Loetitia Coudrin épouse Tirant
Mon dieu, c’est une foutue réputation qui est entrain de lui naître à Loetitia. Elle n’a encore rien fait de compromettant . Elle n’a jamais trompé son Édouard.
Que va donc imaginer cette peste d’Adélia, oui elle a discuté avec le petit André, peut être a t ‘elle joué un peu avec lui. Mais il n’ y a pas de mal, elle ne lui a pas volé son mari. D’ailleurs il n’a guère d’allure dans son uniforme ce prétentieux.
Pour sûr Loetitia si elle n’a rien fait et a bien cela pour elle,n’est pas tout rose pour autant qu’on puisse lui imputer le désir de le faire. Oui si son foutue bonhomme n’est pas capable de lui faire un drôle elle ira ailleurs.
Mais que son attitude ai pu suggérer une inconduite elle ne le pensait pas.
Il y a bien aussi le Vérité Denis à qui elle a fait du gringue, oh trois fois rien comme une ligne qu’on lance pour voir si le poisson va mordre.
Ce qui était sûr c’est qu’elle se sent femme et qu’elle veut un petit, ce qui est sûr également c’est qu’elle se sent encore capable de séduire, malgré le temps qui file et les outrages d’une vie trop dure.
C’est certain elle aimerait être habillée à la mode de Paris comme les deux filles du château, mais avouons le ce n’est guère pratique pour traire ou manier la fourche à fumier. Il paraît qu’à la ville l’eau arrive dans les maisons, il paraît même aussi que l’électricité change le quotidien des gens .
Ici rien de tel, même Gougaud le plus riche n’a rien de tout cela, l’eau il faut la puiser, alors vous pensez bien qu’on en fait pas une consommation importante. D’ailleurs le tas de fumier des voisins pollue le puits, des fois l’eau est maronnasse et pu la merde.
Cela ne gène nullement Édouard, il ne boit que du vin et se lave rarement.
D’ailleurs il est là courbé sur ses pieds de vigne, amoureux de ses ceps et les caressant mieux que les galbes de Loétitia. Pour un peu il les embrasserait et les enlacerait. Elle ne donne qu’un alcool médiocre mais cette lanière de terre qui monte sur le coteau du fief Godon, il en est fier et jamais ne s’en séparerait.
Le père Gouraud qui se croit le seigneur des lieux a bien essayé de remembrer et de regrouper toutes ces poussières de parcelles. A son profit bien sûr, mais Édouard comme les autres ont résisté et préférerait de se séparer de sa femme que de ses foutues pieds tordus.
Ce n’est d’ailleurs pas avec ses maigres vignes que Loétitia et lui pourraient vivre, ni d’ailleurs avec le reste de leur terre. Non ils jouent tous les deux les journaliers, se crevant pour Gougaud, se crevant pour Petit ou bien pour cet avare de Michaux.
Indifférent à ce qui se passe au loin, faisant abstraction des copains qui sont au front, lui fait le buté et ne pense pas qu’un jour il puisse être appelé.
La naissance du petit de Benjamin
Pour la énième fois, Adélia pénètre dans l’atelier de son mari, tout est bien en place, les outils trônent en majesté, immaculés et dans un ordre d’horloger. On pourrait y manger par terre, Benjamin a tout nettoyé, tout graissé. Marteau, clou, varlope, vilebrequin attendent le retour du maître de séant.
Elle a du vague à l’âme, elle se sent responsable du départ de l’apprenti et du silence qui règne ici. Soudain, un liquide s’écoule entre ses jambes, elle sait ce qui lui arrive, elle a déjà été mère.
Elle a mal, son ventre se contracte, il faut qu’elle rentre chez elle, et qu’elle fasse appeler la sage femme.
En sortant elle voit Marie Louise Turquois la cafetière, celle-ci comprend et aussitôt elle envoie son fainéant de fils Marcel chercher Madame Giraud.
Il la trouve chez elle à trier la vaisselle que son mari vend, les affaire du vieux marchand de vaisselle ne vont d’ailleurs pas bien fort et le complément de salaire que lui procure les accouchements met du beurre dans les épinards.
Estelle fait cela depuis fort longtemps et la majeure partie des enfants du village est arrivée entre ses mains. Benjamin dit souvent qu’avec tous les derrières que la mère a vus, il pourrait se constituer un beau harem.
Du fait de ses soixante dix ans elle a une longue pratique. Elle connaît tous les secrets du corps des femmes et l’on dit que parfois elle pratiquerait ce que la loi et le curé défendent par dessus tout. C’est sûrement des on dit, car cette savante femme est chrétienne .
Elle arrive promptement, se lave les mains et examine Adélia. Aucune chaleur ne ressort du diagnostique, elle est avare de parole. Le col est bien ouvert, en position presque assise le travail se poursuit.
Aimée la petite âgée de six ans n’en perd pas une miette, elle voit sa mère souffrir, hurler, souffler. Elle la voit aussi appeler Benjamin son père.C’est un lit de souffrance, cela dure et dure encore. La sage femme s’impatiente, s’essuie le front, demande de l’eau, demande même un verre de vin. Elle se décide enfin à appuyer sur le ventre d’Adélia. Cela va mal finir, pour sûr un médecin serait peut-être nécessaire.
Anne Tiffreau est venu aider en voisine, la vieille Mélina Rouhault également. On fait quérir la famille. Bientôt la pièce est noire de monde, presque un accouchement public. Madame Giraud s’agace et fait sortir du monde.
Puis en un dernier effort, une dernière poussée, la tête du bébé apparaît, il a des cheveux. Pousse , pousse, la sage femme tire doucement l’enfant à elle. Enfin il est là, aucun hurlement, serait-il crevé. Suspendu par les pieds elle lui met une petite tape. Un vagissement, il est bien vivant, gueule maintenant à tout va, c’est un garçon.
On dépose la larve sur le ventre de la mère, elle est épuisée mais heureuse. Elle charge son père qui vient d’arriver d’envoyer un télégramme pour prévenir Benjamin.
Il rechigne un peu car il doit courir à Saint Sauveur d’Aunis, mais s’exécute tout de même.