LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 25, La mort du berger

La vie bien sûr dut reprendre et moi je retrouvais mes moutons. Eh oui mon patron avait finalement gardé quelques bêtes, certes je n’avais plus le troupeau d’autrefois et mon salaire en était réduit, mais comme j’étais un vieux bonhomme sans besoin cela n’avait plus d’importance. De plus en plus contemplatif je n’étais heureux qu’au milieu d’ eux à regarder mes nuages.

Ma petite fille Marie Gabrielle toute petiote m’accompagnait souvent, elle se blottissait le long de ma peau de bouc et babillait, moi je lui faisais découvrir les subtilités d’un ciel changeant, la forme des nuages, et par l’attitude des bêtes lui expliquait les variations du temps.

J’étais heureux quand elle était là.

Quelques mois plus tard j’appris par courrier que ma fille Osithe était décédée après une courte maladie , elle laissait un petit bâtard à Bec de Mortagne chez son frère et trois petits avec son marin pécheur qui s’empressa de repartir en mer pour ne plus revenir. Mes trois petits enfants furent élevés par la veuve Maillard la belle mère de Osithe.

A la maison c’est ma fille Marie qui dirigeait le ménage, Ovid

e Baudry devenait doucement le patron de la chaumière. Non pas qu’il fut méchant, inconvenant avec moi, mais j’avais l’impression de gêner parfois. Vieux fagot de bois desséché je me calais près du feu et les observais tous.

Respectant la tradition Marguerite, ma dernière fille me présenta un brave garçon qui me demanda sentencieusement sa main, encore un domestique.

Ils firent les choses bien et le 23 février 1895 cette belle noce réunit une dernière fois l’ensemble de mes enfants, vous parlez d’une tablée, des enfants qui couraient partout, les parents amoureux de leur belle qui dansait, vraiment une merveilleuse journée.

Ils repartirent le surlendemain sur le Havre, ma Marguerite était femme de chambre et lui domestique dans la même maison. J’avais oublié de vous dire, la Marguerite respectant la tradition familiale de ses sœurs avait eut une fille qu’elle prénommait Marthe, la petite avait déjà trois ans lorsque j’apprenais son existence.

Je vieillissais et les temps changeaient, je n’étais plus le chef de famille mais l’avais je été ? Ma fille avait tout de fois respecté la tradition du mariage au lieu de naissance de la mariée.

Puis ce fut à Arsène de se marier, lui la noce se passerait au Havre, je fus invité par courrier.

Pendant des jours je me suis demandé si je devais y aller, j’étais fatigué. Puis devant le bonheur de revoir mes enfants je me décidais à faire le voyage.

Accompagné de Séverin, Paul et Louis nous fîmes le voyage, les conditions de transport étaient les mêmes mais les gens changeaient, moi je m’étais habillé en dimanche mais malgré cela je sentais mon paysan à cent lieux et j’avais l’impression qu’on se moquait de nous.

Ce n’était que pure conjoncture de ma part la société était encore suffisamment rurale pour que des valets de ferme ne se sentent pas trop dépaysés dans une grande ville.

Après être arrivés sans embarras on se logea chez Justine. Cette dernière avait un homme et je crois bien qu’elle ne tarderait pas à l’épouser.

Mon fils Arsène avait complètement tourné le dos à la terre il était garçon brasseur chez un débitant d’alcool de la ville.

Il était ambitieux et clamait qu’il serait bientôt son propre patron, le développement des estaminets poussait à de nouvelles installations.

La mariée n’était pas domestique, mais travaillait comme vendeuse dans une boutique, elle était élégante, couverte d’une espèce de poudre sur le visage, portait un corset qui lui serrait la taille et de plus sentait la cocotte.

Tout le contraire des vraies senteurs de femme, bon de toutes façons moi pour ce que j’en disais.

La noce fut belle et on banqueta dans une auberge sur le grand quai. Je n’étais pas très en forme et la soirée me parut longue.

Le lendemain je pressais mes fils de repartir, mais un malaise me vint et on dut m’aliter. Bien sur on mit cela sur le compte de la fatigue du voyage précédent et de la fête, moi j’avais la prescience d’un autre problème.

L’intuition que ma fin était proche de me gênait guère, mais seulement je voulais mourir chez moi et être enterré avec Justine. Le problème et que je ne me levais guère et qu’aucune amélioration n’apparaissait, je restais de longues heures sur ma paillasse, je voyais que j’emmerdais tout le monde.

La Justine me le faisait sentir mais j’étais coincé sur mon lit, de douleur.

Le 5 mars 1896, je délivrais enfin mes enfants de mon fardeau, seul dans une chambre sans fenêtre moi qui avait passé ma vie au grand air je partis rejoindre l’âme de Justine sans savoir ce que ma progéniture ferait de mon enveloppe charnelle.

Le berger et la fileuse ne sont plus, laissant une nombreuse descendance, vie remplie de labeur et de bonheur simple.

Une nombreuse progéniture placée aux grés des besoins, peu de décès et de nombreux mariages.

Une vie de tisserande rivée à son métier qui redevient sur le tard une paysanne, vie presque exclusivement consacrée aux grossesses et aux maternités, abnégation totale ou fatalisme.

Une vie pour lui de pastoralisme, au grand air avec ses moutons et ses chiens mais enfance difficile, bâtard puis orphelin, l’esprit toujours empêtré dans les difficultés matérielles, avec comme  leitmotive de nourrir et soigner sa couvée .

Une vie de couple de français de province à la frontière d’un changement d’époque que vivrons leurs enfants.

Laissons maintenant dormir Édouard Borromée Orange et Justine Arsène Gréaume dans leur ultime sommeil.

FIN

LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 24, La mort de la fileuse

Entre temps la colonie familiale du Havre de mon aîné Édouard augmentait . Ce dernier avait trouvé à s’employer dans un atelier de fabrication de pièces métalliques. Le travail de la terre était terminé pour lui comme de nombreux autres paysans pour qui les lumières de l’industrie miroitaient d’une trompeuse façon.

Au Havre il eut un petit garçon, il ne dérogea pas à la coutume et l’appela Édouard.

Osithe entre deux embarquements de son matelot c’était fait faire une drôlesse qu’elle nomma Suzanne.

Le Léon avait déjà eu le bonheur d’avoir 5 enfants mais aussi le malheur d’en perdre deux.

La petite Alphonsine était morte dans les bras de sa tante Léonie à Grainville Ymauville au mois d’août 1887, elle était de mauvaise complexion et avait été placée en nourrice chez ses oncles et tantes à la campagne.

Edmond avait une petite fille avec son épouse et vivaient au Havre, quand à Eugénie toujours à Contremoulins avait déjà trois marmots. Ma Léonie avait deux garçons que je voyais de temps en temps au village de Grainville Ymauville.

Après la naissance de mes enfants vint la naissance de mes petits enfants en faire le décompte me paraissait une gageure. Je ne les connaissais pas tous, quand aux prénoms j’avais déjà du mal avec les miens.

Tout ce que je pouvais dire et percevoir c’était que le monde changeait, que mes enfants étaient attirés par la ville, qu’ils n’avaient pas considéré le métier de tisserand et de berger comme une perspective de vie.

Pour le métier de tissage ils avaient sans doute raison, l’industrialisation était en train de finir de tuer les métiers à domicile. Mais pour le métier de berger ils avaient tort, la liberté de humer la brise matinale de sentir le soleil vous caresser le visage ou boire les embruns salés des fines pluies de printemps étaient irremplaçables.

Mais à quoi bon lutter, maintenant il était temps de vieillir.

Ma Justine venait d’attraper froid, elle toussait et avait de la fièvre, aucune inquiétude c’était une gaillarde et elle poursuivait son labeur.

A la ferme où elle s’était gagée après avoir arrêté le tissage, ils n’avaient jamais regretté le choix d’avoir pris une vieille de plus de 50 ans. Son activité était débordante, tôt le matin à la traite, puis nourrissant les gorets comme une petite souillon de 15 ans, prêtant la main pendant les métives et les emblavures, abattant aisément le travail d’un homme. Elle se trouvait en quelque sorte libérée des années où elle se trouvait rivée à son banc de labeur.

Mais malgré son entêtant courage, la force commençait à lui manquer, sa poitrine en se soulevant faisait un bruit de soufflet de forge, je trouvais même qu’elle perdait un peu de ses rondeurs.

