LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 23, Des joies et des peines

Dans la maison le calme régnait, troublé simplement par les sanglots de Marie derrière ses rideaux de courtil. La mère écossait des haricots prés de l’âtre, le Séverin sculptait avec un couteau une canne, Louis lisait un livre prêté par le curé et le petit Paul jouait avec le chat.

  • Marie sort de là
  • Venez vous autres
  • J’ai à vous dire asseyez vous

Venue des tréfonds de ma mémoire, je leurs contais mon enfance et les souffrances de petit bâtard que j’avais endurées. Je leurs racontais également que mon grand père m’avait protégé malgré les pluies de paroles cancannantes.

  • La Marie je t’aime bien et ton petiot on va l’élever
  • Tes frères et moi on va te protéger et gare à celui qui te dira des méchancetés.
  • Merci père
  • Oui, Oui et essaye de te trouver un brave gars qui voudra de toi et de ton petit.

J’avais fait mon devoir de père j’allais pas la foutre dehors avec son gosse et je ne voulais pas non plus qu’elle se fasse passer l’enfant par une sorcière faiseuse d’ange, ni que le fruit de mon sang ne finisse dans une tour d’abandon.

Elle accoucha d’un garçon en mai 1885, c’était la première naissance à la maison depuis celle de nos enfants, ce fut un joli remue-ménage, ma femme pourtant avait l’habitude,elle paniqua comme si c’était son premier. Le travail dura très longtemps, la sage femme était prête à renoncer lorsque dans un ultime effort un petit garçon apparut. Après avoir été lavé et emmailloté il rejoignit l’antique berceau familial. Il n’était pas bien gros, ni d’ailleurs très beau, vivrait il ?

Il ne vécut pas, un dimanche matin nous dormions avec Justine lorsque nous avons entendu un cri horrible.

La Marie à genoux devant le berceau cillait en s’arrachant les cheveux. Le petit Albert les yeux ouverts souriait. Ange envolé le petit était raide comme une bûche. Nous écartâmes notre fille de ce sinistre tableau et nous fîmes le nécessaire.

La veillée funèbre fut lugubre, le petit entouré de linge blanc semblait dormir. Mais la petite poitrine jamais ne se soulevait, aucun souffle ne sortait, petit issu de mon sang, au rapide passage, dormant de son sommeil éternel.

Après ce drame qui finalement n’en n’était pas un, la mortalité chez les nouveaux nés était encore élevée,il fallait bien être fataliste, la vie reprit son cours.

La petite Marie pleine de fraîcheur se remit de son deuil et recommença à minauder avec les hommes. Non de non elle n’allait quand même pas recommencer et faire comme sa sœur Justine.

Soulever son jupon et se donner sans résistance certes donnait du plaisir c’était indéniable, mais cela ne donnait pas un mari. Sa réputation était déjà assez entachée comme cela.

Il fallut que je me fâche et que je menace, elle jura qu’elle serait sage et chaste jusqu’au mariage, voilà qui était bien dit mais quand le diable vous invite à danser bien difficile de résister.

Notre autre souci était évidemment notre Séverin, jamais une  » drôllière  » ne voudrait d’un boiteux, pour le travail c’était pareil, personne n’en voulait, le travail agricole était trop dur, le tissage avec sa jambe folle lui était impossible. Bref nous avions un inutile à la maison et qu’il faudrait bien caser lorsque nous serions au cimetière. Non vraiment un sacré embarras. Ce fut petit Paul qui nous apporta la solution, une de ses connaissances avait un père qu’était vannier et qui cherchait un apprenti. Bien sur le Séverin était un peu âgé pour s’essayer à cette activité. Mais de fait, il n’était pas maladroit de ses mains et sculptait même de belles choses. Le vannier se laissa persuader en voyant ses réalisations et s’engagea à le former. Il n’eut pas à regretter son choix et dieu merci  » patte folle devint autonome  ».

Au lavoir la Justine apprit que sa fille était déjà bien engagée avec un journalier du village, elle feignit de déjà le savoir mais enragea de l’avoir su par ces espèce de poissardes aux langues acérées.

Le soir lorsque la Marie rentra de sa journée les mains sur les hanches ma matrone de femme attendait sa fille devant la porte de la maison. Elle faisait impression et moi même j’eus une appréhension en rentrant manger ma soupe.

L’explication fut vive entre les deux femmes, Justine en voulait à sa fille d’être la dernière du village à être au courant.

Et pour être bien engagée elle l’était car sa rondeur qui ne nous avait pas sauté au yeux au préalable éclata au grand jour pour nous.

Elle nous donna le nom du coupable qui pour leur journalier de son état était gagé et demeurait au Havre.

Le crime était bien consommé et une petite naquit en Mai 1886, on la nomma Marie Gabrielle.

Quelques mois plus tard un nommé Osithe Baudry vint frapper à ma porte.

Je le fis asseoir et écouta ce qu’il avait à dire. Évidemment je savais que le géniteur de ma petite fille était devant moi, tout le monde au village avait parlé de son retour alors vous pensez moi le berger.

Il était désolé pour le mal causé et s’engageait à réparer par le mariage et aussi de reconnaître la petite. Je restais muet un long moment feignant de réfléchir. Le bonhomme n’en menait pas large et triturait son chapeau. Dans la pièce d’à coté la Marie et la Justine se rongeaient les ongles. Je me levais soudain et me dirigeais vers le buffet, j’attrapais deux verres et le litron de calva. Une ample rasade et le destin de Marie fut scellé, ce verre valait acceptation . Un journalier irait très bien avec une domestique de ferme, décidément aucun des enfants ne sortirait de la plèbe.

Il fut décidé que le couple habiterait avec nous quand le mariage aurait été célébré. Seulement le Osithe était gagé à l’année et devrait attendre pour revenir.

Il resta quelques jours dans les bras de Marie et repartit sur le Havre.

Mais les bougres d’andouille délivrés par la promesse d’un futur mariage ne firent pas attention et la Marie se retrouva  » à promener  ».

Le père était revenu quand le garçon arriva, tout se passa pour le mieux et un mois plus tard c’est à dire le 25 novembre 1887 on maria les deux amoureux qui comme beaucoup d’autres avant eux avaient mis la charrue avant les bœufs.

Marie Gabrielle et Raoul Anthème changèrent de nom et d’Orange passèrent à celui de Baudry.

Notre maison redeviendrait joyeuse avec des petits qui courraient dans tous les sens

Une réflexion au sujet de « LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 23, Des joies et des peines »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s