LES SAUNIERS DE L’ILE BLANCHE, Épisode 25, la mort du saunier

 

Mon fils avait franchi les écueils des premiers mois, rien n’était gagné sur le combat de la vie, le temps  s’écoulait immuable, dans notre petit village isolé des Portes. Dans les impasses et les ruelles les familles naissaient, grandissaient et mouraient au rythme lent du travail des marais et des flux et reflux de la mer océane.

Marie eut l’ espérance d’avoir un autre enfant, elle en était très heureuse et finalement moi aussi même si mon enthousiasme pour une nouvelle paternité s’était évanouie avec la naissance de mon fils Pierre.

Comme de juste ce fut une fille qu’on nomma Marie Marguerite comme sa mère, beau bébé bien potelé et surtout bien portant.

Deux enfants vivants seulement, cela ne faisait pas une grosse famille. Pour sur c’était plus facile à nourrir qu’une famille nombreuse, il n’empêche que pour certains travaux je devais embaucher des journaliers, alors que les enfants étaient de la main d’œuvre gratuite.

J’en prends pour preuve quand nous devions effectuer les travaux de la terre. Car il faut que je vous explique, nous autres les sauniers le travail comme de juste il était un peu saisonnier, nous ne saunions que l’ été. Certes nous avions des travaux d’entretien mais il fallait quand même se nourrir. Je vous l’ai expliqué nous avions recours aux fruits de la mer. La pêche et le ramassage des mollusques nous occupaient et nous nourrissaient sainement, mais il nous fallait quand même des céréales pour faire du pain.

A la fin de l’automne nous commencions la blérie *, Marie et moi avec un journalier nous commencions par extirper les herbes salées sur les bords du bossis. Nous avions du mal ce chiendent nous blessait les mains et pour l’enlever nous devions rompre à coup de marre * le bri durci.

Quel travail de fou , courbé sur notre ouvrage nous devions former des billons* transversaux au bossi pour que l’eau de pluie s’évacue dans les bassins .

Nous formions des nouveaux sillons en prenant ceux de l’année d’avant, du sart avait été enfoui pour fertiliser la terre, cette culture sur billons avait pour avantage de limiter les effets de la pluie.

La billons étaient en sorte une petite butte, nous y plantions de l’orge.

La moisson se faisait fin juin mais entre temps les femmes avaient débarrassé les blés des chardons. Nous coupions notre récolte à la faucille, foutu travail qui mobilisait toutes les forces vives. Nous faisions des gerbes qui étaient attachées avec de la paille de seigle.

Rien ne devait resté sur place car les rats et les moineaux étaient des concurrents sérieux.

Tant qu’on est dans le travail de la terre , j’avais aussi quelques pieds de vigne, je faisais du très mauvais vin mais bon cela rafraîchissait pendant les métives et le saunage. Marie elle s’occupait d’une petite bande de terre sableuse qu’on appelait sablin, elle y faisait pousser des oignons, des choux, des raves et aussi un peu de seigle . Ça nous apportait un appoint alimentaire mais nous demandait aussi un travail supplémentaire. Marie emmenait Pierre au sablin, quand il grandirait je le formerais au rude métier de saunier.

Du lever du soleil à son coucher nous étions au labeur, les femmes comme les hommes sinon plus car elles avaient la charge des tâches ménagères et trimaient souvent avec le ventre bien rond.

Au fait je n’avais plus de maîtresse, la Catherine qui n’avait rien à espérer de moi se lassa de nos rencontres furtives et épousa en seconde noces un pilotin qui naviguait dans le pertuis breton.

C’est sur cela me manqua un peu et ma vie sexuelle manquait de piment d’autant que Marie qui estimait qu’elle avait assez œuvré ne voulait plus d’autres enfants me refusait souvent ses grâces.

En 1745 ma mère s’en alla au paradis des saunières, elle était octogénaire ce qui était un joli record pour notre contrée, décharnée, parcheminée elle participait encore aux travaux de la maison, quand on rentrait la soupe embaumait la pièce. Mais il faut aussi le dire elle nous surveillait le petit Pierre et Marie Marguerite. En général les enfants étaient soit livrés à eux mêmes ou au travail avec les parents. La dureté de la vie faisait souvent que les petits enfants ne connaissaient guère leurs grands parents.

Les nôtres eurent cette chance et furent très tristes d’avoir à veiller la triste momie qui s’en était allée.

On gagna un peu de place et on retrouva notre intimité perdue, quoi qu’à ce sujet comme les enfants grandiraient nous la reperdrions rapidement.

Bien des années plus tard.

Pierre Gautier dit le vieux avait les yeux fixés sur le rivage, immobile il semblait rêver.

Au loin se découpaient les côtes vendéenne, le vent doucement forcissait et des tourbillons de sable s’élevaient au dessus du banc des bûcherons. De lourds nuages menaçaient.

Pierre Gautier dit le jeune observait le visage de son père, il ne l’avait jamais vu aussi soucieux et absorbé par la tempête qui semblait monter.

Il vénérait se père qui était souvent bourru mais qui savait être tendre, il lui avait tout appris et se sentait capable maintenant de tenir les marais.

Prétention d’adolescent sans doute mais son père n’avait il pas en son temps réussit à les tenir ?

Mais chassons cela et rentrons retrouver Marie, le chemin était long de la pointe du Fier au village.

Nous étions maintenant courbés en deux et nous cheminions péniblement, arrivés au village nous décidâmes de passer au marais, nous étions inquiet de ce coup de vent tardif qui coucherait et mouillerait notre récolte d’orge . Contre les éléments nous ne pouvions lutter et notre présence servirait à rien. La pluie s’abattit soudain, forte, intense , froide et formant un rideau impénétrable.

Nous étions au niveau du vieux port sur le pont qui enjambait le chenal. Mon père s’arrêta soudain et porta sa main sur sa poitrine, il me regarda, me sourit et s’écroula.

Étendu le long du parapet de pierre, trempé par l’averse qui ne faiblissait pas, il me regardait d’un regard fixe. Un léger sourire aux lèvres, je n’étais plus Pierre Gautier le jeune.

Pierre fut enterré le 17 juin 1756 dans le vieux cimetière du village reposant auprès de son père Pierre et de ses ancêtres les sauniers.

 

Fin

LES SAUNIERS DE L’ILE BLANCHE, ÉPISODE 24, une naissance masculine

 

Un homme adultère ne risquait pas grand chose si ce n’était le mécontentement de son épouse, pour la femme c’était autre chose, prison et répudiation étaient l’aboutissement d’une tromperie.

Moi ma veuve elle était libre, le seul problème était que je pouvais l’engrosser. Dans une petite communauté saunière comme la notre sa réputation en aurait pris un coup.

Mais il faut croire que nous avions de la chance, elle resta plate et moi ma femme soulagée que je m’endorme le soir fit semblant de ne rien voir. Peut être d’ailleurs n’avait elle rien remarqué.

Quoi qu’il en fut Marie tomba enceinte et m’annonça la bonne nouvelle après les fêtes de la nativité de l’an de grâce 1738.

Peut être avait elle prié mais le samedi 1 août 1739 fut jour de liesse pour notre foyer, enfin j’étais récompensé par l’arrivée d’un garçon. Comme voulait l’usage il porta mon prénom qui accessoirement était aussi celui de son parrain Pierre Bourgeois saunier de son état. La sage femme s’extasia devant les bourses bien dessinées de mon fils en me disant pas de doute c’est bien un mâle.

Moi je partis en courant dans tout le village gueuler l’arriver d’un petit Gautier. Comme si la venue de mon fils était l’arrivée messianique d’un nouveau prophète. Je bus un nombre important de verre d’eau de vie et c’est avec peine que je tenais sur mes jambes lors du baptême qui se fit dans la soirée du jour même.

Le curé Guerin qui lui même taquinait le bouteillon ne remarqua rien mais la marraine Marie Pedeneau s’en offusqua telle une grenouille de bénitier.

Quoi qu’il en fut j’étais enfin comblé, un garçon à qui je pourrais transmettre mes marais et mon savoir.

Bon nous n’en n’étions pas là il fallait que l’enfant survive, ce n’était pas une évidence car chez nous les petits mouraient fréquemment et le passage entre la petite enfance et l’enfance était périlleux.

Ma vieille mère serait chargée de sa surveillance, de toutes manières elle ne pouvait rien faire d’autre. Moi j’avais besoin de Marie car nous étions en pleine récolte.

Elle reprit sa place à coté de moi et sa voix mélodieuse qui accompagnait toujours son labeur, retentit de nouveau à mes oreilles.

