LE ROMAN DES MORTS, Épisode 43, une année de guerre ordinaire

1917 au village et ailleurs

La guerre se prolonge, dure mais un espoir apparaît enfin, les États-Unis déclarent leur belligérance contre les empires centraux.

Le conflit qui dure depuis de nombreux mois et qui s’est stabilisé dans les tranchée épuise les ressources. Les Allemands qui souffrent de disette à cause du blocage de leurs côtes par la marine anglaise reprennent la guerre sous marine.

Un calcul statistique leur fait présumer qu’ils réussiront à briser l’Angleterre avant l’arrivée des soldats américains.

Au village on dit même que le matériel et les troupes de secours arriveront au port de La Rochelle La Pallice.

Les plus optimistes pensent que les hommes seront là pour les moissons, quand aux autres ils imaginent parfaitement bien que ces troupes inexpérimentées devront s’entraîner avant que de passer à l’offensive.

L’autre jour au café d’Alcide Berthet, les hommes en sont venus aux mains. Une idiotie qui a pour origine la montée en puissance du culte du vainqueur de Verdun.

Les uns prêchaient pour Pétain d’autres pour Mangin, toujours est -il que tous les grands y passèrent, Joffre, Pétain, Nivelle, Gallièni, Foch, Mangin. Le ton monta, les tournées respectives augmentant l’énervement. Un poing s’éleva et ce fut une belle pagaille.

On appela le garde champêtre Petit, le pauvre vieux plus habitué à remettre des télégrammes qu’à rétablir l’ordre faillit se retrouver le cul à l’air dans le ruisseau.

Il s’enfuit et alla chercher le maire. Il fallut à ce dernier toute son autorité, aidé de celle de l’instituteur et de son adjoint Charron pour rétablir l’ordre.

Chacun rentra chez soi mais l’atmosphère qui régna ensuite au village sentait le souffre.

Les femmes plus raisonnables, mais que connaissaient-elles à la guerre, considéraient que les généraux et les hommes politiques étaient tous les mêmes, en cela qu’ils conduisaient leurs enfants à l’abattoir.

Le maire dont l’autorité défaille un peu vient de recevoir un courrier de la préfecture.

Celle-ci s’inquiète de la recrudescence des chevaux en incapacité à être réquisitionnés. A croire que tous les canassons du canton sont boiteux et malingres.

Gougaud sait que certains vétérinaires sont un peu laxistes sur le sujet et favorisent les paysans. Il va falloir qu’il intervienne discrètement .

Dans les trois écoles, garçons, filles, et école privée, la férule des maîtres encourage le patriotisme, à défaut de bon élève pour le certificat on doit former les jeunes à l’obéissance civique et morale. Tous ces gamins doivent penser que la guerre est juste et que l’Alsace et la Lorraine doivent revenir à la France.

Martial est convaincu de ce qu’il dit d’autant que son fils Henri est soldat maintenant.

Prenant son rôle très au sérieux il a même tendance à se transformer en adjudant de compagnie avec sa femme qui on s’en doute n’apprécie guère.

L’état de certains petits est déplorable, les godillots sont troués, les chaussettes non rapiécées. Les robes des filles qui font en général plusieurs enfants ont beaux être rallongées, cela donne l’impression qu’elles n’ont plus rien sur le derrière.

Les garnements ont compris la chose et poursuivent à la sortie des classes les fillettes afin d’apercevoir une culotte blanche.

Billeaud doit s’entretenir avec sa consœur Léonie Lacour sur le sujet, la santé morale des enfants est en jeux. D’autant qu’avec des classes uniques certaines gamines sont presque femmes.

Apparemment, il s’est passé quelque chose d’important à l’autre bout du continent, une révolution dit-on. L’empereur de Russie Nicolas II a abdiqué laissant place à un gouvernement provisoire. On commence à entendre les mots de Menchevique et de Bolchevique et de sociaux révolutionnaires.

On y comprend pas grand chose au village , mais l’instituteur dit que cela va changer le cours de la guerre.

