Emilienne se consacre à son fils René c’est sa préoccupation principale, Martial Billeaud l’instituteur lui assure qu’il faut qu’il obtienne son certificat d’étude et qu’il poursuive ses études car ses capacités à apprendre son considérables.
Aux oreilles d’une mère la chanson est belle mais sans l’aide de ses parents elle ne pourra pas la mener bien loin. Elle est persuadée que son fils vaut mieux que de devenir marchand forain ou maréchal ferrant. Il lui reste à persuader Maximilien son père.
Elle en parle à l’instituteur qui pour avoir plus de poids en parle au curé.
Ce dernier qui n’est pas en odeur de sainteté chez le vieil épicier sera chargé de persuader sa femme Angélique. C’est une sorte de conjuration entre l’autorité civile et l’autorité religieuse pour permettre à un petit orphelin de s’élever un peu.
En tout cas elle est si persuadée de réussir qu’elle s’épanche sur le sujet et qu’on juge qu’elle pète plus haut que son cul un peu prématurément.
CHEZ LES GOUGAUD
A table l’ambiance est un peu empesée, on entend que le bruit des couverts qui choquent sur la porcelaine.
La mère qui de toute sa vie n’a jamais rien fait en parle quand même avec outrance.
Pour un peu c’est elle qui aurait fait la fortune de son mari par un génie des affaires qu’elle aurait hérité de son père. Certes l’affaire n’était pas mauvaise et la dote substantiellr mais de là à faire croire à ses filles que sa fortune a sauvé celle du négociant Gougaud empêtré dans les difficultés du phylloxera il y a un pas.
Denise et Lucie regardent leur mère puis leur père, celui-ci ne dit rien et ne contrarie pas sa femme.
Les deux sœurs reviennent de La Rochelle où elles ont trouvé une atmosphère étrange à la vieille ville.
Elles racontent à leur mère ce qu’elles ont vu.
Le vieux port est arpenté par les nombreux militaires américains qui accostent au port de La Pallice. Ils ont les poches pleines de dollars et les dépensent facilement.
Les bistrotiers se frottent les mains et les caïds du port ont du mal à recruter des dames pour satisfaire les ricains qui s’imaginent que toutes les françaises sont disponibles de cette façon.
Les deux filles, qui sur le quai Duperé attendent leur voiture et voient le manège des femmes courtes vêtues, outrageusement peintes et les poitrines orgueilleuses qui dans un mélange de français et d’anglais attirent les soldats. C’est un grouillement incessant, des va et vient, des cris, des rires, des disputes. Elles ont toutes des clients, même une vieille édentée qu’en temps normal on délaisse retrouve l’activité de ses vingt ans. Pour une fois son maquereau ne lui mettra pas de dérouille pour n’avoir pas gagné assez.
Denise est outrée et outragée par ce commerce des corps mais en fille non sevrée de ces choses elle en vient à les envier un peu. Tous ces hommes qui veulent avant de mourir posséder une femme alors qu’elle seule dans son âme et dans son corps n’a aucune ressource ni aucun secours de ce type.
Mais un militaire, soudain s’arrête à coté d’elles. Sanglé dans un uniforme impeccable il se présente.C’est un officier américain qui en un français d’école leur demande son chemin.
Denise rougit jusqu’au cheveux, Julie balbutie, on a l’impression que le soldat leur a proposé la botte.
Non il veut simplement aller à la gare. Les deux sœurs se proposent spontanément de le conduire là bas.
En chemin il leur explique qu’il va sur le site de construction des wagons acheminés en pièces détachées depuis les Etats Unis via le port de la Pallice.
Ce vaste chantier est installé près de la gare, c’est une véritable fourmilière où des milliers de wagons sont montés puis chargés avant de partir au front ravitailler les troupes du nouveau monde qui viennent sauver l’ancien.
Les deux filles se servent de leur souvenir pour agrémenter d’un cours d’histoires locales la balade qui les emmènent à la sublime gare non encore terminée du fait de la guerre mais qui est déjà surplombée par une tour de 45 mètres de haut ce qui en fait le bâtiment le plus haut de La Rochelle.
Ils ont tôt fait d’arriver à destination. Le jeune officier prend la main de Lucie et lui dépose un baisser. Il en fait de même pour la main de Denise .
Pour les deux vierges, ce baiser main à l’ancienne vaut plus qu’un long baiser, elles sont transportées dans un autre monde. Cela fera quelque chose à raconter aux parents.
En revenant sur le vieux port, elles croisent également des soldats nègres. C’est la première fois qu’elles voient des hommes de couleur en vrai. Elles ne peuvent s’empêcher de les dévisager ce que font également les soldats mais pour d’autres raisons.
Elles pensent au fond d’elles mêmes que l’Europe va mal si elle doit prendre comme arbitre de sa destinée des sauvages.
Mais ce qui les choquent encore plus c’est près de l’ancienne écluse un groupe d’éclopés qui se baladent. L’hôpital de La Rochelle reçoit évidemment comme tous les autres hôpitaux de France des blessés du front. Cela prouve, finalement plus que les morts qu’il y a une guerre dans le pays. C’est un rappel vivant de la souffrance, membres amputés, visage détruits. Au Gué d’Alleré bien sur, elles savent qu’il y a un lot de souffrance mais jamais elles n’y croiseront une dizaine d’éclopés en même temps. Elles sont chamboulées et ont hâte de regagner leur campagne.
Alors à table pour une fois qu’elles ont des choses à conter elle s’en donnent à cœur joie. L’officier américain, les blessés, les nègres, les wagons en construction tout y passe. Il n’y a que la vision des prostituées et des militaires qui bavent devant cette nourriture terrestre qui n’est pas abordée. Denise et Julie ne se voient pas raconter cela au parents.
Marie Chauvin qui sert et dessert ne perd pas une miette du récit des deux filles. Elle n’a rien à dire, car elle est cloîtrée au Gué depuis des années.
Le maire est plutôt heureux depuis le décès du pauvre Bouffard il n’y a pas eu d’autre drame à annoncer.
C’est une accalmie peut être annonciatrice de la fin de la guerre.
Il ne le sait pas mais en lisant le journal ce samedi 13 avril il a l’impression que les allemands en tentant une ultime attaque sur le front anglais sont à la limite de leurs possibilités.
Il apprend également que devant se rendre à la foire de Courçon , il devra emmener son pain si il veut déjeuner là bas. Cela le fait sourire, c’est un détail mais qui en dit long.
Il est horrifié aussi par les bombardements à longue portée sur Paris, c’est présenté comme des crimes, ces bougres de salauds devront bien un jour justifier de leurs actes.