La nuit au milieu de l’alcôve elle étouffait et devait se lever tellement la toux lui déchirait les entrailles. Seule dans la nuit elle s’asseyait près de l’âtre en son fauteuil cannelé. Une couverture sur elle le matin je la trouvais enfin endormie.

C’est ma fille Marie qui s’activait maintenant à réchauffer la soupe, Justine qui de toute sa vie avait été la première tous les matins à se lever traînait maintenant à sortir de derrière ses courtils.

Mais malgré sa faiblesse chaque matin elle partait quand même.

En charge de beaucoup de tâches la lessive lui incombait, ce n’était pas une mince affaire mais il fallait bien si coller. La patronne délicate, personne et plus apte au commandement qu’au travail lui même, ne mettait pas la main dans son linge sale.

Dans la souillarde derrière la cuisine dans un baquet le linge de plusieurs mois attendait. Justine et deux autres servantes durent faire le tri puis mettre à tremper le tout dans un baquet afin de décoller les premières crasses.

Ce premier travail fait en rigolant des différentes souillures des tenues de la patronne et du patron se passa à merveille, Justine n’avait point toussé depuis un moment.

Puis vint le temps d’aller à la rivière rincer à l’eau claire ce premier acte qu’on appelait essangeage.

Les femmes chargèrent chacune une brouette de linge mouillé, cela pesait très lourd d’autant qu’on y rajoutait la planche à laver et un battoir.

Justine peinait sous son faix et dut faire plusieurs pauses dans son long calvaire qui la menait à la rivière. Les petites servantes étonnées de la voir, elle si dure souffrir autant, s’en inquiétèrent.

Penchées le long de la rive elles effectuèrent leur rinçage, Justine était pâle comme la mort et toussait désespérément.

Heureusement au retour, un valet eut pitié et aida ma femme à porter sa charge.

A la ferme la buée attendait, vaste baquet de bois percé en son milieu et recouvert d’un drap de chanvre appelé charrier.

On boucha avec de la paille le trou du baquet afin que la lessi s’écoule doucement puis on fit chauffer de l’eau à la cheminée au moyen de grandes marmites.

Justine présidait le tout en temps qu’ancienne.

Le linge fut déposé dans le charrier, ma femme entre chaque couche de vêtements ou de draps mettait des lamelles de savon.

Puis les femmes rajoutèrent la cendre , une bonne couche de bois de châtaignier. Justine qui aimait ce moment prit une marmite d’eau chaude et la versa dans le cuvier, la vapeur dégageait l’odeur forte du linge sale ,tout concourait en elle à une sorte de plaisir.

Ce coulage était le moment qu’elle préférait, hélas elle ne put porter le second récipient ses forces l’abandonnèrent . Les petites prirent le relais, le charrier était enfin recouvert et la lessi put doucement s’écouler par la coulotte.

Habillement l’eau récupérée était de nouveau réchauffée puis de nouveau versée. La journée était enfin terminée et on ferma le cuvier avec un couvercle de paille de sigle pour garder la chaleur.

Demain serait un autre jour et viendrait le rinçage de l’ensemble de la lessive. Justine eut de la peine à rentrer chez elle ses jambes ne la portaient plus.

A la maison épuisée elle se coucha, elle toussa toute la nuit, je m’aperçus à la lueur de la chandelle que son mouchoir était teinté de son sang.

Après une nuit horrible elle se leva quand même pour se rendre à la ferme, nous fûmes unanimes pour l’en dissuader, mais tête de bois n’écoute pas conseil.

Le linge fut sorti du baquet, il faisait un poids énorme, on essora le tout au dessus de la cuve.

Justine s’acquitta de son travail sans broncher mais quand vint le temps de retourner à la rivière pour rincer une dernière fois les hardes des patrons elle ne put soulever la brouette.

Un jeune domestique qui fréquentait notre Paul se chargea avec peine du fardeau aidé de temps en temps par Justine qui prenait le relais sur quelques mètres. A la rivière Justine installa sa planche et commença son labeur. Un petit cri, elle s’affala la tête dans l’eau, toutes se précipitèrent et sortirent ma femme de l’eau, elle était inconsciente, que faire ?

Un colporteur qui passait avec sa carriole au même moment s’arrêta pour porter secours. On mit Justine dans la voiture et on la conduisit à la maison. On envoya me chercher et dans le même temps Marie ma fille fut prévenue.

On nous la déposa sur sa couche, pauvre paquet de linge sale. Un léger râle sortait péniblement de sa gorge, les yeux toujours clos. Elle était trempée, il fallut qu’on la déshabille entièrement et qu’on lui remette une nouvelle chemise. Les fils aidèrent malgré cette atteinte à la pudeur de leur mère.

Louis s’élança pour quérir le docteur, j’avais peur qu’il n’arrive à temps. Nous attendîmes plusieurs heures avant que le beau monsieur n’examine ma Justine.

Il hocha la tête et m’avertit qu’elle ne passerait pas la nuit. Je fus anéanti et l’attente commença. Ce ne fut pas très long, Marie coucha ses petits, Osithe le beau fils mangea un bout de pain trempé dans une soupe au lard et moi assis prostré je pris la main de ma Justine. Je sentais à travers sa peau diaphane un léger battement.

Ce fut court, à peine quelques rosaires, le cœur de ma belle cessa de battre, adieu.

Marie arrêta la pendule et jeta toute l’eau qui se trouvait dans la maison. On organisa une veillée, tout le voisinage se relaya malgré l’heure très tardive.

Nous étions le 29 octobre 1890, la fin d’une époque, la fin de mon époque.

Elle eut une belle cérémonie, hélas ses enfants demeurant au Havre ne purent être prévenus à temps.

C’est entouré de Paul, Louis, Séverin, Marie, Marguerite, Arsène et Léonie que j’accompagnais mon épouse pour son ultime voyage.

LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 23, Des joies et des peines

Dans la maison le calme régnait, troublé simplement par les sanglots de Marie derrière ses rideaux de courtil. La mère écossait des haricots prés de l’âtre, le Séverin sculptait avec un couteau une canne, Louis lisait un livre prêté par le curé et le petit Paul jouait avec le chat.

  • Marie sort de là
  • Venez vous autres
  • J’ai à vous dire asseyez vous

Venue des tréfonds de ma mémoire, je leurs contais mon enfance et les souffrances de petit bâtard que j’avais endurées. Je leurs racontais également que mon grand père m’avait protégé malgré les pluies de paroles cancannantes.

  • La Marie je t’aime bien et ton petiot on va l’élever
  • Tes frères et moi on va te protéger et gare à celui qui te dira des méchancetés.
  • Merci père
  • Oui, Oui et essaye de te trouver un brave gars qui voudra de toi et de ton petit.

J’avais fait mon devoir de père j’allais pas la foutre dehors avec son gosse et je ne voulais pas non plus qu’elle se fasse passer l’enfant par une sorcière faiseuse d’ange, ni que le fruit de mon sang ne finisse dans une tour d’abandon.

Elle accoucha d’un garçon en mai 1885, c’était la première naissance à la maison depuis celle de nos enfants, ce fut un joli remue-ménage, ma femme pourtant avait l’habitude,elle paniqua comme si c’était son premier. Le travail dura très longtemps, la sage femme était prête à renoncer lorsque dans un ultime effort un petit garçon apparut. Après avoir été lavé et emmailloté il rejoignit l’antique berceau familial. Il n’était pas bien gros, ni d’ailleurs très beau, vivrait il ?

Il ne vécut pas, un dimanche matin nous dormions avec Justine lorsque nous avons entendu un cri horrible.

La Marie à genoux devant le berceau cillait en s’arrachant les cheveux. Le petit Albert les yeux ouverts souriait. Ange envolé le petit était raide comme une bûche. Nous écartâmes notre fille de ce sinistre tableau et nous fîmes le nécessaire.

La veillée funèbre fut lugubre, le petit entouré de linge blanc semblait dormir. Mais la petite poitrine jamais ne se soulevait, aucun souffle ne sortait, petit issu de mon sang, au rapide passage, dormant de son sommeil éternel.

Après ce drame qui finalement n’en n’était pas un, la mortalité chez les nouveaux nés était encore élevée,il fallait bien être fataliste, la vie reprit son cours.

