Les femmes du château
Denise peu à peu sort de la torpeur qui l’a terrassée lorsqu’elle a su. Lentement, elle revient à sa vie d’avant ou du moins elle s’efforce de faire semblant. Pas une journée sans qu’elle ne pense à Marcel, pas une nuit qu’elle ne sente sa main remonter le long de sa cuisse. Mais les moments d’exaltation qui la prenait lorsqu’on évoquait le souvenir de Marcel s’estompent peu à peu.
Un jour qu’elle visite une connaissance à La Rochelle en compagnie de son père, elle croise un jeune officier convalescent, Gougaud le connaît et une conversation s’installe. Le merle est charmeur et envoûte le père et la fille. Une médaille épinglée sur sa veste d’uniforme rappelle qu’il s’est bien comporté. Le maire qui le sait bon parti, l’invite au Gué d’Alleré pour un repas avant qu’il ne s’en retourne à son unité.
Le lendemain ce n’est plus le souvenir de la main de Marcel qui titille les sens de la vierge du château mais la vision du bel officier.
Lucie qui se croit châtelaine en sa forteresse médiévale, qui s’imagine que les gueux viendront encore payer leurs agrières et feront génuflexion au passage de son carrosse, a pris la direction des secours pour les hommes du front. Cela serait tout à fait louable si ne ressortait pas son envie de dominer.
Faire du tricot, faire de la charpie a pris chez elle une proportion démesurée c’est devenu comme une mission divine.
Ces dames patronnesses, maîtresses platoniques de Dieu et du curé Niox auraient aimé que les paysannes s’impliquent un peu plus, mais aller demander à des femmes qui s’attellent à la charrue, qui se lèvent avec le soleil pour traire et qui doivent porter des charges qu’un âne refuserait d’avoir sur son bât, de faire en plus des ouvrages de couture.
Elle enrage donc de ne voir la rejoindre que quelques vieilles bourgeoises, femmes de propriétaires ou veuves rentières de quelques négociants.
Elle peste aussi contre sa sœur qui n’est plus la même depuis le début de la guerre, comme si elle avait été aussi blessée par une balle perdue.
Elles ne sont plus aussi complices et Denise qui pourtant se confiait sur tout ne lui dit plus rien. Mais elle a deviné que sa jeune sœur est troublée par la venue future d’un garçon de bonne famille de La Rochelle. Elle ne connaît pas le garçon mais en conçoit dès lors une forte jalousie. Si il y a une fille à marier ici, c’est bien elle.
Marie Chauvin qui bien que relativement instruite ne connaît que relativement mal tout ce qui touche à la vie intime d’une femme c’est beaucoup inquiétée après avoir fait l’amour avec Marcel. La pensée qu’elle eut pu être enceinte la fait encore frémir.
Mais aucune transformation ne s’opéra dans son corps et elle put poursuivre le cours de sa petite vie de servante.
Lucie la tourmente sans cesse pour qu’elle tricote pour les soldats, mais en aucune façon elle ne veut se retrouver en cercle avec les vieilles rombières qui cancanent et qui pensent en savoir plus que des généraux d’état major.
La seule chose qu’elle a rajoutée à son quotidien c’est la visite à Madame Boutin.
Cette dernière depuis la mort de son fils n’est qu’un bateau au bord du naufrage, une carcasse sans vie et sans but.
Lors de ses visites elles parlent à l’infini de Marcel. Ainsi de façon posthume elle apprend à le connaître. Cela fait du bien à la mère de parler de son fils et cela lui fait du bien à elle de s’approcher du souvenir de son amant d’un jour. Elle se met à s’imaginer ce qu’ aurait pu être sa vie avec lui. Bien que maintenant elle perçoive toutes les difficultés qu’ils auraient du franchir ensemble.
La seule chose qu’elle sait avec certitude c’est qu’elle ne se donnera jamais plus et que son corps en jachère ne sera plus jamais cultivé.
ÉMILIENNE DROUILLON
Émilienne est inquiète, le facteur vient de lui apporter une lettre. Elle l’a posée sur la table, ayant comme une répugnance à l’ouvrir. Le cachet indique un hôpital, ce n’est pas une bonne nouvelle, bien qu’elle reconnaisse l’écriture d’Alexandre. Il n’est pas mort mais elle redoute une infirmité quelconque, elle a vu l’autre jour un amputé à la foire d’Aigrefeuille. Cela est terrifiant et sans aucun doute elle ne se voit pas avec un invalide. Mais il y a pire, certains soldats reviennent le visage détruit, brûlé, défiguré à jamais. Rien que d’envisager de vivre avec un monstre fusse t ‘il un héros la rebute au possible.
Mais la lettre est bien là il faut l’ouvrir, sa mère arrive juste à propos si la nouvelle est mauvaise autant qu’elle soit là.
Angélique dure comme une vétérane de guerre n’a pas conscience de la peur de sa fille, elle déchire l’enveloppe et lit.
Non le bougre d’andouille d’Alexandre n’est pas défiguré ou du moins cela n’affecte pas son courrier.
Émilienne est rassurée et peut enfin lire elle même ce que lui conte son mari.
Ma foi c’est assez bizarre, les mots sont cohérents, bien écrits de la petite écriture penchée d ‘Alexandre, mais le texte est assez surprenant. Ce ne sont plus les doux mots d’amour, les phrases simples qui décrivaient son quotidien mais plutôt une longue plainte. Elle ne comprend pas toutes les tournures de phrase, il y a quelque chose de curieux, un long tourment, une véritable torture.
Ce n’est plus son Alexandre.
Immédiatement elle s’en va à l’école pour demander à monsieur Billeaud où se trouve l’hôpital de Laxou.
Ce dernier vient de terminer sa classe et essuie son grand tableau, cela replonge Émilienne dans son enfance, elle se fait petite enfant et timide se manifeste par un raclement de gorge. Martial ne l’a pas entendue arriver, il se retourne et est surpris. Les Drouillon n’ont pas d’enfant scolarisé et il se demande pourquoi elle est là.
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Qu’est ce que je peux faire pour vous madame Drouillon
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eh je viens de recevoir une lettre de l’hôpital de Laxou.
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Laxou, oui mon mari est là bas.
Martial réfléchit et pense que c’est en Meurthe et Moselle, mais pour en avoir le cœur net il regarde sur son atlas géographique.
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C’est à coté de Nancy madame.
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Bien je vous remercie.
L’instituteur est intrigué et vérifie ce qui pourrait bien amener le Alexandre à se trouver dans cet hôpital.
Car l’établissement en question est un hôpital d’aliénés. Cela ne veut rien dire en soit car devant l’afflux des blessés on en loge un peu partout.