Nos braves gens du coin qui pour la plupart n’ont jamais dépassé Saint Sauveur, Benon, Ferrières, Aigrefeuille et Surgères sont septiques sur l’influence d’un mouvement populaire à Saint-Pétersbourg sur cette foutue guerre.

Si l’on comprend bien ce qu’il se dit à demi-mots, les Russes vont finir par se retirer de la guerre et les Américain vont y entrer.

En attendant des morts et toujours des morts

Le 5 mai 1917 a Vauxaillon est mort le fils d’Auguste Mérand et de Cousin Olinda.

Caporal au 21ème régiment d’infanterie coloniale qu’il était le Charles. Ses parents étaient fiers de ce simple grade comme si il avait été promu à Saint Cyr.

D’autant plus fier qu’il venait d’être cité à l’ordre du régiment pour avoir fait preuve d’intrépidité au cours d’une reconnaissance d’une patrouille ennemie et ce malgré le feu nourrit de mitrailleuses ennemies.

Olinda dont c’était le seul fils pleure et déclare avec emphase qu’elle va faire faire un beau cadre pour y mettre sa belle croix de guerre avec étoile de bronze.

Avec son portrait et leur propre globe de mariés cela fera une belle décoration et un autel où se recueillir et pleurer. Auguste a même acheté un beau portrait du général Pétain qu’il mettra sans doute à coté de celui de son fils.

Gougaud en pleure de voir cette jeunesse qui s’en va. .

Mais un malheur n’arrive jamais seul, deux jours après c’est la famille Néraudeau qui perd l’un des siens. C’est un peu particulier d’annoncer la mort d’un fils à une mère qui est déjà morte.

L’impression est vraiment pénible, Joséphine Roy ne ressemble que de très loin à la belle femme qu’elle fut jadis. La mort de son mari Honoré l’avait déjà profondément affectée il y a quinze ans mais elle avait fait front.

Elle avait ses enfants à élever, Constant,,Arthur, Fernand et Angèle et courageusement en travaillant jusqu’à l’épuisement elle avait réussi à les voir grandir.

Maintenant elle se tenait debout près de son lit, son corps gainé d’une robe noire laissait paraître une maigreur extrême. Les cheveux gris attachés en arrière faisaient presque une tache de couleur dans cette immobilité de deuil.

Depuis qu’on lui avait annoncé la mort de Fernand en octobre 1914 elle avait cessé d’exister. Angèle sa fille qui aurait bien voulu s’envoler et naître femme dans les bras d’un homme restait avec elle. A son chevet devrait-on dire.

Alors quand le maire avec sa mine de circonstance entra dans la maison il crut être dans l’antichambre de son propre tombeau.

Avant qu’il ne dise un mot bien sûr elle savait mais ses yeux implorants lui demandaient d’enfin poursuivre, d’enfin lui dire lequel de ses deux fils restant était mort.

Gougaud articule avec peine le prénom Constant, c’est le plus vieux, trente et un ans, du 18ème régiment d’infanterie. Il a disparu à Craonne, rien, plus rien de lui, peut être prisonnier qui sait il faudra attendre confirmation. C’est encore plus terrible, soit il réapparaîtra dans une quelconque ambulance où Joséphine recevra une carte d’un camps en Allemagne ou bien jamais elle ne retrouva ne serait-ce qu’un morceau de la chair de sa chair.

Deux enfants en trois ans.

Le troisième Arthur est au 27ème régiment d’artillerie peut-être est-il moins exposé.

En attendant, aucune larme, la source est tarie, aucun tressaillement dans le visage, aucun clignement de cil, il a l’impression qu’elle n’a pas entendu. Mais enfin le mannequin s’anime en un rôle de désespoir, vivre avec la vision de ses deux fils qui agonisent. Angèle qui a l’avenir devant elle, se sent perdue devant sa mère, elle ne sait comment soulager sa peine, elle ne sait même pas quoi faire de ses mains.

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