La petite Marie pleine de fraîcheur se remit de son deuil et recommença à minauder avec les hommes. Non de non elle n’allait quand même pas recommencer et faire comme sa sœur Justine.

Soulever son jupon et se donner sans résistance certes donnait du plaisir c’était indéniable, mais cela ne donnait pas un mari. Sa réputation était déjà assez entachée comme cela.

Il fallut que je me fâche et que je menace, elle jura qu’elle serait sage et chaste jusqu’au mariage, voilà qui était bien dit mais quand le diable vous invite à danser bien difficile de résister.

Notre autre souci était évidemment notre Séverin, jamais une  » drôllière  » ne voudrait d’un boiteux, pour le travail c’était pareil, personne n’en voulait, le travail agricole était trop dur, le tissage avec sa jambe folle lui était impossible. Bref nous avions un inutile à la maison et qu’il faudrait bien caser lorsque nous serions au cimetière. Non vraiment un sacré embarras. Ce fut petit Paul qui nous apporta la solution, une de ses connaissances avait un père qu’était vannier et qui cherchait un apprenti. Bien sur le Séverin était un peu âgé pour s’essayer à cette activité. Mais de fait, il n’était pas maladroit de ses mains et sculptait même de belles choses. Le vannier se laissa persuader en voyant ses réalisations et s’engagea à le former. Il n’eut pas à regretter son choix et dieu merci  » patte folle devint autonome  ».

Au lavoir la Justine apprit que sa fille était déjà bien engagée avec un journalier du village, elle feignit de déjà le savoir mais enragea de l’avoir su par ces espèce de poissardes aux langues acérées.

Le soir lorsque la Marie rentra de sa journée les mains sur les hanches ma matrone de femme attendait sa fille devant la porte de la maison. Elle faisait impression et moi même j’eus une appréhension en rentrant manger ma soupe.

L’explication fut vive entre les deux femmes, Justine en voulait à sa fille d’être la dernière du village à être au courant.

Et pour être bien engagée elle l’était car sa rondeur qui ne nous avait pas sauté au yeux au préalable éclata au grand jour pour nous.

Elle nous donna le nom du coupable qui pour leur journalier de son état était gagé et demeurait au Havre.

Le crime était bien consommé et une petite naquit en Mai 1886, on la nomma Marie Gabrielle.

Quelques mois plus tard un nommé Osithe Baudry vint frapper à ma porte.

Je le fis asseoir et écouta ce qu’il avait à dire. Évidemment je savais que le géniteur de ma petite fille était devant moi, tout le monde au village avait parlé de son retour alors vous pensez moi le berger.

Il était désolé pour le mal causé et s’engageait à réparer par le mariage et aussi de reconnaître la petite. Je restais muet un long moment feignant de réfléchir. Le bonhomme n’en menait pas large et triturait son chapeau. Dans la pièce d’à coté la Marie et la Justine se rongeaient les ongles. Je me levais soudain et me dirigeais vers le buffet, j’attrapais deux verres et le litron de calva. Une ample rasade et le destin de Marie fut scellé, ce verre valait acceptation . Un journalier irait très bien avec une domestique de ferme, décidément aucun des enfants ne sortirait de la plèbe.

Il fut décidé que le couple habiterait avec nous quand le mariage aurait été célébré. Seulement le Osithe était gagé à l’année et devrait attendre pour revenir.

Il resta quelques jours dans les bras de Marie et repartit sur le Havre.

Mais les bougres d’andouille délivrés par la promesse d’un futur mariage ne firent pas attention et la Marie se retrouva  » à promener  ».

Le père était revenu quand le garçon arriva, tout se passa pour le mieux et un mois plus tard c’est à dire le 25 novembre 1887 on maria les deux amoureux qui comme beaucoup d’autres avant eux avaient mis la charrue avant les bœufs.

Marie Gabrielle et Raoul Anthème changèrent de nom et d’Orange passèrent à celui de Baudry.

Notre maison redeviendrait joyeuse avec des petits qui courraient dans tous les sens

LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 22, une maison presque déserte

On se logea comme on put, chez Justine , chez Osithe et même chez une voisine. Le seul point positif était qu’une pompe amenait l’eau à l’étage, sans que l’on soit obligé de porter des seaux d’eau dans cet escalier peint de noir, sombre et sale, aux marches raides toutes de guingois. Par contre pour faire ses besoins il fallait descendre en bas où se trouvait le cabinet d’aisance commun à tout l’immeuble. L’odeur en était épouvantable, moi qui était habitué à mes prés verdoyant j’en restais bloqué.

Le matin toutes les ménagères de l’immeuble y descendaient leur pot de chambre, vous parlez d’une façon pour se dire bonjour. Heureusement nous n’y resterons pas longtemps.

Il faut bien dire que le marié ne m’a guère plu, si j’avais eu mon mot à dire je ne l’aurais pas laissé épouser un tel personnage, il y avait quelque chose d’indéfinissable qui me déplaisait en lui.

L’avenir me donna raison mais en attendant la noce fut simple et couronnée par un petit repas dans une auberge. Nous avions hâte de repartir en notre paradis campagnard et de fait nous ne pensions pas revenir un jour en la ville du Havre.

Comme je vous l’ai déjà dit les mariages se succédèrent et  Léon  se maria également au Havre, ce dernier c’était fait terrassier, car la ville et le port du Havre en pleine expansion demandait beaucoup de bras dans le bâtiment, sa belle étant quand à elle journalière.

Se louer à la journée en ville n’était pas forcément synonyme de travail agricole, une journalière pouvait faire tout et n’importe quoi. Le Léon avait demandé mon accord pour cette union, je la lui ai donnée volontiers,  de toutes les façons mon fils pouvait s’en passer. Mais nous décidâmes tout de même de ne pas bouger de chez nous.

Osithe eut son premier enfant à la fin de la même année, nous reçûmes une lettre nous l’annonçant, c’est Louis qui fièrement nous l’avait lue.

Bien il faut dire qu’à partir de là je perdis le décompte de mes petits enfants, excepté ceux de Henri qui habitaient sur Bec de Mortagne, nous n’avions pas vu naître et grandir nos descendants.

D’autant plus que notre aîné décida aussi d’aller tenter l’aventure au Havre décidément les jeunes préféraient l’animation tapageuse des grands centres à la vie douce mais monotone de la campagne.

Je me pris de gueule avec Arsène qui lui aussi voulait filer rejoindre ses frères et sœurs. Provisoirement il resta mais je savais que le chant des sirènes l’attirerait inexorablement vers cette foutue ville.

Mais arrêtons un peu le cours du temps, moi j’avais presque 60 ans, je n’étais plus le fringant berger que les femmes venaient consulter et qui parfois succombaient à mon magnétisme en une bizarre attirance sexuelle. Certes j’en aurais encore troussé si l’occasion s’en était présentée mais la magie n’attirait plus, je n’étais plus qu’un vieux berger, au visage tanné et sillonné de rides profondes, mes cheveux de noir étaient passés au gris jaune. Les poils de ma barbe étaient blancs comme le coton. Je n’avais plus guère de dents et le peu qui me restait me faisait souvent souffrir. Revêtu de ma peau de bête je faisais peur aux enfants, un comble après en avoir eu 16. Justine disait que je sentais le bouc et que je voyais aussi souvent l’eau que les déserts de l’Algérie.

Elle finassait bien la Justine, j’ai toujours eu la même odeur et que savait elle du désert à part ce que lui racontait Louis

Parlons un peu de la Justine au nez délicat, elle n’était plus la blonde alerte de sa jeunesse, son visage n’avait pas une ride tellement elle était gonflée, un double voir un triple menton. Les cheveux sous son bonnet étaient gris comme un ciel d’automne.

Sa poitrine était énorme et lui tombait sur le ventre, qu’elle avait de proéminent. La pauvre avait du mal à se mouvoir et le soir après avoir appuyé sur les pédales de son métier ses jambes étaient gonflées. Heureusement Marguerite était là pour la seconder dans les tâches ménagères, pour la  »lessi  » une voisine qui était lavandière donnait la main à la petite qui n’était âgée que de 12 ans.

C’est Louis avant d’aller à l’école qui portait le linge dans une brouette au lavoir du village.

Au lit la Justine avait beau pincer du bec je l’honorais comme un métronome, j’étais encore le maître chez moi, du moins pour cela.

