Maintenant il est temps de vous raconter ma fierté du moment, les filles avaient beau se moquer de moi, j’étais devenu un homme, physiquement bien évidemment et aussi dans ma tête. J’étais responsable de mon marais et bien qu’ayant encore besoin de mes pères pour certaines tâches je me débrouillais pas plus mal qu’un autre. Hors donc quand on était un homme dans l’île de Ré on devenait milicien, c’était une sorte de service armée et militaire que nous devions au roi. A partir de 16 ans et jusqu’à l’age canonique de 60 ans nous y étions tenus. Ce service nous l’assumions bien car nous estimions qu’il était une compensation aux exemptions fiscales dont toute l’île bénéficiait.
C’était à vrai dire une sacrée corvée, car en période de troubles nous devions fournir 600 hommes, alors que nous n’étions que 4000 environs. Bien sur nous n’étions destinés qu’à défendre notre territoire et il n’aurait point été question de nous envoyer en Flandre ou au Palatinat.
Dans l’île il y avait quand même des troupes régulières, nous étions là pour leur prêter main forte.
Dans l’ensemble nous étions heureux d’appartenir à cette troupe, cela apportait de la cohésion et comme une identité rétaise en somme.
Notre organisation était calquée sur les troupes royales, fantassins dont je faisais parti, dragons et canonniers.
Nous avions un fusil avec une baïonnette et un ceinturon, en dehors des gardes nous avions des entraînements et des défilés. Il faut quand même dire que des fois nous aurions eu autres choses à faire que de parader avec nos pétoires, le sel , il fallait bien l’extraire et s’en occuper avec amour.
Nos chef comme de juste étaient ceux qui possédaient nos marais ou qui vendaient notre sel, des notables en quelque sorte. Notre commandant aux Portes était Mathieu Grisard, un notaire dur en affaires et dur avec les gens, il se prenait un peu pour un maréchal de France, ce bougre d’idiot si cela se trouve il n’avait jamais été plus loin que La Rochelle.
Dans cette famille de notaires ils étaient commandants de père en fils, en effet juste avant le Mathieu, il y avait eu son frère Jean, guère plus aimable par ailleurs.
Comme adjoint le capitaine Vincent Mounier, il était marchand et lui aussi ne manquait pas de presser les pauvres sauniers que nous étions.
Mais le plus con il faut le dire était le Jean Lemée, sous lieutenant qu’il était, c’est lui qui nous faisait marcher de long en large et qui nous entraînait, moi je pense qu’il nous faisait perdre notre temps. Mais bon pas le choix.
Donc un beau jour je me suis retrouvé de garde à la redoute, c’est un espèce de petit fort qui a été construit en 1673 pour interdire un débarquement anglais sur le banc du bûcheron.
Pas très loin il y a un bois qu’on nomme trousse chemise depuis qu’un milicien à montré son cul à l’escadre Anglaise, enfin c’est ce qui se dit.
J’étais donc bien fier de ma nouvelle occupation, bien, c’était un peu long, j’ai eu froid et évidemment je n’ai vu aucun anglais .
Par contre pour les filles cela donnait un peu de prestance, lorsque j’ai revu Marie Anne je sortais d’une garde, j’ai paradé comme un coq et comme elle était seule elle n’a pas fait la méchante, nous avons parlé un peu.
Elle était vraiment belle, plus âgée que moi elle me fascinait, il fallait à tout prix que j’en fasse ma femme.
Curieusement elle n’avait pas de prétendant, j’avais donc toutes mes chances.
Un soir que je rentrais avec les frères Relet et Séjourné de la côte où nous avions traînés nos sabots, je rencontrais Marie Anne qui revenait de la plage de trousse chemise où elle avait ramassé du varech. Ma foi quelle vision, elle était trempée et ses effets lui collaient à la peau. La cueillette à la côte était éreintante et devenait très pénible lors des grands froids. Quoi qu’il en soit les vêtements mouillés marquaient les lignes pures de son corps. Son jupon et son tablier dégoulinaient d’eau, sa coiffette et sa caline* avaient été remises à la hâte et rattrapées de justesse lorsqu’elle avait glissé sur un rocher plein d’algue. Sa mine était déconfite, elle avait froid et l’on voyait des larmes poindre sur son visage.
Devant tant de pitié je me débarrassais de ma veste et lui posait sur ses épaules. Un sourire récompensa mon audace, la glace était rompue.
Bon pour tout dire sa mère grimaça et murmura un semblant de merci. Qu’est ce qu’elle s’imaginait cette foutue matrone que sa fille qui portait des haillons rapiécés serait demandée par un officier ou par un marchand.
Si un de ceux là s’intéressait à elle, cela ne serait pas pour l’épouser non mais pour prendre son joli pucelage.
Moi au contraire je la marierais et je lui prendrais sa fleur, elle était fille du sel et saunier et saunière sont faits pour s’accorder.
Dès ce moment je lui fis une cour éhontée.
Au fond de moi même je savais que Marie Anne serait ma femme, il restait évidemment deux obstacles de choix pour que je réussisse, la convaincre elle et ensuite convaincre les tuteurs.
Pour Marie Anne je pensais que mon charme opérerait et qu’elle me céderait rapidement, bon je me trompais lourdement là dessus.
Pour son oncle je pense que le fait d’avoir quelques livres de Marais à sauner était plus que suffisant.
Mais pour sa tante qui me détestait, allez savoir pourquoi depuis l’histoire de l’anguille je ne savais pas trop à quoi m’en tenir.
Je décidais de m’ouvrir de la chose à ma mère. Ce fut une réponse assez catégorique, elle me dit tu es trop jeune et puis les Savariau y sont pas des bons sauniers. Pourquoi aux yeux de ma mère n’étaient ils pas bons, cela restera un mystère, sans doute un vieil antagonisme entre les familles et qui venait peu être d’un autre temps.
Dans nos villages isolés par les eaux toutes les familles sont apparentées même si les intéressés ne le savent pas forcement.
Il fallait donc que je convainque ma mère de m’aider dans ma conquête. Ce fut un long travail de sape mais au bout de quelques semaines je parvins à mes fin.