Les deux lettres
Les deux lettres viennent du village et témoignent toutes deux d’un amour fou et passionné. Marcel s’en attriste car ce qui c’est passé lors de sa permission ne mérite pas de telles envolées amoureuses. Pour lui ces quelques temps ne furent qu’un amusement éphémère, un jeu, une excitation d’homme jeune qui aurait bien profité de l’abandon de ces femmes mûres. Lui gamin de la terre avait d’un regard fait tomber le carcan qui le séparait d’une bourgeoise.Un seul regard, des paroles banales, quelques blagues et l’impénétrable fille du maire s’était laissée conter fleurette, puis courtiser.
Marcel fièrement se remémorait le moment où tout avait failli basculer. Denise, inexplicablement avait fait fi de toute convenance, avait jeté aux orties toute son éducation pour presque se donner. Elle n’est point belle, mais les derniers feux de sa jeunesse presque disparue, ont un instant enflammé les sens de Marcel. Mais il a manqué ce jour là à Marcel, l’habitude d’un homme à femme. Il a hésité, tergiversé et lorsqu’il s’est enfin décidé à passer à l’acte, le moment était passé. Pendant ce bref instant il aurait pu tout obtenir, cela ne tenait à rien, puis le rideau des convenances s’abattit entre eux. Mais la sèche Denise sait maintenant qu’un homme a eu une pulsion pour elle, elle se sent capable de faire réagir un jeune garçon, elle se sent capable d’être une femme.
Sa lettre est celle d’une amoureuse, elle dépeint ses affres et dévoile même quelques pans d’impudiques pensées.
Lui en lisant cette missive n’est guère soulevé par un sentiment quelconque, il se dit simplement qu’à la prochaine permission Denise serait prise, puis exhibée en sa mémoire comme un trophée de chasse.
Mais en la même période le ratier qu’il était, avait soulevé un autre lièvre. Presque aussi improbable, après avoir failli prendre la maîtresse il avait pris la servante. Là aussi le stratagème avait été le même et la citadelle inexpugnable s’était rendue. Là aussi point d’amour, du moins pas celui des sentiments, Marie Chauvin qui jamais n’avait touché un homme c’était ce jour là retrouvée, embrassée, caressée et troussée et baisée, cela faisait beaucoup de première . Marcel fier comme un cardinal qui vient d’avoir la fumée blanche ramène la fleur de la bonne dans sa besace.
Avec cet acte il pourra se vanter plusieurs années et rigoler à chaque fois qu’il verra la Chauvin à l’église. D’ailleurs avant son départ il a confié son secret à certains en affirmant que la bonne toute coincée qu’elle était valait son pesant de cotillon.
La lettre de Marie est plus celle d’un Restif ou d’un Sade que celle d’une vieille fille. Marcel si il en avait le temps en serait presque confus.
La nuit se passe et les ordres dans la nuit se transmettent, au matin les hommes sont fin prêts à l’avance, le noir est bu, un quignon de pain avec du pâté avalé,le ventre vidé de toutes souillures.
Marcel avec la douzième attend, les lettres de ses amoureuses dans la poche.
L’artillerie Française tonne et celle des Allemands lui répond. Les soldats commencent à reconnaître les bruits des différents calibres, puis ils supputent l’endroit où ils vont arriver, trop loin, trop court. Les hommes tombent, s’affaissent victimes des innombrables éclats qui pleuvent meurtriers.
C’est le départ, Marcel a peur, malgré l’eau de vie qu’il vient de boire. Il a les jambes lourdes, pourtant rien ne le tracasse, aucun pressentiment particulier.
Puis peu à peu le temps aidant, le corps se détend, ses sens sont en éveil, il suit les autres. Puis des coups de feux partent d’un bosquet, il voit ses copains se jeter à terre, la terre tourne, les feuilles des arbres rideau criant de verdure deviennent grises. Il ne sent rien de particulier, mais un filet de sang lui coule dans les yeux.
Il vacille, il n’est que lourdeur, sa bouche devient terreuse au contact de la terre d’Argonne.
La mort le recouvre maintenant de son suaire .
31 août 1914 le premier fils du Gué d’Alleré trouve la mort d’une balle dans la tête, Brieulles sur Sy, le Gué d’Alleré, une naissance, une mort vingt ans d’écart.
Super cette idée du premier mort, je vais tenter de le chercher dans mon village. Mon texte sera moins imagé !
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