Assez menti, la Justine qui avait toujours un pet de travers serrait les genoux et se refusait maintes fois. Je n’avais en fait plus de cœur à forcer l’ouvrage et me contentais de ce qu’elle voulait me laisser.

Parlons du Louis maintenant ce dernier allait à l’école qu’on disait laïque et obligatoire. Il paraît que le zigoto qui était à l’origine de cette loi idiote s’appelait Jules Ferry. Bon laïque moi je voyais pas bien ce que cela voulait dire mais obligatoire ça pour nous autres cela faisait un salaire de moins à la maison. Comme si un tisserand ou un paysan avaient besoin de savoir écrire, lire, compter et savoir qu’on avait nous les Français un territoire plein de sable, et des gars en robe montant des animaux bizarres.

On se prêta au jeu par obligation mais il faisait de la petite classe. Le maire et monsieur l’instituteur devaient souvent nous rappeler à l’ordre.

Donc nous vivions tranquillement, point riches, point pauvres. Nous avions bonne réputation au village, heureusement que personne ne connaissait la vie tempétueuse de notre couturière du Havre et rien ne semblait pouvoir faire changer cet état de fait.

Quand tout à coup la Marie entacha notre belle réputation. Âgée de 26 ans, donc en age de se marier, plutôt joliette, les formes généreuses de sa mère, travailleuse et bonne chrétienne elle se faisait courtiser par le fils d’un gros fermier de la région. Moi tout en me disant qu’elle ne pourrait convoler avec un coq de village je me prenais à rêver qu’après tout, les temps changeaient et qu’une petite servante pouvait épouser un gras possesseur. La Marie en rêvait aussi.

La Justine l’avait vu juste, un dimanche jour de grande toilette elle vit que la petite avait un ventre traîtreusement rond et que ses jolis seins prenaient une forme qui ne pouvait tromper une femme ayant eut 16 enfants.

Elle l’interrogea et force fut de constater que la Marie avait couché. La paire de gifles qu’elle se prie sur la goule ne fut rien par rapport à ma colère, je l’aurais tuée sur place si Louis, Séverin et le petit Paul ne s’étaient interposés.

Je me rendis immédiatement m’en trouver l’auteur de cette grossesse intempestive et inopportune.

Le jeune homme nommé Édouard comme moi me rigola presque au nez, j’allais ameuter le village lorsque son père arriva. Gras d’abondance, vêtu comme un monsieur, fier comme un coq , arrogant comme un paon le grossier personnage m’écouta avec un dédain non dissimulé.

  • Il faut que votre fils répare.
  • Répare quoi
  • Ma fille Marie  » promène  », il faut qu’il la marie.
  • La marier, comme tu y vas le berger
  • Elle est grosse, il faut
  • Il faut rien du tout, ta fille est une bougresse qui provoque les hommes
  • Je suis sur qu’elle ne sait même pas qui lui a passé dessus
  • j’va vous foutre mon poing dans la figure, si vous traitez ma fille de catin
  • va t’en donc ou je fais chercher la maréchaussée
  • Ta fille est une moins que rien et mon fils à d’autres demoiselles comme il faut en vue.
  • C’est bon je m’en va mais je vais le crier sur tous les toits que ton fils est un moins que rien

En chemin je repensais à ma mère puis à ma fille Justine, ma décision était prise.

LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 21, Les naissances illégitimes qui se succèdent

L’année suivante j’appris par une lettre que la Justine avait eu une deuxième fille, non de dieu de non de dieu la bougresse toujours pas de mari. Restait à espérer que le père fut le même que la fois d’avant et que la Justine ne jouait pas à la catin des villes.

Pour mes 55 ans mon patron me fit la mauvaise surprise de me dire qu’il allait supprimer son troupeau de moutons pour se consacrer aux vaches laitières. Le bon monsieur me gardait comme valet de ferme, me voilà à l’aube de ma vie retourner en arrière et servir comme homme de peine.

La Justine eut plus de chance et retrouva du travail derrière un métier, moi je me demandais bien ce qu’elle pouvait trouver à rester enfermée, rivée sur son banc à faire des gestes répétitifs qui vous brisaient l’échine.

Bon Osithe avait encore jeté son cotillon par dessus la haie, elle en fut récompensée par une nouvelle grossesse, décidément mes diablesse de filles faisaient un concours à qui aurait le plus d’enfant hors mariage. Moi je baissais les bras, de toutes façons je les aurais tuées.

Elle eut donc son petit Gaston en avril 1878, mais cette horrible chose ne passa pas sa première année. Là aussi le père fut un inconnu et ne se manifesta d’aucune façon. On était pas prêt de trouver un couillon pour marier cette catin là.

La même année notre deuxième garçon commença à s’intéresser de très près à une petite servante qui travaillait avec lui, la petite Virginie était bien mignonne, je connaissais les parents, lui journalier et elle tisserande. Il n’y avait guère à se tromper c’était le schéma du pays de Caux, madame au tissage et monsieur au travail de la terre.

La noce se fit à Annouville Vilmesnil où travaillaient les deux petits. Ils eurent la chance de trouver un petit nid pour abriter leur amour. Ils n’auraient pas le désagrément de cohabiter avec nous les vieux. Ce qui était sur, c’est que la Virginie et le Henri avait goutté aux choses de la vie, la mariée était enceinte jusqu’au yeux. Le curé faillit s’étrangler et la noce eut lieu assez tôt le samedi 9 août 1879 . Certes le curé n’appréciait point que la mariée soit grosse d’autant que dans le cas présent , les deux brigands avait reconnu à la mairie le nommé Cuffel Émile né le 13 février de l’année précédente comme étant leur fils légitime. Les deux amants vivaient donc à la colle et légitimaient pour le deuxième chiard. Ce fut une belle fête tout le monde dansa et il ne manquait que la Justine qui était tellement grosse qu’elle ne put se déplacer. Encore une fois le père manquait au rendez vous.

Elle accoucha d’ailleurs le même mois que sa belle sœur Virginie.

Avec une telle famille vous vous doutez bien que les mariages et les naissances s’enchaînèrent.

Mon Eugénie se maria à Contremoulins avec un journalier nommé Louis Cavelier, ils respectèrent les usages en vigueur, du moins il n’y eut pas de naissance avant l’heure. Il y eut une cour en règle,des négociations pour la dot puis des fiançailles. Non vraiment des bons petits qui respectaient leurs parents et les coutumes. La famille fut réunit encore une fois sans la présence de ma fille aînée. Cette union nous apporta un petit à la fin de l’année, ce fut Justine qui assista sa fille, jamais elle n’aurait manqué pareille fête.

Puis ce fut le temps des départs, mes enfants qui étaient restés en contact avec leur grande sœur qui vivait au Havre furent sensibles aux sirènes de la ville et décidèrent d’aller la rejoindre.

Osithe, Léon et Edmond vinrent me trouver pour me dire qu’ils partaient, les bras m’en tombèrent et Justine se mit à chialer comme une drôlesse. Ils étaient évidement en âge de partir et faire leur vie comme ils l’entendaient, de toutes façons depuis l’age de 12 ans ils se débrouillaient seuls.

Quand on envoyait des enfants travailler en extérieur ils s’émancipaient d’une certaine façon, c’était la vie, mais le dimanche notre tablée allait diminuer considérablement.

Ils nous restaient à la maison, le petit Paul qui allait sur ses 8 ans, Marguerite petite bonne femme de dix ans, et notre boiteux le Séverin.

Arsène était maintenant domestique dans une ferme suivant la triste tradition familiale, cela ne lui plaisait guère et il nous disait qu’il se sauverait pour rejoindre ses frères au Havre.

Quelle insolence vraiment, cette génération ne ressemblait plus à la notre. Pour Louis nous nous demandions quel comportement adopter, l’instituteur nous disait qu’il avait des capacités et qu’il pourrait faire un bon employé.

Faire un employé qu’est ce que cette engeance, il fallut qu’il m’explique. Pas un de mes enfants ne se décidait pour être berger et bien le Louis il me suivrait à la ferme.

Justine habitait allée Duval sur le grand quai, précisément là où quelques années plutôt nous avions erré.

Le principal danger pour les jeunes filles dans un port était les marins et évidement Osithe belle à craquer se fit prendre à l’abordage par un pécheur dénommé Jules Besselièvre.

