LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 22, une maison presque déserte

On se logea comme on put, chez Justine , chez Osithe et même chez une voisine. Le seul point positif était qu’une pompe amenait l’eau à l’étage, sans que l’on soit obligé de porter des seaux d’eau dans cet escalier peint de noir, sombre et sale, aux marches raides toutes de guingois. Par contre pour faire ses besoins il fallait descendre en bas où se trouvait le cabinet d’aisance commun à tout l’immeuble. L’odeur en était épouvantable, moi qui était habitué à mes prés verdoyant j’en restais bloqué.

Le matin toutes les ménagères de l’immeuble y descendaient leur pot de chambre, vous parlez d’une façon pour se dire bonjour. Heureusement nous n’y resterons pas longtemps.

Il faut bien dire que le marié ne m’a guère plu, si j’avais eu mon mot à dire je ne l’aurais pas laissé épouser un tel personnage, il y avait quelque chose d’indéfinissable qui me déplaisait en lui.

L’avenir me donna raison mais en attendant la noce fut simple et couronnée par un petit repas dans une auberge. Nous avions hâte de repartir en notre paradis campagnard et de fait nous ne pensions pas revenir un jour en la ville du Havre.

Comme je vous l’ai déjà dit les mariages se succédèrent et  Léon  se maria également au Havre, ce dernier c’était fait terrassier, car la ville et le port du Havre en pleine expansion demandait beaucoup de bras dans le bâtiment, sa belle étant quand à elle journalière.

Se louer à la journée en ville n’était pas forcément synonyme de travail agricole, une journalière pouvait faire tout et n’importe quoi. Le Léon avait demandé mon accord pour cette union, je la lui ai donnée volontiers,  de toutes les façons mon fils pouvait s’en passer. Mais nous décidâmes tout de même de ne pas bouger de chez nous.

Osithe eut son premier enfant à la fin de la même année, nous reçûmes une lettre nous l’annonçant, c’est Louis qui fièrement nous l’avait lue.

Bien il faut dire qu’à partir de là je perdis le décompte de mes petits enfants, excepté ceux de Henri qui habitaient sur Bec de Mortagne, nous n’avions pas vu naître et grandir nos descendants.

D’autant plus que notre aîné décida aussi d’aller tenter l’aventure au Havre décidément les jeunes préféraient l’animation tapageuse des grands centres à la vie douce mais monotone de la campagne.

Je me pris de gueule avec Arsène qui lui aussi voulait filer rejoindre ses frères et sœurs. Provisoirement il resta mais je savais que le chant des sirènes l’attirerait inexorablement vers cette foutue ville.

Mais arrêtons un peu le cours du temps, moi j’avais presque 60 ans, je n’étais plus le fringant berger que les femmes venaient consulter et qui parfois succombaient à mon magnétisme en une bizarre attirance sexuelle. Certes j’en aurais encore troussé si l’occasion s’en était présentée mais la magie n’attirait plus, je n’étais plus qu’un vieux berger, au visage tanné et sillonné de rides profondes, mes cheveux de noir étaient passés au gris jaune. Les poils de ma barbe étaient blancs comme le coton. Je n’avais plus guère de dents et le peu qui me restait me faisait souvent souffrir. Revêtu de ma peau de bête je faisais peur aux enfants, un comble après en avoir eu 16. Justine disait que je sentais le bouc et que je voyais aussi souvent l’eau que les déserts de l’Algérie.

Elle finassait bien la Justine, j’ai toujours eu la même odeur et que savait elle du désert à part ce que lui racontait Louis

Parlons un peu de la Justine au nez délicat, elle n’était plus la blonde alerte de sa jeunesse, son visage n’avait pas une ride tellement elle était gonflée, un double voir un triple menton. Les cheveux sous son bonnet étaient gris comme un ciel d’automne.

