LE ROMAN DES MORTS, Épisode 30, les morts succèdent aux morts

Le maire

Le travail d’un maire pendant cette période s’apparente aux travaux d’hercule ou au châtiment de Sisyphe. Les réquisitions succèdent aux rationnements et les demandes d’aides aux subsistances succèdent les demandes d’aides pour femmes allaitantes.

De nouveaux hommes sont partis avec le rappel des classes antérieures. Si la guerre continue c’est sûr les vieillards partiront.

Malgré cela la récolte de 1915 a été bonne et les moissons se sont passées sans réel problème. Les femmes ont été admirables mais Gougaud perçoit que plus jamais les rapports entre ces dernières et leurs hommes ne seront pareils. Elles sont devenues presque autonomes, dirigent les fermes, élèvent les enfants. Certaines se sont prouvées qu’elles pouvaient se passer d’homme.

La conduite de quelques unes est d’ailleurs sujet à caution, le manque d’homme leur retourne les sens et elle se livre dit-on à des bacchanales avec de jeunes hommes encore dans l’enfance. C’est sûrement exagéré, le maire en convient , mais il doit veiller à la tranquillité publique et qu’aucune émotion populaire ne vienne entacher son mandat.

Il faudra d’ailleurs à ce sujet qu’il se rende chez une veuve du village qui dit-on roucoule en dehors de toutes décences.

Mais en attendant les télégrammes arrivent encore et les mauvaises nouvelles succèdent aux mauvaises nouvelles.

Il va d’abord chez le curé et lui annonce que l’un des fils de sa bonne a été tué. Emmanuel Niox va se charger de lui annoncer.

Marie Rousseau est au presbytère pour y préparer le repas, croyante et confiante en l’avenir elle ne s’attend guère à recevoir une mauvaise nouvelle. C’est un peu curieux avec deux fils sous les armes.

Le curé observe à la dérobée celle qui le sert depuis de nombreuses années, elle est dévouée et se comporte parfois comme une mère.

C’est Louis qui a été tué à Ville sur tourbe, il était au 7ème régiment d’infanterie coloniale. Marie qui vit seule depuis que son mari est parti aux Amériques devine immédiatement en voyant la tête de son maître qu’il est arrivé quelque chose. Les mots bientôt crucifient son âme. Elle s’écroule, elle vient de perdre un pan de sa vie.

Niox pourtant peu impressionnable a des larmes qui lui viennent au coin des yeux.

Au moins Gougaud a échappé à ce mauvais moment. Il n’en sera pas de même avec Léon Tourneur mort au champs d’honneur au même endroit que Louis Augeron, coïncidence certes, non car ils étaient tous deux du 7ème d’infanterie coloniale.

Sa pauvre femme reçut la nouvelle par lettre et par la visite du maire, quand il est arrivé dans leur ferme de Mille Écus, elle tenait encore à la main la funeste lettre annonçant son décès

Les larmes coulaient abondamment et toutes couleurs s’étaient retirées de son visage. Orphélie Caillaud jeune beauté de 28 ans n’était plus qu’une femme ravagée par le chagrin.

Son fils Rémy, un bambin de 5 ans se cachait dans sa robe. On eut dit qu’il voulait de nouveau rentrer en elle pour pouvoir la réconforter.

Encore une fois Gougaud ne sut quoi dire tant la tension était grande, vraiment il n’est pas fait pour cela , mais personne ne doit l’être.

Mais il y eut encore un autre drame, Gaston Paris le menuisier, grand colosse de 1 m 80 revint du 6ème régiment de génie où il avait été rappelé.

On eut de la peine à reconnaître ce grand gaillard, il n’était plus que l’ ombre de ce qu’il avait été . Réformé par la commission de reforme de Montpellier pour laryngite bacillaire pulmonaire. Autrement dit, il avait contracté la tuberculose. Quand il revint, sa femme Henriette devina que les autorités l’avaient laissé revenir pour qu’il puisse mourir. Ils se déchargeaient en somme sur la famille de ce bacille contracté au front.

De janvier 1915 au 19 juillet de la même année, il agonisa tranquillement sous les yeux de sa fille Renée âgée de 5 ans et de son épouse dévouée qui le soigna comme elle le put. Il était maigre comme une brindille, s’arrachait un morceau de poumon à chaque quinte de toux et rougissait de son sang, bon nombre de mouchoirs dans lesquels il crachait.

Leur voisine la femme de l’instituteur fut la bonté personnifiée et les aida comme elle put, dans les derniers temps elle prit chez elle la petite afin qu’elle ne voit pas mourir son père.

Le curé Niox fit une belle messe et la majeure partie du village y assista. La grande discussion de ce jour là fut de savoir si il était préférable de mourir une balle dans la tête à son poste dans une tranchée que de crever à petit feu en expectorant ses poumons. Il y eut comme on s’en doute toutes les nuances d’ interprétation. La seule chose dont on était sûr c’est qu’il y avait une veuve et une orpheline de plus ainsi qu’une terre sans homme.

Un imbécile lâcha toutefois qu’on pourrait caser toutes les femmes qui ne trouvaient pas de chaussures à leurs pieds. Pour sûr à ce rythme il allait manquer d’homme et pour les terres et pour remplir les ventres.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s