Le temps était suspendu à mon bonheur, un fils, une femme à l’apothéose de sa beauté, des beaux marais donnant un beau sel prisé par tous, des paysages magnifiques aux couleurs changeantes.

Je me délectais des odeurs venues du large emportées par les vents. Marie avec sa culotte de marais tapinée, blanche des traces de sel qui se déposaient dessus et enveloppant ses jupes avait remonté les manches de son corsage. Sa tête couverte d’un bonnet de coton était ainsi protégée du fort soleil qui dardait sur nous. A l’aide de son sourvon elle remontait le sel sur le chemin, je m’arrêtais de travailler et à la dérobée je l’observais benoîtement.

Sur un bossi nous surplombant quelqu’un d’autre nous observait. J’en eus un frisson c’était Catherine. C’est vrai nous n’avions jamais rompu mais je m’étais imaginé qu’ayant un fils elle comprendrait que je ne puisse plus la fréquenter. Cela n’avait rien à voir en fait.

Ma femme l’aperçût et lui fit signe, elles se connaissaient, comment avais je pu l’ignorer.

Quelques instant plus tard je me retrouvais avec ma femme et ma maîtresse en train de déguster quelques bulots, j’étais infiniment gêné,mais je fis bonne constante.

Quand elle repartit et qu’elle me fit à plus tard, un frisson de désir me parcourra l’échine, je n’en n’avais pas fini avec les complications.

Un jour que j’étais en période de garde à proximité de la pointe des baleines, une silhouette m’apparut le long de la côte, je faillis hurler au qui vive quand je reconnus la belle Catherine. Que venait elle me relancer alors que j’étais revêtu des attributs de la milice. L’affaire eut pu être sérieuse pour moi si l’on m’avait vu discuter avec une femme pendant mon tour de garde. Et encore si nous n’avions fait que bavarder, mais je ne sais ce qui nous prit, l’interdit sans doute.

Je posais mon fusil et dans les genêts face à la mer nous eûmes un moment d’extase. Pour sur si l’on comparait cela avec mes rapports avec ma femme dans notre chambre, sur notre paillasse entourée de rideaux avec l’impression d ‘ être surveillés par ma mère. Mais tout de même quelle imprudence,je risquais la prison pour cela et la mise au banc de la société communale.

Je me promettais de ne jamais renouveler l’expérience, mais ce ne fut que veines promesses.

En fin d’année nous nous sommes une fois de plus retrouvés pour élire les fabriqueurs. Ce fut mon commandant de milice qui fut élu, il était maître chirurgien, pour une fois qu’un élu n’était pas un marchand de sel.

Son adjoint Louis Huguet par contre l’était, il faut bien dire que la majorité des notables était liée au trafic du sel.

Si ma fille n’avait pas été précoce mon fils Pierre le fut, à même pas un an dans la ruelle derrière la maison il fit ses premier pas. Je n’étais pas peu fier, ma mère me ramena sur terre en me faisant remarquer que même les idiots marchaient et qu’il ne fallait pas que je m’attache autant à un à si petit être.

Elle avait raison ma mère on ne devait pas s’attacher aux enfants le 21 octobre 1740 ma fille fut prise de spasme, elle ne passa pas la journée. Je ne m’étais jamais vraiment attaché à cette fillette mais je fus peiner de la peine qu’eut ma femme.

Nous l’avons veillée cette drôlesse, dans son sommeil éternel, elle était maintenant très belle. Ses traits reposés ressemblaient à ceux de sa mère. Le lendemain dans son linceul blanc recouvert de la terre sablonneuse des Portes elle partit pour le paradis.

Bon moi, le paradis, j’étais septique, j’avais eu l’occasion de creuser une fosse au cimetière , croyez moi un corps en décomposition n’a rien de paradisiaque.

Ma femme me traitait de bougre d’idiot en m’expliquant que seule l’âme montait au ciel, foutaise et encore foutaise de la prêtraille.

Un jour que nous allions nous rendre à l’aisine pour y prendre nos chevaux, une rumeur monta dans le village, tout le monde courait en direction de la côte et du hameau la Rivière.

Nous apprîmes qu’une baleine venait de s’échouer sur la plage un peu en dessous de la pointe du Lizay. Même si l’endroit s’appelait la conche des baleines peut d’entre nous pouvait dire qu’ils avaient vu des cétacés et encore moins en avoir vu mourir sur notre sable.

Avec Marie nous fîmes comme tout le monde et on se précipita en remettant notre travail pour plus tard.

Arrivés sur les lieux, chacun s’évertuait d’approcher au plus près, je restais avec Marie assez loin pour admirer le spectacle.

Une monstruosité, purulente et nauséabonde, la bête devait être morte depuis un moment et des prédateurs avaient déjà prélevé leurs écots.

Longue certainement de plus de 25 mètres, la créature malgré sa décomposition restait impressionnante.

Les villageois tels des charognards évaluaient ce qui pouvait être source de profit, moi sagement assis sur la dune j’assistais à ce carnaval en me disant que jamais je ne toucherais pareille charogne.

Elle resta plusieurs semaines à se décomposer, quelques paysans avides avaient tenté de prélever quelques vestiges à ce monstre des océans mais certains en furent malades et on oublia bientôt la charogne.

Un matin du poste de garde de la tour des baleine, les factionnaires de la milice constatèrent que la grande marée de la veille avait nettoyé la plage. Rien ne subsistait à part notre souvenir.

LES SAUNIERS DE L’ILE BLANCHE, ÉPISODE 23, le sort s’acharne sur moi je viens d’avoir une fille.

 

Il faut que je vous explique, notre île était divisée en deux, la baronnie qui couvrait la majeur partie de l’île avec Saint martin, la Couarde, la Flotte, Sainte Marie, l’autre partie où nous nous trouvions s’appelait la seigneurie et comprenait Ars, les Portes et Loix.

Cela m’importait peu, les terres que je saunais, ne m’appartenaient pas et je ne connaissais pas réellement les propriétaires, nous avions tous à faire à des intermédiaires, à des marchands et à des contrôleurs. Alors ces appellations qui sentaient bon la noblesse me laissait aussi indifférent que le crottin de mon cheval.

Le 1 mai 1738 ce fut le branle bas de combat à la maison, ma vieille mère courait partout et semait la panique, heureusement la sage femme arriva et prit les choses une fois de plus en main.

J’obtins de haute lutte son autorisation pour rester dans la pièce, la matrone souleva la robe de ma femme et l’examina, c’est pour bientôt déclara t ‘elle doctement.

Marie assise le dos relever par son oreiller, les jambes légèrement relevées acceptait avec résignation que la sage femme lui pratique un attouchement avec ses mains à la propreté douteuse.

D’un autre coté la pauvre avait été appelé alors qu’elle tirait le lait d’une de ses vaches. Nous avions l’habitude de cette femme, elle savait s’y prendre. De plus elle seule pouvait accoucher une femme dans le village car elle était la seule à qui le curé avait délivré le droit d’effectuer des baptêmes en cas de péril de mort de l’enfant.

De bonne moralité, mariée ou veuve et surtout bonne chrétienne, voilà un viatique suffisant pour exercer ce noble art.

Marie poussa bien fort et fut d’un courage exemplaire, moi je guettais et je gênais surtout tout le monde.

Puis ce fut le drame une donzelle toute rose arriva et braya immédiatement. Encore un coup pour rien, je partis aussitôt boire un coup à la taverne sans plus regarder ma fille, que ma femme nomma Gabrielle.

J’étais anéanti, comment la nature avait elle put me faire cela, le parrain l’ Étienne Rousseau lui il avait une flopée de garçon, la marraine Marguerite Peneau également alors pourquoi pas moi ?

Je me réfugiais dans le travail et aussi dans les tours de garde que j’effectuais toujours avec la milice.

Plusieurs fois il me vint même l’idée que cette drôlesse ne devait pas vivre, je savais que ce n’était guère paternel ni chrétien, mais bon les mauvaises pensées on en a tous.

Par contre quand elle mourut le 27 mai après une courte poussée de fièvre et une éruption boutonneuse je me sentais complètement responsable. Une mauvaise pensée pouvait elle tuer, j’en étais confondu et je ne savais que faire. Me confier à Marie, elle m’aurait tué, quand à ma mère elle n’aurait encore une fois rien compris. Il ne me restait qu’une solution, aller confesser mon crime au curé.

Le bon père fut surpris de me voir car en général je ne me confessais qu’à Pâques. Dans le confessionnal de bois de chêne je déballais mon désamour pour les filles et mon envie obsessionnelle d’avoir un garçon pour me succéder. Je lui avouais aussi tout ce que j’avais de mauvais en moi. Je fut absous et m’en tirais avec quelques paters et quelques avé Maria.

