LE ROMAN DES MORTS, Épisode 39, le Noël des femmes

La messe de minuit

Les cloches de l’église Saint André viennent d’appeler les fidèles, c’est la nuit de la nativité, celle du renouveau, de l’amour et de la joie. La force vive de la patrie défend la terre de France et c’est presque une assemblée de femmes que le curé Niox a devant lui.

Il y a bien sûr les enfants et les vieux mais il règne sous la nef comme un parfum de lavoir, une odeur de savon, une flagrance de femme qui en ce jour de fête ont fait grande toilette.

Tous arrivent par paquet, amis, famille, c’est selon, mais en ce soir de décembre 1916, la couleur dominante est le noir.

La nuit de la veuve se dit le curé en regardant arriver ses ouailles.

Loetitia arrive la première, depuis la mort de son mari elle a embelli, son port est celui d’une reine. Elle est ravissante de rondeur que c’en est pitié que personne ne la consomme. Elle porte une voilette de deuil, mais ses yeux transpercent les maladroits qui la fixent. Elle exhibe un sourire carnassier. En un autre lieu on aurait pu dire qu’elle allait à une présentation devant une quelconque majesté sur son trône.

Martial Billeaud de son regard scrutateur la mangea du regard, une veuve noire, bien désirable, sans lien et dit-on sans frein en rigolant au café.

Puis ce fut l’impénétrable Emilienne, elle aussi toute de noir vêtue, un port de tête majestueux compensant sa petite taille. Aucun sourire, aucune expression n’émanait de son visage, une madone de Rubens, une vierge du Titien, une déesse antique. Les yeux mis clos, observant l’assemblée, balayant d’un regard l’église comme une actrice scruterait le parterre et les baignoires.

Gougaud encadré par la Berthe et ses deux vieille filles se dit qu’il consolerait bien une telle veuve. Ne doutant guère que cette délétère silhouette lui redonnerait la vigueur de ses quarante ans.

Les autres veuves entre ces deux majestés ne paraissent guère, Fernande Rousseau la veuve Brillouet est une femme détruite et n’a encore pas surmonté le drame qui a touché son foyer.

Joséphine Brillouet veuve Hillaireau a aussi perdu sa jeunesse d’antan, une ombre, un fantôme, le teint blanc d’un suaire, les yeux transparents, vides et perdus.

On dirait que les deux nymphes noires rivalisent en un défilé morbide, on oscille entre la montée au Golgotha, l’accompagnement au tombeau et l’accompagnement à l’autel pour des épousailles.

Adélia marche du pas lent d’une reine qui monte à l’échafaud, elle fait traîner l’ébahissement des foules comme pour prouver que la mort n’a pas de prise sur elle, sur sa féminité , sur son corps. Malgré son costume de deuil elle s’expose comme si elle se promenait nue devant un sultan qui choisit sa compagne d’un soir parmi son harem. Tout en son corps invite l’homme, tout en son regard implore qu’on la prenne, elle est seule mais aspire à ne pas le rester.

Émilienne ne représente pas la même chose, elle transpire la vulnérabilité, on a envie de la rassurer, de la prendre dans ses bras et lui chuchoter des mots doux. C’est un concours d’attirance, un foirail de femelles qui veulent se vendre morigène le curé dans sa belle étole. Les autres femmes, les vieilles, celles qui sont devenus veuves par l’usure du temps juge que le spectacle est aussi indécent qu’un étalage de cocottes dans la petite rue du port de La Rochelle.

L’apparition de Cléopâtre ou de la duchesse de Montespan n’aurait pas plus choqué que la vue de ses deux jeunes veuves attirantes sous leurs habits de veuvage.

La Berthe Petit qui sentait que l’esprit de son mari voguait vers des continents lointains lâcha un  » c’est pas pire que si elles montraient leur cul »

Niox reprit son auditoire en mains et s’évertua malgré l’absence des pères , des fils et des maris de faire offrande de la plus belle messe à ces malheureux dans l’affliction.

Il fut beau , il fut grandiose, un évêque n’eut pas été plus magnifique.

En sortant malgré la froidure, des groupes se forment et engagent la conversation. C’est à ne pas en croire ses yeux. Ces hommes et ces femmes qui se voient tout le jour, trouvent encore sujet à discussion, ce n’est que bavardages de commères ou bavardages de foire aux bestiaux. Le curé qui s’attendait à tous les voir s’envoler comme une nuée de merles est bien mari de les voir s’entretenir de futilités sous le froid ombrage des hauts tilleuls.

Il n’y a qu’autour de Loetitia que le vide s’installe, elle repart seule dans le noir, mais de multiples regards concupiscent ,suivent sa croupe chaloupée.

Les villageois rentrent voir si la bûche de noël se consume avec lenteur, chacun avec ses moyens va faire un petit repas et chacun pensera à son soldat sur le front et à l’année 1917 qui verra peut être la guerre se terminer.

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