Marcel Boutin sur le front
Marcel n’en peut déjà plus de tant de marches, il fait chaud, très chaud ; ils sont sales, haves de fatigue et les pieds en sang.
Ils atteignent la Belgique le 21 août 1914, pour y venir à la rencontre des Allemands.
Les flonflons se sont tus et les fleurs ne pleuvent plus sur eux, les populations ont déjà fui, les villages sont abandonnés.
Lui il ne rêve déjà que d’un bon lit ou au pire d’une bonne balle de foin. Les Allemands il n’en a point encore vus, mais bientôt tout va changer.
Le régiment doit aller cantonner à Neufchateau, mais les Boches y sont retranchés.
Quelle tempête pour un baptême, il fait un noir de tombe en cette première nuit de fête. On forme une colonne et l’on avance, heureusement l’ennemi n’est pas signalé en force.
Marcel ne sait évidemment rien de ce qui se passe, tel du bétail qu’on mène à la foire.
Non de dieu les troupes marchent jusqu’à midi, les forces qui s’évanouissent sous l’effort, reviennent avec le stress du combat. Le combat commence.
Marcel a le nez dans les fougères du bois de Basse Héreau le troisième bataillon attend avec l’artillerie.
Au loin ils entendent la canonnade, la mitraille, des voitures, des cavaliers, des blessés refluent, le spectacle est fascinant. Marcel que ce défilé ne rassure guère, est mort de trouille. Un de ses copains doit baisser culotte, les entrailles se nouent, les jambes se dérobent.
Puis soudain les ordres sont aboyés, le troisième bataillon avance. Les hommes ne savent pas où ils sont, mais Marcel reconnaît une sapinière. Ils n’ont pas le temps d’en humer les flagrances, cela chauffe sur toute la ligne de front du régiment. L’artillerie se déchaîne, les hommes hurlent, fous de terreur, du sang, des membres déchirés. La compagnie de Marcel est engagée sur la fin, la ligne ploie, il faut reculer.
Il tire maintenant mais sans réellement voir ses ennemis, il entend des balles lui siffler autour, il n’a pas le temps de penser. Son état est second.
C’est le recul, vers Chiny, à voir l’état des troupes cela ressemble à une retraite.
Le soir on s’écroule de fatigue, la roulante n’est pas là, les morts et les blessés se comptent par centaines. On croit même que le colonel Aubé est mort ou gravement blessé. Le sacrifice n’a pas été vain dit-on, car les allemands sont ralentis dans leur avance.
Marcel ne pense qu’à son ventre, il a survécu à son baptême du feu et a le sentiment de n’avoir pas fait grand chose. Il veut dormir et s’effondre comme une bête le long d’un talus.
Ils sont réveillés par un gueulard d’officier, botté, sanglé dans un uniforme immaculé, faisant claquer son stick le long de ses jambes. Il hurle qu’ils ne sont que des bons à rien, bons qu’à manger, chier et dormir.
C’est profondément injuste, le régiment s’est conduit avec héroïsme. Maintenant c’est la retraite, le voyage de courtoisie en Belgique n’aura guère duré longtemps. Le défilé à Berlin n’est pas pour tout de suite.
Le régiment doit rejoindre la Meuse, le flot Allemand est presque irrésistible, la bataille des frontières se termine,une autre commence, celle pour bloquer les allemands avant qu’ils n’arrivent à Paris .
Marcel comme les autres se demande si les généraux qui sont à leur tête ne sont pas des incapables.
Les routes sont pleines de fuyards, toute la population fuit la mort et les dévastations.
Les civils ont peur et disent que les soldats allemands pillent, volent, violent, fusillent.
On apprend même ébahis que des enfants auraient été mangés. Les plus sensés ne crient pas à ces fadaises, mais d’autres s’enflamment et jurent d’égorger les responsables.
Pied à pied le régiment se bat, Marcel ne pense guère au Gué d’Alleré pas le temps, sa tête est pleine de morts, de sang et de copains qui agonisent.
Le 30 août ils font volte face pour bloquer les défilés de l’Argonne, le bataillon prend position autour d’un carrefour près de Brieulle sur Sy. Enfin un peu de repos et de nourriture. Mais Marcel n’en croit pas ses yeux le vaguemestre les rejoint, comment dans un tel merdier les autorités arrivent elles à faire suivre le courrier.
Il est surpris car on lui tend deux lettres.
En voyant l’écriture sur les enveloppes, il devine immédiatement qui lui a écrit, la première est sans conteste d’une belle plume, la calligraphie est régulière, voluptueuse en ses pleins et ses déliés, l’autre est plus scolaire, comme celle appliquée lors d’un devoir. La première est féminine et assurée l’autre ressemble plus à celle d’une adolescente avec ses hésitations.
Continue a écrire cousin, ça me plaît ..je m’imagine être près des soldats..’Elisa
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