Pendant ce laps de temps je ne m’étais pas occupé de ma Marie qui pourtant se morfondais de tristesse.

Nous eûmes du mal à surmonter ce malheur mais tous les sauniers que nous connaissions avaient perdu des petits en bas age et tous étaient en train de besogner leur marais ou bien leur terre.

La mort faisait parti intégrante du paysage de notre vie.

En attendant j’observais à la dérobée ma fille Marie Catherine, elle marchait enfin mais restait malgré tout bien malingre, non seulement j’avais une fille mais elle serait non mariable si elle ne se fortifiait pas un peu.

Nous avions acheté avec les bénéfices de notre dernière vente une vache que nous avions fait venir de la campagne Rochelaise. Vous parlez d’une épopée que de faire venir des bêtes sur pieds, elles étaient embarquées à la Repentie et ensuite débarquées près du banc des bûcherons.

On peut dire qu’il n’y avait pas d’élevage dans l’île, alors vous pensez, nous avons été un peu vilipendés. Notre vache nous servit d’appoint alimentaire et l’on confectionna du beurre. Marie et ma mère le vendirent sur le marché.

Au niveau de nos relations avec la Marie ça battaient un peu de l’aile nous nous aimions toujours certes mais cette impossibilité d’avoir un garçon nous bloquait un peu.

Je crois même que nous forcions à avoir des rapports fréquents, alors évidemment on se lassait un peu.

Un jour que ma femme était partie ramasser du sart sur l’estran, je me rendis à mon marais pour y relever quelques chemins qui menaçaient de s’effondrer je rencontrais la veuve d’un saunier nommée Catherine. On se connaissait mais nous n’étions liés par aucune parenté, on discuta de choses et d’autres et je crois dire que cela nous procura un certain bonheur.

Catherine était un petit bout de femme d’une trentaine d’année, brune, le teint mat, le nez pointu d’une fouine et une bouche sensuelle qui appelait aux baisers. Ses petits seins faisant saillie dans son corsage et sa descente de rein m’avaient retourné les sens.

Marie me trouva de la vigueur et au vrai j’en avais à revendre. Dès lors je ne me préoccupais que de revoir mon apparition.

Je n’eus aucun mal à provoquer une rencontre par contre pour être seuls c’était plus compliqué.

Un jour que je me trouvais dans l’une de mes aires saunantes entrain d’abattre le voile de sel avec mon simoussis, j’entendis la voix de Catherine. Elle se trouvait en face de moi mais de l’autre coté, j’abandonnais immédiatement mon ouvrage et la rejoignis. Nous étions seuls, aucun autres sauniers ne tiraient du sel à proximité, le soleil tapait dru à peine tempéré par la brise qui venait du Fier. Elle me proposa une goulée d’eau fraîche ce que j’acceptais avec gratitude tellement j’avais chaud.

Chaleur dut au travail mais aussi à cette apparition. Pour la remercier je lui déposais un baiser sur les lèvres. Elle les entrouvrit et nous commençâmes le combat de l’amour.

Le risque d’être surpris était grand alors nous dûmes sauter quelques étapes, je la poussais à l’intérieur de ma cabane à outils. Du foin au sol nous servit de paillasse, je lui baissais sans plus de façon sa culotte des marais dévoilant sa belle toison noir. Je la pris comme un hussard prend une femme, comme un marin prend une catin ou comme un maître prend sa servante.

Je crois qu’elle en éprouva du plaisir, en tout état de cause nous nous revîmes aussi souvent que nous le pûmes.

LES SAUNIERS DE L’ILE BLANCHE, ÉPISODES 22, le chargement du sel

 

Au printemps un commis de Jean Séjourné le marchand vint me prévenir qu’un bateau arrivait et que l’on chargerait le pilot de sel que j’avais sur le tasselier. C’était toujours un événement et une joie que de voir apparaître un navire qui était acheteur de votre sel. Cela signifiait que j’allais être payé de mes peines et que je pourrais un peu rembourser mes dettes.

Tout se mit en branle, aidé de plusieurs sauniers je me rendis sur mes pilots et je les délivrais de leur gangue de paille et de terre. Ils n’étaient guère vieux et je n’avais que peu de coulage.

Toutes les femmes arrivèrent avec les chevaux et se fut un défilé sur la bosse de sel, à l’aller elles montaient les chevaux car les basses étaient vides. Marie sur le  » Jean  » trottinait fièrement en tenant à la longe notre deuxième cheval. Nous les hommes on remplissaient les basses puis nous les remettions sur les bêtes. Marie et ses consœurs repartaient ensuite vers les lieux de chargements.

Tout se faisait dans la joie, certains chantaient, d’autres échauffés par les coups de tire vers exprimaient en mots salaces l’amour qu’ils portaient au physique des femmes. Ces dernières se piquant au jeu en un langage cru et imaginé les excitaient et se moquaient parfois de leur virilité défaillante.

Mais il fallait travailler très dur, les navires ne devant être immobilisés que le moins possible et la noria des charges devait se faire rapidement.

Au retour donc les femmes et aussi les enfants guidaient les chevaux vers ce que l’on appelait la charge. Cet endroit où l’on chargeait n’était qu’un appontement provisoire, une allège de faible tonnage remontait les chenaux au plus près des prises, il n’y avait pas beaucoup d’eau et les échouages n’étaient pas rares.

Une fois le bateau amarré une planche était jetée en travers et des gars costauds que l’on nommait les hommes de la planche enlevaient les basses pleines à ras de sel et les déversaient dans l’allège.

Le travail était pénible mais payé en conséquence, il fallait avoir le pied sur et ne pas se retrouver avec le sel dans le chenal.

Dans la barcasse, des contrôleurs vérifiaient la quantité, lorsque la charge avait été atteinte le pilotin repartait avec son chargement et se rendait à Saint Martin où attendaient des terres -neuviers qui faisaient provision de ce sel vert qui conservait merveilleusement les morues pêchées au loin dans les mers froides.

Il fallut plusieurs jours pour évacuer les nombreux monticules qui émaillaient le paysage, nous étions fourbus mais heureux, pour une fois la vente s’était déroulée à notre avantage.

Notre bon sel ne partait pas seulement à terre neuve, il prenait souvent la destination des pays scandinaves, alors là les barcasses se muaient en gros navires bien pansus car non seulement ils chargeaient en sel mais aussi en vin, les tonneaux se calaient avec le sel qui servait ainsi et de marchandise et de leste.

Quelques temps plus tard nous en étions au même point, le ventre si doux de ma femme restait stérile, je me lassais de cet ouvrage sans cesse recommencé et me détournais peu à peu des charmes de Marie.

Non pas que la tentation d’aller voir ailleurs me soit venue, d’ailleurs cela n’aurait en rien favorisé mes envies d’avoir un fils.

Nous n’avions pas de chance et ce n’est pas les prières à l’église qui changeraient quoi que ce soit à la situation. C’était mon troisième mariage et je n’avais toujours qu’une pissouse.

Le temps passa Marie avait 36 ans et moi 38 le travail nous unissait et nous passions notre temps ensemble en fin d’année 1737 nous eûmes enfin un espoir. Ma femme se trouvait grosse enfin.

C’est l’époque aussi ou ma mère qui vivait seule dans la petite maison où j’avais grandi n’eut plus assez de force pour subvenir à ses besoins, j’entends par là que sa faiblesse ne l’autorisait plus à travailler comme saunière, ni dans mes marais ni dans ceux des autres. Le ramassage du sart était trop dur, enfin pour résumer elle n’était plus bonne à rien. Évidemment la maison où elle habitait ne lui appartenait pas en propre, alors plus de travail plus de toit. Il fallut se rendre à l’évidence nous devions la prendre chez nous Heureusement nous avions deux pièces et la grand mère dormirait avec sa petite fille dans le même lit. Nous allâmes chercher ses hardes et les résidus d’une vie domestique, oh trois fois rien, des nippes, des casseroles quelques couverts et pots divers . Ce que nous ne pouvions emporter faute de place fut vendu.

Maigre profit pour une très grosse peine, il est dur de voir finir sa vie et dur de voir partir ses souvenirs à l’encan.

Nous avions Marie et moi quelques libertés il fallut que nous fassions montre de plus de discrétion.

Lorsque j’avais envie d’elle je pouvais profiter du moindre recoin pour lui remonter sa robe, nous pouvions hurler de contentement que cela ne gênait personne. Pour la toilette Marie se lavait entièrement nue. Pour nos besoins dans le pot de chambre aucune décence n’était requise. Maintenant que la vieille était là assise près de l’âtre nous étions observés et jugés à la mode du feu roi louis XIV.

