Tout avait été respecté, nous avions les accords parentaux. Pour moi orphelin c’était l’accord de mon tuteur Nicolas. Le mariage était un contrat entre deux parties, comme à la foire quand un maquignon achetait un bestiau ou qu’une parcelle de terre se vendait ou s’échangeait. Lorsque vous aviez la chance d’une attirance commune tout était parfait, sinon il fallait s’accommoder toute sa vie d’un homme ou d’une femme que l’on n’aimait pas.
Les noces furent donc fixées le samedi 27 mai 1848, oui un samedi vous avez bien lu, ma future belle mère s’en étrangla, on ne se marie jamais un samedi car le lendemain c’est le dimanche jour du Seigneur.
Au fait, il faut aussi signaler qu’à Paris il y a eu la révolution, le roi a été détrôné, nous sommes maintenant en république, je ne sais pas bien ce que cela va changer pour nous les pauvres. Ceux sont toujours des messieurs en costume de ville qui vont nous diriger.
Il parait que le Louis Philippe il s’est sauvé par la Normandie et qu’il est chez les Anglais. Ç’a devient une habitude de se réfugier là bas. Pour sur celui là ils vont pas l’envoyer à Saint Hélène.
Bon, il fallut tout organiser et surtout inviter la parentelle et bien sur ne pas en oublier, car l’affront aurait été terrible.
Le mariage aurait lieu à Auberville la Renault, lieu du domicile de l’épousée et la noce se ferait au domicile des Gréaume, car moi je n’avais pas de chez moi.
Il fut aussi prévu que nous nous installerions avec ma femme au domicile des parents Gréaume. Je n’en étais guère satisfait mais économiquement parlant c’était ce qui était le plus facile pour nous.
Je ferais le trajet jusqu’à la ferme du moulin et Justine elle serait sur place.
27 mai 1848, Auberville la Renault
Le jour dit, beaucoup de travail, la maison et surtout l’appentis où serait servi la noce, était décoré de draps blancs de fleurs et de branches de verdure, des grandes tables récupérées dans le voisinage étaient couvertes également de grands draps sortis pour la circonstance des armoires.
Les agapes commençaient en général le matin avec une sorte de buffet froid avec de l’eau de vie et du cidre. Il va s’en dire que certains en prenaient déjà de l’échauffement. Nous, comme le mariage avait lieu le soir, les invités arrivèrent dans l’après midi et on fit une collation.
A voici ma belle mère, moi je l’appelle la vieille car elle a 60 ans, petite bonne femme ratatinée , parcheminée et courbée par les années qui fuient. Aussi noiraude que sa fille est blonde et aussi méchante que Justine est douce et gentille. Mais bon cela resterait à prouver au cours des années qui passeront. Je redoutais de me retrouver sous le même toit, je ferais en sorte que cette situation ne dure point.
Bon, tant qu’on est sur la Madeleine Cléron ,je me demande bien ce qui a pû se passer dans la tête de mon beau père Florentin pour prendre une noiraude âgée de 19 ans de plus que lui avec un enfant qui avait déjà 14 ans. Comme je n’ai pas entendu dire que sa dot était grandiose avec son père qui était berger, cette union reste pour moi un mystère.
En attendant elle s’agitait et s’emballait en montrant à tous le contenu de la dot de sa fille tout y passait, jupons et gamelles.
Le père Florentin lui était blond comme un guerrier du nord, jeune encore, musclé, le teint un peu pale des travailleurs d’intérieur, les mains abîmées par les fibres. Il montrait à un autre toilier un ouvrage en cours d’achèvement. Il portait avec fierté ses beaux habits, Justine était sa seule fille et la conduire à l’autel le comblait. Ce qui l’ennuyait c’est qu’il perdait une source de revenu car sa fille ne percevait aucun salaire en travaillant chez lui, comme d’ailleurs tous les enfants, la dot étant une avance sur l’héritage.
L’eau de vie commençait sérieusement à l’échauffer et il s’agitait en parlant fort.
Mes trois beaux frères devisaient ensemble, Théodore et Pierre étaient déjà mariés et Augustin encore garçon. Le premier et le troisième étaient blonds comme leur père, le second qui était le frère d’un premier lit était noir comme sa mère. Cela formait un sacré contraste et tout le village se foutait du Florentin qu’avait un vilain canard tout noir dans sa couvée.
Bon la mariée vient de sortir, superbe ma Justine, ma poitrine s’est gonflée comme le plastron d’un coq dans une basse cour. On se forma en cortège et la musique commença au rythme grinçant du ménétrier.
Depuis la grande révolution, le mariage était une union civile, il y avait donc obligation de passer par la mairie. Nous avions rendez vous avec Jean Baron le maire.
La cérémonie fut solennelle, échanges des consentements, fidélité, protection, mais aussi obéissance, pour Justine qui quittait la tutelle de son père pour passer sous la mienne.
Toute la noce ressortit pour aller se faire bénir par le curé, c’était un peu bizarre de se faire marier pendant les vêpres, mais bon pour moi cette heure vespérale me convenait parfaitement.
Le prêtre bénit nos anneaux et aussi une pièce de 5 francs en argent. Nous sommes sous le voile et chacun observe de quel coté il penche, pour savoir qui commandera à la maison.
Mais bon les femmes penchèrent pour Justine et les hommes pour moi. On rentra à la maison des parents Gréaume, nous étions mari et femme pour la vie, car le divorce engeance de la révolution avait été supprimé par les rois qui avaient suivi.
Le repas fut pantagruélique, malgré nos faibles moyens on se devait en ce jour de faire honneur et de montrer que la famille avait le respect des coutumes et des usages.
Justine resta à table moi je devais aider au service, fricassées de poulet, cochon de lait, andouilles, veau , rôtis, bien sur arrosés d’eau de vie et de cidre. Cela devint vite chaud, les danses se succédèrent ,nous en avions le virouna. Puis vint l’heure de la tradition du ruban, avant le repas, une demoiselle d’honneur avait accroché un ruban blanc au dessus du genou de Justine, un ami domestique comme moi à Fongueusemare se faufila à quatre pattes sous la table il souleva la robe de la mariée et lui ôta son ruban. Justine s’en trouva gênée et devint rouge comme un coquelicot mais cela faisait partie des coutumes et donna lieu à des rires et des commentaires graveleux sur la future nuit de noces.
Le repas continua avec les desserts, un magnifique gâteau de riz confectionné par ma belle mère et une » fallue » pétrie et cuite par des voisines. Évidemment l’alcool continuait de faire chavirer les têtes.
Jean Couchaux mon ami cabaretier et premier témoin était déjà plus que saoul, c’est d’ailleurs lui qui avait soulevé le cotillon de Justine pour le ruban, Honoré Douelle le deuxième témoin avait délaissé ses soucis de cultivateur et dansait avec son épouse des gigues endiablées. Monsieur Hardy l’instituteur assit en bout de table commençait à sombrer et à glisser sous la table, sa femme d’un coup de coude le faisait se redresser. Quand à notre quatrième témoin le Jean Badais il faisait une cour assidue à une paysanne du village. L’alcool désinhibitrice faisait se délier les langues et nouer idylles. Moi j’essayais de modérer ma consommation, car j’avais une mission qui m’attendait, je me devaiS d’être vaillant et d’honorer ma Justine.
J’apprécie beaucoup vos textes et vous en remercie. Vous illustrez avec bonheur le mode de vie de nos ancêtres.
Grâce à vous notre imagination peut mettre des images sur cette période.
Continuez, c’est une belle oeuvre pour qui a le bonheur de savoir s’en saisir.
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Merci pour ces belles histoires
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