La corvée du maire
Le maire dans son bureau de la mairie tient dans ses mains un télégramme.
Avant même de l’avoir lu il se doute du contenu. Il ne sait pas qui, mais il sait.
Il chausse ses lunettes et lit, Marcel Boutin mort au chant d’honneur. C’est le premier de la commune, tué le 31 août 1914. Ce qu’il redoutait depuis le départ de ses infortunés administrés, arrive maintenant.
Il connaît Marcel depuis longtemps, ses parents sont de braves gens, les larmes lui viennent malgré lui.
Il va lui falloir être plus solide, mais il tergiverse encore et encore. Les heures se passent et il s’oblige à traiter des dossier et à répondre à des courriers.
Il manque de courage et se persuade qu’il lui faut une femme pour soutenir la maman de Marcel.
Il retourne chez lui et demande à Denise de venir avec lui pour l’assister dans une bien mauvaise annonce.
Denise pose son ouvrage et suit son père, il ne lui dit rien pour l’instant. Tous les deux prennent la direction de la maison des Boutin. Au fur et à mesure qu’on se rapproche Denise se pétrifie, son gosier est sec, elle marche maintenant avec difficulté. Le maison d’Émile se dresse devant eux.
Par la fenêtre Marie Vicenté voit le maire et sa fille, elle ouvre la porte et pousse un hurlement de terreur. Gougaud n’a encore rien dit mais elle a évidemment deviné.
Elle s’écroule dans les bras de Denise qui ne tient guère debout elle non plus.
Le mari est au champs on l’envoie chercher au plus vite.
Maintenant c’est des pleurs et des pleurs, les cris ont alerté les voisines. La vieille Julienne Savary se précipite, Marie Louise Baudry dont le mari est aussi à la guerre vient la soutenir, Julia Coudrin, Mélina Martinet et Zaida Naud emplissent maintenant la pièce.
Le maire aimerait être ailleurs mais voilà maintenant Emile. Il n’est guère fort non plus et s’effondre sur sa chaise. En quelques minutes ils se sont transformés en vieillards
Le village entier est maintenant au courant, Loetitia Tirant l’apprend de Loetitia Coudrin qui elle l’a appris de Emma Petit.
Maintenant c’est bien du concret, on est dans la guerre et la mort loin du front vient frapper aux portes.
Le maire doit maintenant rentrer, sa fille n’est pas bien, le choc de l’annonce sans doute, bien qu’il se dit qu’il ne la croyait pas aussi émotive.
Au château elle se sent mal, de la fièvre et un mal de ventre lancinant qui la tenaille qui la précipite dans les lieux d’aisance.
Elle doit se coucher sa sœur qui ne sait rien se demande bien pourquoi la mort d’un presque inconnu la renverse à ce point.
Comme elle ne veut pas venir manger on demande à Marie de lui monter un bol de soupe. La porte est fermée mais elle entend des sanglots. Après avoir insisté elle rentre dans la chambre plongée dans l’obscurité. Doucement elle se renseigne sur le tourment de sa jeune maîtresse.
Un cri aigu venu d’outre tombe raisonne dans la maison, Denise n’a pas fini de dire Boutin Marcel que le bol de soupe se fracasse au sol.
Marie en pleine crise d’hystérie monte dans sa chambre en hurlant de désespoir. Rien ne pourra l’en faire sortir pas même les injonctions de la patronne.
La servante , la bonniche que l’on croyait de marbre et sans sentiment se révèle être une femme qui peut avoir une réaction humaine.
Elle pleure et lorsqu’elle enfin elle s’endort d’épuisement les cauchemars prennent le dessus.
Elle le voit nu s’écrouler sur elle mort d’une balle en pleine tête, elle le voit la caresser avec des mains pleines de sang. Puis alors qu’elle veille sur sa tombe, la terre se craquelle et laisse place à un Marcel rigolard. Elle se réveille alors terrorisée, mais il n’y a personne dans sa chambrette. Sa table de nuit n’a pas bougé, les rideaux ont les même plis et ses vêtement dont elle s’était débarrassée sans ordre hier soir sont toujours à la même place.
Elle est épuisée de désespoir, mais doit descendre à l’office, continuer son service, ne rien dire à personne, avaler sa désespérance et enfin s’excuser au près de ses maîtres.
Berthe Petit l’attend à la cuisine, l’accueil n’est pas chaleureux, son emportement d’hier est inadmissible cela sera une retenue sur ses gages. Les larmes lui montent à nouveau aux yeux, madame est méchante mais surtout ne rien dire et ne pas dévoiler sa liaison avec Marcel.
Quand à Denise elle vient pour toujours de revêtir ses habits de fantômes. Elle devient un spectre et garde bien enfoui en elle le souvenir de la caresse que lui a offert le petit militaire en permission.
Sans qu’elle ne lui ai rien donné elle fait vœux de chasteté et refusera toutes futures propositions de mariage. Un jour elle le rejoindra là haut et se donnera à lui.
La mort de ce premier enfant du pays laisse un couple de parents dans le désespoir et deux jeunes femmes dans l’affliction la plus totale.