Il était plus que temps car Osithe avait 27 ans, et cette fille mère ne se devait pas de faire la difficile

Avec Justine nous avons décidé de nous rendre au mariage, elle ne connaissait pas la grande ville et encore moins le train. Remarquez, je ne l’avais jamais pris non plus. Ce fut une sacrée aventure, alliant la marche à pieds, la calèche et une sorte de petit train. Ce fut Justine ma fille qui nous récupéra à la gare, la ville c’était considérablement agrandie depuis mon passage.

A ses cotés se tenait fièrement une petite fille vêtue en dimanche, elle nous fit un sourire, bon de là ce fut un vrai retour en arrière tant elle ressemblait à sa mère. Car vous l’aurez deviné cette charmante enfant était ma première petite fille. Alexandrine se retrouva au cou de sa grand mère qui la mignota d’abondance.

Justine elle aussi était habillée avec recherche, pourquoi tout le monde se mettait en habits de noces dans c’t ville. En chemin elle nous expliqua qu’elle travaillait à façon chez des clientes où chez elle et qu’elle s’en sortait à peu près bien. Je ne lui demandais pas d’explications pour ses quatre naissances sans père, à quoi bon. Au niveau de la morale c’est une fille perdue mais au delà de cela, elle travaille et élève ses enfants.

Nous arrivâmes à son domicile, elle habitait dans un appartement au dernier étage, deux pièces en tout et pour tout, encore plus sordide qu’une demeure paysanne, une pièce aveugle avec un grand lit et une paillasse autour pour deux enfants le troisième dormant avec sa mère. Dans la première pièce, une table et des chaises paillées, un buffet, une cheminée un évier et une espèce de machine à couture qui trônait sur une petite table en fer. Justine était  très fière de cet engin mécanique qui augmentait considérablement la vitesse du travail. Je lui ai posé la question de savoir comment elle s’était procuré une telle merveille elle ne m’a pas répondu .

Quand à Osithe, domestique dans une maison bourgeoise elle vivait simplement avec son marin, encore une qui avait succombé aux joies de l’amour sans le mariage, un vrai fléau que nous les vieux nous ne comprenions pas. Au demeurant elle habitait l’immeuble d’à coté de chez sa sœur.

LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 20, Les soucis domestiques

Heureusement dans l’année il y eut deux moments très heureux, le premier vint de ma  Justine qu’avait plus du tout ses menstrues, d’après l’avis des fumelles elle ne pourrait plus avoir d’enfant.

Non de dieu enfin nous serions tranquilles. Le problème avec tout cela c’est qu’elle se mit encore à grossir, la couturière du village revenait souvent réajuster les robes et puis elle qu’avait jamais envie de peur d’avoir des mouflets et bin elle ne voulait plus parce que cela lui faisait mal. Je n’y comprenais rien.

Le deuxième événement fut que l’Édouard mon aîné me demanda la permission d’épouser une petite journalière qui travaillait à la même ferme que lui. Elle était bien jeunette avec ses 17 ans mais ma foi, bien jolie et travailleuse.

Je me devais mais on s’accorde toujours. Moi berger et lui journalier, nous avons vite fait le tour de nos richesses, il fut convenu que les mariés habiteraient à Tourville les ifs chez les parents Sorel. Edouard très sage avait économisé ses gages de domestique, depuis qu’à l’age de 21 ans je lui en avais laissé la jouissance, la petite elle c’était patiemment constitué un petit trousseau.

Pour les filles c’était un autre souci, malheureusement je n’avais pas que la Justine qui avait le feu au derrière, Osithe se laissa prendre et devint grosse, la bougresse jamais n’avoua le nom du père et le Frédéric arriva en mars 1874.

La mère s’engagea à l’élever mais au village la réputation des filles Orange était fortement diminuée.

Les noces d’Édouard eurent lieu à Tourville les ifs en novembre 1874, ce fut une sacrée gageure que d’habiller correctement toute notre petite famille, heureusement Justine savait manier une aiguille comme personne et notre Anastasine qui avait gardé contact avec nous apporta son concours et acheta même des souliers à Eugénie.

Ce fut à cette occasion que je revis ma garce de fille, elle me bisa respectueusement, le passé était le passé elle était ma fille et je l’aimais. D’ailleurs elle était devenue couturière et se trouvait être assez douée, elle aimerait partir à la ville.

La noce de mon premier fut un moment merveilleux, celui ou l’on se dit que la pérennité de notre race est assurée, c’est difficile à expliquer, mais je savais que des petits issus de mon sang viendraient et moi cela me gonflait d’orgueil. La Justine était toute belle, entourée de sa marmaille.

A la maison nous avions un peu plus de place, il nous restait les petits, Paul, Marguerite, Louis, Arsène et Sevrin. Les autres travaillaient dans des fermes et nous apportaient leurs gages. La coutume voulait que jusqu’à 21 ans les enfants donnent aux parents leurs émoluments. Cela nous a permis d’ être moins pauvres pour élever nos derniers, nourriture plus variée, vêtements moins rapiécés et puis aussi il faut l’avouer les enfants allaient un peu plus à l’école du village.

Mais je ne vous ai pas dit, Justine avait trouvé à s’employer comme journalière, pour sur on ne l’employait que pour les travaux pénibles mais le dur labeur elle y était habituée. Elle se fit aussi lavandière et faisait les  » lessi  » des autres en plus des siennes.

On arrivait donc à joindre les deux bouts.

Edouard notre fils eut son premier mouflet qui naquit chez ses beaux parents, Justine aurait bien aimé être là et un dimanche nous nous rendîmes en visite à Tourville. Cette mère de famille nombreuse à peine sortie des langes tomba en pâmoison.

Moi au retour devant son air je lui ai demandé si elle voulait que je lui fasse le dix septièmes.

C’est à la même époque que nous avons appris que Justine partait tenter l’aventure sur le Havre, en théorie elle avait besoin de mon consentement mais elle s’en passa. C’est sa tante la veuve Auger qui nous a fait avertir, bon dieu de diablesse.

Elle trouva du travail comme couturière ce qui était bien, elle trouva l’amour ce qui était moins bien.

La Justine qui était assez libre et émancipée fit l’amour librement avec un homme et vous vous imaginez bien qu’elle en tomba enceinte.

Un bébé de sexe féminin naquit non pas chez Justine mais à la maternité, apparemment c’est un endroit où naissent les enfants vous pensez bien qu’à la campagne on a point ce genre de lieu.

Avec Justine nous n’avons pas su tout de suite qu’elle avait eu un autre fruit interdit.

Au bec de Mortagne la vie s’écoulait lentement, Arsène venait avec moi garder les moutons comme ses frères précédemment. En fin d’année 1876 nous apprîmes le décès de la veuve du Florentin, c’est avec de la peine que nous abandonnions à la terre cette douce personne qui avait vécu avec nous en notre intimité et qui constamment avait assisté Justine soit dans ses maternités, ses accouchement et  ses déboires avec moi.

Justine participa à la toilette funéraire et veilla la pauvre femme, moi je restais à la maison avec les petits, seules Osithe et Léonie restèrent avec leur mère.

La vie oscille toujours entre la mort et la vie, entre le bonheur et le malheur. La bonne Anastasine sous terre un autre problème survint à la maison.

Séverin âgé de douze ans était sur le point de rejoindre la cohorte des petits travailleurs ruraux, comme l’avait fait ses frère et sœurs lorsqu’il tomba malade. Un soir à table privé d’appétit il se plaignit d’un mal à la tête et de courbatures. On crut qu’il avait attrapé froid et on le coucha, le lendemain une fièvre importante survint, de plus sa nuque était raide. Nous étions désemparés et je partis chercher un docteur. Il arriva bien longtemps après car il se trouvait au chevet d’une femme qui accouchait dans les plus mauvaises conditions.

Il ne fut guère optimiste et constata que Séverin était paralysé sur tout le coté droit, il avoua son ignorance du mal et préconisa du repos.

Bin le grand couillon du repos, pas besoin d’avoir été dans une école pour dire une ignorance pareille.

Le Severin pour sur qu’il va se reposer, il ne peut même pas se lever, on lui donne comme garde malade sa sœur Marguerite. Bon d’accord elle n’a que 6 ans mais elle est débrouillarde et en cas de problème peu toujours aller chercher sa mère qui est gagée non loin de là.

