LE ROMAN DES MORTS, Épisode 32, la permission

La permission

Alors que personne ne l’attend Benjamin pénètre dans sa maison, un feu dans la cheminée rougeoie, il fait une douce chaleur qui immédiatement efface les fatigues du voyage en train qui l’a conduit de l’Aisne à la Charente Inférieure.

Aussitôt il reconnaît les odeurs de son foyer, mélange de senteurs de cuisson, de feu, d’être humain, de propre.

Sur la table trône comme une invite une belle miche de pain qui sans doute vient de sortir de la gueule béante du four du boulanger Petit.

Avec son laguiole il trace une croix sur la croûte et s’en coupe une large et généreuse tranche. Près de l’évier sous une cloche en terre se cache un fromage. Avec le pain, cela sera son premier plaisir, le goût est différent du pain du front. Ce n’est peut être qu’une impression mais installé à sa table de chêne qu’il a lui même fabriquée cela devient une réalité.

Puis mû par une envie de reconnaître les lieux, il s’engouffre dans la petite pièce qui sert de chambre au couple. Sur le lit, il soulève l’oreiller d’Adélia et y trouve sa chemise de nuit. Froissée par la nuit, humide de sa sueur, elle est là comme une invite au désir. Il enfouit son visage dans le linge parfumé des senteurs animales de sa femme. Dans ce musc il la retrouve toute entière, la voit nue, la voit s’offrir à lui. Il avait oublié ce menu plaisir de voler une odeur, de pénétrer dans l’intimité de sa compagne.

Un brusque désir monte en lui, c’est irrésistible, incontrôlable. Il sent déjà sa femme avec lui, le long de lui et s’imagine qu’il voudra raccourcir la soirée, pour augmenter sa nuit.

Un bruit lui arrive diffus malgré sa surdité, la porte s’ouvre en grand et une gracieuse petite fille apparaît sur le seuil. Mon Dieu ce qu’elle a changé, la dernière fois elle avait encore le visage poupin d’un gros bébé, maintenant c’est presque une petite demoiselle. La copie d’Adélia. La petite surprise n’ose un mot, elle lâche son panier. Elle regarde le soldat en uniforme, mal rasé, maigre, sans oser le reconnaître. L’instant durE une éternité puis soudain un cri de bonheur surgit enfin.

Papa, papa, papa, elle se jette à son cou, le bise, le caresse, se gratte à sa barbe. Les deux pleurent et rient. Elle l’abandonne et lui crie en sortant, je vais chercher maman.

Le temps ne dure guère avant qu’une Adélia joyeuse pénètre dans la pièce. Les deux s’embrassent cérémonieusement au début, puis en une sorte de bacchanale, les baisers deviennent ceux d’amoureux.

Adélia ne sait plus quoi faire, préparer le repas, l’embrasser, le caresser, s’occuper de son linge, courir dans le village pour annoncer la nouvelle.

Mais d’un seul coup elle se rappelle qu’elle a laissé son petit André chez sa mère et que Benjamin ne l’a jamais vu, elle ressort immédiatement et va le rechercher.

Enfin son mari découvre sa progéniture, à qui ressemble t’ il, à lui, à elle, à ses parents à lui ou les siens à elle. Yeux bleus, yeux marrons, yeux noirs, c’est selon, Benjamin plaisante en disant peut6être les yeux du facteur. Une bourrade le fait taire, il prend le vermisseau le berce un peu puis le repose dans son berceau qu’il trouve vermoulu. Je vais lui en faire un magnifique dès demain.

Adélia est déjà au fourneau, elle veut lui préparer un bon repas, mais sans arrêt des visiteurs viennent saluer le permissionnaire.

Cela n’avance pas, Benjamin qui a le ventre vide s’impatiente un peu et tue le temps en buvant un verre de vin du pays. L’âpreté du gouleyant lui fait penser qu’il boit du petit vin fort peu alcoolisé depuis deux ans.

Enfin le festin commence, un pâté au herbe, puis une volaille bien juteuse, Benjamin enfourne le poulet comme si il n’en avait jamais mangé, la graisse lui coule le long des doigts et vient se prendre dans sa barbe.

La soirée est idyllique il parle tous les deux de tout et de rien , de leurs enfants, de leur avenir. Mais maintenant Benjamin aspire à prendre sa femme dans ses bras.

Mais il y a un obstacle majeur, Benjamin n’est pas des plus propres, cela sera un bain avant le grand saut dans le précipice de l’amour.

