LE ROMAN DES MORTS, Épisode 20, des morts, des blessés, des prisonniers, la guerre s’installe pour durer

L’année se termine maintenant, malheureusement le maire a eu le désastreux privilège d’annoncer deux autres décès.

Lorsqu’il a annoncé à Joséphine Roy le décès de son fils Fernand Néraudeau il n’en menait pas large et redoutait que se déroule la même scène que chez les Boutin. Il n’en fut rien Joséphine veuve impénétrable épaulée par sa fille Angèle ne cilla pas et resta d’une dignité de marbre. Gougaud surpris crut qu’elles avaient mal compris et leur répéta. Le courage qu’elles eurent le stupéfia. Il faudrait qu’il pense à leur faire accorder une aide par le conseil municipal. Il n’avait que 25 ans et pour l’instant son corps repose à Verneuil dans l’Aisne là où la mort l’a fauché.

Quelques temps après ce fut le tour de Daniel Gillet le fils d’Eustache et de Mélanie, soldat au 107ème régiment d’infanterie, mort à Jonchéry le 30 octobre . Les parents restèrent dignes. Mais il vit bien que le ressort de la vie s’était brisé chez eux.

Il en souffrit énormément.

En fait il ne quittait plus son bureau de la mairie, aux morts vint s’ajouter l’annonce des blessures et de ceux qui furent faits prisonniers.

Pour sûr c’était moins pénible, le premier blessé était Camille Boisson, deux balles de schrapnel à la hanche et au coté droit au combat de Montmirail, Pierre et Eugénie les parents avait déjà eu des nouvelles et Camille allait beaucoup mieux.

Le maire en faisait des cauchemars, Gaston Plisson lui aussi à Craonne blessé au mollet par un éclat d’obus, il garda sa jambe et put repartir au combat.

Pour les prisonniers ce fut plus simple, les parents furent soulagés de les savoir vivants, la guerre était terminée pour eux , ils reviendraient bien un jour.

Camille Arsicourt et Lucien Savary furent tous les deux conduits à Amberg en Bavière après avoir été pris à Rossignol en Belgique.

Quand à Abel Coudrin il se retrouva à Haasel au camps de Soltau dans la province lointaine du Hanovre, cela fit sourire le maire de voir André le père réagir en disant que là bas il saura bien s’occuper des vaches des boches et des greetchens qui les traient.

La famille de Camille Hillaireau avait entre temps apprit que leur fils Camille était hospitalisé à Bergerac après l’ablation de l’annulaire.

Quoi qu’il en soit le maire a l’impression que ses déplacements sont épiés et commentés, et que ses administrés le fuit comme la peste. Il est le porteur de mauvaises nouvelles, le corbeau qui plane, il est l’assistant de la grande faucheuse.

En cette nouvelle année il règne donc une atmosphère bien spéciale, lui il croule sous les tâches, la mairie mais aussi sa métairie. Puis évidemment les affaires sont les affaires, en bon négociant d’eau de vie, il flaire les bons contrats avec l’armée.

Le pinard et la gnôle sont comme l’artillerie, le soutien du fantassin.

Il est donc harassé et aussi inquiet de sa fille au point qu’il fait venir un médecin.

Comme de juste il ne lui trouve rien mais à ce rythme de dépérissement elle va bien attraper quelque chose.

Le docte homme en déduit que ce sont des langueurs de femme et un mariage lui ferait peut-être du bien.

Gougaud s’interroge comment trouver un mari au milieu d’une pénurie d’homme. C’est comme vouloir trouver un journalier qui veuille travailler pour un prix raisonnable.

La permission de Benjamin.

Benjamin Sorlin de la guerre pour l’instant il n’en avait rien vu, semblant être oublié en la place de La Rochelle. Il avait vu partir le 123ème, avait assisté au rassemblement sur la place d’armes, mais depuis il s’ennuyait à mourir.

Être au loin et ne pas voir les siens est une chose, mais être au près et ne pas les voir non plus tient du martyr.

