Le disparu du gué d’Alleré
La moisson n’est pas terminée que le maire a vent de l’inquiétude d’une famille.
Les Ribreau sont sans nouvelle de leur fils Clément depuis début juin . Ils sont inquiets à juste titre.
Le maire va voir Gustave et Adeline dans leur champs pour s’enquérir de renseignements.
Leur fils est sergent au 162ème régiment et ne donne plus de nouvelle. Les parents, mais aussi sa femme Marie Pilot ont écrit de multiples lettres, mais aucune n’a eut le moindre retour de courrier. Cela n’est jamais arrivé depuis le début de la guerre d’autant qu’il sait que sa femme arrive à terme de son troisième enfant.
Clément et elle se sont mariés en 1913 et depuis ont eu le bonheur de voir naître un fils et une fille. L’enfant qu’elle porte a été conçu pendant une permission ainsi que le précédent né en 1916.
Puis arrive enfin une lettre du régiment c’est la consternation. Clément est porté disparu depuis le 10 juin 1918, il n’est pas revenu de la mission qui lui avait été confiée près de Mouchy Humières dans l’Oise. On le présume blessé et prisonnier .
C’est mieux que l’annonce d’un décès car un espoir subsiste. Après avoir eu des renseignements supplémentaires la famille apprend qu’il a disparu sur la route de Montdidier près de la ferme La porte.
On verra bien, Marie garde espoir et ne revêt pas ses habits de deuil.
Gougaud mentalement compte sur ses doigts, nous en sommes à seize pour l’ensemble de la commune.
Veuve Émilienne Drouillon
Émilienne se tient devant l’épicerie de son père lorsque la voiture du marchand de cochons arrive et s’arrête.
Un gars de taille moyenne qu’elle n’a jamais vu l’apostrophe et lui demande si Maximilien est là.
Dans la carriole plusieurs carcasses attendent d’être livrées. Normalement le vieil épicier ne fait pas la viande, mais en ces temps troublés il s’est diversifié pour rendre service.
L’homme se présente à elle » Arthur Rippe de Surgères pour vous servir madame »
C’est une expression mais intérieurement elle se demande comment cet homme d’une maigreur effrayante pourrait lui être d’une aide quelconque.
Il peut avoir une trentaine d’années et elle se demande pourquoi il n’est pas à la guerre.
Comme devinant sa question ou ayant l’habitude qu’on lui pose il déclare posément je suis réformé.
Elle sait que de nombreux gars sont réformés et ce pour de multiples raisons, mais elle sait aussi que bon nombre sont des planqués . Son homme à elle est mort à la guerre et elle n’a aucune indulgence. Mais quand d’un seul coup le bonhomme se met à tousser elle comprend.
Elle n’est pas médecin mais elle n’est pas idiote et empiriquement elle sait qu’une maigreur extrême et une toux violente et persistante peuvent signifier une infection pulmonaire. Elle a déjà vu mourir de la tuberculose et instinctivement elle recule.
Arthur tente de la rassurer » ce n’est pas ce que vous croyez mais j’ai attrapé une bronchite dans les tranchées et les médecins n’arrivent pas à me guérir.
Il attrape une carcasse de porcelet et la charge sur son dos, malade mais encore costaud se dit elle.
J’ai été déclaré inapte au service au moins quatre fois lui déclare t-il comme un saint viatique. Émilienne se dit que si il y a eu quatre commissions c’est qu’il a doute.
Peu importe elle n’est pas là pour juger, au moins il survivra. Enfin si une quinte de toux ne lui décolle pas les poumons.
Elle rentre avec lui à l’intérieur et retrouve son père. Les deux hommes s’installent et parlent affaires. Elle leur sert à boire et continue d’observer le lascars.
Si ce n’était la maigreur il serait plutôt bel homme. Des cheveux châtains clairs presque blonds et des yeux gris lui donnent un air de douceur conquérante qui ne doit pas déplaire aux femmes.
Sa voix est envoûtante et votre attention est tout de suite captée par ce qu’il raconte. Dommage que ses expectorations n’interrompent constamment son récit.
Émilienne sans qu’elle s’en rende compte s’est assise et boit ses paroles.
A ce rythme là il n’arrivera qu’à la nuit à Surgères. Elle le raccompagne et avant de partir il lui tend sa main osseuse . Ce contact l’émeut plus que de raison et elle voit partir Arthur avec un sentiment de tristesse qu’elle ne devrait avoir en voyant partir un inconnu.