LE BERGER ET LA FILEUSE, Épisode 18, Les prussiens aux portes de chez nous

Vous parlez d’une engeance, j’étais bien mieux avec mes chiens et mes moutons, de plus on venait toujours me voir pour soigner quelques petits maux.

La Justine se vengea car figurez vous que le moment de la lessive étant arrivé, elle fit un tas de mes affaires et les ignora au moment de les mettre dans la buée. Au lavoir elle eut donc son heure de gloire en contant son exploit. Après quand je passais dans les rues du village j’entendais ces foutues fumelles qui en rigolant chantaient  » le père Édouard a la chemise sale  ».

Puis que faire, j’avais couru mais non de non c’était point ma faute, c’était son foutu cotillon en dentelle qui m’avait retourné les sens.

La Marguerite naquit en mai 1870, aucun problème pour cette venue, apparemment nous n’en aurions pas d’autre car Justine ne pouvait plus me sentir.

Heureusement par oui dire nous avons pu placer la Eugénie comme servante dans une maison bourgeoise. Fini pour elle, les traites, le fumier, les gorets, elle s’occuperait maintenant du linge de madame, de la propreté de la maison, de la corvée de bois, elle devait même astiquer un tas d’argenterie tout pareil qu’à l’église. Ce fut pour elle un changement, il paraît même qu’il y avait une sorte de pompe qui amenait l’eau dans la maison. Le sol de la maison n’était pas en terre battue et il y avait une sorte de cabinet d’aisance ou tout le monde faisait ses besoins. Plus besoin de s’accroupir derrière un paillis ou une haie, c’était un progrès soit disant.

Il faut quand même en parler, l’événement de l’année 1870 ne fut pas la naissance de mon quinzième enfant. Nous étions sous la férule de l’empereur Napoléon, celui à la barbiche et neveu de celui qui nous avait mis dans la merde au début du siècle. Moi je connaissais sa tête car une fois on m’avait montré une pièce ou il était. J’avais aussi acheté une fois à un colporteur un espèce d’almanach ou il y avait des images de lui de sa femme et du petit prince. Il vivait aux tuileries à Paris moi qui pensais qu’un roi vivait dans un château j’en fus un peu surpris. Eh ben ce couillon il a fallu qu’il déclare la guerre aux prussiens, je vous demande un peu.

Au village lorsqu’on a appris que la guerre était déclarée on s’est rassemblé autour de l’instituteur du village le Pierre Gosselin. Il nous a expliqué le pourquoi et le comment, j’ai rien compris de cette histoire de dépêche d’Ems et de succession en Espagne. Je voyais pas bien le rapport entre tout cela et une guerre avec les prussiens, de toute façon la plus part d’entre nous on savait pas où c’était la Prussie. Nous on était Normands et on s’inquiétait de savoir si on pourrait voir arriver des ennemis chez nous.

Monsieur Gossin nous expliqua que les prussiens nous avaient déjà envahis en 1814 et en 1815 et que leur roi avait même été jusqu’à Paris avec les troupes des vieux moustachus nommés  » vorwarts  »

Au vrai chacun craignait pour lui même, les moissons n’étaient point faites et certains avaient des fils dans l’armée.

Moi il n’y avait que l’Édouard qui pouvait être concerné, mais il avait tiré un bon numéro alors nous étions tranquilles.

Restait que ce grand bêta, ainsi que son frère le Henri ils voulaient s’engager pour défendre la patrie.

C’est encore moi qui commandait ces deux marioles, la patrie elle avait bon dos, mais les prussiens l’étaient pas encore en pays de Caux.

De toutes façons ce fut rapide, une défaite monumentale, que nous suivions avec les journaux qu’on nous lisait au café.

Le nigaud de Napoléon le petit fut même fait prisonnier, une vraie raclée.

A la capitale, on proclama la république comme en l’année de mon mariage. Les combats continuèrent et des détachements de prussiens arrivèrent en Normandie. De vrais sauvages, ils réquisitionnaient nos bêtes et nos grains. Ceux qui résistaient étaient fusillés, les maisons étaient brûlées. Nos filles et nos femmes étaient forcées et la panique s’installait. Des corps francs et des soldats faisaient le coup de feu dans le bocage ce qui entraînait d’autres représailles.

Moi à la ferme je fus amputé de quelques moutons et le patron pleurnicha toutes les larmes de son corps quand son seul cheval fut volé par un officier Uhlan.

Il paraît que dans une ferme du coin une petite servante fut déshabillée et obligée de servir les officiers dans cette tenue, après la pauvrette fut livrée à une compagnie. A ce qu’on dit elle a perdu la raison. Heureusement pour nous autres aucune de mes filles n’eut à subir la soldatesque.

Je crois bien qu’Édouard et son frère Henri se sont joints à un groupe de partisans pour faire le coup de feu.

Puis au bout de quelques mois la paix fut signée, les allemands gagnaient un empereur, nous nous avions perdu le notre. Le curé nous dit que nous avions perdu l’Alsace et la Lorraine, ouf nous les Normands nous ne devenions pas teutons.

La vie continuait, moi les moutons, fallait bien les faire paître et les faire se reproduire. Il est vrai que le tissage dans les chaumières s’arrêta presque de fonctionner, les communications étaient coupées, la matière première n’arrivait pas et les commandes non plus.

Beaucoup de familles se retrouvèrent dans la gêne voir dans une extrême pauvreté. Moi je ramenais mes gages mais c’était difficile, d’autant que nous aidions le Florentin et Anastasine.

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