LE ROMAN DES MORTS, Épisode 44, les lettres

Émilienne la veuve

Un soir après son travail, Émilienne rentre chez elle, normalement elle doit y trouver son fils René. Il a douze ans et ressemble beaucoup à son père, mais la juvénilité de son visage atténue encore les traits de la sauvage beauté de son papa.

Il est là accroupi avec son chat entre les jambes, le gros matou ronronne et lui, chante.

Elle l’observe et l’écoute, sa voix claire a entonné une chanson joyeuse. Le ton monte peu à peu, il se croit seul. Sa mère sent tout le caractère joyeux de cette voix qui monte vers son avenir.

Elle reste immobile ne voulant troubler l’instant de bonheur qui volette dans la pièce endeuillée. Puis mue par quelque chose de profond, elle se met aussi à chanter, sa voix s’accorde bientôt à celle de son fils, formant un duo. Son fils pénétré de l’instant se lève et prend les mains de sa mère. Doucement accompagnés de leur voix les deux forment ronde. Ils accélèrent leur chant et tournent et tournent encore. Émilienne rit, Émilienne pleure, Émilienne chante, Émilienne revit

Son fils vient de lui faire comprendre que cette saloperie de guerre n’aura pas raison d’elle, qu’il faut qu’elle aille de l’avant, pour lui, pour elle.

En faisant le dîner, elle se met de nouveau à imaginer qu’elle pourra de nouveau le préparer pour un autre homme. Cela ne sera pas trahison elle en a conscience. Son Alexandre pour sûr ne serait pas resté sans femme, alors si la providence le veut elle se blottira de nouveau dans les rudes bras d’un bon travailleur.

Elle regarde le cadre d ‘Alexandre ni voit aucune objection, alors il en sera ainsi.

Mais faire un choix n’est pas aisé, il n’y a peu d’hommes disponibles. Certaine qu’elle ne veut pas un vieux dégueulasse ou un jeune gringalet les choix sont restreints.

Sûrement devra t- elle attendre la fin du conflit, mais alors vu le grand nombre de veuves,  la concurrence sera sévère.

Maintenant qu’elle sent qu’elle retrouve un peu de sérénité, elle veut être complètement en règle avec elle même. Courageusement elle décide d’aller trouver le maire. Elle juge finalement qu’il s’est trompé sur elle, que sa tenue a été mal interprétée. Il a perdu la tête mais aussi finalement la face, ce n’est pas un mauvais bougre, il fait beaucoup pour la commune.

En face de lui elle s’aperçoit que l’homme est un peu veule, son teint devient blafard, il a peur d’une esclandre. Il manipule sa plume et en tache le document qu’il écrit. Émilienne s’efforce en quelques phrases de dénouer la situation, mais les mots ont du mal à percer la brume de sa pensée. Pour un peu elle s’excuserait, mais finalement en termes bien sentis elle lui explique qu’une femme seule n’est pas forcement à prendre, qu’une femme en négligé n’est pas à forcer. Mais qu’il y a eu confusion et que le mieux serait de reprendre des relations en toute amitié.

Le maire la face rubiconde de contentement acquiesce et en homme respectueux des femmes la prie d’accepter ses plus plates excuses.

La messe est dite, Camille peut enfin se repentir de l’acte qu’il a failli commettre.

Son geste était maladroit alors que ses intentions étaient pures .

Il peut se remettre au travail pour ses administrés.

Adélia Sorlin

Elle n’a jamais autant écrit de sa vie, à peine a t’ elle cacheté sa missive qu’elle pense au contenu de la suivante.

Cela devient comme une drogue, une habitude, le soir en rentrant du travail elle s’assoie en face de son petit cabinet de toilette, elle y pousse la cuvette  et de sa petite écriture de chatte ,relate sa journée et donne des nouvelles des enfants.

Elle brosse aussi en sachant qu’il appréciera un tableau de l’atmosphère qui règne au village, les potins, les décès, les petits riens.

