LE ROMAN DES MORTS, Épisode 34, la veuve Tirant

La veuve Tirant

Toute de noire vêtue Loétitia avance avec ostentation vers le curé Niox pour y recevoir l’hostie. Elle se sent observée, scrutée, dévisagée. Elle a été malade et c’est sa première sortie. C’est une apparition divine, la couleur sombre de ses vêtements tranche avec la blancheur de sa peau. Ses yeux bleus que l’on aperçoit derrière sa voilette brillent de mille feux. On dirait des facettes de diamant.

Les mauvaises langues du village laissent parler leur imagination et prêtent à Loetitia de nombreux amants. Pour un peu elle satisferait tous les veufs, tous les jeunots et tous les hommes du village en général.

Il est vrai que de l’extérieur on imagine que cette femme qui souffrait sous le joug d’un gueulard et d’un soiffard est maintenant libérée.

Pour Loétitia c’est vrai et c’est faux à la fois, physiquement elle est bizarrement plus belle. Elle a grossi un peu, sa menue poitrine est devenue plus grasse, plus généreuse.

Son visage est plus rayonnant, ses yeux on l’a vu,sont plus éclatants. On a l’impression qu’elle revit comme libérée d’un poids que difficilement elle portait.

Si à l’évidence son corps a subi une transformation presque magique son esprit lui est beaucoup plus en souffrance. Le mal être pour les médisants est beaucoup plus difficile à percevoir et l’on se trompe aisément sur le compte de celui qu’on médit.

Loétitia n’a plus eu de commerce avec un homme depuis que son Édouard est parti et personne de sexe masculin à part le jeune Henri n’a franchi son seuil.

D’ailleurs pour elle les difficultés s’amoncellent, elle sait qu’elle n’arrivera pas à tenir les terres de son défunt toute seule. Elle va en crever, ce n’est pas le rôle d’une femme .

Elle rêve de vendre cette foutue terre et de partir loin de ce village. Un remariage serait une bonne chose mais c’est encore la guerre et les hommes faits ne sont pas légion. Elle ne veut pas se précipiter et de toutes manières préfère  marcher seule que mal accompagnée.

Pour ce qui est du reste, le petit Henri serait un formidable dérivatif, mais elle n’ose faire de ce gamin autre chose qu’un simple chevalier servant.

En attendant elle est donc le phare féminin du village, bel exploit pour cette femme de quarante ans.

Henri lui faisait flèche de tout bois il savait que si il ne conquérait pas cette citadelle maintenant, jamais il ne le ferait. La fragilité de loetitia transparaissait à chacune de leur rencontre. De plus la guerre ne s’arrêtant pas il allait être appelé bientôt sous les drapeaux. Il se dit judicieusement qu’il serait bon de jeter sa virginité avant d’aller mourir à Verdun où sur les rives de la Somme.

Il fait bien gris en ce matin et encore une fois le jeune Henri aide au champs la veuve. Martial bien étonné que son fils que n’attire pourtant pas la terre soit si assidu à rendre service.

Le pauvre si il savait les intentions cachées de son fils il est sûr qu’il renverrait son fils à La Rochelle et à ses chères études.

Le ciel n’a rien de sympathique et les fourmis qui travaillent sur leurs bandes de terre lèvent la tête inquiètes.

La chaleur gène leurs mouvements, Loetitia en haut de sa parcelle bine difficilement quelques touffes rebelles.

La sueur a depuis un bon moment mouillée son corps, son chemisier poisseux d’humidité lui colle le long du corps, ses cheveux indomptables s’échappent de son bonnet. Sa robe de laine est bien trop chaude, mais elle est noire et deuil oblige. C’est de toute façon la seule robe qu’elle peut encore mettre, elle a un peu forci et devra faire reprendre ses vêtements par la couturière du village. Pour l’instant ses finances défaillantes ne le lui permettent pas.

Dans sa gangue de veuvage elle maudit se soleil et en vient à espérer quelques gouttes de pluie.

Au plus loin qu’elle puisse voir des dizaines de femmes font les mêmes gestes qu’elle. C’est une armée d’amazones qui combat la terre du Gué. Les gestes sont aussi sûrs que ceux de leurs hommes, celles qui ne savaient, ont appris.

Au loin le petit Henri avec un ancien tentent de retourner une terre déjà bien sèche. Ses mains comme par magie se sont couvertes de cales et son teint blanc d’étudiant a pris une couleur plus paysanne. Si ses vêtements n’avait pas été si soignés on l’aurait pris pour un fils de la terre.

Du coin de l’œil il observe Loetitia, il est là pour elle mais doit s’en cacher. Elle pourrait être sa mère , mais n’allez pas y voir une perversion alors que ce n’est que du désir.

Le ciel est maintenant noir, presque la nuit, on entend le tonnerre et au loin des éclairs illuminent et trouent le gouffre des nuages. Henri comme son père lui a appris à compter l’espace temps entre le tonnerre et l’éclair. Ce n’est plus qu’à un kilomètre, de fait la gueule béante d’un immense flot cotonneux s’ouvre au dessus d’Anais et de Mille Écus.

Déjà bon nombre de travailleurs ont quitté leur champs courant vers l’ antre protectrice des maisons.

Henri n’ose pas bouger avant que Loetitia ne se décide à partir. Mais elle ne semble pas vouloir partir, concentrée sur son ouvrage. Il la voit lointaine comme une statue de marbre qui s’animerait soudain par le souffle d’un dieu de l’Olympe.

Une première goutte tombe, grosse et bien pleine, elle est suivie par d’autres. L’eau est tiède c’en serait presque un plaisir car elle rafraîchit la chaleur presque tropicale qui règne sur le fief Goton.

Il pleut plus fort, toujours plus fort, Loetitia se décide enfin, Henri va la rejoindre, ils sont seuls avec leur imprudence.

Ce n’est plus une averse mais un cataclysme. Ils sont sous une barrière d’eau, une cascade de montagne, le sol soudain se gorge et draine vers les terres basses des rigoles de boue. Henri prend la main de Loetitia, ils courent tous les deux à perdre haleine. Elle perd ses sabots, son bonnet pend lamentablement sur son cou retenu par un mince galon. Son chignon est celui d’une folle, à moitié dénoué recouvert par la masse folle des mèches lourdes de pluie.

Lui perd son chapeau et s’imagine déjà l’histoire avec sa mère, son pantalon n’est plus qu’une since non essorée, ses chaussures de cuir faites par un cordonnier de La Rochelle sont recouvertes d’une gangue boueuse, elles pèsent une tonne.

Les premières maisons approchent , la course folle contre les éléments continue, le tonnerre est comme le canon de Verdun et les zébrures du ciel enflamment le village.

Il n’y a plus âme qui vive dans les rues, seules les deux retardataires défient la colère divine.

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