Il resta couché de longs mois et pour finir resta infirme le restant de sa vie, cette condition était fort pénible, il serait exempté de service militaire ce qui était plutôt bien, mais ne pourrait prendre femme , ni exercer un métier de la terre. Tant que nous serions là sa mère et moi pas problème mais après ?

LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 19, mon 16ème et dernier enfant

En mai 1871, nous discutions avec le beau père à coté du puits, eh oui nous étions rabibochés. Il tirait sur sa pipe et racontait en rigolant qu’une paysanne du village lui avait montré involontairement son cul en tombant dans un fossé.

Nous rigolions bien quand soudain il se toucha la poitrine, aucun son ne sortit de sa bouche il s’écroula comme une masse, raide mort. J’ hurlais et appelais, les femmes sortirent et ne purent que se lamenter. Le tisserand était mort. Avec un voisin je le portais sur son lit de mort.

Le décès fut déclaré, le curé prévenu vint à la maison avec un enfant de cœur. Je réglais avec le charpentier le problème de la caisse en bois. Ce dernier me la confectionnerait et me la livrerait le lendemain à la maison.

On fit la toilette du mort, enfin pas moi mais la Justine et l’Anastasine ainsi que la petite Osithe ,Il fallait bien qu’elle apprenne .Le plus dur fut de lui mettre ses beaux habits il était déjà raide comme une bûche. Quel dommage de gâcher des beaux habits qu’allaient pourrir dans la terre froide et humide du champs clos.

Pendant la veillée funèbre, la vie ne s’arrêtait pas de tourner les enfants couraient, se chamaillaient et se promenaient autour du grand père mort. Le village défilait, les femmes priaient et nous les hommes on buvait la goutte. Au soir j’étais un peu pompette. La nuit les femmes veillèrent et moi je m’écroulais sur la table d’un sommeil profond. Le lendemain on mit Florentin dans son lit de bois, on le recouvrit d’un drap et ainsi s’en fut. Le cortège se forma avec le curé et son aide, la famille au complet se rendit à l’église pour une cérémonie puis au cimetière.

Au retour un repas attendait les proches, on but un coup à la mémoire du défunt, ainsi soit il .

Chacun s’en retourna chez soit et l’Anastasine seule dans son grand lit pleura, petit Louis se glissa dans la couche de la veuve et par sa petite chaleur l’apaisa.

Dans ma couche je fus surpris lorsque Justine se cala le long de moi, je l’ai prise dans mes bras et nous nous endormîmes ainsi.

Le lendemain ayant reprit mon pacage j’étais avec mes bêtes. Je vis arriver la Justine avec un panier plein d’un bouteillon de cidre, d’un morceau de lard, d’un oignon et d’une belle miche de pain. Je fus surpris, qu’avait elle fait des enfants pour cette escapade inhabituelle. Les aînés gardaient leurs frères et sœurs sous la vigilance de l’Anastasie. Ce furent des retrouvailles magnifiques, ma Justine amoureuse comme aux premiers jours s’offrit à moi plusieurs fois dans la nuit, simplement sous la lune avec comme matelas la douceur du pré vert.

Arrondie, fatiguée, vieillie, je l’aimais ma bonne femme.

Malheureusement je lui fis le seizième. Bien qu’elle fut résignée, elle fut très affectée par ce manque de chance, encore une fois elle devrait se traîner, être fatiguée, avoir les jambes enflées et bien sur grossir et encore grossir.

Mais cette fois Justine ne put compter sur la présence d’Anastasine car cette dernière avait quitté la maison pour cohabiter avec sa fille et son beau fils. En effet malgré que nous soyons proches et que la vie avec elle se soit bien passée, maintenant qu’elle était veuve, elle n’avait plus rien à faire avec nous.

Ce fut donc les filles de la maison qui aidèrent leur mère, encore une fois Osithe mais aussi Marie et Léonie.

Paul arriva à la maison en février 1872, bien sur la sage femme était présente mais les filles aidèrent de leur mieux.

Le bébé naquit sans problème et alla rejoindre le berceau familial. Je me perdais un peu dans les prénoms, Édouard, Justine, Henri, Osithe, Léon, Edmond, Jean, Eugénie, Marie, Léonie, Severin, Arsène, Paul, Louis, Marguerite et Paul.

Fidèle à notre façon de fonctionner, un enfant arrivant , un enfant partant, ce fut Marie qui se retrouva comme servante de ferme, elle eut plus de chance car elle se retrouva à proximité de chez nous et put rentrer en son foyer le soir. Bien sur comme les autres enfants employés un peu partout elle ne toucherait pas ses gages avant 21 ans. Le travail des enfants étant le complément de celui des parents.

Mais comme je vous l’ai dit, la situation économique des tisserands à domicile périclitait, ma femme toujours grosse et alitée ne pouvait suffire à répondre aux commandes des fournisseurs. Elle ne fut donc plus fournie en ouvrage et dut chercher du travail ailleurs. Seulement voilà à 45 ans, vieillie prématurément, grosse et chargée d’une famille nombreuse, elle ne trouva pas. Les tisserands n’avaient plus de travail et sa santé précaire ne lui permettait pas de se louer dans une ferme. De toutes façons ouvrière spécialisée, le métier de paysanne elle ne pouvait le connaître. Alors ce fut les vaches maigres et on gagea Léonie à Graimville .

Heureusement encore une fois que mes dons de guérisseur nous permettaient d’améliorer l’ordinaire.

Mais la grande nouvelle, ou grande mauvaise nouvelle comme on voudra fut qu’un soir on vit débarquer la Justine, ce n’était pas normal et je sus instinctivement que quelque chose n’allait pas.

  • quoi qu’ tu fais là, la Justine
  • j’suis renvoyée
  • Quoi
  • Le maître y m’a mis à la porte
  • Pourquoi donc
  • Père je crois que je  » promène  »
  • Que tu promènes
  • Ben que j’sois prise
  • et qui qui qu’ c’est le père
  • j’sais pas
  • Comment ça qu’tu sais pas
  • Nom de dieu tu n’es qu’une traînée, je savais qu’t ‘avais le diable au cul
  • qu’est qu’on va faire avec ton bâtard.
  • Bah père on va l ‘élever
  • Jamais
  • père j’crois bin que vous êtes aussi un  » point voulu  ».

Quelle insolence, je lui mis deux torgnoles et je la mis dehors.

Pour le coup la mère prit la défense de la fille.

  • Si tu la mets dehors je pars avec
  • et ou qu’tiras ma pauvre femme ?
  • T’es qu’un monstre et ta mère si je me souviens bien elle est restée chez le père Nicolas
  • Il a pas renié que je sache

Au fond de moi je savais qu’elles avaient raison, il nous fallait trouver une solution. Ce fut ma femme qui la trouva.

Nous étions en relation avec la veuve de son frère, une brave femme qui mariée au Théodore Gréaume était veuve depuis 4 ans. Peut être accepterait elle de la prendre et de recueillir le rejeton.

Elle accepta et la fautive fut conduite à Montivilliers, c’était loin et la réputation de la famille Orange ne serait pas trop écornée. Bien qu’évidement les exploits de la fille du berger étaient connus de tous et toutes, mais surtout de tous.

Elle accoucha d’un garçon en Janvier 1873 il mourut peu après, Édouard et Justine jamais ne virent leur petit fils

LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 18, Les prussiens aux portes de chez nous

Vous parlez d’une engeance, j’étais bien mieux avec mes chiens et mes moutons, de plus on venait toujours me voir pour soigner quelques petits maux.

La Justine se vengea car figurez vous que le moment de la lessive étant arrivé, elle fit un tas de mes affaires et les ignora au moment de les mettre dans la buée. Au lavoir elle eut donc son heure de gloire en contant son exploit. Après quand je passais dans les rues du village j’entendais ces foutues fumelles qui en rigolant chantaient  » le père Édouard a la chemise sale  ».

Puis que faire, j’avais couru mais non de non c’était point ma faute, c’était son foutu cotillon en dentelle qui m’avait retourné les sens.

La Marguerite naquit en mai 1870, aucun problème pour cette venue, apparemment nous n’en aurions pas d’autre car Justine ne pouvait plus me sentir.