Bon il y eut un petit avantage, elle s’occupait des repas et de la petite Marie Catherine. Au sujet de ma fille nous étions un peu inquiet passée deux ans elle ne marchait toujours pas et avait le plus grand mal à se tenir assise. Bon Dieu non seulement ce n’était pas un garçon mais en plus la voilà contrefaite.

En octobre 1737 le village bruissa du changement des fabriqueurs, la discussion fut houleuse à l’église mais ce fut Jean Grisard qui fut désigné en compagnie de Jean Séjourné.

Grisard était notaire des seigneuries d’Ars de Loix et des Portes, nom bien pompeux pour un écrivaillon mais il avait des biens et était lié avec toutes les familles de notables de l’île .

Séjourné était marchand, lui aussi très aisé mais largement moins con et prétentieux que l’autre coq de village. De toutes manières nous pauvres gueux nous n’avions qu’à travailler, baisser la tête, et soulever le chapeau.

LES SAUNIERS DE L’ILE BLANCHE, ÉPISODE 21, nouvelle naissance et scènes de vie

 

Nous nous sommes retrouvés comme deux imbéciles, moi meurtri en mes espoirs, elle dans sa chair et dans son âme. Elle s’en voulait de ne pas m’avoir satisfait dans mes vœux de paternité. Elle s’inquiétait de l’état de son ventre, je la tranquillisais sur ce sujet, nous patienterons.

On se plongea dans le travail, la saison arrivait à grand pas. Marie un peu chancelante vint me rejoindre, le soleil fut présent cette année là et nous eûmes une magnifique récolte.

Quel bonheur que d’être au marais, les odeurs, le paysage, les couleurs changeantes du sel me charmaient presque autant que le corps de ma Marie.

Si le sel fut au rendez vous, l’orge que nous faisions pousser sur nos bossis ne nous manquait pas non plus. Vraiment une superbe récolte, les métives se faisaient à la faucille j’avais le dos cassé à force d’être penché, Marie travaillait comme un homme.

Nous avons ensuite amené la récolte sur nos deux petits chevaux jusqu’à la petite cour près de notre maison et qui nous servait de lieu de battage. En chantant avec nos battoirs réunis en une réelle communauté nous les sauniers on s’entraidait. Chacun battait ses grains et les rentrait, puis nous passions à la récolte du voisin.

Au cours d’un de ces battages ma femme se disputa avec une de mes anciennes belle filles, cela commença par un mauvais regard puis par des paroles au sujet des avances que j’avais soit disant faites. Le ton monta rapidement cela faisait rire tout le monde, la Catherine se prit une gifle puis ce fut l’empoignade, ma femme et ma belle fille se roulant dans les grains juste battus, se griffant, se mordant et tentant de s’arracher les vêtements. Oh ce fut un sacré spectacle, Catherine se retrouva avec sa robe troussée le cul à l’air et Marie la chemise déchirée montra à tous un de ses seins.

Tout le monde applaudissait à ce spectacle, les hommes comme les femmes, tout le monde s’excitait à cette bagarre de furie.

Je mis fin à ce divertissement en attrapant ma femme par le bras et en la ramenant à la maison.

La Catherine fut ramenée par son frère qui lui mit la plus belle trempe de sa vie. Chez moi, Marie la colère passée fut des plus honteuse. Moi j’étais fort en rogne et je lui aurais bien mis une volée pour la honte qu’elle m’avait procurée devant la communauté. D’un autre coté c’était pour défendre mon honneur, alors je la charriais un peu en lui disant que tous les hommes du village diraient quelle avait le plus joli téton de l’île de Ré.

Puis la saison repris, oubliant le petit avorton que j’avais enseveli, le travail absorbait notre énergie.

Nous ne relâchions pas nos efforts pour faire un petit et ce sujet avec le sel nous tenait en haleine.

Rien ne venait, Marie restait plate comme une limande, enfin presque.

En Janvier 1735, elle fut affectée par la mort de son père, remarquez il était déjà vieux, je crois 62 ans. Nous avons veillé sa dépouille enfin surtout Marie et ses deux sœurs Jeanne et Marguerite.

Les trois femmes ont effectué la toilette mortuaire avec amour et dévotion, vous parlez d’une connerie, le Jacques il était pas très propre et puait comme un bouc alors le nettoyer pour le passage dans l’au-delà cela me laissait perplexe. On lui mit aussi ses beaux habits, quel gâchis alors que les temps sont si durs. Moi j’ ai demandé à Marie d’être enterré à poil, autant vous dire que j’ai reçu une bordée d’invectives que seules les Rhétaises connaissent.

Ensuite on l’a conduit à sa dernière demeure, il était pas loin du trou de ma deuxième femme, enfin je crois. Ses marais au grand Jacques passaient aux mains de son fils, c’était la coutume et il en était bien ainsi.

C’est peu de temps après que Marie devint grosse, pour la faire râler je lui disais que nous avions réussi lorsque un jour que nous ramenions les chevaux à l’aisine je lui avais soulevé ses cotillons dans notre remise à outils et que sur une litière de paille fraîche je lui avais exprimé mon émotion.

Restait à voir si un fils  naîtrait, alors là j’ai tout entendu des commères, la position du ventre, rond, en pointe, en bas, la voisine nous a même fait un prêche sur la lune et le positionnement des astres. Foutaise quand j’avais envie de Marie je ne regardais pas le ciel ni les planètes. Enfin à part peut être une certaine lune.

Un peu avant Noël, tout le quartier se mobilisa pour aider Marie qui venait de perdre les eaux, il y avait foule dans la maison et madame Relet la sage femme dut en remercier quelques unes.

Comme si la voie était faite, Marie Catherine nous naquit le 10 décembre 1735, non de dieu encore une foutue femelle, il allait falloir recommencer et repasser par les mêmes phases d’espoir.

De colère je partis voir mon marais bien qu’en cette période je n’avais rien à y faire car il était recouvert. Une fois calmé je rentrais et j’admirais le petit animal à la goule fripée et rougie, momifié dans des langes. Jean Dubois un saunier qui partageait mes travaux et qui buvait le coup avec moi servit de parrain et Marie Guilbaud la sœur de Marie devint Marraine. Ma femme impure resta à la maison et le curé nous baptisa la drôlesse.

Ce qui chagrina la Marie fut justement cette impureté, elle ne devait point se rendre à l’église avant ses relevailles, or cette période courait sur les fêtes de la nativité. Pour ma femme c’était un vrai crève cœur. Moi j’aurais bien été un peu impur pour me passer de ces pantomimes mais bon toute la communauté se rendait à la messe ce jour là alors je ne pouvais y déroger.

Le curé devant l’air désespéré de Marie lui octroya le privilège d’être relevée juste avant Noël.

Cérémonial d’un autre age Marie accompagnée de ses sœurs, de la sage femme et de la marraine partirent de la maison la mère Relet tenait ma fille sur son bras gauche et ma femme prenait position près de la tête de l’enfant, ma belle sœur Marie Catherine se tenant de l’autre coté. Vous parlez d’un équipage je me demande d’où cela sort ces futilités de placement.

Arrivée devant l’église, cette mauvaise femme s’agenouille , le prêtre lui amène un cierge qui est celui de la chandeleur. Une petite prière, le bon curé pose son étole sur le bras de Marie la relève et l’accompagne à l’autel, prière, bénédiction et communion. Enfin ma femme est propre, lavé le sang des menstrues et le sang placentaire. Elle pourrait retourner à l’église, au lavoir, sortir de la maison

Et bien sur je bénéficierai de nouveau de son corps. Moi pour sur il n’y avait que la dernière interdiction qui me turlupinait.

Bon elle était contente de retourner à la messe moi ce qui pouvait la contenter de façon si simple me satisfaisait.

Le soir de la nativité je mis dans la cheminée une bûche que l’on alluma dès que l’on entendit la cloche nous appelant à la messe de minuit. J’avais coupé un vieux poirier les jours précédents le tronc était énorme et brûlerait un moment. Tout cela était bien symbolique, le soleil, le feu, le Christ et comme disait un marin à la taverne ce n’était pas bien catholique tous ces mélanges.

Marie et les autres femmes étaient en général plus assidues que nous autres les hommes. Avant de partir ma femme donna le sein à notre fille, j’adorais, puis nous la laissâmes. Nous n’avions aucun souci à nous faire, emmaillotée comme elle était, elle ne risquait pas de bouger. Au vrai il y avait un risque quand même, l’autre jour un petit s’était étouffé dans son vomi.

