Les jours et les semaines passèrent, l’ automne revint et les moutons furent mis à la bergerie, moi tous les soirs je rentrais à la maison. Florentin en tant qu’aîné était en bout de table et moi à sa gauche, Henri et Léon seuls mangeaient à table avec nous. Edmond et Jean trop petits mangeaient avec les femmes près de l’âtre, accroupis ou assis en tailleur sur la terre battue. Bien sur Justine et Anastasine nous servaient et restaient soit debout soit assises dans un renfoncement de la cheminée.
Osithe, Eugénie, et Marie Augustine ne quittaient pas non plus les robes des deux femmes. La Léonie petite dernière avait encore droit de temps en temps aux seins, mais à trois ans il fallait bien se rendre compte que cela ne pouvait pas durer. Anastasine à qui on ne la faisait pas lui dit un jour tu vas point sortir tes mamelles jusqu’à ses douze ans quand même et il est pas sur de toute façon que cela empêche d’avoir des enfants.
Elle arrêta et retomba enceinte, vraiment foutue bonne femme, en mars 1864 elle mit au monde Séverin. Le bambin se porta comme un charme et on ressortit le berceau. Nous n’avions aucun enfant à placer car Justine s’opposait à les laisser partir avant douze ans. Par contre les faire travailler au tissage ne lui procurait aucun scrupule.
Edouard et Justine revenaient chez nous le dimanche, ils avaient grandi tous deux et Justine était maintenant une femme . La petite était bien jolie, j’espérerais qu’elle ne ferait point de sottise et qu’elle ne se livrerait pas à la paillardise avec un valet déluré .
Mais je redoutais tout autant qu’elle ne se fasse forcer par un maître libidineux et profiteur.
Sa mère lui expliqua les choses de la vie et cela ne me rassura qu’à moitié, j’avais tort car la petite serait plus dégourdie que sa mère mais j’aurais raison pour un autre point.
Ma femme devint à la suite de cette 11ème maternité encore plus grosse qu’elle n’était auparavant. Sa poitrine était énorme et tombait sur son ventre, ses mamelons sucés et re-sucés étaient longs comme mon pouce, des petits vaisseaux sanguins formaient comme une arborescence sur cette opulence. Son ventre rebondissait en de multiples cascades. Travaillant tout le temps elle ne prenait pas soin d’elle, une toilette de chat avec l’eau du broc tous les matins, un coup de peigne avant de remettre sa petite coiffe et c’était tout .
Pour la grande toilette il fallait mettre tout le monde dehors ou du moins les garçons moi j’avais pas le droit de rester non plus car Anastasine se lavait le derrière en même temps.
Les garçons allaient chercher l’eau au puits puis la versait dans une grande gamelle qui se trouvait dans l’âtre. Une fois chaude on la mettait dans un grand baquet, Anastasine l’ainée commençait , elle se mettait toute nue dans l’eau et ma femme lui versait de l’eau sur la tête et lui brossait le dos. Aussi maigre que Justine était grosse, une brindille et une grosse bûche. L’Anastasine elle n’avait point de seins et était plate comme une sole. Je sais car un jour j’ai zyeuté par la lucarne. Autre chose de bizarre elle n’avait qu’une misérable touffe de poil blanc en haut des cuisses, non vraiment je préférais ma grosse Justine.
Ensuite une fois qu’elle était propre, c’est Justine qui entrait dans le baquet on ne changeait point l’eau on en rajoutait et c’était les filles qui faisaient la noria avec les seaux. Une fois séchées et rhabillées les deux femmes lavaient les filles, ce n’étaient que cris et rires. Puis venait le tour des petits mâles, dans une eau enfin changée.
Moi pendant ce temps je prenais un sceau d’eau que je mettais sur la margelle et je me lavais le visage , les mains et les bras et aussi les pieds et bien sur je me rasais. Pour le reste ma sueur se chargeait du lavage. Cet été j’irais quelques fois à la rivière qui courait au bas du village, l’eau qui sortait des sources était glacée mais cela enlevait un peu de vermine qui avait tendance à s’incruster.
Le Séverin aux seins on croyait être tranquille, mais bon dieu la Justine était une vraie lapine, comment faire. Elle avait beau être solide, elle finirait bien par y passer.
En avril 1865 nous naquit un autre gros garçon que l’on nomma Arsène Auguste
A la ferme on se moquait de ma fertilité et les femmes se cachaient en me voyant en se disant entre elles que le berger rien que par la pensée il vous faisait devenir grosse. Les valets me disaient goguenard que je ferais mieux d’utiliser ma main ou de sauter en marche. Tout cela j’avais essayé mais Justine ne voulait pas et moi j’étais pas très doué pour me retenir.
Quoi qu’il en soit elle avait encore deux chiards à la mamelle. Les aînés travaillaient comme des adultes malgré leur jeune age. Léon allait prendre la place de son frère Henri au travail du tissage et ce dernier irait rejoindre la cohorte des petits esclaves dans les fermes.
Quand j’ai conduit ce petit à Annouville vilmesnil cela m’a rappelé mon premier voyage avec Edouard. Même harde sur le dos, même regard d’incompréhension lorsque je l’ai laissé avec un inconnu. Ce qui ne changeait guère non plus c’ était les conditions, le petit serait nourri, habillé, les sabots neufs seraient aussi fournis. Le dimanche et les jours fériés le gamin ferait retour à Bec de Mortagne.
C’était le destin dans beaucoup de familles, le Florentin me racontait qu’autrefois les naissances multiples étaient compensées par les morts des drôles, et que maintenant avec les progrès ils en mouraient moins. Je sais pas trop ce qu’il voulait dire par progrès, moi mes petits ils étaient jamais malades et un seul était parti, pourtant on était bien miséreux. Faut croire que nous étions de la bonne graine.