Elle se fait madame de Sévigné, elle se fait comtesse de Ségur, elle pense même à écrire une sorte de journal où elle se confierait. Cela serait son tiroir aux secrets, son confessionnal. Mais  il est facile de d’écrire son quotidien il l’est beaucoup moins de sonder son âme et de retranscrire ses sentiments.

Un soir alors qu’elle vient de relire les lettres de Benjamin, elle se décide, ouvre un cahier d’écolier qu’elle a acheté à l’épicerie de chez Drappeau.

Sa plume est suspendue, rien, mon Dieu que c’est pas facile, puis elle commence et exprime son amour pour son mari,. Les mots glissent sur la page, l’un entraînant l’autre. Les phrases se construisent, ce qu’elle écrit la trouble. Elle s’arrête, ses enfants dorment du sommeil tranquille de l’enfance.

Elle se dévêt et se couche en emmenant son cahier. A la lumière de sa bougie sur ses genoux elle continue telle une madame de Stael ou une Aurore Dupin.

L’ambiance est presque surréaliste, la lueur de la bougie amplifie les objets, le rougeoiement des brandons qui se consument, confère une chaleur mourante.

Mais elle n’a pas froid, son esprit l’emmène dans les bras de Benjamin. Pour un peu elle reverrait en songe toutes les fois où son mari lui a fait l’amour. Elle se souvient comme si c’était hier de leur nuit de noces. Ils étaient tremblants tous les deux même si lui faisait son mariole.

Elle est avec lui maintenant, pose sa tête sur son torse, elle tire sur les poils de sa poitrine en rigolant. Lui tente d’en saisir de plus intime, c’est une lutte de gamins excités, c’est une bataille d’amants. Sa plume tombe de ses mains, le cahier glisse à terre. Son ventre est dure se contracte, une vague de chaleur descend jusqu’au plus profond de son intimité. Il est là, elle le ressent.. Elle pousse un cri et se rend compte que finalement elle est seule, au fond de la pièce sa fille gigote et geint légèrement . Elle se sent un peu penaude, un petit peu honteuse, Benjamin fait-il des rêves de ce genre. Jamais elle n’osera lui demander, mais ce qu’elle est sait assurément, c’est que demain son rêve sera couché sur le papier. Son calme intérieur ne revient pas, car finalement ce n’était pas un rêve mais une manifestation bien physique de l’amour qu’elle porte à Benjamin. Elle n’est pas cultivée mais constate pourtant que l’esprit peut se révéler plus fort que le corps.

Elle vient de recevoir une lettre de son benjamin, elle exulte il vient de changer de grade. Aussitôt elle court l’annoncer à sa famille et à ses amis.

Il est soudain promu au rang de héros, il est Achille, il est Murat, peut être même Napoléon.

Elle est aussi heureuse qu’une femme de général à qui on annonce que son militaire de mari obtient le bâton de maréchal.

C’est d’ailleurs la même chose, car Benjamin devient maréchal mais un peu moins glorieusement on y rajoutera des logis. Cela ne fait rien après celui de brigadier, celui de maréchal des logis récompense sa bravoure.

Devant elle on la congratule on l’embrasse, mais dès qu’elle est partie les méchants se moquent en disant qu’un si petit grade ne mérite pas une telle débauche de joyeuseté.

Les plus durs estiment même que cela ne l’empêchera pas de se faire tuer, ils ont sans doute raison mais pourquoi le dire, pourquoi s’exprimer sur le sujet. La guerre continue et l’on pourrait édifier une pyramide plus haute que Khéops avec les os sacrifiés de la jeunesse française.

En attendant Adélia exulte, montre ses lettres et se promet que chaque soir elle écrira et écrira encore.

Pour l’heure elle n’a plus de chandelle et bien que les prix se soient envolés il faut qu’elle s’en procure.

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