Pas de permission, alors qu’en 4 heures de marche il aurait pu surveiller l’évolution de la grossesse de sa femme.

Adélia souffre et peine, elle ne peut plus rien faire elle même, aller chercher du bois, puiser de l’eau devient impossible. Elle est obligé de commander à l’apprenti.

Mais celui-ci rechigne, joue l’important et ne regarde plus sa patronne comme il devrait la regarder , mais plutôt comme si elle était devenue sa possession.

Son travail laisse même à désirer et beaucoup de clients s’en plaignent, Benjamin à ce train va perdre sa clientèle. La porte de l’atelier va devoir fermer c’est sûr à moins qu’on trouve un ouvrier. Rien de plus difficile, car il n’est pas le tout de le trouver, il faut encore pouvoir le rémunérer.

Un jour, Adélia péniblement rentre de l’épicerie et trouve attablé le jeune André un verre de fine à la main. Elle lâche le panier de surprise, il n’est pas seul.

La grande bringue de Loétitia est là en pleine causette. N’a t-elle pas honte cette traînée de jacasser comme une lavandière avec un gamin d’à peine dix huit ans.

Depuis que son homme est au front, cette furie se libère de toutes chaines, des bruits courent à son sujet. Le cul lui chauffe, ses volants sont souvent soulevés. Vieux, jeunes, beaux, laids, les discussions vont bon train.

Il lui vaudrait une bonne volée à cette voleuse, cette charmeuse, cette femme de rien qui visiblement c’est donnée comme mission de déniaiser tous les puceaux du village.

Loetitia ne souhaite visiblement pas s’attarder et André se lève d’un bon. Les deux femmes se souhaitent le bon jour d’un ton glacial. Adélia n’a pas même le temps de lui demander le pourquoi de sa présence, elle se sauve.

Quand à l’apprenti, elle n’en veut plus à la maison et se met immédiatement à écrire à Benjamin.

Mais à peine assise , elle entend quelqu’un frapper à la porte. Cette façon de faire bien particulière est celle de son homme, ce n’est pas possible. Mais si c’est bien lui, la porte s’ouvre, il est là magnifique en uniforme. Elle lui saute au cou, lui la soulève , la bise comme du bon pain. Il l’a fait tourner maintenant pour voir son gros ventre.

Le bonheur est trop fort, elle pleure et déverse d’un coup tous ses soucis, ses peurs et ses craintes. Il la réconforte comme il peut, il est gauche, maladroit, peu habitué à ce genre d’épanchement sentimental.

Pendant qu’elle lui concocte un repas de fête , lui rejoint son atelier. C’est un bordel indescriptible, les outils ne sont pas rangés, ils sont mal aiguisés. Visiblement le nettoyage n’est jamais fait, des copeaux et de la sciure trainent en abondance au sol.

André est surpris à bader aux mouches, la colère de Benjamin est terrible, un roulement de tonnerre , une crue soudaine, un feu de meule de foin. Il a les yeux révulsés d’un tueur, ferme ses poings, il va le tuer c’est sûr.

La silhouette de Loetitia qui se profile le calme aussitôt, il n’a finalement qu’une parole.  » fout moi le camps  ».

L’apprenti prend sa besace et s’en va, Benjamin prend un balai de paille et nettoie avec amour son atelier , son lieu de vie. Il y passera sa permission, Adélia assise, le regardera avec fierté. Elle aurait aimé que son petit naisse en la présence de son mari, mais la mère Giraud qui l’a examinée lui a dit qu’il fallait encore attendre un peu.

Dormir dans des draps blancs auprès de sa compagne, Benjamin en rêvait, certes l’état avancé de sa grossesse ne leur permettent pas un rapprochement intime, mais sa seule présence est déjà réconfortante. Il dort comme un bébé, la tête d’Adélia dans le creux de son épaule.

Le lendemain il repart, ne sachant quand il va revenir.

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