LE ROMAN DES MORTS, Épisode 45, le maréchal des logis

Benjamin Sorlin

Maintenant qu’il est maréchal des logis il devient chef de pièce, c’est une lourde responsabilité.

Son régiment est équipé de 155 long et de 155 court, Benjamin est dans le groupement des courts.

Le canon a une portée de plus de 10 kilomètres et fait merveille dans la destruction des retranchements ennemis. Sa mise en œuvre est assez facile, mais pour le transport cela reste à voir. Les pièces sont tractées par des chevaux le plus souvent bien que le modernisme progresse à grands pas et que des auto-tracteurs apparaissent.

Chaque pièce hippomobile attelant un canon a généralement à sa tête un maréchal des logis et compte une vingtaine d’hommes ; 2 brigadiers et maîtres-pointeurs, 8 servants, 7 conducteurs montés, 1 ou 2 conducteurs non montés, 17 chevaux et 2 voitures : une à 8 chevaux pour le canon et une à 6 chevaux pour le caisson. Ce dernier peut transporter 28 obus, 3 caisses à gargousses (charges de poudre), 3 servants avec leur équipement et divers accessoires ou en service de ravitaillement 36 obus et trois caisses à gargousses.

Lorsque plusieurs dizaines de canons sont ainsi déplacées cela fait une logistique énorme.

Benjamin a du mal à trouver le sommeil tant les responsabilités sont pour lui écrasantes. Habitué à travailler avec son jeune apprenti, le commandement des autres, même à petite échelle, le trouble énormément.

Mais ce qui le perturbe le plus c’est qu’il a l’impression de se sentir de mieux en mieux. C’est bizarre, autant il a de la tristesse lorsqu’il lit les lettres d’Adélia, autant la responsabilité qui lui incombe le gonfle d’orgueil et d’importance. A chaque fois qu’un tir est effectué sous sa responsabilité il en ressent une excitation que même ses hommes perçoivent, l’un d’entre eux lui a même dit  » tu sembles jouir à chaque départ de feu  ».

Il s’en défend, rigole, tourne cela à la blague, mais au fond de lui même il se surprend à aimer la guerre.

Il ne s’ouvre pas à cela dans les lettres qu’il envoie, car Adélia ne comprendrait pas, mais il se décide à en parler au jeune aumônier.

Celui-ci l’écoute avec attention, puis en quelques mots le rassure, la guerre modifie le jugement de ceux qui la vive, il est à ce qu’il fait et sert la nation avec patriotisme. Ce n’est pas l’amour du sang, de la puissance et de la mort qui l’animent non, c’est plus beau que cela, non c’est simplement l’abnégation de soi au service de la patrie.

Les paroles du curé le rassérènent, ne pas penser à cela, il faut vivre et survivre et pour cela il faut vaincre.

Dans un curieux courrier qu’il reçoit, d’Adélia il perçoit que cette dernière souffre de son absence physiquement et intimement parlant. Cette dernière est pudique et n’a jamais rien exprimé de semblable. Il en est troublé au possible et au chaud dans sa casemate, allongé dans son châlit de bois, il fait un rêve d’homme.

Au vrai ils en font tous, il les entend, certains gémissent en leur sommeil, crient, pleurent , appellent leur épouse ou leur fiancée. D’autres ignorant la présence des copains se prêtent au jeu d’un plaisir solitaire.

Lui n’est pas spécialement prude mais cette présence pesante, se manque d’intimité l’empêchent sereinement d’agir .

Alors il rêve et rêve encore, son corps en sort douloureux, son ventre est meurtri, mais en fin il est fidèle à Adélia.

Nous sommes en août et le régiment est sollicité pour une offensive pour dégager Verdun. C’est la deuxième armée qui va se charger de cela. Le but est de prendre la crête du Chaume, des Fosses, du point 378, du Talou, du Mort Homme et de la cote 304. Ces lieux sont mythiques et arrosés du sang de la jeunesse française et allemande.

C’est un coin de France à délivrer, Benjamin se voit assigné avec son groupe le ravin des vignes.

Les batteries en place, commencent alors le concert, le feu d’artifice, l’orage, tout est enfer, jour et nuit. Guidés par les observateurs, les obus fuient les bouches à feu et sèment la mort sur les positions ennemies.

C’est une pluie que les français déversent sur les allemands, mais ceux ci ne sont pas en reste, le ravin est bombardé constamment, plus aucun moment de repos.

Benjamin tombe de fatigue, ils ne peuvent manger , tout est danger, aucun geste n’est anodin, tout n’est que mort et dévastation. Puis alerte au gaz, les servants doivent maintenant travailler et combattre avec le masque. Ils ressemblent à des cochons ou bien à des personnages de vingt mille lieux sous les mers. Ils ne voient rien avec la buée, halètent, s’essoufflent. C’est absolument terrible , certains s’abattent comme des chevaux, morts de fatigue on les relève à coups de pied. Mais malgré la protection des masques, les insidieux gaz se faufilent, brûlent et asphyxient quelques malheureux. On doit les évacuer, la guerre est finie pour eux et pour la plupart leur vie.

Benjamin serre les dents, plus rien ne compte, combattre et survivre. Plus aucune lettre n’arrive, mais ce n’est pas la préoccupation principale. Les ventres sont vides, les hommes chargés de bidons sont hachés par les projectiles. Certains mangent, alors que cent mètres plus loin on crie famine.

Un obus frappe un camion contenant des munitions, l’explosion est effroyable, des corps, de la ferraille incandescente sont projetés. Benjamin sent un liquide chaud lui couler dans le cou, il n’a rien, n’a pas mal, sa vareuse est maculée de résidus sanguin et de chair, il veut fuir se jeter comme une fillette dans les jupons d’Adélia, mais elle n’est pas là.

Il pleut toujours de l’acier mortel. Le temps dur longtemps, jamais cela n’a paru si long, c’est sûr ils vont tous y rester

 

2 réflexions au sujet de « LE ROMAN DES MORTS, Épisode 45, le maréchal des logis »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s