Au retour de Saint Eutrope j’avais de l’appétit, mais ma Marie fit l’offusquée, pas pendant les fêtes religieuses.

Je me jurais que le lendemain je mettrais tout en œuvre pour avoir un garçon. Saunier qui s’en dédit

LES SAUNIERS DE L’ILE BLANCHE, Épisode 20, la mort de mon premier

 

Cela me fit bizarre de commencer une saison de saunaison avec une autre femme, je revoyais la Suzanne avec son sourvon, ses jambes blanches dévoilées et son franc parler qui retentissait dans tout le champs de marais, n’épargnant rien ni personne.

Marie Marguerite était tout aussi aguerrie, toutes les femmes des Portes étaient de rudes travailleuses et d’efficaces saunières.

L’été se passa comme un enchantement, nous faisions tout ensemble, nos repas frugaux de fruits de mer nous laissaient un goût de paradis, nous partagions même nos moments de plus frustre intimité et jamais même quand nous ne faisions pas l’amour nous nous tournions sans nous faire un long baiser . J’étais amoureux de ma blonde saunière.

En septembre le temps changea et le soleil ne fut plus de la partie, la récolte ne fut pas très grosse, nos bon messieurs les marchands allaient pouvoir spéculer sur notre sueur.

Comme je vous l’ai déjà dit nous ne mangions presque jamais de viande et notre quotidien était fait de poissons, de crustacés et de mollusques.

Il y avait abondance de tout et nous nous régalions, pour le poisson la pêche se faisait dans les vasais où bien dans les écluses à poisson.

Depuis les temps reculés les rétais pêchaient dans ces endroits, nos ancêtres ingénieux et pratiques avaient confectionné en pierre des sortes de anses recouvertes d’eau à marée haute, les poissons y pénétraient et y restaient piégés lorsque l’eau se retirait. Les pêches étaient miraculeuses.

Faits de pierre des bancs rocheux de la cote, montés sans chaux, l’enceinte faisait presque un kilomètre, percés de trous grillagés pour que l’eau puisse s’évacuer et que les poissons soient bloqués.

Les écluses très vastes étaient divisées en plusieurs zones par des murets qui correspondaient par des pas fermés de grille.

Les prises nous suffisaient pour manger plusieurs jours, mais que de travail d’entretien, les pierres des murs étaient emportées par les marées et les tempêtes, les vases s’accumulaient ainsi que les algues. Prendre le poisson était en somme la partie la plus agréable.

Marie chantait toujours, et sans relâche je l’observais, bon dieu ce qu’elle était belle, je lui aurait fait l’amour à tous moments. Elle maniait son éperon avec dextérité et chaque geste était emprunt de grâce.

Sole, anguilles, tacauds, chinchards, raies, bar, mulets et crevettes grises étaient notre lot, moi j’avais un faible pour les crevettes et je m’en mettais des pleines plâtrées.

Pour la communauté ces écluses étaient source d’une lutte permanente contre les possesseurs de la seigneurie et de la baronnie de l’Île de ré ainsi que des autorités royales. Tous voulaient percevoir des droits et nous évidemment nous faisions de la résistances.

L’obtention de liberté n’était jamais acquise totalement, nous notre écluse était celle de la Chiouse mais bien sur comme je vous l’ai déjà dit nous étions plusieurs familles à pêcher dedans.

La vie de saunier était vraiment une vie communautaire, aucun gros travaux ne pouvaient se faire seul. De plus le travail se faisait aussi en couple, cela avait des avantages quand on aimait sa femme par contre dans le cas contraire je vous dis pas . Les engueulades étaient mémorables et nous nous en amusions bêtement. Le saunier le plus proche de mes aires saunantes battait sa femme pour la moindre peccadille, il fallait s’interposer car il l’aurait tuée. Certes c’était sa femme il avait des droits dessus, mais bon quand même elle nous faisait pitié cette pauvre déguenillée avec ses horions.

Nous à la maison l’idylle continuait, malgré notre fatigue nous faisions l’amour tous les jours, et heureusement les menstrues de Marie disparurent et je crois qu’elle promenait.

Sa grossesse se passa bien, elle continua son travail jusqu’au bout, certes avec peine mais jusqu’au bout, j’avais besoin d’elle.

Elle accoucha dans la nuit du 02 avril 1734 la sage femme était présente ainsi que les sœurs de Marie, ce fut très long, moi j’attendais dans la ruelle et j’entendais les hurlements.

Les périodes de silence étaient aussi stressantes que celle ou ma femme criait. Puis un son venu de nul part sembla faire trembler les Portes. Pierre Nicolas venait d’être expulsé des entrailles de sa mère, aucun souffle ne sortait de cette faible poitrine, bleu recouvert de sang et de matière il faisait penser à un jeune chiot crevé.

La matrone le suspendit par les pieds et lui tapota le dos, Pierre expulsa quelques glaires et jeta comme on jette un râle un faible cri.

Il vivait mais l’interrogation de savoir combien de temps nous turlupinait. La sage femme n’était pas trop enthousiaste, elle avait de l’expérience. Ma femme exténuée avait fait une hémorragie que ses sœurs tentaient de juguler avec de l’étoupe et des onguents. Ce moment merveilleux se noyait dans le sang la merde et l’urine. Le bébé très faible était entre les mains de Dieu. La matrone conservant un faible espoir ne l’ondoya pas mais nous prescrit de le faire baptiser au plus vite.

Le lendemain matin le jour à peine levé je me précipitais à la cure pour lever le curé, il n’aimait guère être dérangé dès potron minet mais il nous reçut pour baptiser le petit. Nicolas Rayton le parrain et Jeanne Guilbaud la tante et marraine m’accompagnant nous suivîmes le prêtre jusqu’au baptistère. L’onction ne réveilla guère la petite larve moribonde.

Le bon curé pragmatique me souffla au moins si il passe vous n’aurez pas à le jeter comme un chaton sur le fumier , il aura terre consacrée. Le sens de la formulation de notre guide spirituel me choqua un peu mais bon il croyait quand employant notre vocabulaire et malgré ses mains blanches il ferait parti de notre dur monde.

En rentrant ma foi, je le posais dans le berceau d’osier à coté de notre lit. Marie faible dormait d’un sommeil troublé d’inquiétants cauchemars.

Jeanne s’assit près d’elle pour la veiller et moi avec le parrain je me buvais un coup de blanche.

Bien j’avais du labeur et je retournais au marais du Roc pour entretenir une amissaunée qui ne s’écoulait plus guère. Bouchée elle n’assumait plus son rôle d’alimentation en eau de mon champs de marais. Le lendemain il faudrait que je vérifie le gros mât qui alimentait mes métières.

Le soir dans la maison aucun bruit, tout le monde était parti, Marie dans son lit échevelé, en sueur, les traits tirés tenait le petit Pierre contre sa poitrine. Un sein sorti de sa chemise ouverte semblait offrir la tétée de son mamelon craquelé, suintait une perle du lait dispensateur de vie. Mais le petit corps n’en n’avait cure, dur et froid, il avait échappé à la vie. Ravagés les yeux mi clos de Marie laissaient échapper des grosses larmes.

Je lui pris le petit, elle ne le retint que quelques secondes, vain combat contre la mort et qu’elle avait perdu elle et son petit.

Dans son berceau immobile, Pierre Nicolas était serein, jamais aucune peine ne l’avait affecté, bien heureux ange.

Je m’en fus prévenir la famille et  revint ainsi que le curé, peu à peu la maison s’emplit d’une foule compatissante. La veillée commença et les femme en une antique coutume héritée des pleureuses se relayèrent au gisant de l’enfant.

Moi je pris quelques heures de repos chez mon beau père.

Le lendemain accompagné de la famille et du curé je me rendis au cimetière en tenant mon bébé dans les bras. Un trou peu profond attendait mon premier né, décidément à qui mes salines allaient elle revenir. Bon dieu étais je maudit

LES SAUNIERS DE L’ILE BLANCHE, Épisode 19, ma troisième épouse.

 

 

Bien sur je connaissais cette famille, tout le monde se connaissait aux Portes en ré, petit village éloigné de tout relié au reste du monde par de vagues chemins

La famille Guilbaud était implantée depuis des temps immémoriaux dans notre marais, elle était liée par le sang à la quasi totalité des familles de sauniers. Alors oui je la connaissais, certainement dure au mal et au travail, pleine d’abnégation comme toutes ces commensales……

Mais était elle joliette et bien faite ? Car figurez vous malgré mon désir de ventre je n’allais pas me jeter dans les bras de n’importe quelle laideronne. Je voulais réunir l’utile à l’agréable et voyez vous pour les autres familles de sauniers j’étais un bon parti. De beaux marais, bien situé au départ des chenaux, une surface en théorie suffisante pour pouvoir en vivre vous donnaient une valeur marchande indéniable sur le marché des hommes à marier. Ma réputation de travailleur n’était plus à faire, j’étais jeune encore. Bien sur il y avait cette histoire avec la Catherine que j’aurais faussement déflorée, cela ressortait de temps en temps dans les conversations, mais quelle importance que les dires d’une foutue drollière.

