affameurs qui se chargeait de nous distribuer de quoi ne pas mourir de faim.

Pour l’heure j’avais de la chance mon sel était parti et j’avais touché ma part, j’allais pouvoir payer quelques dettes. Car voyez vous sur notre belle île, on n’avait pas grand chose à part le vin et le sel.

Très peu d’élevages et très peu de légumes, toutes les parcelles étaient couvertes de vignes ou de marais, nous importions tout et le trafic, par La Rochelle la côte vendéenne et Marans par la sèvre Niortaise , nous offrait le débouché de l’ensemble du marais poitevin.

Marie Anne était à peu prêt remise de son accouchement, nous avions été longtemps sans avoir de rapports, nous avions réessayé, mais la douleur était vive, alors nous faisions sans. Heureusement pour notre couple d’autres jeux de l’amour vinrent au secours de notre envie mutuelle.

La patience avait été bonne conseillère et Marie Anne pleine de vigueur un soir me laissa la posséder.

Au début de l’année 1727 des espérances naquirent et effectivement la rondeur de son ventre et ses appétissants tétons qui forcissaient à mon grand plaisir nous laissa espérer une naissance pour l’automne prochain. Bien qu’apeuré par une complication éventuelle je fêtais la nouvelle avec quelques sauniers de mes amis. Le vin n’était pas d’un fort tirage mais il vint à bout de notre inhibition et nous chantâmes à tue tête des chansons grivoises dans les petites rues endormies du village. Autant vous dire que le comité d’accueil ne fut guère aimable et qu’en guise de rapprochement chaleureux je n’eus que les pieds froids de Marie qui repoussaient toutes mes avancées.

Encore une fois elle dut assumer sa grossesse pendant la saison de sel, elle souffrit le martyr, son ventre était énorme, la sage femme pensait qu’il y avait des jumeaux. Ces jambes se mirent à gonfler et bientôt la marche lui devint impossible.

Elle s’alita, ma mère ne fut pas très complaisante et me disait que j’avais épousé une flemmarde. Il fallut que je me fâche pour que cette vieille bourrique comprenne que la nature avait ses droits.

Le 29 septembre Marie Anne commença le travail tôt dans la matinée, en soirée Marie Relet l’accoucheuse était fort inquiète car rien ne venait, le col était dilaté mais décidément le corps de ma femme ne semblait pas fait pour l’enfantement.

Puis tout se précipita Pierre David arriva ainsi qu’une petite mort née que l’on ne nomma même pas.

Notre garçon au faible souffle de vie fut baptisé valablement par la sage femme

Il eut le brave petit la chance d’être baptisé.

Le curé intransigeant ne voulut point que j’enterre les deux petits ensemble, Pierre David avait le droit à une sépulture chrétienne, mais notre petite fille sans nom pouvait être jetée aux gorets ou sur le tas de fumier de l’aisine.

Après d’âpres négociations et l’intervention du procureur des pauvres qui plaida notre cause, j’obtins que la petite soit ensevelie dans un coin abandonné du cimetière, sans signe distinctif. De toute façon m’a t’ il dit la malheureuse resterait à tout jamais dans les limbes et ne monterait pas au paradis.

Je croyais guère à toutes ces fadaises, mais sait on jamais. La Marie Anne était désespérée.

Moi aussi j’étais abattu, l’idée d’un garçon prenant ma suite dans mes beaux marais s’éloignait, la Marie Anne avait 41 ans et deviendrait de moins en moins féconde. C’était un inconvénient de prendre une vieille, comme le faisait gentiment remarquer ma mère. Certes j’en avais conscience mais moi dès le départ j’avais décidé dans ma tête dure de saunier que c’est la Savariau que j’épouserais

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