L’eau chauffe doucement dans la cheminée, le bébé dort, et l’on couche Aimée, elle maugrée un peu mais devant l’insistance de sa mère, elle s’incline.

Le voilà en tenue d’Adam dans la grande lessiveuse, Adélia l’arrose avec un broc comme elle le fait avec sa fille. Elle prend un savon et en maîtresse femme le passe sur le corps de son mari. Mon dDeu ce qu’il est sale, il mérite le gant de crin.

Mais le lavage devient jeu, il lui jette de l’eau, elle rigole, son corsage mouillée laisse voir la forme dodue de sa poitrine. Le jeu devient coquin, le savon tombe dans l’eau et elle part à sa recherche. C’est maintenant une joute aquatique érotique.

Il y a de l’eau partout, Adélia est presque aussi trempée que son mari. Il est temps de finir ce jeu. Les deux époux amants, vont maintenant se perdre sous l’immense édredon rouge. Ils font l’amour une première fois avec précipitation, ils en ont si envie.

Ensuite nus, imbriqués l’un dans l’autre ils s’imaginent la vie merveilleuse qu’ils auront eux et leurs deux petits.

Mais le désir revient et lentement, doucement, précieusement il la prend et ils s’unissent dans un extase commun.

Lui maintenant exténué par deux jours sans sommeil s’endort au creux des reins d’Adélia, elle n’ose pas bouger et lorsqu’au matin ne les voyant pas se lever leur fille se décide à les réveiller. Elle se surprend à être restée nue dans les bras de son soldat.

Aussitôt levé, Benjamin court à son atelier, il est propre, rangé, comme si une fée était passée. Plus de trace du désordre de l’apprenti laissé seul.

Il ouvre grand les portes de l’atelier et se met à l’ouvrage. Les villageois étonnés s’arrêtent, les discussions s’engagent. Pierre Petit le patron de la société de panification et qui a un fils au front s’arrête avec son chargement de fagots. Charles Girard le marchand de vin qui attachait un fût sur sa charrette quitte son ouvrage et s’en vient jacasser. Bientôt autour de Benjamin se forme un forum où l’on discute de la guerre et de la nouvelle offensive des Allemands sur la ville de Verdun.

On s’interroge sur le pourquoi d’un tel déferlement de moyens sur une si petite localité.

Chacun à la française à bien sûr son avis, c’est une ruse, c’est une fixation, c’est la fin pour nous, c’est la fin pour eux.

Bref on finit par s’engueuler, Sorlin sourit à tout cela mais le berceau de son fils n’avance guère. Puis la conversation s’épuise et tous s’en retournent à leurs occupations. Benjamin redevient lui même, il sent l’odeur du bois, le caresse de la paume de sa main, fait couler la sciure entre ses doigts. Sa petite fille est à l’école, mais sa femme rode autour de lui, elle a posé le petit dans un coin, il dort un sourire de contentement animal au coin de la bouche.

Adélia passe et repasse autour de lui, sa jupe vient frôler la jambe de Benjamin, l’ouvrage n’est pas terminé mais il va fermer la porte de son atelier. Seul avec sa femme, le silence règne, la tentation est trop forte, ils ne sont pas repus d’amour.

Sans plus de douceur, il la soulève et la dépose sur l’établi. Robe et jupons soulevés, jambes relevées, elle gémit bientôt sous les coups de rein fougueux du canonnier Sorlin.

Mais maintenant le petit pleure, c’est la tétée, Benjamin, il est fier de la beauté sauvage de son épouse, il est fier de son beau bébé, il jouit de l’instant présent, car en temps de guerre nul ne peut présumer de l’avenir.

Le reste de la permission se passe en visite à la famille, aux amis. Il rencontre le maire monsieur Gougaud et lui expose les difficultés financières que lui et sa femme rencontrent et il lui demande l’autorisation pour sa femme d’ouvrir un café au moins jusqu’à son retour. Il n’y voit pas d’inconvénient bien qu’il y ait déjà trois établissements. Cela va créer des histoires, mais chacun a le droit de vivre.

Son uniforme est maintenant tout propre, sa besace est remplie de merveilles et son petit André est couché dans un magnifique berceau. Benjamin et Adélia espèrent que pendant cette période de bonheur et d’amour, ils ont bien œuvré et qu’un nouveau fruit va germer.

Lui préfère qu’elle ne l’accompagne pas à la gare, c’est trop dur. Elle insiste pourtant et gagne la partie. Cela sera encore un déchirement, quand reviendra t-il?

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