Je n’avais fait aucune démarche ni tenter quoi que se soit lorsque j’ai croisé Marie Marguerite elle montait son petit cheval et se rendait trottinant pour aller chercher du sel sur un tasselier de son oncle.

Son visage était emprunt d’une sérénité contagieuse, on avait envie en la voyant de lui parler, de lui sourire, elle était avenante. On apercevait sous sa coiffe ses cheveux, coiffés en arrière à la mode d’alors ils étaient de la couleur des blés. Dans cet univers de brune je me rêvais à dénouer cette longue crinière pleine de soleil, de jouer avec ces boucles d’or comme le vent joue avec les brins d’orge sur les bossis.

Bien sur cette fois je ne fis que la croiser, elle ne devait pas traîner en chemin, j’eus droit tout de fois à un sourire.

Subjuguer par son visage le reste du corps avait échappé à mon regard.

Le dimanche suivant à la messe je m’efforçais de l’observer. Grande, la poitrine forte faisant présumer d’un futur lait nourricier abondant. Ses hanches larges semblaient faites pour la maternité et l’amour. Une femme qui pouvait être sa sœur lui fit remarquer que je l’observais, sa tête se tourna vers moi et elle me sourit.

Voila qui était prometteur mais je me demandais quel age elle pouvait bien avoir, ce n’était plus une jeunette, pourquoi n’était elle pas déjà mariée ?

A l’auberge je me renseignais sur la Guilbaud on m’apprit  qu ‘elle avait 32 ans. Sans être un age avancé car on se mariait assez tard par chez nous, le passage de la trentaine pouvait être rédhibitoire.

Moi ce que je voulais c’était un enfant, si la femme était belle et si elle avait une belle dot c’était tant mieux mais j’aurais facilement pris une laideronne sans le sou si elle m’avait donné toute une nichée de drôles.

Il fallait que je m’assure que la Marie Marguerite ne présenta de vis cachés où un défaut de moralité quelconque. Pour cela je fis appel à une de mes cousines Gauthier qui la connaissait bien.

Ce qu’elle me conta me rassura, la belle était de forte complexion et d’après la cousine je n’aurais pas à me plaindre d’un si joli appât, elle n’avait simplement pas eut la chance d’être demandée, peut être plus de femmes que d’hommes dans le village.

Restait quand même le problème de la dot, si je pouvais faire une bonne affaire en plus ce n’était pas à dédaigner.

Je fis prendre contact par l’intermédiaire d’un mariou avec Jacques Guilbaud le père autant s’entendre avec le père avant que de faire des accordailles avec la fille.

Nous nous entendîmes à merveille, Jacques heureux de cette dernière chance de marier sa vieille fille me concéda même un bout de vigne en plus des objets usuels et du trousseau.

Il fit venir sa fille qui se doutait d’ailleurs du pourquoi de ma visite et nous fîmes connaissance.

La consentement de toutes les parties étant acquit je pus voir Marie Marguerite en toute liberté sans que la communauté n’en prenne ombrage.

La noce fut décidée pour le lundi 8 juin 1733, juste avant le début de la saunaison. Contrairement à la Suzanne qui volontiers m’avait ouvert les portes de son paradis, Marie Marguerite resta sourde à toutes mes sollicitations. Vierge elle arriverait devant le curé, nous ne sommes pas des animaux pour faire cela sans bénédiction me disait elle.

Je n’avais pas vraiment ce sentiment mais bon une femme se respectait et je n’allais point la forcer.

Ce fut une noce pleine de gaîté, ma mariée était très belle, sublimée par le bonheur, sa beauté de femme faisait irradier la nef de Saint Eutrope des Portes en ré.

Ses sœurs, Marie et Anne lui avaient servi de mère et lui avaient confectionné une jolie robe et une superbe coiffe. Ses épaules couvertes d’un joli châle de couleur lui donnait un port de reine.

Moi j’avais remis les mêmes habits que pour mes noces précédentes, mais j’étais élégant quand même.

La famille et les amis faisaient cortège et la petite place face à l’église était envahie d’une multitude de sauniers ravis de ce spectacle renouvelé de noces paysannes.

Ma mère et le père de Marie Marguerite étaient fiers comme si nous fussions un couple princier.

Une réputation à tenir m’obligeait à ce que le repas fut le plus réussi possible, abondance des mets et des vins et joueurs de viole à la hauteur des danseurs.

De fait tout le monde s’amusa et lorsque vint le moment de nous sauver la fête battait toujours son plein.

C’était la deuxième fois que j’allais déflorer une femme, la première fois j’étais moi même ignorant des choses de l’amour. Maintenant j’étais plus confiant et je savais un peu m’y prendre. La Suzanne m’avait de ce coté là appris beaucoup de choses.

Le hasard de la vie m’avait conduit à épouser trois femmes alors que la plus part des sauniers du village mangeaient au même pot toute leur vie. J’étais donc un peu fier même si je n’y étais pas pour grand chose.

Marie n’en menait pas large, elle était je dois le dire un peu ignare en la matière, oh bien sur elle avait vu des animaux s’accoupler et je pense qu’elle avait vu ses frères tout nus. Mais bon cela ne faisait guère.

J’ai donc joué le viel habitué. Doucement je l’ai déshabillée en commençant par sa coiffe et en libérant son opulente crinière. Puis chaque bouton de son corsage fut prémisse. Lorsque sa robe glissa au pied du lit, seule sa longue chemise formait barrage à sa nudité. Je la sentais prête à s’offrir et je me mis nu lui dévoilant ma flamme impétueuse.

Sur notre couche d’amour sa chemise de lin enfin retirée me livra la splendeur de son corps vierge.

Ses seins blancs durs et ronds pointaient au firmament du désir. Sa toison aussi blonde que ses cheveux laissait luire quelques perles de fraîche rosée.

Liés comme le ciel et la mer , comme le soleil et la lune nous nous possédâmes en des assauts plusieurs fois renouvelés. Lorsque les forces nous manquèrent elle s’endormit sur mon épaule ses longues jambes enroulées sur les miennes. Vaincue elle ne cacha point sa nudité et à la lueur de notre chandelle je rejoignis les bras de Morphée

La fête se poursuivit le lendemain et nous entamâmes notre vie commune.

J’avais oublié de vous dire mes belles filles était parties vivre chez leur oncle, la décence et la haine m’empêchait de les garder.

LES SAUNIERS DE L’ILE BLANCHE, Épisode 15, le mariage avec ma veuve

 

On décida que les noces auraient lieu après la saison du sel en septembre, entre temps nous aurions la Suzanne et moi amplement le temps de faire connaissance.

Notre première vraie rencontre fut le fruit du hasard, un jour que j’amenais des grains d’orge à faire moudre au moulin du roc, il se trouva qu’elle venait faire de même.

Mon cheval qui s’appelait Jean rappelons le, mais qui n’était plus celui de ma jeunesse piaffait d’impatience pendant que je discutais avec Nicolas Chabot le meunier. La discussion portait évidemment et comme toujours sur le cour de sel qui conditionnait la vie aux Portes .

Le meunier était indirectement touché mais si nous ne pouvions le payer il ne pouvait point vivre.

Si le sel était vendu normalement le saunier touchait son tiers et il pouvait régler ses dettes au meunier.

L’habitude était le paiement à l’année, rien ne se payait au moment de l’achat. Nous vivions à crédit.

Seulement voilà il fallait bien s’acquitter un jour, alors si le sel ne se vendait pas on s’arrangeait avec le créditeur. Le Nicolas Chabot il était point à plaindre et possédait quelques terres. Des vignes, des terres à orge et aussi un lot de marais qu’il faisait exploiter par des journaliers. Bref il avait toujours besoin de main d’œuvre et on le payait en journées de travail. Moi j’étais en compte avec lui et en échange de la farine qu’il me remettait je devais aller relever une digue qui menaçait de s’écrouler et noyer ses aires saunantes.

Hors donc la Suzanne venait faire la même chose que moi, chaque saunier faisait pousser sur ses bosses de l’orge pour sa consommation personnelle. Nous n’avions pas des récoltes terribles et certaines années nous n’en avions pas assez pour faire notre pain. Les autorités le faisaient venir de Marans par la Sèvre Niortaise, mais de toutes façons nous n’avions pas d’argent pour l’acheter.