Sa poitrine était énorme et lui tombait sur le ventre, qu’elle avait de proéminent. La pauvre avait du mal à se mouvoir et le soir après avoir appuyé sur les pédales de son métier ses jambes étaient gonflées. Heureusement Marguerite était là pour la seconder dans les tâches ménagères, pour la  »lessi  » une voisine qui était lavandière donnait la main à la petite qui n’était âgée que de 12 ans.

C’est Louis avant d’aller à l’école qui portait le linge dans une brouette au lavoir du village.

Au lit la Justine avait beau pincer du bec je l’honorais comme un métronome, j’étais encore le maître chez moi, du moins pour cela.

Assez menti, la Justine qui avait toujours un pet de travers serrait les genoux et se refusait maintes fois. Je n’avais en fait plus de cœur à forcer l’ouvrage et me contentais de ce qu’elle voulait me laisser.

Parlons du Louis maintenant ce dernier allait à l’école qu’on disait laïque et obligatoire. Il paraît que le zigoto qui était à l’origine de cette loi idiote s’appelait Jules Ferry. Bon laïque moi je voyais pas bien ce que cela voulait dire mais obligatoire ça pour nous autres cela faisait un salaire de moins à la maison. Comme si un tisserand ou un paysan avaient besoin de savoir écrire, lire, compter et savoir qu’on avait nous les Français un territoire plein de sable, et des gars en robe montant des animaux bizarres.

On se prêta au jeu par obligation mais il faisait de la petite classe. Le maire et monsieur l’instituteur devaient souvent nous rappeler à l’ordre.

Donc nous vivions tranquillement, point riches, point pauvres. Nous avions bonne réputation au village, heureusement que personne ne connaissait la vie tempétueuse de notre couturière du Havre et rien ne semblait pouvoir faire changer cet état de fait.

Quand tout à coup la Marie entacha notre belle réputation. Âgée de 26 ans, donc en age de se marier, plutôt joliette, les formes généreuses de sa mère, travailleuse et bonne chrétienne elle se faisait courtiser par le fils d’un gros fermier de la région. Moi tout en me disant qu’elle ne pourrait convoler avec un coq de village je me prenais à rêver qu’après tout, les temps changeaient et qu’une petite servante pouvait épouser un gras possesseur. La Marie en rêvait aussi.

La Justine l’avait vu juste, un dimanche jour de grande toilette elle vit que la petite avait un ventre traîtreusement rond et que ses jolis seins prenaient une forme qui ne pouvait tromper une femme ayant eut 16 enfants.

Elle l’interrogea et force fut de constater que la Marie avait couché. La paire de gifles qu’elle se prie sur la goule ne fut rien par rapport à ma colère, je l’aurais tuée sur place si Louis, Séverin et le petit Paul ne s’étaient interposés.

Je me rendis immédiatement m’en trouver l’auteur de cette grossesse intempestive et inopportune.

Le jeune homme nommé Édouard comme moi me rigola presque au nez, j’allais ameuter le village lorsque son père arriva. Gras d’abondance, vêtu comme un monsieur, fier comme un coq , arrogant comme un paon le grossier personnage m’écouta avec un dédain non dissimulé.

  • Il faut que votre fils répare.
  • Répare quoi
  • Ma fille Marie  » promène  », il faut qu’il la marie.
  • La marier, comme tu y vas le berger
  • Elle est grosse, il faut
  • Il faut rien du tout, ta fille est une bougresse qui provoque les hommes
  • Je suis sur qu’elle ne sait même pas qui lui a passé dessus
  • j’va vous foutre mon poing dans la figure, si vous traitez ma fille de catin
  • va t’en donc ou je fais chercher la maréchaussée
  • Ta fille est une moins que rien et mon fils à d’autres demoiselles comme il faut en vue.
  • C’est bon je m’en va mais je vais le crier sur tous les toits que ton fils est un moins que rien

En chemin je repensais à ma mère puis à ma fille Justine, ma décision était prise.

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