Alexandre Drouillon à Bordeaux
Émilienne depuis le départ de son bonhomme n’a guère le temps de se reposer, le travail que faisait son mari il faut bien le faire à sa place.
Le commerce s’est un peu ralenti mais il existe encore. Il n’est évidemment pas question qu’elle effectue des tournées, cela ne serait pas convenable. Mais elle se verrait bien de les faire, une lutte sourde à ce sujet commence avec son père.
Enfin un matin on lui tend une lettre, elle vient de Bordeaux, c’est son Alexandre.
Son grand comme elle l’appelle a eu l’idée de se faire photographier et d’en faire une carte où l’on écrit quelques lignes.
Qu’il est beau sanglé dans son uniforme, la main posée sur un guéridon, fier, un léger sourire en dessous de sa fine moustache.
Elle en pleure de joie, d’amour, de fierté.
Visiblement il va bien, et surtout n’est encore qu’à Bordeaux. Il est loin du drame qui se joue maintenant à quelques kilomètres de Paris.
Émilienne avec tous les habitants de France et de Navarre, tremblent de voir envahir le territoire. L’Aunis est loin du front certes mais l’on voit déjà les maires du village un télégramme à la main se rendre dans les familles qui viennent d’être frappées par le malheur.
Lorsqu’elle reçoit la carte postale, son mari est déjà loin, le 15 août, il embarque en train avec toute sa compagnie.
C’est une rude affaire que de faire monter 258 chevaux, les bêtes ont peur, se cabrent , hennissent et ruent. Les officiers tempêtent et les hommes malgré leur bonne volonté arrivent difficilement à effectuer leur tâche. Pratiquement tous sont de la campagne et ont l’expérience des chevaux, Alexandre les aime et arrive à les apaiser.
Puis c’est le tour des voitures au nombre de 213, les 313 hommes s’installent dans des wagons à bestiaux, heureusement la paille est fraîche. Les officiers sont à part dans un wagon de voyageurs. Les banquettes de bois sont-elles plus confortable que la paille rien n’est moins sûr.
L’atmosphère est bonne, aucun n’a peur pour sa vie, ils sont chargés du transport, alors ils ne seront pas en première ligne. Un plus sagace que les autres leur fait remarquer qu’il faudra bien s’approcher des combats. Après des heures de discussion ils conviennent que même si il y a des risques ils sont moindres que pour les fantassins de première ligne.
L’arrivée à Coussey dans les Vosges se fait le lendemain, la compagnie fait partie de la 70ème brigade, 35ème division, 18ème corps d’armée, 2ème armée. Le bivouac se fait près de la gare.
Le boulot est celui d’un charretier ou d’un conducteur de chevaux, rien de bien difficile pour Alexandre . Comme à la ferme les bêtes passent avant les hommes. Ce n’est qu’après que le ventre des soldats est rassasié.
Ensuite le déplacement se fait sur Colombey les belles, la compagnie perd un cheval, elle le laisse pourrir sur le bord de la route. Cela met mal à l’aise Alexandre mais le temps presse et il faut avancer.
On se déplace un peu et la troupe est logée chez les habitants d’un village, les voitures sont laissées en file indienne dans le village, les chevaux paissent dans une prairie.
Alexandre est logé chez une veuve et sa fille, elles font ce qu’elles peuvent pour être agréables au bien être de ces pauvres hommes. La gamine est joliette et Alexandre ne manque pas de la reluquer à loisir. Si elle y consentait il mettrait bien un coup de canif dans le contrat et puis Émilienne , elle est bien loin.
Comme de bien entendu rien ne se passe mais le rêve fait parti du bagage du troufion.
Nouveau départ vers Sauvigny c’est un peu en arrière là le cantonnement se prolonge.
La routine s’installe pour quelques jours, Alexandre en profite pour donner des nouvelles à sa femme . Il est serein, pas un boche en vue, pas de bruit de canonnade, rien que des prairies luxuriantes, c’est dimanche tous les jours.
Pourtant l’armée Française a perdu la bataille des frontières, m’étonnerait dit-il qu’il soit au Gué d’Alleré pour Noël.
De bivouac en bivouac le temps passe monotone, Alexandre en a déjà marre, il tient en main une lettre de sa femme.
Au village la situation pour les vendanges n’est pas bonne, trop d’hommes sont partis, les journées ne vont pas être assez longues. Eux non pas de terre mais solidarité oblige toute la famille va aider et fermer l’épicerie pour quelques jours.
Le vieux a repris les tournées, il gueule toute la journée et le soir pas rassasié il s’époumone contre Angélique sa femme.
En habituée, elle reste de marbre, mais non de non quel vieux ronchon.
Au gué d’Alleré même si le temps de la splendeur viticole est passé, tout le monde a des vignes.
Ce n’est certes plus l’économie principale depuis cette foutue bestiole américaine qu’on a appelé le phylloxéra. Mais on produit encore un peu d’eau de vie en plus de la vinasse locale pour les gosiers locaux.
Elle ne lui raconte rien de très personnel, il enrage de ce manque d’expansivité, mais il la connaît par cœur son Émilienne ce n’est pas une grande causeuse d’elle même.
Pourtant il serait heureux de savoir, des petits riens, des détails, des bêtises. Lui il est plutôt disert dans ses missives et ne se prive pas de lui glisser quelques douces folies.
Il s’imagine qu’elle enrage et qu’elle doit le traiter avec un petit sourire de vieux cochon.
Il sont tous déjà en mal de femme et quelques copains à lui sont carrément en chasse parmi le cheptel des villages traversés.