J’attendis donc que ma promise en termina avec le farinier et nous avons fait retour ensemble.

J’avais quelques appréhensions, mais je les perdis, Suzanne était agréable et bonne diseuse et je me suis tout de suite dit que nous pourrions nous entendre. Nous étions presque voisins et nos aisines respectives étaient accolées. Je rentrais mon cheval et le délestais des sacs de farine puis j’aidais Suzanne à faire de même. Nous étions fort proches l’un de l’autre et il me vint l’idée de goûter à ce fruit mûr. Je fus un peu brusque mais le baiser que nous échangeâmes fut une révélation. Une envie d’amour irrépressible me vint et je m ‘hasardais à quelques caresses. Suzanne se laissa faire et je la couchais dans la paille pour une étreinte fougueuse, passionnée et fort courte. Je ne sais si elle fut si comblée que moi mais nous primes l’habitude en attendant de faire couche commune de nous retrouver dans la paille.

Le 29 septembre 1729 on convola, l’église Saint Eutrope était pleine, ma mère fatiguée et désapprobatrice tirait une tête de gisante.

Mon vieux parrain voûté et amaigri me faisait l’honneur de sa présence et mon cousin Pierre Barbier me servait de témoin.

Du coté de Suzanne, ses filles se pavanaient et roucoulaient insolemment en cherchant le regard des hommes. Ses beaux frères Jean Rousseau et Clément Bouriau étaient là avec leur famille.

Jacques Poitevin à qui revenait l’initiative des tractations avait l’honneur du premier banc avec le commandant de la milice Jean Lemée.

La présence de ce dernier faisait pâmer la Suzanne qui ainsi s’enorgueillissait, vous pensez un notable pour son troisième mariage.

Nous sûmes nous amuser et nous empiffrer, aucune ombre au tableau, sauf ma mère qui rentra très tôt. Catherine et Anne mes belles filles jouèrent toute la journée à énerver les hommes, Suzanne me demanda de faire preuve d’autorité en les gourmandant. Je ne fus guère efficace, la Catherine me titillant avec insolence et une réelle effronterie. Une bonne torgnole voir plus aurait pu la remettre en place mais fille en chaleur devient diablesse.

En soirée nous nous éclipsâmes pour la nuit de noces nous n’étions plus des lapins de six semaines et j’avais déjà goûté à Suzanne mais je ressentais comme une appréhension. C’était devenu officiel et nous n’aurions plus à faire cela comme deux drôles dans la paille ou sur la mousse des arbres de trousse chemise.

La maison que j’allais occuper était bien plus grande que celle où j’avais toujours vécu, la pièce principale était plus vaste et le lit clos de rideau plus grand et plus confortable. Mais surtout elle possédait une chambre supplémentaire pour mes brus, je ne me serais pas vu vivre avec ces deux jeunes femmes dans ma chambre. Cela aurait été gênant pour elles comme pour moi et leur mère.

Ce n’était pas mes filles et comme on le verra par la suite le pressentiment que j’avais au sujet de Catherine s’avéra exact.

Si Suzanne était moins jolie que Marie Anne, en amour elle était plus experte et ouverte à toutes sortes d’expériences. Nous passâmes une bonne nuit et nous n’eûmes pas à subir la visite des noceurs en goguette car la vérification de la perte de virginité de Suzanne eut été une perte de temps.

La noce se prolongea le lendemain mais avec moins de monde le labeur ne pouvait attendre.

Le soir les filles revinrent chez elle et je crois qu’elles avaient abusé du fruit de la sainte vigne car elles n’ont fait que rignocher en nous adressant des sourires en coin.

La soirée ne fut que provocation, les deux sœurs chacune à leur tour pénétrait dans la pièce principale sous un prétexte ou un autre. Une fois ce fut une soif irrépressible, l’autre fois fut l’opération pot de chambre. Puis pour finir la Catherine en chemise de dessous, les seins tressautant dans l’échancrure de son vêtement  se précipita dans la petite cour de devant pour copieusement vomir ses agapes.

Elles avaient  gagné, Suzanne et moi nous restâmes bien sages pour ne pas déranger ces demoiselles.

Le lendemain la mère et les filles eurent une explication musclée, Catherine et Anne se prirent chacune une taloche pour leur comportement de la veille. Il faudrait bien qu’elles se fassent à ma présence. Je ne leurs avais porté aucun préjudice et leur mère était bien libre de convoler avec qui elle voulait, mais bon ce ne fut point facile.

LES SAUNIERS DE L’ILE BLANCHE, Épisode 11, Péril de mort.

 

Mes deux femmes donc se partageaient les tâches, Marie Anne allait chercher l’eau au puits qui se trouvait au bout de la ruelle et ma mère allait à l’aisine prendre le bois de chauffe ou le petit bois pour cuisiner.

Quand je rentrais ma mère était penchée sur le chaudron accroché à une crémaillère dans l’âtre, je la revois tournant la soupe, ma Marie Anne assise sur son coffre cousait, filait, épluchait, jamais inactive. Nous avions un coffre de bois blanc avec un dressoir dessus, c’est un héritage de feue ses parents, ce bois nous venait du nord par bateau. Ces pays de brume qui n’avaient d’ensoleillement suffisant pour faire naître le sel nous l’achetaient et en retour nous fournissaient en bois de sapin.

Autant vous dire que miséreux comme nous étions, les meubles n’étaient pas changés très souvent et nous les réparions comme nous pouvions avec les moyens du bord.

Marie Anne se tenait toujours à coté de ce buffet comme si elle le surveillait, objet de mémoire lui rappelant sans doute ses parents.

Sur le dressoir nous avions quelques assiettes d’étain, des tasses, des chopines et quelques cuillères.

Nous n’avions  qu’une fourchette, vous savez ce pic à plusieurs branches, je le laissais à ma femme moi je préférais manger à la cuillère ou avec mes doigts. Ma mère mangeait seule après nous, pour pas déranger, puis elle sortait dans la nuit se rendait à l’aisine saluait notre cheval et faisait ses besoins, ensuite elle rentrait prenait une chandelle de rouzine et montait au galetas pour dormir. Nous nous profitions un peu mais  ne tardions guère, les journées étaient longues et le sommeil nous venait rapidement.

Nous attendions aussi que ma mère s’endorme et un léger ronflement venant de l’étage nous indiquait que je pouvais soulever le jupon de Marie. Mais silence n’allons pas la réveiller.

A la fin de l’année 1724, après une année de vie commune et de nombreux ébats, ma femme s’inquiéta de ne plus avoir ses menstrues.  Quand je posais une question sur le sujet ma mère offusquée et ma femme honteuse me répondaient invariablement que cela ne me concernait pas. Vous parlez que cela ne me concernait pas, la Marie Anne pendant cette période elle voulait pas et était d’une humeur de chien. De plus elle s’essuyait avec un bouchon de paille comme pour les chevaux.

Enfin bref ne plus en avoir signifiait qu’elle était grosse, tout le monde était fou de joie, moi quand on m’expliqua que le drôle allait naître en pleine saunaison je rigolais  moins.

Bon, grosse ou pas le labeur n’attendait pas, les femmes continuaient jusqu’à la délivrance leurs activités.

Marie Anne prit énormément de poids et se traîna lamentablement les derniers mois. Le 3 août 1725, il faisait une température à faire échauder le marais, nous étions avec Marie Anne sur la vissoule quand elle sentit couler quelques choses entre ses cuisses. Elle se mit à hurler, ma mère et d’autres femmes arrivèrent en courant.

Toutes savaient à quoi s’en tenir, elles entraînèrent ma femme hors du marais et la reconduisirent à la maison. L’accouchement était commencé. On me signifia que je ne servirais à rien et que je reste au sel. Ce que je fis volontiers. De toutes les façons sans ma récolte de sel ce petit on pourrait pas le nourrir alors……..

Le soir quand je rentrais, les inquiétudes se lisaient sur tous les visages, l’enfant n’arrivait pas. Marie Relet la sage femme en sueur, les cheveux défaits s’activait de tout son savoir. Puis au prix d’un effort intense la tête apparue, ma femme était exsangue et hurlait ses dernière forces.

Ensuite rien le bébé était coincé, la matrone qui en avait vu d’autres sut que l’enfant étant ainsi , que la mère était en péril de mort.

En vertu des pouvoirs que lui avait conférés le curé, elle pratiqua le petit baptême ou l’ondoiement de l’enfant alors qu’il était encore dans le ventre de sa mère coincé comme un pantin ridicule.