Heureusement par oui dire nous avons pu placer la Eugénie comme servante dans une maison bourgeoise. Fini pour elle, les traites, le fumier, les gorets, elle s’occuperait maintenant du linge de madame, de la propreté de la maison, de la corvée de bois, elle devait même astiquer un tas d’argenterie tout pareil qu’à l’église. Ce fut pour elle un changement, il paraît même qu’il y avait une sorte de pompe qui amenait l’eau dans la maison. Le sol de la maison n’était pas en terre battue et il y avait une sorte de cabinet d’aisance ou tout le monde faisait ses besoins. Plus besoin de s’accroupir derrière un paillis ou une haie, c’était un progrès soit disant.

Il faut quand même en parler, l’événement de l’année 1870 ne fut pas la naissance de mon quinzième enfant. Nous étions sous la férule de l’empereur Napoléon, celui à la barbiche et neveu de celui qui nous avait mis dans la merde au début du siècle. Moi je connaissais sa tête car une fois on m’avait montré une pièce ou il était. J’avais aussi acheté une fois à un colporteur un espèce d’almanach ou il y avait des images de lui de sa femme et du petit prince. Il vivait aux tuileries à Paris moi qui pensais qu’un roi vivait dans un château j’en fus un peu surpris. Eh ben ce couillon il a fallu qu’il déclare la guerre aux prussiens, je vous demande un peu.

Au village lorsqu’on a appris que la guerre était déclarée on s’est rassemblé autour de l’instituteur du village le Pierre Gosselin. Il nous a expliqué le pourquoi et le comment, j’ai rien compris de cette histoire de dépêche d’Ems et de succession en Espagne. Je voyais pas bien le rapport entre tout cela et une guerre avec les prussiens, de toute façon la plus part d’entre nous on savait pas où c’était la Prussie. Nous on était Normands et on s’inquiétait de savoir si on pourrait voir arriver des ennemis chez nous.

Monsieur Gossin nous expliqua que les prussiens nous avaient déjà envahis en 1814 et en 1815 et que leur roi avait même été jusqu’à Paris avec les troupes des vieux moustachus nommés  » vorwarts  »

Au vrai chacun craignait pour lui même, les moissons n’étaient point faites et certains avaient des fils dans l’armée.

Moi il n’y avait que l’Édouard qui pouvait être concerné, mais il avait tiré un bon numéro alors nous étions tranquilles.

Restait que ce grand bêta, ainsi que son frère le Henri ils voulaient s’engager pour défendre la patrie.

C’est encore moi qui commandait ces deux marioles, la patrie elle avait bon dos, mais les prussiens l’étaient pas encore en pays de Caux.

De toutes façons ce fut rapide, une défaite monumentale, que nous suivions avec les journaux qu’on nous lisait au café.

Le nigaud de Napoléon le petit fut même fait prisonnier, une vraie raclée.

A la capitale, on proclama la république comme en l’année de mon mariage. Les combats continuèrent et des détachements de prussiens arrivèrent en Normandie. De vrais sauvages, ils réquisitionnaient nos bêtes et nos grains. Ceux qui résistaient étaient fusillés, les maisons étaient brûlées. Nos filles et nos femmes étaient forcées et la panique s’installait. Des corps francs et des soldats faisaient le coup de feu dans le bocage ce qui entraînait d’autres représailles.

Moi à la ferme je fus amputé de quelques moutons et le patron pleurnicha toutes les larmes de son corps quand son seul cheval fut volé par un officier Uhlan.

Il paraît que dans une ferme du coin une petite servante fut déshabillée et obligée de servir les officiers dans cette tenue, après la pauvrette fut livrée à une compagnie. A ce qu’on dit elle a perdu la raison. Heureusement pour nous autres aucune de mes filles n’eut à subir la soldatesque.

Je crois bien qu’Édouard et son frère Henri se sont joints à un groupe de partisans pour faire le coup de feu.

Puis au bout de quelques mois la paix fut signée, les allemands gagnaient un empereur, nous nous avions perdu le notre. Le curé nous dit que nous avions perdu l’Alsace et la Lorraine, ouf nous les Normands nous ne devenions pas teutons.

La vie continuait, moi les moutons, fallait bien les faire paître et les faire se reproduire. Il est vrai que le tissage dans les chaumières s’arrêta presque de fonctionner, les communications étaient coupées, la matière première n’arrivait pas et les commandes non plus.

Beaucoup de familles se retrouvèrent dans la gêne voir dans une extrême pauvreté. Moi je ramenais mes gages mais c’était difficile, d’autant que nous aidions le Florentin et Anastasine.

LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 17, Un coup de canif au contrat

En janvier 1868 je me rappelle mon beau père dut aller au Havre pour rencontrer un négociant en tissus, ils étaient plusieurs tisserands du village à s’y rendre pour discuter sur la baisse des prix et sur le manque d’ouvrage qui allaient tous les faire crever. Il voulut que je l’accompagne.

Moi je voulais bien mais mon patron serait il d’accord, je fus surpris qu’il accepte mais il me donna quelques courses à faire.

Nous partîmes le lendemain après un bonne assiette de choux au lard, il nous faudrait bien cela pour tenir la journée de marche que nous allions faire.

J’étais un peu inquiet car Justine était sur le point d’accoucher mais bon je n’allais pas guetter au trou .

La journée fut longue et nous ne pûmes arriver avant la nuit, alors nous avons demandé l’hospitalité dans une métairie. Le couple qui la tenait partagea la soupe contre un faible écot et nous dormîmes comme des bébés dans la bonne paille de la grange.

Le lendemain, le grand port s’offrait à nos regards, moi qui n’avait vu que Fécamp je fus surpris par l’immensité des quais et par la la voilure. Pendant que Florentin et les autres se rendaient pour plaider leur cause moi j’en pris plein les yeux, il y avait du monde partout, des bateaux de pêche encaqués comme des sardines dansaient le long du quai. Un embarcadère où se pressait une foule bigarrée en partance pour Southampton, partout des malles avec des porteurs, des belles dames corsetées portant chapeaux. Des marins s’affairaient pour le départ, puis un coup de corne, les derniers partants se précipitèrent, le ponton fut enlevé, les bouts détachés. Le navire sans effort s’écarta et partit pour l’Angleterre.

Édouard n’a jamais rêvé de partance et de voyage lointain, il rêvassait certes en gardant ses moutons, la tête dans les étoiles mais le corps rivé à son cher pays de Caux, saoul des bruits et des couleurs, les sens en éveil,il rejoignit les autres.

Ces derniers têtes basses, s’étaient fait sèchement éconduire, moins d’ouvrage et baisse des prix.

Ils allaient crever misère ou bien devoir venir à la ville mendier leur pain et se rendre esclave dans des manufactures.

Nous repartîmes immédiatement pour pouvoir dormir en dehors de cette cité inhospitalière, aucun de nous ne fit attention aux singeries des filles de joie qui tentaient de nous aguicher.

Le lendemain chacun reprenait le cours de sa vie, moi mes moutons, ma grosse Justine et ma marmaille.

Ma pauvre n’en pouvait plus les jambes enflées le souffle court, un ventre proéminent près à éclater, elle dut se coucher et attendre la délivrance.

Osithe prit sa place sur le banc de l’ouvrage, les petites effectuaient les tâches ménagères et se relayaient au près de la parturiente.

Anastasine pour ne rien arranger venait d’attraper une mauvaise toux et aucune décoction n’en vint à bout, elle se traînait et aurait bien dû aussi se coucher.

Pourtant l’accouchement se déroula sans problème et petit Louis vit le jour, un beau petiot né coiffé.

Justine en un soupir me dit, mon homme tu me toucheras plus, temps que j’aurais mes jours. Cause toujours tu m’intéresses, je ne la contrariais pas mais dès les relevailles, ma foi j’y goûterai à nouveau. Ce qui fut dit fut fait, La Justine maugréa, tempêta, essaya de calmer ma fougue par des caresses mais rien ne m’en détourna. Ce fut comme cela que je lui fis le quinzième. Nous allions devenir la plus grande famille de Bec de Mortagne.

En fait ce ne fut qu’un éternel roulement, un drôle poussant l’autre ou plus précisément le chassant.

Les grands ou plutôt les grandes s’occupant des petits. Les robes des unes passant sur les fesses de l’autre, les pantalons rapiécés et rallongés passant d’un garçon à l’autre. Moi au contraire de Justine je ne savais plus quels enfants j’avais placé dans telle ferme et bien évidement je me mélangeais dans les prénoms.

