Schéma Pierre Tardy sur sel et sauniers d’hier et d’aujourd’hui
Bon avant de poursuivre le récit de ma petite vie il est temps que je vous explique le fonctionnement d’un marais salant.
Commençons par le début , l’eau remonte dans le chenal, si la marée est suffisante, une porte nommée porteau est ouverte et l’eau de mer passe sous la levée par l’intermédiaire d’un essai.
Pour vous éclairer cet essai est une canalisation en pierre.
L’eau arrive dans la vareigne de régulation puis avec un jeu de planches permettant de garder les niveaux dans un vaste bassin ou prise que l’on nomme vasais.
L’eau n’a pas encore un taux de salinité élevé donc il y a des poissons, mais je vous en reparlerai plus tard. L’eau est à son premier degré de décantation.
Ensuite par l’intermédiaire des groumas ou gros mat qui ne sont que de courts tuyaux de bois l’eau pénètre dans la métière.
Cette dernière est un bassin de concentration et de décantation, c’est nous les sauniers qui réglons le passage du flux dans les gros mats au moyen d’une planchette percée de trous que l’on bouche ou débouche avec des chevilles, il ne faut pas croire c’est tout une technique et même un art.
Les métières sont des bassins rectangulaires coupés par des levées de terre herbue que l’on nomme vette. Les compartiments ainsi formés s’appellent conches.
Il est évident que le niveau d’eau est moindre dans la métière que dans le vasais, à chaque fois que l’on passe d’une prise à une autre le niveau de l’eau diminue et la concentration en sel augmente.
Mais poursuivons notre promenade, l’eau continue son circuit et passe dans le champs de marais par une pompe nommée amissaunée, le réglage du débit est très pointu.
Le marais est de forme rectangulaire plus ou moins grand, il y a de nombreux petits bassins séparés par des petites levées. Ce sont les pièces et les chemins.
L’eau qui sort de l’amissaunée passe dans un petit ruisseau appelé mort, puis serpente à travers les tables puis les muants qui sont des petits bassins coupés par des gardes vent et des marcambelles. ( petites levées transversales et longitudinales )
Tout cela a pour but d’allonger la viraison ( le voyage de l’eau de le marais ), en effet il y environ 20 à 30 centimètres d’eau dans les tables et il n’y en a plus que 5 à 15 dans les muants.
On est presque arrivés à la fin , des muants l’eau passe dans les aires saunantes par les morvaires ou bouches d’aires qui ne sont que des coupes dans le chemin ou le travers et qui sont obturées par des planches avec un trou que l’on bouche avec un bouchon nommé vertoc.
Encore une fois c’est nous qui réglons tout cela il faut être vigilant, je terminerais par la fin du circuit que l’on nomme le russon d’écourt et qui retourne dans le chenal. C’est par ce chemin que nous faisons partir l’eau de pluie qui a recouvert le marais tout l’hiver et les eaux d’orage estivales qui font chuter la salinité.
Vous voyez donc qu’il faut vraiment connaître le circuit de l’eau pour pouvoir obtenir un bon sel, beaucoup de travail en commun avec les autres villageois, car il est évident qu’un seul saunier ne peut entretenir les chenaux qui s’envasent et les levées qui s’écroulent. Le vasais appartient également à plusieurs saunier et il faut bien l’entretenir.
Il faut donc que les sauniers soient très liés, leurs intérêts sont communs. Cela rejoint donc ce que je disais précédemment, un saunier se marie avec une saunière, il y va de notre préservation.
N’allez tout de même pas croire que tout le monde s’aime et se fréquente, loin s’en faut mais chacun mettra ses dissensions à l’écart si une levée s’écroulait ou que nos marais étaient en péril.
Celui qui dérogerait à cette règle serait mis au ban de la communauté et ne pourrait faire face à ces propres obligations en étant mis de coté.
Le jeudi 6 janvier 1724, j’ai entendu la cloche de Saint Eutrope, le bedeau y mettait du cœur à l’ouvrage, nous savions par la fréquence et le nombre de coups, de quoi il retournait.
De toute façon le curé Pailla nous avait déjà averti lors de la messe du dimanche.
Je n’avais rien entrepris ce jour là car je n’aimais pas abandonner un ouvrage en cours et ces sons de cloches étaient un signal impératif.
Toute la gente masculine se pressa à l’église, il ne manquait personne, nous les Rétais nous étions libres et fiers et ces rassemblements faisaient partis de nos privilèges immuables.
Le curé monta en chaire et déclara que l’élection du fabriqueur allait commencer. C’était la première fois que j’y participais. Le fabriqueur de la paroisse ou marguillier était celui qui au sein d’un conseil de fabrique gérait l’argent de la paroisse, aumônes, dons, biens mobiliers et entretien de l’église.
Bon moi je savais ni lire ni écrire alors vous pensez bien que je n’avais aucune chance. De toute façon nous en revenions toujours au même. Les places de décideurs étaient prises par les plus riches et vous pensiez bien que ces places n’allaient pas échapper à la nouvelle élite des Portes à savoir le Jean Lemée celui qui me commande à la milice.
Il est accolé de Louis Relet, qui est saunier c’est bien la seule concession accordée à notre métier. Les anciens Jacques Dubois et François Renaud terminent les comptes de leur cession et les habitants les plus notables signent de leur nom.
A la maison tout allait pour le mieux ma mère s’entendait avec ma femme à peu prés bien, certes il y avait un conflit de génération et de préséance, mais Marie Anne était bonne et prête à toutes les compromissions pour être tranquille
Par contre pour ce qui concernait notre intimité propre et notre relation amoureuse cela posait d’énormes problèmes, la présence de ma mère dans le galetas pendant que nous faisions l’amour était rédhibitoire pour elle et je dois l’avouer pour moi aussi. Nous tentions de voler quelques moments lorsqu’elle n’était pas là mais c’était relativement rare.
Nous faisions comme la majorité des couples qui s’entassaient avec leurs enfants et leurs vieux dans des logements exigus. Tout le monde connaissait cela depuis des générations et des générations et chacun a eut pourtant une descendance.