Le Gué d’Alleré fin 1916.
Les uns avaient perdu un cheval, un frère, un bœuf, un mari, une partie de sa récolte où un fils, tous étaient liés par une perte. Tous les villages pleuraient ses morts, mais l’espoir semblait renaître, les Allemands n’avaient pas percé sur Verdun, les vieilles nations s’épuisaient et bientôt une plus jeune entrerait dans l’holocauste sanglant.
Loétitia depuis son aventure s’était réfugiée dans la religion, un matin ni pouvant plus, était allée se confesser au curé Niox.
Cela lui avait beaucoup coûté, mais elle devait en passer par là pour soulager sa conscience vacillante. En confiant son secret au représentant de Dieu elle délivrait son âme.
Mais que ne fut sa surprise lorsque dans le confessionnal, le curé l’avait rassurée et tranquillisée. Il n’y avait aucun péché, la mort de son mari l’avait délivrée d’un serment, son amant n’avait aucun contrat ni aucune chaîne. Elle était donc libre de son corps.
Elle qui avait toujours cru que l’église ne reconnaissait pas l’acte de chair en dehors d’une union conjugale, se voyait absoute. Elle était repartie de l’église moins piteuse qu’elle n’en était arrivée.
Sans doute la vie redeviendrait joyeuse, elle le sentait. Mais lorsqu’elle pénétra dans sa maison, un frisson la parcourut.
Maintenant habituée, elle jouait avec cette présence qu’elle ressentait . Lorsqu’elle mangeait elle entendait comme un bruit de succion, Édouard était bruyant lorsqu’il buvait sa soupe. Lorsqu’elle se déshabillait un regard la scrutait, lorsqu’elle se couchait elle avait l’impression que sa couche était déjà chaude. Ce sentiment était étrange, mais aussi rassurant.
En attendant, seule à sa table, elle pensait qu’elle allait devoir vendre ses terres, c’était presque inéluctable. Lorsque tout le monde rentrera, que la guerre sera finie, l’entraide s’arrêtera et elle sera toujours seule.
De plus la mécanisation des travaux agricoles entraînait beaucoup de frais, elle n’aurait pas les moyens et crèverait à petit feu et devrait laisser ses terres à des Gougaud ou à des Michaud.
Denise Gougaud
Denise est comme une gamine, l’officier, son bel officier vient à la maison. C’est une révolution car jamais un homme n’était venu pour elle. Enfin elle va se marier et quitter ce village de bouseux, cet endroit ou le fumier est roi, ou les tas de paille sont plus hauts que les maisons et ou les gens sont malpropres. Oui elle va fuir cette société étriquée, tenir salon dans une grande ville, porter des belles robes qu’elle montrera sur le Mail de la Rochelle. Elle pourra même se baigner dans l’océan sans que la pruderie de sa mère n’en s’en offusque. Elle sera enfin libre de son corps, elle le donnera à son mari quand cela la chantera, son intimité ne sera plus partagée avec l’invasive Lucie. Elle ne devra plus supporter la stricte surveillance de sa duègne de mère. Puis elle ne croisera plus cette Marie Chauvin qu’elle abhorre, sa bonne sera dressée à sa convenance, il ne faut pas laisser les petites gens prendre trop d’importance.
Il est là à table à la droite de Gougaud, Marie a été priée de se surpasser. Ce qu’elle a fait avec obéissance bien qu’elle se soit retenue de cracher dans le plat.
La conversation va bon train, les obligations de guerre, les progrès sur le front, le remplacement des généraux.
Denise est passionnée et boit les paroles de son peut être.
Mais quand parleront-ils d’elle.
Cela ne sera pas pendant le repas, mais après. Le père et l’officier s’enfoncent dans l’antre du maître , un confortable bureau où en majesté deux fauteuils de cuir accueillent les culs importants. Gougaud séducteur offre son meilleur Cognac.
Puis comme on vendrait une bête ou une pièce de vigne on discute à l’infini des moindres détails.
C’est fini, Denise a été bien vendue, Denise a été bien achetée.
Les deux tourtereaux sont autorisés à aller se promener dans la campagne.
Ils iront vers le bois de l’abbaye et plus tard Volcy le métayer ira leur porter une collation.
Chemin de l’Abbaye l’officier lui prend sa main gantée, chemin des charbonniers il s’encanaille et la prend par la taille. Aux aigues mortes le fier lieutenant à l’abri des haies vole un baiser. Comme il est sans conséquence, il en réclame un autre. Denise s’effraie un peu mais consent.
Ils remontent en coupant par un hallier en direction de l’abbaye de la grâce dieu et du bois l’abbé. Maintenant qu’il a goûté aux lèvres de Denise son appétit est aiguisé.
Elle ne tient pas spécialement à poursuivre la balade, son sixième sens féminin l’alerte d’un danger. Elle n’a pas du tout aimé le baiser et elle a encore dans la bouche se relent fétide et écœurant de la bouche avinée de son prétendant. Elle a une sorte de répulsion à son égard, c’est irrésistible. Jamais elle ne sera sienne, même si lui le croit et même si ses parents l’espèrent.
Le bois l’abbé n’est guère touffu et il est assez fréquenté, jamais il n’osera.
Pourtant dans un endroit qu’il juge assez écarté, il est pris de l’audace qu’ont les soldats auprès d’une fille de mauvaise vie. Il la prend par la taille, la presse, tente de lui voler un baiser. Elle se contorsionne, détourne le visage, elle sent son sexe qui fait pression sur sa taille. Elle va le mordre, le griffer, aucun son ne sort de sa bouche .Lui pense qu’il a passé contrat avec le père et qu’il peut avaler sa proie avant de partir guerroyer ou plutôt se pavaner dans un état major de l’arrière. Sa main de fer essaye de remonter sa jupe, enfin un cri sort de sa gorge. Il prend soudain conscience de ce qu’il fait , s’excuse, la supplie de ne rien dire, pour un peu il pleurerait.
Le retour est morne pas un mot n’est échangé. Au château les deux font bonne figure, mais le cœur n’y est plus. Lucy a compris que sa sœur ne se mariera pas et la peste de Marie Chauvin qui sait tout et voit tout s’en doute également.
Le fringuant officier à la particule partira finalement sur la Somme et comme beaucoup n’en reviendra pas.