Car entre toutes ces naissances, le Edmond fut aussi mis au service de métayer du village. Le dimanche je vous dis que cela faisait une sacrée tablée, moi j’adorais mais Justine avait du travail en conséquence.

Bon certes Édouard et Justine venaient de moins en moins souvent, car ils étaient occupés à se trouver une âme sœur.

Mon fils pensait l’avoir trouvée mais avant de déclarer sa flamme, il fallait bien garnir son gousset, ma fille je ne crois pas qu’elle fut intéressée par l âme des garçons mais plutôt par une autre partie légèrement plus terre à terre.

Je vous ai conté que j’allais voir de temps à autre la petite Eugénie et que je me renseignais auprès de la fermière si tout allait bien.

La petite qu’était bien futée se demanda pourquoi je venais la voir alors que je ne me déplaçais pas pour les autres. Un jour ou le fermier était à la foire, nous étions allongés dans un pré bien à l’abri des regards nous occupant des jeux de l’amour. La curieuse s’approcha et stupeur vit ce qu’elle ne devait pas voir. Je n’eus aucun argument pour ma défense et un dimanche la pie délivra son secret.

Ce fut un joyeux tintamarre, tout vola dans la maison, je me fis agonir de gros mots et la Justine en pleureuse avisa le voisinage.

Il y eut deux camps résolus, les hommes qui comprenait mes misères, car après tout entre toutes ses maternités, ses retours de couche  moi pauvre malheureux j’étais presque contraint à aller voir ailleurs. De l’autre coté les femmes prenaient fait et cause pour Justine . Il n’y eut qu’une femme pour prendre ma défense et ce fut celle de la petite servante devenue métayère que j’avais prise lorsque j’étais grand valet à Fongeusemare

Malheureusement il y eut des conséquences, le fermier n’approuva guère de porter des cornes, et il mit une belle volée à sa femme. Quand à Eugénie le petite cafteuse, elle fut congédiée sur le champs.

Je me retrouvais donc avec cette casseuse de mariage sur les bras, la Justine qui vivait à l’hôtel du cul tourné, le Florentin qui ne voulait plus jouer aux cartes avec moi au cabaret du village et l’Anastasine qui se signait quand elle me croisait.

LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 16, Une trallée de drôles

Puis ce fut au Léon d’aller dans une ferme faire le petit valet, nous ne pouvions pas le garder et l’ouvrage commençait à manquer, les coûts de fabrication à domicile dépassaient ceux des filatures des villes qui avaient des métiers mécanisés.

Notre jeunesse retournait à la terre ou devait s’enfermer dans les fabriques en s’entassant dans les immeubles vétustes des grandes villes.

Justine meurtrie se refusait obstinément à moi, elle ne voulait plus d’enfant et avait encore mal. Je fus patient car ma Justine je l’aimais, mais bon la nature devait reprendre ses droits.

Maintenant que j’y pense la satisfaction des mâles est sûrement égoïste et pour nous cela tourna à la catastrophe, c’est à dire que Justine fut encore grosse. Nous étions estomaqués et même les petits sentaient que c’était un vrai drame.

Édouard était maintenant un homme, il n’était plus le petit domestique de ferme que l’on chargeait des moindres corvées, non pour la première fois il s’était gagé à la foire et ma foi avait trouvé un fermier qui voulait bien de lui. Dans le cas contraire il eut été contraint de travailler à la journée et n’aurait été embauché que pour les gros travaux. Il était vaillant mon gars , sans le sou mais vaillant.

Sa sœur la Justine avait 18 ans, belle, de haute taille, les cheveux blonds de sa mère, une poitrine fort appétissante  et un petit air mutin qui la faisait passer pour une diablesse.

Certes elle était bonne travailleuse et ne rechignait à aucune tâche mais bon dieu quelle cavaleuse.

Au lavoir c’est tout juste si les femmes ne se signaient pas en parlant d’elle et Justine par ci et Justine par là.

Si elles avaient peur pour leur homme elles n’avaient qu’ à bien tenir leur ménage et satisfaire à leurs devoirs.

Mais le pire étaient tous les célibataires de la contrée qui lui tournaient autour, je ne savais si elle avait encore son pucelage et m’étonnerais pas qu’un jour elle nous ramène un petit bâtard.

Henri lui avait 16 ans et travaillait toujours dans la même ferme à Annouville, les métayers étaient de braves gens et la vie n’était point pénible pour lui.

Ma Osithe petite de quinze ans, espiègle, brune et noiraude comme une petite maure s’exténuait avec sa mère et son grand père au métier. Elle paraissait moins portée sur les garçons que sa  sœur.

La métier de tisserand semblait aussi destiné à mon Léon qui allait sur ses 13 ans, malheureusement je pense que lui aussi allait devoir trimer au cul des vaches pour qu’un de ses frères reste au foyer une paire d’années de plus

Ensuite le Edmond, 12 ans une carrure d’adulte et une cervelle de moineau, blond comme les blés , sa distraction favorite étant d’aller mirer les filles lorsqu’elles se lavaient ou qu’elles s’accroupissaient. La Justine avait beau le talocher et moi jouer de la ceinture ce petit vicelard recommençait aussitôt , heureusement il était travailleur et je lui cherchais une place dans une ferme car être cloîtré dans une pièce humide pour tisser du coton ou du lin ne lui correspondait pas du tout.

Ma troisième l’Eugénie,10 ans toute mignonne, elle aussi blonde avec des tâches de rousseur, un petit ange avec sa coiffe blanche, on lui donnerait le bon dieu sans confession et en cela on avait peut être tort. Elle aussi allait bientôt partir, je connaissais une fermière qui avait besoin d’une petite servante. Bon autant que je vous dise cette dernière est la femme à la culotte de dentelle que j’ai soignée et sans me vanter vraiment bien soignée, je me réjouissais de traiter l’affaire.  Une poignée de main, un coup de calva et la bonne fermière je lui ferais bien baisser ses affûtiaux.

Ensuite la Marie et la Léonie, 9 ans et 8 ans, inséparables, elles dormaient, mangeaient , relevaient leur robe ensemble et surtout faisaient les quatre cents coups ensemble. Elles cachaient les objets, chatouillaient les pieds des dormeurs et un jour elles avaient même subtilisé le pantalon du grand père. Il n’avait guère apprécié et les deux culs blancs avaient pris une volée d’ortie.

Pour l’instant elles aidaient leur mère à tous les ouvrages de la maison mais là aussi il faudrait bien les placer .

Ensuite il y avait la tripoté d’inutile, le Séverin qu’avait 4 ans et l’ Arsène le diablotin âgé de 3 ans, qu’est ce qu’on allait faire de ces deux sauvageons.

Donc comme je vous disais, j’ai emmené Eugénie pour servir la belle fermière, je la trouvais bien petiote mais nous n’avions pas beaucoup de solution il fallait bien qu’elle se mette à travailler un jour. La ferme se trouvait à Contremoulins, ce n’était pas bien loin, la fermière n’avait toujours pas d’enfant malgré mes appositions de mains et mon autre contribution, elle nous reçut et précisa les conditions, la nourriture, les vêtements et des sabots, la petite dormirait non loin des maîtres. Son travail serait de garder quelques ouailles, de traire les vaches et de s’occuper à nourrir les gorets.

Cela faisait beaucoup pour une si petite personne et j’en fis la remarque à la fermière. C’était à prendre ou à laisser, elle mangerait comme nous mais elle travaillerait comme nous.

Avec un grand sourire elle me demanda si je voulais visiter l’endroit. Eugénie restera à nous attendre dans la cuisine.

L’étable était bien tenue, la paille était propre et une douce chaleur enveloppée dans l’acre odeur des bouses nous prenait au plus profond de nous même.

Je savais par divers racontars que son fermier l’était pas bien vigoureux et que de temps à autre un journalier de passage ou un roulier qui se rendait au Havre apportait un peu de bonheur à la patronne. Ce jour là ce fut moi qui en profitais, elle n’avait pas mis son cotillon de dentelle et elle n’eut qu’ à remonter sa robe, elle se pencha et s’offrit. Bon dieu j’y mis du cœur à l’ouvrage . Elle rajusta sa robe et sans plus de façon nous rejoignîmes Eugénie.

Le soir j’étais bonne aise et je m’endormais comme une souche, La Justine fut surprise que je ne lui saute pas dessus