L’âme de Pierre fut sauvée par ces quelques paroles mais sa vie était encore en suspend. Marie Relet tira de toutes ses forces sur la tête du bébé pendant que Marie Anne en une dernière poussée tentait d’expulser son fils récalcitrant. En un dernier effort, Pierre, noyé dans le sang, l’urine et la merde se retrouva dans les bras de la sage femme.

Petite chose rouge et frêle, il lâcha un faible braillement. La grand mère s’en occupa le frotta avec du vin puis comme il ne donnait guère de signe de vie elle lui en mit quelques gouttes dans la bouche. Elle l’emmaillota ensuite soigneusement dans des langes.

L’enfant était  prêt à vivre, enfin presque ……

Pour Marie Anne ce fut un long calvaire, elle était déchirée , sale et épuisée. La sage femme la lava comme elle put avec du vin chaud et lui fit une sorte de pansement avec du tissu.

Elle resta dans un état léthargique quelques jours, quand à Pierre je l’avais déposé moi même dans la terre sablonneuse du cimetière de l’église. Pour une première fois le traumatisme était grand mais bon il avait été baptisé et n’était après tout qu’un enfant de trois jours.

Le parrain Mathieu Mounier le meunier et la marraine Genevive Valleau m’accompagnèrent en sa dernière demeure.

De perdre un enfant n’était pas une affaire en soit, cela arrivait à de nombreuses femmes. Ma mère par exemple n’avait eut que moi de viable ce qui faisait peu pour assurer une descendance en notre temps d’extrême dureté. Non le problème c’est que Marie Anne pouvait se retrouver abimée et n’être plus en mesure d’en faire d’autres. Bon nous n’en n’étions pas là, il fallait qu’elle se rétablisse vite, pour deux raisons, l’une économique car nous avions besoin de sa force de travail et l’autre plus terre à terre si vous voyez ce que je veux dire.

Mais bon ce n’était  pas tout j’avais  du sel à faire.

Comme je vous l’ai déjà dit la solidarité villageoise jouait à plein, pendant que j’étais au chevet de ma femme et que j’enterrais mon petit Pierre mes voisins avaient fait mon sel.

De magnifiques coubes* rosés s’égouttaient sur le chemin. J’allais remercier mon entourage, c’était à charge de revanche, les ennuis étaient comme un balancier qui chaque fois revenait de façon immuable.

Vissoule : chemin situé dans les aires saunantes

Coube : Tas de sel placés sur le chemin

Aisine : endroit regroupant les communs et les animaux

Rouzine : résine, chandelle faite avec de la résine

LES SAUNIERS DE L’ILE BLANCHE, Épisode 12, le prix de notre labeur et le prix de notre malheur

La saison se termina nous avions fait une bonne récolte et les pilots sur les tasseliers étaient conséquents.

Mais bonne récolte ne voulait pas dire gros profit, encore fallait t’ il que le sel soit vendu.

Autant vous dire tout de suite que nous, pauvres malheureux, , nous ne nous occupions pas de la vente et que les marchands s’enrichissaient grassement sur notre dos.

Non seulement nous n’avions aucun regard sur les ventes mais en plus nous devions attendre pour percevoir un salaire que notre sel soit l’objet d’une tractation commerciale.

La raison pour laquelle nous étions pauvres, résidait dans le système du colonage que j’ ai expliqué au début de mon histoire.

Notre rémunération était au tiers, c’est à dire que nous percevions le tiers du fruit de la vente, moins les frais de charroie et les droits. Ces droits du propriétaire nous amputaient d’environ un quinzième de notre profit.

Seulement comme je vous l’ai dit, c’est le propriétaire qui vendait et si il ne voulait pas vendre car le cours du sel était trop bas, et bien le fruit de la récolte restait sur la bosse. Croyez moi, il pouvait y rester longtemps et pour mon compte un pilot que j’avais récolté était resté 5 ans sans être vendu.

Moi je crevais famine car pas de vente donc pas d’argent.

Rien à y faire, même chapeau bas le négociant ne voulait rien savoir, quand les ventres étaient vides et que la populace commençait à bouger ces messieurs nous faisaient l’aumône de nous permettre de vendre un peu de sel localement, sur notre tiers évidemment.

Ce n’était pas la panacée car le sel était toujours au plus bas quand on nous autorisait à ce genre de vente .

Le sel rapportait beaucoup d’argent, mais pas aux mains calleuses.

Dans les villages nous avions un habitant élu qui gérait les aumônes faites aux pauvres, le 24 février 1726, ding dong ding dong au son de la cloche, de manière accoutumée, nous fûmes convoqués à Saint Eutrope pour l’élection de ce brave homme.

L’homme en question fut Jacques Poitevin un marchand, « ce procureur des pauvres » c’était son appellation s’occupait de distribuer les aumônes aux plus démunis, comme par exemple la rente perpétuelle accordée par feu François Caillo écuyer de Beauvais et qui s’élevait à 50 livres.

Cela pouvait prêter à sourire, si cela avait été un sujet moins dramatique que la misère. Car en effet  c’était un de nos affameurs qui se chargeait de nous distribuer de quoi ne pas mourir de faim.

Pour l’heure j’avais de la chance mon sel était parti et j’avais touché ma part, j’allais pouvoir payer quelques dettes. Car voyez vous sur notre belle île, on n’avait pas grand chose à part le vin et le sel.

Très peu d’élevages et très peu de légumes, toutes les parcelles étaient couvertes de vignes ou de marais, nous importions tout et le trafic, par La Rochelle la côte vendéenne et Marans par la sèvre Niortaise , nous offrait le débouché de l’ensemble du marais poitevin.

Marie Anne était à peu prêt remise de son accouchement, nous avions été longtemps sans avoir de rapports, nous avions réessayé, mais la douleur était vive, alors nous faisions sans. Heureusement pour notre couple d’autres jeux de l’amour vinrent au secours de notre envie mutuelle.

La patience avait été bonne conseillère et Marie Anne pleine de vigueur un soir me laissa la posséder.

Au début de l’année 1727 des espérances naquirent et effectivement la rondeur de son ventre et ses appétissants tétons qui forcissaient à mon grand plaisir nous laissa espérer une naissance pour l’automne prochain. Bien qu’apeuré par une complication éventuelle je fêtais la nouvelle avec quelques sauniers de mes amis. Le vin n’était pas d’un fort tirage mais il vint à bout de notre inhibition et nous chantâmes à tue tête des chansons grivoises dans les petites rues endormies du village. Autant vous dire que le comité d’accueil ne fut guère aimable et qu’en guise de rapprochement chaleureux je n’eus que les pieds froids de Marie qui repoussaient toutes mes avancées.

Encore une fois elle dut assumer sa grossesse pendant la saison de sel, elle souffrit le martyr, son ventre était énorme, la sage femme pensait qu’il y avait des jumeaux. Ces jambes se mirent à gonfler et bientôt la marche lui devint impossible.

Elle s’alita, ma mère ne fut pas très complaisante et me disait que j’avais épousé une flemmarde. Il fallut que je me fâche pour que cette vieille bourrique comprenne que la nature avait ses droits.

Le 29 septembre Marie Anne commença le travail tôt dans la matinée, en soirée Marie Relet l’accoucheuse était fort inquiète car rien ne venait, le col était dilaté mais décidément le corps de ma femme ne semblait pas fait pour l’enfantement.

Puis tout se précipita Pierre David arriva ainsi qu’une petite mort née que l’on ne nomma même pas.

Notre garçon au faible souffle de vie fut baptisé valablement par la sage femme

Il eut le brave petit la chance d’être baptisé.

Le curé intransigeant ne voulut point que j’enterre les deux petits ensemble, Pierre David avait le droit à une sépulture chrétienne, mais notre petite fille sans nom pouvait être jetée aux gorets ou sur le tas de fumier de l’aisine.

Après d’âpres négociations et l’intervention du procureur des pauvres qui plaida notre cause, j’obtins que la petite soit ensevelie dans un coin abandonné du cimetière, sans signe distinctif. De toute façon m’a t’ il dit la malheureuse resterait à tout jamais dans les limbes et ne monterait pas au paradis.

Je croyais guère à toutes ces fadaises, mais sait on jamais. La Marie Anne était désespérée.

Moi aussi j’étais abattu, l’idée d’un garçon prenant ma suite dans mes beaux marais s’éloignait, la Marie Anne avait 41 ans et deviendrait de moins en moins féconde. C’était un inconvénient de prendre une vieille, comme le faisait gentiment remarquer ma mère. Certes j’en avais conscience mais moi dès le départ j’avais décidé dans ma tête dure de saunier que c’est la Savariau que j’épouserais