Adélia Caillaud femme Sorlin, village du Gué d’Alleré
Assise devant la grande table, Adélia a posé une feuille blanche. Elle n’a que peu écrit dans sa vie et les formules et le style ont du mal à venir. Elle se serait bien faite aider par l’institutrice privée, c’est une amie mais ce qu’elle a à écrire est très privé et elle ne veut pas que ce qu’elle va dire à son mari se sache. C’est évidemment stupide, mais elle veut qu’il soit le premier à le découvrir.
C’est la chose la plus simple au monde pour un couple, Benjamin était à peine parti qu’elle se rendit compte qu’elle n’avait pas eu ses menstrues. L’inquiétude, le drame du départ, le fait d’être seule, non pas, d’autres signes lui font savoir qu’un petit Sorlin se développe dans son ventre. Encore ce matin, elle a regardé son ventre et ses seins. Elle a même bêtement soupesé sa poitrine, aucun doute.
Aussitôt elle espère que cela sera un garçon, Benjamin qui aime les enfants va être fou de joie.
Cher homme
J’espère que ton installation à La Rochelle c’est bien passée. Ici la désorganisation est à son comble, trop d’hommes sont partis. Les vendanges ont été bien tristes, tout le monde a été réquisitionné.
J’ai prêté notre apprenti à monsieur Gougaud pour la récolte de ses parcelles.
J’ai bien hâte de te voir mon cher homme. J’ai une grande nouvelle à t’annoncer, je crois que je porte espoir en moi. Oui, tu vas être père pour la seconde fois.
Alors je t’en supplie essaye de te préserver afin que nous puissions tous les deux le voir grandir.
J’espère que bientôt je vais te voir, tu sais bien que d’être mère me rend plus belle.
Porte toi bien mon homme, ton Adélia qui t’aime.
Voila c’est fait le facteur emportera la lettre, elle est heureuse car elle s’imagine la joie de Benjamin.
En attendant elle a d’autres problèmes et notamment avec son apprenti André. Celui-ci depuis que le patron est parti se joue à l’homme. Il se sent presque patron, veut en imposer alors qu’il a encore du lait qui lui sort du nez. Il en est même venu à tourner autour de sa patronne, il devient insolent, la frôle de drôle de façon. S’imagine t’ il ce gamin qui n’a même pas l’ombre d’une moustache qu’il va supplanter son patron dans le lit de la patronne.
Adélia va en parler à monsieur Billeaud pour qu’il intervienne avant que cet imbécile ne s’imagine des choses.
Son autre difficulté est d’ordre financier, Benjamin n’est pas là donc pas d’ouvrage, et sans cela pas d’argent. Elle va faire avec les quelques économies qu’ils ont, mais il ne faudra pas que la guerre se prolonge.
Pour l’instant elle se languit de Benjamin et pense à aller le voir à La Rochelle, ce n’est pas si loin mais elle ne sait si cela peut se faire.
Loetitia Coudrin épouse Tirant
Son mari n’est point parti, ou du moins pas encore. Elle n’a donc pas l’entière liberté que lui accorderait un homme loin du foyer. Ce n’est pas qu’elle veuille qu’il s’en aille mais elle a bien réfléchi à ce que lui a susurré Églantine sa voisine.
Elle a d’autant plus pensé à cela qu’elle a déjà commencé à regarder les hommes qui composent son entourage. Il en reste peu et son regard ne se porte pas sur les vieux. Pour cela elle a son légitime. Alors un gamin pourquoi pas, ils sont vigoureux, pas regardant sur la situation. Mais elle a peur qu’il s’entiche et ne fasse un scandale quand elle n’aura plus besoin de lui.
Elle s’inquiète aussi de son pouvoir de séduction, comment fait-on pour séduire en dehors de toutes fêtes et grands rassemblements.
Elle se décide enfin à se tester sur son voisin, le mari d’Églantine.
Justement, elle le rencontre, il est grand bien tourné, encore jeune, d’ailleurs pourquoi n’est il pas encore mobilisé?
La conversation est facile , il est assez bavard et d’initiative il demande des nouvelles d’Édouard et de sa récolte de raisin. Cela coupe un peu les moyens de Loetitia, séduire un homme alors que celui-ci vous parle de votre légitime, n’est pas une bonne entrée en matière.
Elle réessayera plus tard, maintenant elle doit aller chercher le pain à la boulangerie des Petit. En chemin elle se met à observer d’une drôle de façon la gente masculine, elle soupèse ses chances. Mais il faut bien le dire, plus elle le scrute plus elle pense que si son mari ne lui donne pas d’enfant c’est que le destin s’y oppose.
Chez le boulanger, c’est un peu la consternation, Pierre le patron de la société de panification se lamente, il fait des journées de seize heures et n’arrive pas à fournir.
Son fils Auguste a été mobilisé dans une section de commis et ouvrier, eh oui les soldats doivent aussi manger du pain.
D’autant que son ouvrier Victor Robin a été rappelé également, c’est Augustine la drôlesse qui a pris la place de son frère, mais elle débute et les rendements s’en ressentent. Alors le patron clame, qu’ il va fermer la boutique, qu’il n’y arrivera pas, et qu’en plus il va bientôt manquer de farine.
Pour un peu il déclencherait une émeute de la faim se bougre d’andouille. Toujours est-il que Loetitia n’a pas son pain et qu’elle devra revenir quand la nouvelle tournée sera prête. Ce n’est rien qu’une perturbation mineure mais ajoutée à d’autres cela perturbe les habitudes.
Elle voit également Lucien âgé de 11 ans, lui aussi est au four depuis minuit, il est blanc de farine, hâve de fatigue et des cernes bleues marquent ses yeux creusés.
Dans les fermes les pères emploient les plus jeunes il n’y a donc aucune raison qu’en boulangerie il n’en soit pas de même.
Qu’il en profite, la rentrée scolaire va se faire le premier octobre et plus d’un se demandent comment ils vont faire sans leurs petits ou petites.